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Dans cette chronique personnelle d’une histoire collective, Marjolaine Péloquin a comme premier objectif de relater avec le plus de rigueur et de justesse possible les événements qui ont amené des femmes « ordinaires » en prison en 1971. Une époque charnière – le Front de libération du Québec (FLQ), la Loi sur les mesures de guerre, les principes démocratiques bafoués, charcutés. La peur des gens, le silence des autres.
Rédigé au présent, ce récit est un geste de réappropriation de l’histoire d’un mouvement méconnu, le Front de libération des femmes (FLF). Cette histoire racontée par une des protagonistes est bien écrite, truffée d’anecdotes, de coupures de journaux, de photos, des dessins, de poèmes, d’extraits de lettres, de documents officiels, de réalisme, d’idéalisme et d’humour. Dans un style fort agréable et imagé, on peut lire, par exemple, dans quel contexte l’outrage au tribunal se déroulera (p. 45) :
Lundi 1er mars 1971
Montréal, cour de Parthenais
Matin morne. Une journée entre deux eaux comme tous les mois de mars montréalais, sur fond de sloche noire et de neige sale. Rues funèbres de l’est de la ville où j’habite. Berri, la si belle pourtant sous la blancheur de l’hiver. Saint-Denis la douce. Mais aujourd’hui, mes rues aimées ressemblent à la mort. Elles sont comme moi toutes de noir vêtues. Nous sommes en deuil de notre pays.
Des femmes, donc, se retrouveront en prison pour avoir dénoncé la discrimination faite aux femmes – le cas de figure ici : le fait que les femmes ne pouvaient être jurées! L’auteure nous amène aux réunions dans de petits appartements de Montréal où l’on organise les manifs, les luttes, en passant de la cour de Parthenais, jusqu’à la prison.
Photos à l’appui, Péloquin offre une description de la maison Tanguay (ce n’est pas une maison, c’est une prison!), décrit les conditions de détention et de surveillance, les horaires, l’organisation carcérale, la cuisine, la nourriture, les lieux, le parloir, les cellules, qui sont, tour à tour, dénoncés. On voit bien l’univers carcéral avec son architecture de punition; on sent presque l’odeur des cellules, du désinfectant institutionnel, de l’autre ; on goûte presque la nourriture carcérale; on entend presque les cris de désespoir étouffé des femmes la nuit; on touche presque les corps de femmes rendus invisibles.
Ce qui m’a frappé dans ce récit, c’est de constater à quel point ces femmes ont pu ressentir, en si peu de temps, soit de quelques semaines à deux mois, l’aliénation vécue par les femmes incarcérées et voir comment ces femmes-là leur ressemblaient (p. 91-92) :
Le milieu carcéral des femmes dans lequel nous atterrissons nous projette dans un monde que nous n’imaginions pas à bien des égards […] nous sommes bombardées par des injustices qui nous révoltent […] Nous les « bonnes petites filles », punies pour avoir dérogé aux normes du pouvoir masculin […] Et, elles, les « mauvaises filles », « filles de vie » ou prostituées, fraudeuses ou voleuses, sont à peu près toutes là, dans notre section du moins, à cause d’un homme (amant, ami, pimp, client) – invisibles évidemment – et sont aussi punies pour être hors normes et illégales!
Cette prise de conscience se resserre au fil des jours, des nuits, des semaines, des moments de déprime, de combats, de résistance et de résilience. Il est aussi terrifiant d’observer comment un si court séjour de détention peut s’imprimer sur le corps des femmes, continuer à les habiter, les bouleverser et même les hanter. On ne peut s’imaginer passer des années en prison! Un vrai polar à voir sur tous nos écrans près de chez nous…
Ce récit offre une vraie vitrine sur les luttes menées par des femmes lors de cette période où le Québec est pris en otage. L’auteure nous montre comment des femmes vont se battre et nous rappelle haut et fort : « Québécoises, debouttes! »