Il y a quinze ou vingt ans, si un ouvrage semblable était paru au Québec, parions que l’on n’aurait pas demandé un compte rendu pour la revue Recherches féministes. En effet, il a fallu l’effort de pionnières féministes, ici et ailleurs, pour montrer que les femmes seules ne pouvaient révolutionner la famille patriarcale, qu’une participation différente des pères s’imposait et qu’enfin la paternité pouvait être une question d’équité sociale et une question féministe. Pouvait être, dis-je bien, puisqu’on n’a que trop bien vu au cours des dernières années que certains groupes de défense des droits des pères sont plutôt mus par un antiféminisme tenace. Pour souligner la contribution des pères et leur nécessité au sein de la famille, on a souvent accablé les mères. Pour un David Blankenhorn (1995), par exemple, seuls les pères peuvent apporter la stabilité, l’ordre et le respect des autres; sans leur présence quotidienne, la toxicomanie, la criminalité et la maladie mentale guettent les enfants. Une certaine psychanalyse française contemporaine qui déplore le déclin de la fonction symbolique du père (qui a peu à voir avec un père réel, chaleureux et présent) fait également du père un sauveur et de la mère, une source de chaos. Ainsi, Michel Schneider déclare péremptoirement ceci (2005 : 95) : « nombre d’historiens et d’anthropologues affirment que les sociétés où domine la mère sont les plus violentes ». Joël Clerget et Marie-Pierre Clerget (1992 : 8), quant à eux, dénoncent « la dislocation des images fondatrices de la paternité dont la violence des jeunes est en grande partie l’écho ». Pour sa part, Aldo Naouri (2004 : 171) loue chez le père « la capacité, qu’il est seul à avoir, d’inscrire correctement cet enfant dans le temps, de rendre cet enfant au temps, de lui rendre, autrement dit, l’essence de sa condition humaine ». Enfin, Didier Dumas (1999 : 69) affirme que « l’essor intellectuel de la civilisation grecque est directement lié au fait que les enfants y étaient, socialement et juridiquement, référés à leur père ». On le voit bien, par ces exemples, l’attention portée au père peut entraîner une survalorisation du masculin, une instrumentalisation ou une diabolisation du féminin, un mépris pour la participation des pères au réel des enfants et une réactualisation des vieilles dichotomies symboliques hommes-femmes. Comment faire alors – et c’est là l’importance d’ouvrages comme La paternité au XXIe siècle – pour sortir des vieux pièges? Comment empêcher que la famille – même avant une rupture éventuelle, et à plus forte raison après – devienne le lieu d’une tenace guerre des sexes? Comment valoriser les pères sans déprécier les mères? Comment trouver un équilibre entre une perspective différentialiste (rôles parentaux déterminés par le sexe) qui reconduit les rôles traditionnels et un modèle unique (un parent est un parent) potentiellement égalitaire, mais qui peut aussi imposer une seule manière de s’occuper des enfants, souvent celle de la mère? Comment voir le père ni comme un demi-dieu ni comme un nul? Comment éviter qu’il n’investisse que les aspects désirables de la relation avec les enfants – l’affection, le jeu – en continuant de se décharger sur la mère de leur entretien matériel (visites chez le médecin, préparation des purées, etc.)? S’il ne tombe jamais, et c’est tout à son honneur, dans le piège de l’antiféminisme, l’ouvrage La paternité au XXIe siècle ne se donne pas non plus pour féministe : les mères y sont mentionnées au tournant d’une énumération (les pères, les mères, les enfants) ou encore comme pouvant favoriser ou empêcher la participation active des pères à la vie familiale. Seule la conclusion …
Appendices
Références
- BLANKENHORN, David, 1995 Fatherless America : Confronting our Most Urgent Social Problem. New York, Basic Books.
- CLERGET, Joël et Marie-Pierre CLERGET (dir.), 1992 Places du père, violence et paternité. Lyon, Presses universitaires de Lyon.
- DUMAS, Didier, 1999 Sans père et sans parole. Paris, Hachette littératures.
- NAOURI, Aldo, 2004 Les pères et les mères. Paris, Odile Jacob.
- SCHNEIDER, Michel, 2005 Big Mother. Psychopathologie de la vie politique. Paris, Odile Jacob.