Présentation

La revue Recherches féministes a 20 ans : un peu d’histoire pour comprendre le présent et préparer l’avenir[Record]

  • Micheline Dumont and
  • Estelle Lebel

La revue Recherches féministes a 20 ans! Son premier numéro (vol. 1, no 1, 1988), comportait un texte de Robertine Barry déplorant, en 1895, que les Québécoises n’aient pas encore accès à l’université alors qu’elles y étaient déjà si nombreuses dans le monde anglo-saxon, notamment aux États-Unis (Dumont 2004). Ce texte était intitulé : « Pour mesurer le chemin parcouru ». Rappelons rapidement le chemin parcouru durant le dernier siècle. Depuis 1896, la très lente progression des Québécoises francophones vers le savoir universitaire s’est mise en marche. Ainsi, Marie Sirois reçoit un diplôme en 1903 à l’Université Laval, mais elle n’est pas admise à la collation des grades (Girouard 1993). Les soeurs de la congrégation de Notre-Dame arrachent la permission aux autorités religieuses et universitaires d’ouvrir une « école supérieure pour les jeunes filles », à Montréal en 1908, lorsqu’elles apprennent que deux journalistes, Éva Circé-Côté et Gaëtane de Montreuil, ont l’intention d’ouvrir un lycée laïc, comme on désigne à ce moment-là toute institution qui ne dépend pas de l’autorité religieuse. Le lycée a pour président Gonzalve Desaulniers, anticlérical notoire. Cet établissement veut permettre aux filles de poursuivre des études supérieures en sciences et en commerce. Cependant, privé d’autorisation épiscopale, le lycée ne survivra que deux ans. Pendant ce temps, à l’« école supérieure », on répète aux nouvelles bachelières que leur diplôme ne leur donne pas le droit de s’inscrire en droit ou en médecine. « Si vous voulez faire fermer le collège, inscrivez-vous à l’université », avertit mère Sainte-Anne-Marie, fondatrice de l’établissement (Danylewycz 1988 : 190). Au demeurant, pendant ces premières décennies, le tiers des bachelières sont des religieuses, dont la fondatrice qui obtient son baccalauréat ès art en 1914, trois ans après Marie-Justine Gérin-Lajoie, la toute première bachelière. De 1900 à 1920, il y a donc passage de l’exclusion à la tolérance. Durant les deux décennies suivantes, les inscriptions d’étudiantes sont rarissimes aux deux universités francophones du Québec. En 1924, Marthe Pelland s’inscrit en médecine à Montréal. Quelle audace! Mère Sainte-Anne-Marie écrit au recteur : « Daignez me permettre de vous faire part du regret que j’ai éprouvé en apprenant que l’une de nos élèves de l’école d’enseignement supérieur avait été admise à suivre les cours de médecine » (Danylewycz 1988 : 190). Elle craint que le collège ne perde sa protection. En même temps, elle résiste aux demandes des autorités universitaires d’implanter un baccalauréat « féminin » : elle persiste à vouloir offrir un baccalauréat identique à celui des garçons (Danylewycz 1988). Avant 1930, quelques étudiantes en littérature, deux en chimie, une en philosophie sont inscrites à l’Université de Montréal. Quant aux étudiantes en droit, on en compte, avant 1941, trois à l’Université de Montréal, aucune à Laval et dix-sept à l’Université McGill (Bélanger 1991 : 51). Pourquoi d’ailleurs s’inscrire en droit puisque les diplômées se voient interdire l’accès au Barreau? À l’Université Laval, Jeanne Lapointe est la première femme à recevoir un « vrai » diplôme de littérature en 1938. Quand l’Université de Sherbrooke reçoit ses premières cohortes, en 1954, il y a deux étudiantes. Avant 1940, quelques femmes font partie du corps professoral des deux universités francophones. De 1920 à 1950, il y a donc passage de la tolérance à une présence… microscopique. Cette très lente marche commence à s’accélérer après la Seconde Guerre mondiale et surtout à la fin des années 50. Bientôt, les étudiantes se comptent par centaines, mais surtout dans des programmes professionnels féminins : diététique, hygiène, physiothérapie, nursing, service social, bibliothéconomie, traduction (Collin 1988). Les femmes qui dirigent ces programmes n’ont pas une entière liberté d’action …

Appendices