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L’article qui suit[1] part d’un constat relativement simple, soit la sous-représentation[2] des femmes dans les directions sportives. Nous avons tenté de comprendre ce phénomène à partir du point de vue de dirigeantes québécoises en milieu sportif afin de saisir les défis que ces femmes ont à relever. L’examen systématique de leur expérience à l’aide du cadre théorique des rapports sociaux de sexe a permis de mettre en relief les difficultés qu’elles éprouvent du fait qu’elles sont d’abord et surtout considérées comme des « femmes » occupant des fonctions supposément « masculines ».

La sous-représentation des femmes dans les directions sportives

Pour étayer le constat bien connu de la faible représentation des femmes dans les directions sportives, les données statistiques sur la présence féminine marginale au niveau international (à partir des commissions du Comité international olympique (CIO) et dans les associations continentales des comités nationaux olympiques (CNO)) et des données à l’échelle du Québec ont été synthétisées dans les tableaux qui suivent.

Comme nous pouvons l’observer au tableau 1, en 2002, seulement 29 femmes comparativement à 225 hommes faisaient partie des diverses commissions du CIO.

Tableau 1

Instances du CIO

Femmes

Hommes

Total

%

Commission exécutive

2

13

15

13,3

Membres (session)

14

114

128

10,9

Commissions

29

225

254

11,4

Représentation des femmes dans les commissions du CIO

Source : Carpentier et autres (2002 : 106).

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Le taux de représentation des femmes n’est pas plus élevé dans les associations continentales des CNO, comme nous pouvons le constater à partir des données du tableau 2. L’association continentale qui inclut le Canada est l’Organizacion Deportiva Panamericana (ODEPA) et, dans celle-ci, le taux de représentation des femmes est de seulement 11,8 %.

Tableau 2

CNO /

2005

Femmes

Hommes

Total

%

ACNO[3]

1

25

26

3,8

ACNOA

1

13

14

7,1

COE

2

14

16

12,5

OCA

2

20

22

9,1

ODEPA

2

15

17

11,8

ONOC

1

9

10

10,0

Représentation des femmes dans les associations continentales des CNO

Source : Femmes dirigeantes sportives. Évaluation de l’objectif des 10 %-20 % (CIO 2006). [En ligne], [www.org/fr/organisation/missions/woman/index.fr.asp].

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La faible représentation des femmes s’observe donc à la fois au niveau mondial (CIO) et au niveau continental (CNO).

Le contexte québécois pour ce qui est de la participation des femmes et de leur engagement au sein de l’administration des instances dirigeantes des organisations sportives est exposé dans l’étude de Légaré (1999)[4]. Les tableaux 3 et 4 présentent les statistiques sexospécifiques du personnel dans les directions sportives.

Tableau 3

 

Fédérations

URLS

Municipalités

ARSE

Total

 

H

F

H

F

H

F

H

F

H

N

H

%

F

N

F

%

Directeur général ou directrice générale

27

4

15

2

8

3

10

4

60

82

13

18

Directeur ou directrice de service

13

4

2

2

0

0

5

0

20

76

6

24

Régisseur ou régisseuse

0

0

0

0

26

19

0

0

26

58

19

42

Coordonnateur ou coordonnatrice ou encore directeur ou directrice technique

24

15

0

0

0

0

1

2

25

47

17

40

Responsable

des communications

2

4

0

0

0

0

0

0

2

33

4

67

Responsable

du marketing

3

0

0

0

0

0

0

0

3

100

0

0

Personnel de soutien

6

73

1

26

53

223

1

10

61

15

332

85

Service d’animation

0

0

0

0

100

131

0

0

100

43

131

57

Service d’entretien

0

0

0

0

114

3

0

0

114

97

3

3

Autres

15

16

13

9

737

965

4

1

769

44

991

56

Total

90

116

31

39

1 038

1 344

21

17

1 180

 

1 516

 

Représentation des femmes dans le personnel permanent des instances sportives au Québec

Source : Légaré (1999 : 38).

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L’examen du tableau 3 permet de constater le faible degré de participation des femmes aux instances de prise de décision. En effet, les femmes s’y trouvent peu nombreuses et sont présentes surtout aux niveaux inférieurs de la hiérarchie. D’après le tableau 3, les femmes étaient représentées dans une proportion de 18 % dans les postes de directrice générale au sein des fédérations sportives en 1999. Observons maintenant, au tableau 4, la situation en ce qui a trait aux postes consacrés au développement du sport.

Tableau 4

Poste

Homme

N

Homme

%

Femme

N

Femme

%

Directeur général ou directrice générale ou encore directeur ou directrice de service

40

83

8

17

Coordonnateur ou coordonnatrice ou encore directeur ou directrice technique

24

62

15

38

Total

64

74

23

26

Répartition des cadres sportifs selon le sexe dans les postes consacrés au développement des disciplines sportives

Source : Légaré (1999 : 10).

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Dans le sous-groupe concernant l’administration et la direction du système sportif québécois en 1999, les femmes se trouvaient peu représentées aux hauts postes de responsabilités (83 % de directeurs généraux contre 17 % de directrices générales). Les fonctions de responsabilité technique demeuraient aussi très masculinisées (62 % d’hommes comparativement à 38 % de femmes)[5].

Ces tableaux nous ont permis de synthétiser le phénomène de la sous-représentation des femmes dans les directions sportives. En outre, ces données laissent entrevoir l’ampleur des rapports inégalitaires entre les sexes et leur persistance.

Les conditions d’émergence d’une meilleure représentation des femmes

C’est à la fin des années 80 que la situation des femmes dans la gestion du sport s’est fortement transformée grâce, notamment, aux politiques liées à la promotion de l’égalité des sexes qui résultaient des luttes menées par des groupes de pression, des mouvements sociaux et des organismes internationaux ou régionaux. Le réseau Femmes et sport européen/European Women and Sport (EWS), lequel organise tous les deux ans depuis 1994 un séminaire de réflexion et de propositions d’action afin de tendre à l’égalité des sexes dans le sport, a contribué de manière significative à la mise à l’ordre du jour de la question des femmes dans le domaine du sport. La quatrième réunion de ce réseau, tenue à Helsinki en juin 2000, a abouti, à l’adoption de l’Esprit d’Helsinki 2000, lequel document est un ensemble de recommandations ayant notamment pour objet de renforcer « le rôle des femmes au sein de la culture et de la prise de décision dans le sport » et de s’assurer que « les femmes et les hommes se partagent la responsabilité de l’équité dans le sport » (www.canada2002.org).

Quelques années auparavant, le British Sports Council, avec le soutien du CIO, organisait, en 1994, la première conférence internationale ayant pour thème « Les femmes et le sport ». La Déclaration de Brighton, adoptée en 1994 à Bisham Abbey au Royaume-Uni par les 280 délégués du monde sportif originaires de 82 pays, qui « présente les principes à appliquer pour toute action destinée à accroître la participation des femmes dans le sport, à tous les niveaux et dans toutes les fonctions et tous les rôles », souligne en son principe n6 la sous-représentation des femmes dans la politique et la direction technique de toutes les organisations sportives : « Les femmes sont sous-représentées dans les positions de direction et de décision dans toutes les organisations sportives ainsi que dans toutes les organisations associées au sport » (www.canada2002.org). Rappelons que cette déclaration a marqué le début d’une mobilisation internationale importante et la création du Groupe de travail international sur les femmes et le sport (GTI) qui avait pour objectif de coordonner les actions menées dans le monde entier relativement à la problématique de la place et du rôle des femmes dans le sport. La deuxième conférence mondiale a eu lieu à Windhoek en Namibie en mai 1998. Elle était centrée sur les conditions permettant d’atteindre les objectifs de la Déclaration de Brighton. Elle a abouti à l’Appel à l’action de Windhoek, mettant en place un réseau mondial appelé l’International Women Group (IWG) et proposant un ensemble de stratégies à mettre en oeuvre ainsi que les bases et les principes du mouvement Femmes et sport. L’Appel de Windhoek a non seulement incité la communauté internationale à réfléchir sur la condition des femmes dans le sport, mais il a aussi intensifié la coopération entre les instances chargées des questions féminines dans le sport, ainsi qu’entre ces instances et d’autres organismes travaillant pour les droits des femmes et l’égalité hommes-femmes. La troisième conférence mondiale sur les femmes et le sport s’est tenue à Montréal en mai 2002. Elle faisait un bilan des actions menées depuis 1994 et montrait les progrès significatifs accomplis. Ces trois conférences ont donc permis aux femmes du monde entier de faire entendre leur voix dans un milieu fortement dominé par les hommes. Cependant, la préoccupation grandissante à l’échelle internationale envers l’augmentation de la présence des femmes à des postes de direction et de décision au sein des organismes et des institutions sportives n’a pas encore donné les effets escomptés, comme nous l’avons montré dans la précédente section.

L’apport des études féministes à la compréhension de ces phénomènes

L’histoire de l’ascension des femmes dans le mouvement sportif associatif et de ses institutions est celle d’une lente conquête pour la reconnaissance de l’égalité entre les sexes (Landry et Yerlès 1996). L’évolution des statistiques au sujet de la féminisation progressive des Jeux olympiques (JO) révèle, selon Laberge (1995), les enjeux changeants sur les contours de la masculinité et de la féminité, les lieux de scandale ou de transgression, la nature des interdits, des ouvertures, des revendications, des concessions et des résistances qui ont marqué l’intégration des femmes dans les milieux sportifs. Pour Davisse et Louveau (1998 : 97), l’univers sportif s’est construit expressément en dehors des femmes; il reste symboliquement masculin. En effet, ce n’est que vers la fin du XXe siècle en Occident qu’une minorité de femmes ont eu accès aux postes décisionnels dans les milieux sportifs.

Des travaux menés sur les femmes et le sport s’inscrivant dans la mouvance des recherches féministes en sociologie du sport montrent que les expériences professionnelles des femmes dans les directions sportives diffèrent de celles qui sont vécues par les hommes. Ces travaux illustrent certaines iniquités qui peuvent être considérées comme potentiellement génératrices de difficultés et attestent qu’il existe des différences marquées en faveur des hommes. Les dirigeantes dans ces espaces peuvent vivre des situations particulières puisqu’elles n’y occupent pas la même place que leurs homologues masculins (Chimot 2005; Demers 2004; Chantelat, Bayle et Ferrand 2004; ACE 2002). Ce qui apparaît plus difficile pour les femmes est, comme l’explique Vieille Marchiset (2004 : 21), l’existence de « logiques d’exclusion et d’étiquetage, d’écartement et de subordination, de marginalisation et de plafonnement qui seraient ainsi à l’oeuvre pour freiner, faire obstacle et épuiser les dirigeantes dans le système ». Ce système traduit les rapports sociaux de sexe dans les directions sportives « par une relation d’établis et de nouveaux venus, les premiers plutôt des hommes, exerçant des pressions par une stigmatisation, certes le plus souvent involontaires, inconscientes sur les intruses, nouvelles venues dans le mouvement sportif » (Vieille Marchiset 2004 : 20). Cette situation n’est pas sans conséquence au regard de l’insertion professionnelle et des conditions de travail des femmes dans ce milieu où les inégalités qui se font jour peuvent aussi prendre la forme de violences sexistes à l’égard des dirigeantes.

La faible proportion de dirigeantes dans le milieu sportif prendrait alors ses racines dans la domination masculine au sein de la division sociale sexuelle du travail et de la répartition des rôles sexuels dans le monde du travail rémunéré. Voici ce que soulignent Baillette et Liotard (1999 : 57) :

L’institution sportive a été créée par des hommes, pour d’autres hommes, pour qu’ils maintiennent leur combativité, leur fraternité, leur homogénéité. Son fonctionnement a été élaboré à partir d’une vision sexuée du monde. Les femmes ne feraient que copier, qu’imiter, qu’emprunter les modèles des hommes, des hommes qui auraient la mansuétude de les accueillir, de les intégrer en prenant les précautions nécessaires tenant compte de la sacrosainte spécificité féminine.

On peut aussi penser à une certaine forme de cooptation masculine à travers une sorte de reproduction « homosociale » et « homosexuée » (Baudoux 2005). Il paraît alors intéressant, en remettant en question la réalité vécue par les dirigeantes, de prendre en considération leur expérience pour révéler la façon dont le pouvoir se partage entre les hommes et les femmes dans les directions sportives.

Les objectifs de la recherche et la méthode[6]

Dans notre présente recherche, nous avons privilégié trois objectifs : 1) comprendre les aspects particuliers de l’expérience au travail de dirigeantes dans le milieu sportif; 2) examiner si ces dirigeantes reçoivent un traitement équitable; sinon, 3) saisir les stratégies qu’elles utilisent pour compenser les effets qu’entraînent des conditions de travail sexistes. C’est ainsi que seront étudiées non seulement les contraintes qui pèsent sur les dirigeantes, mais également leurs réactions ou leurs initiatives en tant que parties prenantes de leur vécu professionnel.

Différents auteurs et auteures nous ont inspirée dans notre définition de l’expression « dirigeantes dans le milieu sportif ». Dans le domaine du sport, Laure et Falcoz (2004 : 34-35) distinguent quatre pôles de métiers qui mobilisent des compétences diversifiées : 1) enseigner (fait référence au pôle éducatif dans lequel le sport se perçoit comme un outil pédagogique); 2) entraîner (vise la recherche de la performance et l’accès à l’élite sportive; la maîtrise des techniques sportives et de leur transmission constitue le pôle dominant); 3) animer (correspond à une approche intermédiaire dans le sens où y priment le pôle ludique et une logique d’intégration); et 4) gérer (se rapporte au domaine de la gestion et du commerce du sport, considéré comme un produit ou un service qu’il convient de vendre ou de conduire). Pour définir la « dirigeante dans le milieu sportif », Vieille Marchiset (2004 : 17-18) reconnaît quatre caractéristiques au vocable diriger dans le monde du sport. La première concerne son étymologie, à savoir que diriger signifie « l’alignement, l’ordonnancement » : être dirigeante, « c’est organiser, administrer un organe, une structure dans une optique de rentabilité ou non ». La deuxième caractéristique « renvoie à la conduite, à l’action de donner une direction, de définir des objectifs ». La troisième porte sur « la vocation de la dirigeante qui est liée à la décision, au pouvoir, à l’autorité. Diriger, c’est trancher en engageant le comportement d’autrui. La dirigeante est en mesure d’orienter le collectif, d’influencer les membres d’une structure ». La quatrième caractéristique se réfère aux responsabilités de la dirigeante en commençant par l’« éthique car elle engage l’avenir du sport et de son organisation mais aussi la responsabilité juridique, puisque la dirigeante peut devoir répondre devant la justice des actes des membres de la structure qu’elle dirige ». À partir de ces éléments, nous pouvons énoncer que les dirigeantes dans le milieu sportif sont des femmes en position de leadership au centre des activités éducatives, techniques, administratives et managériales de leur association sportive.

La sélection des femmes ayant participé à notre étude s’est effectuée à partir des critères suivants : travailler ou avoir travaillé au sein d’une structure du système sportif et occuper ou avoir occupé un poste au sommet de la hiérarchie, c’est-à-dire dans un sport de haut niveau. Au total, 23 dirigeantes, soit 14 gestionnaires (directrices, conseillères, directrices exécutives, membres d’un conseil d’administration, agentes de développement, gestionnaires dans les municipalités), 7 entraîneuses et 2 officielles de niveau international, ont participé à notre étude.

L’approche adoptée dans notre recherche réalisée au Québec est du type mixte : l’instrument de collecte de données, soit l’entretien semi-dirigé, est du type qualitatif; la technique d’analyse des données, soit la statistique textuelle, du type semi-quantitatif. L’entretien semi-dirigé est celui qui répond le mieux aux objectifs de notre recherche, car il constitue un moyen privilégié d’accès aux représentations et aux interprétations de situations connues par les dirigeantes. La première partie du guide d’entretien devait nous permettre de recueillir l’information sociodémographique sur chacune des participantes. La seconde partie englobait les principaux thèmes que nous voulions documenter, soit la socialisation sportive dans la famille d’origine, le choix de carrière, le passage à la gestion, l’« amour » du travail et les réalisations ainsi que la doxa des sexes (féminité/masculinité). Nous avons réalisé un prétest auprès de deux dirigeantes.

Le corpus créé à partir du discours des 23 dirigeantes a été analysé avec la méthode de la statistique textuelle à l’aide du logiciel ALCESTE (analyse lexicale par contexte d’un ensemble de segments de texte) orienté vers l’analyse de contenu. Ce logiciel permet de quantifier un texte pour en extraire les structures signifiantes les plus fortes. À partir du corpus mis en forme, il découpe le texte en unités de contexte, puis il procède à la classification descendante hiérarchique basée sur la fréquence relative du khi carré. Deux types d’unités de contexte sont à distinguer. Les plus grandes unités de contexte sont des parties de textes du corpus, dites « unités de contexte initiales » (UCI) auxquelles la chercheuse affecte des variables. Ces dernières sont notées à l’aide de l’astérisque[7] pour signaler que ces mots sont à considérer hors corpus. Le second découpage du corpus est effectué par le logiciel ALCESTE qui définit les longueurs de phrases à partir desquelles il va procéder à l’analyse, soit les unités de contexte élémentaires (UCE). Un autre type d’unité nécessaire au fonctionnement du logiciel concerne l’unité lexicale puisque celui-ci identifie les occurrences de chaque forme grâce à un dictionnaire. Le logiciel met ainsi en évidence les principaux mondes lexicaux du corpus traité, c’est-à-dire des ensembles de mots plus particulièrement associés à une classe.

La présentation et l’analyse des résultats

La synthèse des caractéristiques individuelles

Les participantes ont en moyenne 40 ans : 10 d’entre elles ont des enfants et leur niveau de scolarité est élevé (19 ont un diplôme universitaire). Ces femmes cumulent des expériences sportives de haut niveau et d’autres formations dans différents niveaux de certification en sport. Quelques dirigeantes sont au début de leur carrière (agentes de développement) dans un poste de décision, alors que d’autres ont une longue expérience professionnelle dans le milieu du sport.

Les résultats obtenus à l’aide de la statistique textuelle par le logiciel ALCESTE et les analyses thématiques émergentes

Les résultats du dendrogramme (aussi appelé « arbre de la classification descendante hiérarchique ») permettent de visualiser (voir la figure 1) les distinctions et les liens que les classes entretiennent entre elles.

Figure 1

Classification hiérarchique des mondes lexicaux présents dans les discours des dirigeantes dans le milieu sportif

Classification hiérarchique des mondes lexicaux présents dans les discours des dirigeantes dans le milieu sportif

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Le dendrogramme a distingué quatre classes dans le corpus de recherche. Il précise de quelle manière ces classes sont liées ou opposées. La procédure a tout d’abord distingué la classe 4 des classes 1, 2 et 3. C’est la classe la plus distincte du corpus. Ensuite, la classe 2 a été isolée des classes 1 et 3. Finalement, les classes 1 et 3 ont été séparées.

Le vocabulaire de la classe 4 et de la classe 2 est plutôt lié aux facteurs organisationnels et structurels, tandis que celui de la classe 3 et de la classe 1 se rattache aux facteurs personnels.

Les thèmes émergents des quatre classes

Le profil de chaque classe en fonction des présences lexicales les plus significatives a permis de nommer les catégories émergentes à l’intérieur des classes ainsi que les mots clés pour chacune des catégories : pour la classe 1, « la socialisation sportive »; pour la classe 2, « le monde du sport organisé »; pour la classe 3, « les cheminements scolaire et professionnel »; et pour la classe 4, « les rapports sociaux de sexe ». Pour notre article, nous nous limiterons à l’analyse du discours le plus distinctif, soit celui de la classe 4.

Le discours de la classe 4 et le thème des rapports sociaux de sexe

Plus représentatives des dirigeantes dans la quarantaine (khi carré = 79,16), les répondantes associées à la classe 4 ont une longue expérience professionnelle (khi carré = 77,16). Dans cette catégorie se trouvent les officielles travaillant davantage à temps partiel au niveau international (Khi carré = 30,16) puisqu’elles occupent un autre emploi à temps plein ailleurs. Ces dirigeantes travaillent en collaboration constante avec des hommes. L’analyse du vocabulaire propre à cette classe (voir le tableau 5) permet de dégager un monde de représentations centré sur les rapports sociaux de sexe en faveur des hommes. Ce thème se réfère aux différences de vision selon le sexe.

Tableau 5

Description de la classe 4 « Rapports sociaux de sexe » selon ses principaux vocables en ordre de khi carré décroissant ainsi que des mots marqués d’un astérisque

Classe 4 Rapports sociaux de sexe

 

 

 

Khi carré

Vocables

Khi carré

Mots étoilés

107,88

N

femme+

79,16*

*âge_4

84,50

N

homme+

77,16*

*anctrav_5

45,77

N

dire+

37,17*

*formsceso

20,47

N

sens

37,17*

*suj_19

19,87

A

masculin+

30,16*

*fonct_offi

18,75

N

chose+

26,89*

*ancposte_5

17,59

Y

confi+ant

26,77*

*enf_0

17,20

V

mettre

23,88*

*scol_second

15,66

Y

decis+ion

21,43*

*form_0

15,31

A

capable+

19,97*

*statfamil_élevé

14,06

N

gars

19,87*

*form_communic

13,25

N

question+

19,87*

*suj_6

12,94

Y

patron

18,96*

*suj_2

12,80

V

avanc+er

18,01*

*inter_3

12,55

N

poste+

18,01*

*suj_5

12,32

V

pos+er

17,33*

*ancposte_4

12,28

A

positi+f

17,33*

*suj_9

11,58

Y

compet+ent

16,40*

*pers_tempart

11,55

Y

cote+

15,72*

*anctrav_2

11,38

N

entrevue+

9,64*

*hsem_3

11,32

N

cas

7,68*

*anctrav_4

11,32

N

respect+

7,51*

*suj_21

10,43

N

situation+

7,00*

*ant_stagiaire

10,07

V

pens+er

7,00*

*suj_17

 

 

 

5,73*

*inter_0

 

 

 

4,95*

*fonct_direc

 

 

 

4,93*

*statfamil_modeste

 

 

 

3,45*

*ancposte_2

 

 

 

3,06*

*passgest_promue

 

 

 

2,89*

*form_marketing

 

 

 

2,89*

*suj_23

 

 

 

2,19*

*fratrie_cadette

Source : Amboulé Abath (2007 : 175).

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Les discours des dirigeantes dans le milieu sportif associées à la classe 4

D’après l’analyse des discours des répondantes associées à cette classe, la sphère sportive subit d’abord l’influence des rapports sociaux de sexe en faveur des hommes. Les verbatims examinés permettent de circonscrire les propos des dirigeantes sur leur propre expérience. L’analyse de contenu des discours nous a permis de constater que des inégalités basées sur l’appartenance sexuelle se manifestent sans paraître se résorber dans les postes occupés au sommet de la hiérarchie sportive. Une part importante du discours des dirigeantes associées à la classe 4 a porté sur la dénonciation du traitement différencié selon le sexe et les rapports inégalitaires qu’elles vivent.

La masculinisation des comportements et une féminité neutralisée

L’analyse des propos recueillis montre que les dirigeantes doivent à tout prix se conformer à une représentation collective du dirigeant dans le milieu sportif construit sur la masculinité hégémonique idéale :

J’ai été obligée de changer des choses dans ma personnalité, en tout cas sans peut-être m’en rendre compte. Je pense qu’on devient plus tolérante, on accepte plus la critique parce que les hommes ne sont pas délicats dans leur critique, ce qui fait qu’on adopte une carapace plus solide, tellement habituée à travailler dans un climat qui est plus dur… même en termes de langage. C’est un milieu masculin. J’ai donc changé certains comportements et je pense que, si je ne les avais pas changés, je ne serais probablement pas là aujourd’hui (Sylvie, gestionnaire).

Les femmes sont ainsi astreintes à se comporter comme les hommes et à se résigner à neutraliser leur féminité. Dans ce milieu, les attributs masculins, les valeurs masculines et les signes de virilité sont omniprésents et très significatifs. Cette identification masculine modifie les comportements et les attitudes des dirigeantes qui doivent accepter un style de leadership masculin pour survivre dans les positions d’influence. L’adaptation à ce milieu est tout un apprentissage pour les dirigeantes, car il leur faut se conformer à un modèle masculin relativement agressif et essayer d’adopter ces attitudes masculines pour pouvoir s’affirmer professionnellement. Ce qui nous fait dire que les directions sportives sont parfois des lieux de violences symboliques ou de violences normatives pour les femmes qui doivent se déposséder de leur « féminité ». C’est ce que Baudoux (2005 : 355) nomme la « doxa des sexes ».

Aux prises avec un environnement de travail souvent sexiste, des dirigeantes dans le milieu sportif finissent par adhérer aux stéréotypes sexuels et sexistes prédominants dans leur milieu de travail et sont obligées d’adopter des comportements masculins pour se faire valoir :

J’ai même été obligée d’utiliser les moyens draconiens à certains moments, style de donner des coups de poing sur les tables, imiter la gent masculine dans leur comportement. J’ai déjà même sacré en pleine réunion parce que le monsieur sacrait à tour de bras puis il essayait de me dénigrer puis à un moment donné j’étais obligée de sortir un petit « câline » pour m’imposer puis leur montrer que j’étais capable de parler le même langage qu’eux, même si j’étais toute féminine avec un caractère féminin (Chantal, gestionnaire).

[Il] y avait un directeur qui était, de tous les directeurs, le plus macho de la gang et il m’avait fait venir dans son bureau pour me demander de l’argent pour amener son équipe aux jeux. Je lui avais dit que je n’avais plus d’argent et il insistait : « Pis calice, hostie, tu es capable de me trouver ça », puis là à un moment donné, je m’étais levée, j’avais foutu un gros coup de poing sur la table puis je lui avais dit : « Je n’en chie pas de l’argent, je m’en calice; je suis capable de parler le même langage que toi. Si tu me traites de même, je vais te traiter de la même façon. » À partir de ce moment-là, j’étais devenue quelqu’un. Là, il prenait en considération ce que je disais (Chantal, gestionnaire).

Des dirigeantes rapportent qu’elles font leurs, puis adoptent inconsciemment, des comportements masculins dominants pour se faire comprendre et prendre leur place. Cette domination masculine serait le seul modèle de comportement jugé valable, les valeurs dites féminines étant reléguées au second plan. Ces dirigeantes vivent ainsi des situations contradictoires entre leur expérience « publique » en milieu de travail et leur expérience « privée » dans la famille. Cela implique une fragmentation de leur personnalité qui peut se traduire par des tiraillements entre leur identité et les valeurs dominantes de leur milieu de travail.

Les dirigeantes que nous avons rencontrées font face à l’isolement et doivent continuellement se défendre contre les stéréotypes et les préjugés avec lesquels elles sont aux prises au quotidien :

J’étais dans une réunion qu’il avait convoquée et où il n’y avait que des hommes. Lors de cette rencontre, j’ai senti là que je ne comprenais pas ce qui se passait. J’étais à la réunion et je me disais : « Mais voyons donc, c’est mon droit de parole, mais pourquoi il me l’enlève ? » Je me disais : « Mais pourquoi il m’a répondu ça? » Je ne me sentais pas bien et je suis sortie de la réunion, mais à un moment donné quand je me suis reculée sur ma chaise pour avoir une vue plus en perspective et là j’ai fait : « Ah! Il y avait juste des gars autour de la table et on était 32 personnes et j’étais la seule femme! » Et là j’ai vraiment compris que lui, donc la personne qui animait là, lui cet homme-là c’était comme « Stéphanie, toi, non, tu n’es pas à ta place ici, calme-toi donc, calme-toi là, va faire la vaisselle, qu’est-ce que tu fais là! » (Stéphanie, gestionnaire).

Les attitudes infantilisantes de la part des collègues masculins

Les propos des dirigeantes dans le milieu sportif montrent que les hommes en poste ont tendance à les protéger et cette situation renforce l’idée d’une prétendue fragilité féminine. Des dirigeantes sont perçues comme des personnes mineures n’ayant pas les aptitudes nécessaires pour occuper un poste de haut niveau et réussir dans ce milieu contrôlé par les hommes. Plusieurs n’apprécient pas non plus certaines immixtions masculines dans l’exercice de leur fonction. Ces comportements, qu’elles qualifient de « paternalistes », les offusquent et les poussent parfois à la révolte :

J’ai souvent aussi été traitée là de « petite ». J’avais deux bénévoles qui étaient très paternalistes avec moi. Je peux vous dire que ça me dérangeait chaque fois qu’ils me disaient : « Toi, regarde, toi, la petite là, c’est toi la petite, tu ne viendras pas nous dire comment faire, tu as encore un nombril vert. Puis tu sais, je pourrais être ton père. » [Il avait] cette attitude déplaisante. Ça, j’ai trouvé ça dur aussi ces expériences. Je me rappelle d’un conseil d’administration où je m’étais fâchée [très fort]. J’étais sortie de mes gongs, le bénévole en question, qui était très paternaliste avec moi, jouait un rôle qui était, qui, vraiment, il m’avait poussée à bout. Ce qui fait que je suis devenue très fâchée. J’avais sacré pendant le CA et j’avais dit : « Regarde, calice, tu ne viendras pas me dire quoi faire, c’est moi la représentante de la Ville ». Je me rappelle que j’étais sortie en pleurant (Stéphanie, gestionnaire).

Il est même arrivé [ceci durant un match : j’étais en train d’expliquer une situation à un joueur et ce dernier] m’estimait un tout petit peu, mais mon deuxième arbitre s’est amené vers moi et il s’est placé entre moi puis le joueur. Puis là, le joueur lui dit : « Ben qu’est-ce que tu fais là? Mais moi je ne la frapperais pas, tu le sais. » Mais là moi j’ai parlé à mon arbitre parce que je n’ai vraiment pas apprécié ce qu’il a fait. Et je lui ai dit : « Là, je n’ai pas besoin de toi. Il n’était pas pour m’assommer. Pourquoi tu viens à ma défense? Tu penses que je suis si fragile, tu penses que je ne suis pas capable de contrôler ça là? » Je lui ai dit : « Tu penses que si c’était un gars tu serais venu te tenir entre les deux? Est-ce que c’est parce que je suis une femme que tu es venu te tenir entre le joueur et moi pour me protéger? » Je lui ai dit : « Regarde, toi, mêle-toi de tes affaires la prochaine fois » (Élodie, officielle internationale).

Ces propos traduisent le fait que d’être homme ou femme dans les directions sportives n’a pas la même signification ni les mêmes enjeux. De nombreux préjugés, stéréotypes et rôles sociaux traditionnels associés aux hommes et aux femmes perdurent, colorent les rapports professionnels et contribuent au maintien des inégalités dans les fonctions dirigeantes du sport.

La légitimité et la crédibilité des dirigeantes

Ces extraits montrent que l’enjeu fondamental lié à l’intégration des dirigeantes et à leur reconnaissance dans les milieux sportifs est loin d’être atteint. Les dirigeantes dans le milieu sportif font face à des situations contraignantes et parfois éprouvantes. On doute de leurs compétences et elles doivent faire preuve de beaucoup de professionnalisme afin d’atteindre une certaine crédibilité dans un environnement de travail essentiellement masculin. Parfois, la dirigeante est réduite à un objet sexuel :

J’arrive, moi, parce que je suis la représentante de la Ville; donc je dois assister à cette rencontre. Le bain est plein de glace et plein de bière. Ce qui fait que moi je rentre, puis on me fait la blague plate : « Tiens, voilà notre danseuse qui arrive! », une remarque comme quoi c’était une gang de gars! Ce qui fait qu’ils m’ont accueillie comme si j’étais la danseuse qui s’en venait leur faire un strip-tease, une petite danse. Mais ils ont réussi à plusieurs égards à me faire sortir de mes gongs (Stéphanie, gestionnaire).

Cependant, il apparaît que le manque initial de crédibilité à l’égard des dirigeantes n’est pas le seul apanage des hommes. Des femmes de leur entourage ne les considèrent pas non plus comme des dirigeantes à part entière :

J’ai toujours eu des problèmes avec mes secrétaires parce que, même avec elles, je n’ai pas beaucoup de crédibilité. On est « x » directeurs, mais là-dessus chaque homme a sa secrétaire, moi je dois la partager. Bien sûr, présentement, ma secrétaire a deux patrons un homme et moi. Elle a beaucoup plus de considération pour lui que pour moi. Moi, elle se permet des choses qu’elle ne fait pas avec l’homme. C’est la crédibilité. Face à elle, je ne suis pas une directrice. Je suis une femme (Chantal, gestionnaire).

Cet extrait montre aussi que les manifestations de rejet que vivent les dirigeantes ne sont pas le fait des seuls hommes : des femmes de leur entourage professionnel leur manquent de respect. Ce constat, lié au fait que les réactions négatives sont vraisemblablement mixtes, incite à penser qu’il ne saurait être question de préjugés uniquement de la part des hommes.

L’exacerbation des différences sexuées et l’inégale reconnaissance

Dans le système sportif marqué par la dualité et l’asymétrie des sexes, les dirigeantes jugent qu’elles sont toujours considérées comme des femmes, comme des intruses dans un territoire masculin. Elles se retrouvent dans des situations où elles doivent convaincre leurs collègues masculins du sérieux qu’elles attachent à leurs fonctions. Cela témoigne de difficultés d’intégration pour les femmes du fait de leur statut de femmes qui se traduit par un manque initial de crédibilité et par la persistance des préjugés sexistes. Cela atteste également l’effort supplémentaire à fournir pour les femmes en matière de rendement au travail et de développement de compétences en vue de se bâtir une crédibilité dans un environnement où elles sont infériorisées :

Je me souviens des échanges que j’ai eus avec les dirigeants masculins de notre belle fédération lors de la réunion […] Il m’a répondu : « X, il n’y a aucune femme au Québec qui a l’expérience, la capacité et les compétences pour entraîner ce niveau à l’échelle nationale. » J’ai remarqué à chaque fois que j’offre mes services, ils me demandent automatiquement d’envoyer mon CV et mes expériences de coaching. Une fois je leur ai dit : « Vous me connaissez très bien, toute l’information est dans mon dossier, vous pouvez le vérifier, car je le renouvelle à chaque année. Je leur ai posé la question de savoir s’il demande aussi aux entraîneurs masculins d’envoyer leur CV. » J’ai aussi remarqué qu’à chaque année les critères de sélection changent : tout dépend de quel côté le vent se dirige. Cela est bien drôle, car maintenant les autres entraîneurs me regardent et disent : « Tiens, le règlement qu’ils viennent de sortir est probablement fait juste pour toi! » (Marilou, entraîneuse).

Ces propos traduisent la persistance de discriminations en dépit de règlements relatifs à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans certaines fédérations sportives québécoises. Ils rendent aussi compte des préjugés et des stéréotypes sexistes qui font que le parcours de ces femmes est parsemé d’embûches et d’obstacles.

Le double standard dans les salaires

En matière de salaire aussi, les inégalités demeurent. Il semble que le principe du salaire égal pour un travail égal de même que l’ancienneté à un poste ne soient pas reconnus de facto aux femmes :

Moi quand j’ai commencé, il y avait seulement une équipe féminine; il n’y avait pas d’équipe masculine. Mais quand ils ont engagé un entraîneur masculin à temps plein, là il gagnait plus cher que moi qui travaillais depuis « x » années ici. Lui avait un salaire plus élevé que moi, dès sa première année ici. Alors moi je suis allée me débattre et je leur ai dit qu’il n’en était pas question que j’accepte […] Là, ils ont réalisé qu’ils avaient fait une gaffe et ils m’ont donné le même salaire. La différence de salaire devait être autour de 5 000 ou 6 000 dollars (Edna, entraîneuse-chef).

La passion du sport

L’analyse d’autres parties du discours des dirigeantes nous fait voir que ce qui les retient dans leur milieu de travail, malgré les obstacles liés à des rapports sociaux de sexe inégaux en faveur des hommes, est leur passion pour le sport et l’« amour » de leur travail, les défis présents dans les fonctions qu’elles occupent, sans compter les investissements scolaire et expérientiel qu’elles ont consenties pour se rendre là où elles sont dans la structure sportive au Québec (Amboulé Abath 2007 : 171) :

Je suis restée là parce que je pense que j’étais fondamentalement passionnée par mon domaine puis, je croyais au bien-fondé [de mon investissement]. Je voyais toujours des petites lueurs naissantes dans la tempête. Il y a comme toujours un espoir derrière tout ça. Mais disons que j’ai traversé des grandes périodes effectivement où j’ai beaucoup douté. J’ai eu beaucoup de difficultés à continuer à vouloir avancer même parfois. J’ai voulu baisser les bras. Je ne sais pas combien de fois je suis sortie en pleurant, mais j’y tenais tellement et j’ai résisté oui. Mais j’en ai payé le prix aussi (Gloria, gestionnaire).

Élodie valorise aussi son travail par « amour » pour sa discipline sportive et veut surtout, en tant qu’ancienne athlète, rester partie prenante du spectacle sportif. Elle continue de s’investir malgré les embûches et autres frustrations qu’elle vit :

C’est difficile, mais j’aime ça arbitrer (Élodie, officielle internationale).

La discussion des résultats

L’analyse du discours des dirigeantes sportives associées à la classe 4 permet d’observer les stratégies différenciées de résistance utilisées par les femmes et qui consistent pour les unes à se battre, pour les autres à devoir battre en retraite, à jouer le jeu, à devoir faire ses preuves, se résigner, se construire une carapace solide, se trouver des alliés, répondre ou se taire, pleurer… Ces extraits présentent aussi des cas tacites d’exclusion volontaire des femmes par des dirigeants masculins. Leur qualification professionnelle n’est souvent pas reconnue à sa juste valeur et le statut de leur emploi ne leur procure pas automatiquement les mêmes avantages que les hommes. Dans ce contexte de partage inégal de responsabilités et de pouvoir, la place des femmes au sein des instances techniques et administratives où se prennent les décisions demeure sous la tutelle des dirigeants masculins. On peut donc parler d’une « émancipation sous tutelle » (Landry et Yerlès 1996 : 220).

Ces propos confirment aussi le fait que les femmes qui travaillent dans un milieu à prédominance masculine sont constamment mises à l’épreuve en ce qui concerne leur choix professionnel, leurs motivations, leurs compétences et leurs aptitudes physiques. La légitimité de leur inclusion dans ce milieu fait problème et met à nu les considérations sexistes qui, bien qu’elles soient parfois subtilement déguisées, révèlent la problématique évidente d’une conception masculine traditionnelle et stéréotypée de la gestion du sport. Leur intégration est difficile, inachevée et incomplète dans ces lieux. Comme le fait remarquer Vieille-Marchiset (2004), le rapport du masculin et du féminin dans la gestion du sport reste, de façon générale, un rapport de pouvoir, de dominants à dominées. Il induit une hiérarchie sociale des sexes dans les métiers du sport. Nous pouvons donc avancer que les femmes ont fait et continuent de faire l’objet de discrimination culturelle dans les directions sportives. Les femmes y trouvent difficilement leur compte, et comme le souligne Bourdieu (1998 dans Dugré 2006 : 105) « la définition d’un poste, surtout d’autorité, inclut toute sorte de capacités et d’aptitudes sexuellement connotées ». Concrètement, diriger une association sportive imposerait aux femmes une manière de vivre et de se comporter. C’est ce que précise Llana Löwy (2006 : 158) :

L’addition des traits masculins menace de détruire la féminité. Tandis que la masculinité hégémonique, plus « résistante », peut accepter sans grand danger l’addition de certains traits féminins. En conséquence, les femmes qui désirent réussir dans un environnement compétitif doivent souvent apprendre à être « bilingues », à s’approprier le style de travail masculin et féminin, et à savoir dans quelles circonstances utiliser l’un ou l’autre.

Malgré tout, les propos des dirigeantes que nous avons rencontrées traduisent un vécu professionnel satisfaisant, néanmoins hautement perfectible. La très grande majorité de ces femmes donnent nettement l’impression que leur expérience est très enrichissante et qu’elle vaut la peine d’être vécue (Amboulé Abath 2007). À plusieurs égards, la situation professionnelle de certaines paraît enviable. Les directrices de fédérations sportives et les agentes de développement régional du sport sont très satisfaites d’occuper leurs fonctions. Les officielles à l’échelle internationale apprécient aussi leurs conditions de travail et surtout les avantages que leur procure leur statut. La majorité des entraîneuses affirment leur passion pour la discipline et leur désir de partager leurs connaissances au-delà de certaines embûches liées au fait qu’elles sont d’abord et toujours considérées comme des femmes occupant des fonctions d’hommes. Les dirigeantes que nous avons rencontrées ne regrettent pas leur choix d’occuper un poste de direction, bien que la plupart expriment un certain nombre de frustrations dues au sexisme ambiant. Ces dirigeantes font un bilan plutôt positif de leur expérience malgré les difficultés de parcours qu’elles éprouvent. Nos résultats rejoignent ainsi ceux de Lapointe (1998) sur l’expérience de professeures d’université au Québec qui exprimaient leur passion pour leur travail malgré les défis à relever constamment dans une organisation et une profession traditionnellement masculines.

Conclusion

En résumé, le discours de ces dirigeantes est centré sur le fait qu’il existe des différences marquées en faveur des hommes. Aux prises avec un système sexiste, elles vivent une réalité professionnelle qui subit fortement l’influence de la culture masculine des organisations sportives. Cette culture constitue un obstacle aux rapports égalitaires entre les hommes et les femmes. Les femmes dans les directions sportives s’opposent aux incohérences du système sportif. Elles sont obligées de recourir à diverses stratégies de résistance pour se faire valoir et se maintenir. Cette situation inéquitable profite aux hommes bien établis, dominants en nombre et en pouvoir, solidaires et mieux organisés. Nos résultats indiquent donc que ces dirigeantes évoluent à travers des rapports sociaux de sexe inégaux qui s’établissent dans leur environnement de travail. En outre, les difficultés mentionnées par ces dirigeantes demeurent pleinement d’actualité, puisqu’il s’agit surtout de penser à la condition féminine dans un milieu dominé par les hommes pour une configuration plus égalitaire des rapports hommes-femmes.

Dans l’ensemble, nous avons également observé que, malgré des rapports sociaux de sexe en faveur des hommes, ces dirigeantes sont de véritables passionnées de sport qui évoluent dans un environnement complexe où les responsabilités sont très grandes, ce qui les amène à relever d’importants défis. La nature de ces défis et la façon d’y faire face varient d’une dirigeante à l’autre (Amboulé Abath 2007). À l’instar de Baudoux (2005 : 467), nous définissons cette passion comme « la force qui oriente leur action ou comme objet d’un fort attachement et qui suscite chez elles un enthousiasme réel. Mais également (et son origine latine de souffrance l’évoque dans le même temps) source de quelque interrogation, dépit ou déception ». Cette passion va de pair avec la notion de « passion-souffrance » de Baudoux (2005 : quatrième de couverture).

En définitive, pour nos interlocutrices, les directions sportives constituent des espaces culturels de domination masculine où les femmes doivent s’assimiler à la majorité, se conformer pour être entendues ou pour exister et s’adapter aux caractéristiques du groupe masculin. Les dirigeantes que nous avons rencontrées désapprouvent et contestent cette situation. Elles souhaitent des rapports plus égalitaires entre les hommes et les femmes dans les directions sportives.