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Belle épopée que la conquête du pouvoir politique par les femmes! Dans un ouvrage extrêmement bien documenté, à l’aide de ses propres recherches et de toutes celles qui sont à la fine pointe du sujet, Manon Tremblay nous fait voyager dans le temps et dans l’espace. Ce périple à travers l’histoire et à travers le monde nous amène à nous remettre en question quant à nos propres avancées, à nos réussites et à nos doutes, à nos défis et à nos espoirs. L’auteure nous offre un portrait riche et aussi très nuancé des caractéristiques des femmes en politique active, des obstacles qui leur sont propres; elle nous invite à aller au-delà des évidences ou des préjugés, afin de porter un jugement précis sur la question de la représentation des femmes. De nombreuses mesures sont analysées, sous toutes leurs coutures et, là encore, le jugement porté nous oblige à dépasser nos impressions premières, voire nos certitudes. Nous entrons dans un monde complexe, souvent fait de demi-teintes. Les conclusions ne sont pas tranchées, mais elles indiquent toutefois les questions à se poser et, en conséquence, la voie à suivre. C’est pourquoi cet ouvrage nous laisse sur une impression positive, sinon optimiste. Les embûches demeurent, le chemin sera long, et il n’est pas tracé d’avance, mais nous savons qu’il y a quelque chose d’irréversible dans la représentation parlementaire des femmes. Nous savons également que les moyens de progresser existent, nous connaissons leurs avantages et leurs limites, nous circonscrivons mieux au terme de la lecture du livre les leviers les plus prometteurs. Un nombre impressionnant d’exemples empruntés à d’autres pays nous inspirent; la comparaison avec notre propre situation nous console parfois, mais souvent aussi elle nous fait douter et nous fouette. Car nous avons bien des progrès à faire!
Dans sa préface, Louise Harel situe d’emblée le sujet. Elle souligne l’approche rigoureuse de Manon Tremblay, doublée d’un objectif militant, soit celui de la correction de la sous-représentation parlementaire des femmes. Elle note également que l’ouvrage transcende les modes et les engouements, l’auteure faisant une analyse critique de certaines pistes comme celle de la représentation proportionnelle. Elle retient le rôle crucial des partis politiques, qui peuvent freiner ou promouvoir la place des femmes.
L’introduction générale donne quelques clés de lecture pour saisir la terminologie employée le plus souvent dans le texte. On retient particulièrement la notion de « représentation descriptive » (plus il y a de femmes au Parlement, plus les femmes sont représentées) et celle de « représentation substantielle » (centrée sur les positions défendues par les femmes parlementaires, en fonction des besoins, des demandes et des intérêts de toutes les femmes). L’auteure offre du même souffle une très belle image, au sens où elle est fort parlante. L’univers de la représentation politique serait semblable à un jeu d’échecs : les cases, ce sont les circonscriptions; les joueurs, les partis politiques; les pièces, les parlementaires; et, bien sûr, il y a les règles du jeu!
Nous voici donc conviées, dans un premier chapitre, à retracer l’histoire du droit de vote et d’éligibilité des femmes au Québec et au Canada. Quelle histoire! Nous avons droit à un compte rendu détaillé de nos progrès et de nos reculs, à travers les multiples pérégrinations des femmes. Notons, dans tout l’ouvrage d’ailleurs, l’intérêt de prendre en considération la trajectoire des sénatrices, souvent oubliées dans les études. C’est ainsi que l’on obtient des précisions sur des questions connues, mais qu’il est bon de resituer dans leur véritable contexte. Il faut se rappeler, par exemple, que le droit de vote était acquis aux femmes répondant à certains critères de propriété avant le milieu du XIXe siècle. Toutes les grandes étapes de la conquête menée par les femmes se lisent avec bonheur dans ces pages. On y trouve les détails de l’affaire « Personne » qui a ébranlé le Parlement canadien; on se demande comment il se fait que, pendant un peu plus de deux décennies, les femmes pouvaient voter au fédéral mais pas au Québec; on revit la saga des suffragistes qui ont fini par avoir gain de cause auprès du premier ministre de l’époque, Adélard Godbout : on se rappelle d’ailleurs avec bonheur l’argument-choc qu’il a utilisé pour obtenir l’aval du cardinal Villeneuve. Cependant, l’acquisition du droit de vote et d’éligibilité par les femmes n’est pas seulement une question à regarder sous l’angle des événements. Manon Tremblay expose les cinq types de discours ayant animé les débats. Elle nous fait entrer dans les différentes rationalités, avec les arguments pour et contre. Si certains apparaissent plus désuets, comme ceux du degré d’intelligence des femmes, d’autres reflètent toujours une grande actualité, comme l’association des femmes au social et le débat autour de la représentation des intérêts des femmes, comme groupe uniforme. Certaines citations sont vraiment suaves : un député se prononce en faveur des femmes, afin d’équilibrer les sexes, « dussent-elles perdre jusqu’à un certain point leur délicatesse »…
Le chapitre 2 part du constat du déficit de représentation des femmes par rapport à leur poids démographique. Il nous amène à nous questionner sur les raisons de cet état de fait. L’hypothèse avancée est que le processus d’accès au pouvoir peut être comparé à un tamis, « d’abord accueillant à une grande quantité de substances, [puis] ses divers filtres ont pour fonction de départager les matières entre celles à conserver et celles à rejeter ». Cruel constat, étayé ensuite par des schémas fort intéressants sur le processus de désignation des parlementaires élues et non élues. Quatre étapes sont analysées : l’éligibilité, le recrutement, la sélection et l’élection. S’il n’y a plus véritablement d’obstacle à l’éligibilité des femmes sur le plan du droit, les progrès de la socialisation ne suffisent pas pour que les femmes se sentent appelées en politique. L’auteure aurait pu ajouter, dans les obstacles, la persistance d’une vision négative du pouvoir et une image de soi qui ne mène pas à se voir comme une chef. Elle indique bien par ailleurs que les progrès ne peuvent naître que de la conjonction d’une réforme du mode de scrutin, d’une mobilisation des femmes sur le terrain électoral et d’une volonté réelle des partis politiques.
Quelle est l’identité et quelles sont les idées des Québécoises au Parlement? Manon Tremblay cherche à y répondre dans le chapitre 3. Certaines caractéristiques sont connues et prévisibles, comme le fait que les femmes y sont plus instruites que la moyenne; d’autres viennent nuancer les opinions que l’on se fait de prime abord. Par exemple, le positionnement en matière de conservatisme ou de libéralisme tient moins au fait d’être femme qu’à celui d’appartenir à un parti de gauche sur l’échiquier politique. Ces réflexions s’appuient sur deux enquêtes très fouillées qui on été menées en 1997 et en 2000 et qui traçaient un portrait finement ciselé du discours porté par les femmes.
Dans le dernier chapitre, l’auteure s’interroge sur les moyens d’augmenter le nombre de femmes siégeant dans les espaces parlementaires. La question des quotas y est analysée de manière exhaustive. Manon Tremblay offre alors un remarquable tour d’horizon des pratiques en cette matière à l’échelle mondiale de même qu’une synthèse impressionnante des éléments de débat sur une question qui soulève chez nous beaucoup de controverse. Elle propose, entre autres, un intéressant tableau récapitulant quelques arguments pour ou contre les quotas. Certains des arguments invoqués ressemblent d’ailleurs étrangement à ceux qui ont animé les luttes pour le suffrage féminin! C’est dire qu’en cette matière beaucoup d’aspects échappent au pur raisonnement et sont d’ordre émotif avant tout. Ce chapitre se termine sur des pistes d’action très précises, à mettre en oeuvre dès maintenant, tel un fonds d’aide financière pour les candidates. Toutes ces idées quant aux stratégies possibles sont excellentes, mais il faudra poursuivre la réflexion en amont pour pallier le fait que les « gars » se précipitent dès qu’une place se libère, alors que les « filles » hésitent à pénétrer dans le dur univers de la politique.
La conclusion générale analyse l’Avant-projet de loi remplaçant la loi électorale, sujet d’une grande actualité s’il en est. Elle aborde aussi la tension, voire le conflit, que la société québécoise entretient entre deux valeurs fondamentales : la liberté et l’égalité. On aurait aimé toutefois avoir droit à une véritable conclusion générale, faisant le bilan de la trajectoire des femmes quant à leur représentation dans les assemblées législatives. Cela dit, l’ouvrage de Manon Tremblay est une mine de renseignements et de réflexions sur le parcours des femmes dans l’enceinte des parlements. Il saura intéresser les personnes qui veulent mieux comprendre les enjeux. Souhaitons qu’il soit également source d’inspiration pour celles qui sont au seuil de la porte et qui hésitent encore à en tourner la poignée.