Hommage à Iris Marion Young (1949-2006)[Record]

  • Diane Lamoureux

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  • Diane Lamoureux
    Université Laval

C’est avec tristesse que j’ai appris la mort d’Iris Marion Young, en juillet dernier, des suites d’un cancer. Je l’ai d’abord connue par ses textes puis j’ai eu l’occasion de la côtoyer à quelques reprises. Elle avait cette qualité rare non seulement de produire des textes d’un fort bon niveau intellectuel mais aussi d’être attentive aux enjeux et aux luttes sociales et d’envisager une théorie qui soit liée aux impératifs de l’action politique, tout en témoignant d’un intérêt et d’un respect pour ceux et celles qu’elle côtoyait, dans les milieux tant universitaires que militants. Ce double niveau de préoccupation se fait très bien sentir dans le texte que nous avons choisi de traduire : il essaie de pousser plus avant la réflexion sur la possibilité d’un mouvement féministe malgré les différences et les divergences qui peuvent exister entre les femmes, tout en reflétant un engagement militant dans la distribution de tracts et la discussion avec les personnes rencontrées au hasard de cette distribution. À une époque où se multiplient les réflexions sur le postcolonial et l’intersectionnalité, ce texte nous semble tout à fait pertinent pour enrichir nos réflexions et nos débats. Cependant, il se veut aussi un « hommage » (il serait temps d’inventer un équivalent féministe!) à Iris Marion Young. Comme professeure, d’abord à l’Université de Pittsburgh, puis à l’Université de Chicago, Iris Marion Young savait stimuler ses étudiantes et étudiants de même que ses collègues, sans arrogance. En même temps, sa réflexion théorique la plaçait au sommet de la discipline, sans céder à l’obscurantisme universitaire et en ayant toujours à l’esprit que la pensée politique doit nous aider à mieux saisir les enjeux de notre époque et à nous acheminer vers un monde exempt de domination. Iris Marion Young a participé activement à la nouvelle gauche étasunienne et au mouvement des femmes à partir des années 70, mais, contrairement à beaucoup d’autres, elle n’a pas changé son fusil d’épaule avec la montée du conservatisme. Jusqu’au bout, elle a dénoncé la guerre en Irak, les dérives autoritaires liées à la « guerre contre le terrorisme » de l’administration Bush, tout en continuant à soutenir les luttes féministes, antiracistes et en faveur de la justice sociale. La principale contribution d’Iris Marion Young, à mon avis, reste ses travaux sur l’importance de l’inclusion politique. Sa longue expérience des mouvements sociaux – et donc la conscience de leurs potentialités, mais aussi de leurs limites – l’a rendue particulièrement attentive aux diverses modalités de l’exclusion politique et sociale. Loin des modes intellectuelles et politiques et animée d’une « patiente impatience », elle a insisté sur le fait que l’inclusion politique effective relevait autant de notre passé politique que de notre avenir et que, laissées à elles-mêmes, nos sociétés démocratiques sont plus exclusives qu’inclusives, malgré leur prétention à l’égalité et à la liberté de toutes et de tous. S’insurgeant contre le faux universalisme des théories libérales, Iris Marion Young préférait penser les phénomènes d’exclusion sur la base de la domination et de l’oppression. Le problème de l’exclusion politique ne se limitait donc pas à des problèmes de redistribution ou de reconnaissance, mais il relevait de la logique d’un système social, dont il s’agissait de dévoiler le caractère dominateur et oppressif. Son féminisme ne reposait donc pas sur une vision essentialiste des femmes ou sur l’idée d’une « condition féminine » commune à toutes les femmes, mais sur une compréhension du patriarcat comme système social producteur d’injustices, en interaction avec d’autres systèmes tout aussi producteurs d’injustice, comme le racisme, le capitalisme ou l’hétérosexisme. Cela a pour conséquence que les relations qui s’instaurent entre les groupes …

Appendices