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L’ouvrage collectif Interrelations femmes-médias dans l’Amérique française est constitué d’une douzaine d’articles – tous rédigés par des femmes, sauf un – articulés autour de la problématique de la parole des femmes francophones dans le monde des médias « en Amérique du Nord » (p. 1), c’est-à-dire au Canada. Tout en privilégiant une approche essentiellement historique, ce collectif se propose d’apporter un éclairage sur ce phénomène social. Faute d’être organisés en sous-catégories, les articles apparaissent en ordre chronologique et englobent ainsi une très vaste période, soit du XVIIe siècle au XXIe siècle. Néanmoins, on demeure libre de commencer sa lecture là où on le souhaite étant donné que les chapitres abordent la problématique en fonction d’époques diverses.
Plusieurs articles tracent un portrait, somme toute succinct, du rôle des femmes sur la scène politique, sociale, économique, religieuse et littéraire. C’est notamment le cas du texte de Dominique Deslandres, qui décrit la situation des femmes en Europe au XVIIe siècle, et en particulier, de celles qui écrivent. L’auteure souligne que la correspondance devient à cette époque, l’un des médias privilégiés des femmes, faisant d’elles « de remarquables et souvent de prolifiques épistolières » (p. 19). Certaines d’entre elles, plus rares, se consacrent à la littérature en écrivant de la poésie, du théâtre, des nouvelles et des contes de fées. C’est toutefois par l’entremise du roman, considéré dès lors comme un genre mineur en comparaison du théâtre, que « l’écriture féminine acquiert une certaine reconnaissance » (p. 22). Cependant, les quelques femmes qui s’y adonnent le font sous un pseudonyme. Enfin, d’autres, encore moins nombreuses celles-là, publient des conversations, des mémoires, des biographies et des autobiographies. Puis, peu à peu, les femmes deviennent, comme le précise Deslandres, « actives dans toutes les sphères de la société » (p. 27). Non seulement elles le sont dans le domaine littéraire, mais elles s’intègrent aussi au mouvement socioreligieux pour fonder la Nouvelle-France. C’est donc grâce à des femmes telles que Marie de l’Incarnation, Jeanne Mance et Marguerite Bourgeois que le Québec s’est développé.
L’article de Julie Roy adopte, lui aussi, une perspective historique en esquissant un portrait relativement bref du rôle de la femme dans les médias écrits au Canada entre la parution de La Gazette de Québec en 1764 et le milieu du XIXe siècle, époque où les périodiques se multiplient et se spécialisent. L’auteure rappelle, à son tour, l’usage du pseudonyme comme une stratégie à laquelle plusieurs femmes ont recours afin d’écrire dans la presse sans risquer « de perdre un peu de [leur] féminité, voire [de] compromettre [leur] réputation en devenant [des] femme[s] “publique[s]” » (p. 63). Or, comme le précise Roy, cette façon de faire pose un problème de taille lorsqu’on tente de reconstituer l’histoire de la presse et des personnalités qui y ont contribué. L’article de Marlène Rateau, pour sa part, se veut historique dans la mesure où il relate les grands moments de la radio féminine haïtienne à Montréal où une émission intitulée Pawòl Fanm (« la parole aux femmes » en créole) est notamment diffusée depuis plus de quinze ans. En abordant la problématique du rapport entre les femmes et les médias dans le contexte de la communauté haïtienne de la métropole québécoise, cet article se distingue des autres qui, de manière générale, évoque les conditions des femmes blanches issues de la colonisation européenne.
Si quelques articles se concentrent sur l’histoire de l’intégration des femmes dans l’univers médiatique, il y en a davantage qui adoptent une visée essentiellement biographique. Là où on aurait peut-être attendu une véritable réflexion et interprétation du phénomène sociétal, on se trouve devant des textes qui racontent avec plus ou moins de détails la vie de certaines pionnières dans le milieu des médias. L’unique article en anglais du volume, celui d’Anne Marie Lane Jonah, relate justement l’existence au XVIIe siècle de trois femmes (Anne Mius d’Entremont, Marguerite Guédry et Jeanne Dugas) ayant vécu plusieurs années entre l’Acadie française (Nouvelle-Écosse d’aujourd’hui) et la nouvelle colonie de l’Île royale (appelée de nos jours Cap-Breton et l’Île-du-Prince-Édouard). L’article de Chantal Savoie s’inscrit également dans cette optique. Tout en rappelant le contexte dans lequel est née la « page féminine » (p. 87) au tournant du XXe siècle dans le quotidien canadien-français, cette auteure se penche sur le cas de la journaliste Madeleine (pseudonyme d’Anne-Marie Gleason) qui a publié dans La Patrie plusieurs critiques théâtrales et commenté un grand nombre de textes que ses lecteurs et ses lectrices lui ont soumis de façon anonyme. Ainsi s’est-elle efforcée dans sa rubrique de répondre aux questions portant sur la littérature et les techniques de rédaction. L’article d’Andrée Lévesque adopte un angle d’approche similaire en reconstituant la biographie de la journaliste montréalaise Éva Circé-Côté. Sous le pseudonyme de Colombine (et parfois de Musette), cette féministe et suffragiste militante a fait carrière en écrivant sur divers sujets, dont le journalisme, dans plusieurs périodiques, tels que Les Débats, Le Pionnier et L’Avenir du Nord. Quant à Yves Frenette, il propose une « esquisse biographique d’une écrivaine et journaliste canadienne-française » (p. 127), Marie-Rose Turcot. Cette célibataire a consacré sa vie à la cause des Franco-Ontariennes. Elle a été notamment l’une des premières femmes à étudier à l’Université d’Ottawa.
Par ailleurs, l’article de Yasmine Barthou et Josette Brun se démarque des autres du fait qu’il s’agit d’une entrevue réalisée avec Colette Beauchamp, journaliste québécoise, auteure du Silence des médias : les femmes et l’information (1987) qui est considéré comme une véritable référence en analyse féministe des médias dans la francophonie. Les questions qui lui sont posées tournent essentiellement autour du contexte d’écriture et de publication plutôt que sur la thématique elle-même. Ainsi cherche-t-on à connaître la genèse du projet d’écriture, les raisons qui ont poussé l’auteure à écrire, la planification de la rédaction, l’esprit dans lequel elle a rédigé l’essai, le lectorat visé, la réception du livre au moment de sa parution et, enfin, le regard que Colette Beauchamp porte sur les médias contemporains. Bien que les réponses fournies apportent des éléments pertinents concernant la contextualisation de l’ouvrage, elles n’abordent aucunement son contenu, ce qui aurait été d’un grand intérêt, à notre avis.
L’ouvrage sous la direction de Brun contient en outre quatre articles qui se distinguent de la masse dans la mesure où ils ont recours à une approche analytique plutôt qu’historique. C’est le cas du texte d’Agnès Torgue qui constitue une analyse discursive de deux articles parus dans des journaux acadiens (L’Évangéline et Le Moniteur acadien), publiant des textes de femmes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Quant à l’article de Marie-Linda Lord, il se penche lui aussi sur un corpus acadien puisqu’il analyse l’état de la situation au sein des deux principaux médias d’information de cette région, le quotidien Acadie Nouvelle ainsi que la radio et la télévision Radio-Canada Atlantique. Lord fait ici le point sur la situation en Acadie en s’appuyant sur de fort nombreuses statistiques qui révèlent que la femme n’a pas encore une place équivalente à celle de l’homme dans l’univers des médias. Par exemple, encore en 2007, souligne l’auteure, l’écart entre les hommes et les femmes dans les fonctions de premier plan (rédacteur ou rédactrice en chef, directeur ou directrice de l’information, éditorialiste, chroniqueur ou chroniqueuse) à Acadie Nouvelle était fortement marquée : on comptait onze hommes mais aucune femme.
Pour ce qui est de l’article de Caroline Caron, il aborde un thème qui a particulièrement alimenté l’actualité québécoise entre 2000 et 2006, et qui continue à le faire, du reste : l’hypersexualisation des adolescentes au Québec. Tout en faisant référence à maintes reprises à sa recherche doctorale en cours, l’auteure soulève, avec pertinence, le dogmatisme du discours médiatique. C’est d’ailleurs ce qui advient de l’opinion des jeunes femmes à propos de l’hypersexualisation : « Au sein du discours public/médiatique, les filles sont au centre de la controverse, mais en marge des discussions; leurs voix sont inaudibles, instrumentalisées ou carrément absentes » (p. 217). Cette étiquette ravive, comme le soutient Caron, le vieux préjugé machiste : c’est de la faute d’Ève si Adam a été tenté. Pour sa part, Louise Langevin apporte dans son article quelques éclairages nouveaux au sein de l’ouvrage puisqu’il constitue la synthèse d’une recherche beaucoup plus vaste menée sur la nature antiféministe de sites Web québécois et francophones consacrés à la défense des droits des pères et des hommes. Langevin décrit et étudie de façon objective cinq de ces sites pour en dégager les principales caractéristiques. L’auteure cherche ainsi à vérifier si ces sites Web sont antiféministes dans leurs propos de même qu’à illustrer la manière dont l’antiféminisme (le cas échéant) y est évoqué.
Enfin, si les époques auxquelles les articles font référence divergent, il en est de même des lieux qui, faut-il le souligner, ne correspondent pas toujours à la visée proposée par le titre même de l’ouvrage. Bien que la directrice du collectif, Josette Brun, précise dans sa présentation qu’il s’agit d’une publication qui se « penche sur la place qu’occupent les femmes d’expression française et leur parole dans les médias en Amérique du Nord » (p. 1), les différents textes abordant la question n’excèdent pas les frontières canadiennes. En effet, à l’exception de l’article de Dominique Deslandres qui traite de la question des voies (voix) féminines en France au XVIIe siècle, tous les autres textes évoquent une « réalité » bel et bien canadienne. Les articles de Chantal Savoie et d’Andrée Lévesque abordent le Canada français à l’époque de la Nouvelle-France. Ceux d’Anne-Marie Lane Jonah, d’Agnès Torgue de même que de Marie-Linda Lord se penchent sur l’Acadie. Quant à ceux de Julie Roy, d’Andrée Lévesque, de Yasmine Nerthou et Josette Brun, de Marlène Rateau, de Caroline Caron ainsi que de Louise Langevin, qui totalisent plus de la moitié du livre, ils abordent la problématique dans une perspective essentiellement québécoise. Ainsi, le concept d’Amérique apparaît d’emblée trop vaste par rapport au corpus qu’il embrasse puisque aucun article n’examine le rapport entre les femmes et les médias en dehors des frontières du Québec et de l’Acadie. Or, si le titre d’un ouvrage renvoie explicitement, comme c’est le cas ici, à l’« Amérique française », on s’étonne de l’absence d’articles traitant des interrelations femmes-médias ailleurs dans l’espace « américain », que ce soit dans l’Ouest Canadien, en Louisiane ou même en Haïti! Dans cette perspective, il aurait été souhaitable de resserrer l’étau et d’intituler l’ouvrage Interrelations femmes-médias au Canada français, ou encore, pour plus de précision, Interrelations femmes-médias au Québec et en Acadie afin qu’il soit plus représentatif des lieux mentionnés au fil des articles.