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Inscrite dans la loi québécoise[1] depuis plus de cinq ans, l’homoparentalité est une question encore fort discutée en France, le législateur refusant toujours de lui donner droit de cité. Néologisme créé par l’Association des parents gais et lesbiens (APGL) en France à la fin des années 90 pour désigner toutes les situations familiales où au moins un ou une adulte, s’identifiant comme homosexuel ou homosexuelle, est parent d’un ou d’une enfant, le concept d’homoparentalité dont il est question dans le présent ouvrage ne concerne que les situations où la prise en charge de l’enfant se fait par deux parents de même sexe.
Convaincue que le grand public français est sous-informé et englué dans des préjugés persistants sur la capacité des couples de même sexe à élever un ou une enfant, et dans l’optique de la dernière campagne présidentielle en France, une directrice de collection chez Calmann-Lévy a proposé à Martine Gross, ingénieure de recherche en sciences sociales au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste de la question de l’homoparentalité, et mère lesbienne, de produire un livre-débat sur la question. Outre qu’elle a dirigé l’APGL de France, Martine Gross a exercé le métier de psychologue clinicienne thérapeute familiale de 1980 à 1995. Et pour lui donner la réplique, le choix d’Edwige Antier, médecin pédiatre et diplômée en psychopathologie, s’est imposé assez rapidement à la fois pour ses longues années d’expérience en clinique, sa passion affirmée pour l’éducation à la santé et à la psychologie de l’enfant et parce qu’elle animait à l’époque une émission sur France Inter, radio nationale.
Les auteures se sont rencontrées une ou deux fois en présence de l’éditeur et ont décidé de travailler par échanges de courriels, où chacune réagirait aux propos de l’autre. Elles ont également choisi d’introduire les chapitres à tour de rôle, pour lancer le débat. Ainsi, aucune ne serait désignée comme celle qui réagit aux propos de l’autre.
L’ouvrage comporte dix chapitres précédés d’un prologue sur le désir d’enfant chez les personnes homosexuelles. Les chapitres un à quatre tentent de répondre à certaines questions soulevées par l’homoparentalité. Est-ce l’homosexualité de leurs parents ou le regard de la société sur leur situation familiale qui perturbe les enfants? Comment l’école et ses spécialistes et personnes-ressources réagissent-ils à la réalité homoparentale? L’homosexualité des parents amène-t-elle des enfants à se faire attaquer par d’autres élèves? Est-ce que ces enfants éprouvent des difficultés dans la quête de leur identité sexuelle et plus tard avec leur orientation sexuelle? Est-ce que les enfants élevés par deux mères s’arrêtent au seul fait de n’avoir pas de père ou leur est-il possible de comprendre l’élément positif de la dualité maternelle? Les auteures débattent aussi de la perception sociétale des pères homosexuels et de bien d’autres questions à l’intérieur de ces quatre chapitres qui occupent 120 pages.
Alors que le chapitre cinq porte sur les différentes situations d’adoption en France, le chapitre six entrouvre la porte sur la période difficile de l’adolescence de ces enfants et tente de faire ressortir les différences, s’il y en a, entre les problèmes vécus par les ados élevés en milieu hétérosexuel et ceux et celles qui le sont en milieu homosexuel. Le chapitre sept est consacré aux grands-parents et le huitième, à la manière dont les enfants désignent leurs parents dans les familles homoparentales. Le neuvième chapitre expose les diverses règles de droit familial qui gouvernent actuellement la situation en France alors que le chapitre dix énumère plutôt les règles juridiques en vigueur dans quelques autres pays, surtout européens. Enfin, les auteures proposent, à la fin de l’ouvrage, un lexique à quatre mains pour permettre à ceux et à celles qui liront le livre de comprendre ou de reconnaître les différents concepts qu’elles énoncent.
Tout au long de l’ouvrage, Edwige Antier affirme que l’homoparentalité est en contradiction avec la nature profonde de l’être humain dans l’acte de procréation où il faut à tout prix un homme et une femme pour concevoir un enfant. Dès lors, il devient impensable de considérer la parentalité de parents de même sexe, car, selon Antier, ce serait nuire à l’enfant en lui faisant croire qu’il ou elle vient de deux femmes ou de deux hommes. Antier confond ici parenté et procréation. Selon elle, seuls les êtres humains qui procréent ou pour qui la loi crée une fiction dans l’adoption par un couple hétérosexuel, peuvent être parents, les autres devront se contenter d’être des adultes, prénommés parfois parrains ou marraines, ayant charge d’enfants. Elle renchérit en affirmant que les enfants de parents homosexuels seront nécessairement perturbés par leur situation familiale à un point tel que des soins professionnels leur seront nécessaires. Malheureusement, chapitre après chapitre, qu’elle l’ait lancé ou qu’elle réagisse aux propos de Martine Gross, Edwige Antier énonce et répète comme un leitmotiv des commentaires psychanalytiques basés, affirme-t-elle, sur ses observations cliniques, nous laissant croire qu’elle a traité un très grand nombre d’enfants élevés dans des familles homoparentales. Pour les enfants de couples de même sexe, il n’y aurait pas de concordance entre leur naissance et leur situation familiale. Élevés par deux mères, ces enfants n’ont pas de père et, conséquemment, personne pour les séparer de leur mère biologique afin de les préparer à affronter le monde extérieur. Voilà bien une application basique des théories de Freud sur le complexe d’Oedipe. Et si, au contraire, ces enfants sont élevés par deux pères, l’absence de mère sera ressentie comme une perte (p. 103-104) :
EA : Des films ont montré comment les gestes parlent : la femme est enveloppante, elle « ramasse » les bras et les jambes du bébé, ajuste bien la taille de la couche, la ferme en passant ses doigts entre l’élastique et la peau, parle à son bébé face à face et termine par un sourire ou un baiser. Avec papa, c’est une partie de foot! Il pose la couche, chatouille le nourrisson, mord ses pieds, rugit, le tourneboule […] C’est cette stéréo qui permet au tout petit de se repérer : maman et papa, ce n’est pas pareil; et de s’identifier progressivement à l’ou ou à l’autre. Ce n’est pas « culturel », c’est charnel! Et, quand il manque cette altérité, c’est plus difficile. Pourquoi le nier!
C’est à croire que la docteure Antier n’a jamais lu ni entendu parler des recherches effectuées par une multitude de féministes en France ou ailleurs, dans diverses disciplines, y compris la psychanalyse. Ces chercheuses ont mis en miettes, entre autres, cette approche de Freud sur le complexe d’Oedipe[2]. De plus, si ces enfants sont en manque d’un père ou d’une mère selon que les parents qui les élèvent sont deux mamans ou deux papas, la docteure Antier considère que les enfants en question auront nécessairement besoin d’un suivi psychologique et parfois même psychiatrique ou psychanalytique, à tout le moins d’un suivi pédiatrique, car, toute leur vie, ces enfants auront de la difficulté à répondre à la question existentielle, « D’où je viens, moi? », puisque leur parenté sociale est en contradiction avec les règles biologiques de la procréation.
Fort heureusement, Martine Gross connaît très bien son sujet et est en mesure de répliquer à tous les arguments de sa coauteure. Arguments qui, la plupart du temps, se révèlent des préjugés sexistes ou hétérosexistes toujours bien ancrés dans la société française. Chapitre après chapitre, Martine Gross cite les plus récentes recherches américaines et européennes sur l’homoparentalité effectuées au cours des dernières décennies. Autant celles de Danielle Julien et de son équipe au Québec que celles de l’équipe de Charlotte Patterson aux États-Unis et, enfin, les très nombreuses recherches effectuées par des équipes européennes[3]. Avec sa propre expérience de psychologue clinicienne et sa connaissance des familles homoparentales, elle contrecarre inlassablement tout au long du livre, ces pseudos arguments psychologiques :
EA : Ce qui perturbe les enfants, ce ne sont pas tant les secrets vis-à-vis des autres, mais les secrets qu’on leur fait, à eux. Or, derrière la levée du secret de la naissance, il y a d’autres secrets indicibles : pourquoi cette naissance-là, qu’est-ce que veut dire l’homosexualité des adultes pour un enfant? Si ces derniers ne revisitent pas leur histoire, avec un professionnel expérimenté, la parole est forcément parasitée par leurs propres zones obscures ou leurs dogmes militants. Leur vérité, celle qu’ils se sont construite consciemment, n’est par forcément celle qui concerne l’enfant.
MG : Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’une association forte de 55 000 pédiatres, l’American Academy of Pediatrics, s’est déclarée en 2002 favorable à l’adoption par des couples de personnes de même sexe, au motif que non seulement être élevé par un couple homosexuel ne nuit pas aux enfants, mais aussi parce qu’une telle reconnaissance aurait un impact sur l’estime de soi des enfants et sur le regard de la société sur eux et leurs familles.
Martine Gross connaît bien son sujet, tant comme chercheuse que comme membre active du milieu de l’homoparentalité en France. Grâce à ses recherches depuis les années 90, elle a publié, seule ou avec d’autres, cinq ouvrages portant sur l’homoparentalité, de très nombreux articles dans les revues scientifiques et dans des journaux français. Au fil des ans, elle a comparu devant des instances gouvernementales, par exemple devant la mission gouvernementale sur la famille et les droits de l’enfant en 2005. Sa réputation a largement dépassé son pays puisqu’elle est invitée régulièrement à prendre la parole dans des colloques partout en Europe et au Québec.
Et Martine Gross demeure polie, patiente, persévérante, acharnée, tout au long de l’ouvrage. Heureusement pour la maison d’édition car sinon le livre n’aurait sans doute eu que quelques pages de discussions croisées. Loin de moi l’idée de contester la compétence, l’autorité ou la réputation de la docteure Antier en matière de pédiatrie ou de psychopathologie, mais il faut tout de même admettre qu’en matière d’homoparentalité elle ne fait pas le poids devant sa coauteure. Antier a certes publié de très nombreux volumes sur l’enfant et ses parents, mais, considérant que ses maîtres à penser sont Serge Lebovici et Françoise Dolto, point n’est besoin d’ergoter davantage sur ses difficultés à poser des arguments logiques et pertinents pour contrecarrer les conclusions favorables à l’homoparentalité partout dans le monde occidental, de toutes les recherches citées par Martine Gross.
Il me semble toutefois que le texte est long, répétitif, va dans tous les sens, manque de cohérence. Le plan du livre aurait dû être resserré, les chapitres mieux définis dans une logique plus systématique, en tenant compte des divers âges de l’enfant par exemple : la conception par procréation assistée ou par adoption, la naissance, la petite enfance, l’adolescence et l’âge adulte, puis un chapitre sur les grands-parents et un dernier pour faire état de la situation en dehors de la France. Et d’ailleurs, ce chapitre aurait dû être écrit par une autre personne que les débatteuses, ou à tout le moins par Martine Gross seulement, si la motivation était de faire le point sur les avancées internationales de l’homoparentalité.
Ainsi, la lectrice et le lecteur auraient été épargnés de la lecture de quelques chapitres, tels ceux sur les papas et les mamans, les règles d’adoption, la façon dont les enfants nomment le deuxième parent de même sexe et surtout le neuvième intitulé « Comment protéger nos enfants? » Chapitre long et un peu répétitif, sauf peut-être à la fin où les coauteures énoncent à tour de rôle leurs choix légaux quant à la filiation des enfants élevés par des parents de même sexe en France. Pour Martine Gross, ce sera la reconnaissance de l’homoparentalité dans la loi sur la filiation, comme le Québec l’a fait en 2002, alors que la docteure Antier continue de préconiser un statut hybride de parrainage qui « donnerait des droits et des devoirs vis-à-vis de l’enfant au concubin du parent homosexuel qui deviendrait parrain » (p. 319). Mais quels droits et quels devoirs pour ces parrain et marraine? Le texte reste muet sur cette question. Pourquoi vouloir à tout prix maintenir cette parenté de second ordre pour le conjoint ou la conjointe de la mère ou du père biologique ou d’adoption de l’enfant? Serait-ce l’ultime punition pour ceux et celles qui transgressent l’« ordre symbolique » de la différence des sexes au moment de la création de leur famille[4]?
Malgré ses défauts, ce livre donne un aperçu très juste et fort pertinent du débat contradictoire toujours aussi vif en France sur ces questions.
Appendices
Notes
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[1]
Code civil du Québec, art. 538 et suiv.
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[2]
Pour n’en citer que deux : Élisabeth Roudinesco, La famille en désordre. Paris, Éditions Fayard, 2002, 250 p.; Geneviève Delaisi de Parseval, Famille à tout prix. Paris, Éditions du Seuil, 2008, 395 p.
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[3]
Voir par exemple : Katrien Vanfraussen, Ingrid Ponjaert-Kristoffersen et Anne Brewaeys, « L’insémination artificielle dans les familles lesbiennes : grandir dans une famille non traditionnelle », dans Martine Gross (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Ramonville Saint-Agne, Éditions Érès, 2005, p. 241-250.
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[4]
Sylviane Agacinski, Politique des sexes. Paris, Éditions du Seuil, 1998.