Le recueil Lesbianisme et féminisme. Histoires politiques, rassemble des communications présentées lors du 3e Colloque international de la recherche féministe francophone, qui avait pour thème « Ruptures, résistances et utopies ». Dirigé par Natacha Chetcuti et Claire Michard, il a pour objectif « de rendre compte de l’interdépendance historique des mouvements lesbiens et des mouvements féministes à partir du point de vue de différents courants du lesbianisme » (quatrième de couverture). La perspective du lesbianisme radical est toutefois privilégiée, comme l’annonce, dans la présentation du recueil, l’hommage rendu à Monique Wittig, auteur à l’origine de l’élaboration de ce courant de pensée (Wittig 1992). Par son appréhension du statut social, plutôt que naturel, de l’hétérosexualité, ce courant situe la domination de la classe des femmes par la classe des hommes dans un régime hétérosocial. Ainsi, les lesbiennes ne sont plus définies comme des êtres dotés d’une orientation sexuelle marginale, et donc d’une essence spécifique, mais comme des sujets politiques. En refusant l’hétérosexualité, elles se soustraient en partie à leur classe de sexe et travaillent à l’abolition du système politique qui a instaurée cette division sociale. D’où la célèbre phrase de Wittig (1983 : 53), « les lesbiennes ne sont pas des femmes », position qui la distingue de celle du « continuum lesbien » d’Adrienne Rich (1981). Ce tournant conceptuel a entraîné une rupture entre féminisme et lesbianisme politiques (matérialistes) au début des années 80. Les textes du recueil sont regroupés autour de quatre grands axes qui témoignent des préoccupations et des implications des collaboratrices : l’histoire, le langage, les sexualités et les institutions. Parmi ces militantes et intellectuelles, figurent des étudiantes et des enseignantes, venant d’horizons variés, tels que la sociologie, la politique, la linguistique, la littérature et les arts. La diversité de leurs styles et de leurs approches permet de contrer le caractère lassant associé aux ouvrages thématiques. La lecture de leurs textes est, en outre, facilitée par leur judicieux enchaînement. Dans la suite de ce compte rendu, je mettrai en relief l’intérêt que représente l’ouvrage sur le plan référentiel, pédagogique et de la recherche. Qui sont les lesbiennes d’un point de vue politique? Quels choix de vie en marge des conduites normées font-elles, pourquoi et comment? Voilà autant de pistes de réflexion qu’ouvre l’examen de leurs pratiques et modes de représentations en regard de l’asymétrie des rapports sociaux de sexe. Un article est ainsi consacré aux démarches identitaires singulières et collectives des lesbiennes (N. Lacelle), un autre, à leurs propos amoureux dans le contexte postmoderne des années 90 (M. Spielvogel), et un troisième, à leurs discours sur le corps, la sexualité et le couple, encore en butte à la conscience dominée telle que l’a analysée Nicole-Claude Mathieu (1985/1991) (N. Chetcuti). Cet examen ne se limite pas à leurs personnes et à leurs communautés, mais il s’étend aussi à leur présence et à leurs investissements en milieu institutionnel. En ce qui concerne le Québec, un article examine leur traitement en centres d’hébergement pour femmes victimes de violence (M. Bonneau) et un autre, au statut encore utopique des études lesbiennes dans ses universités francophones (L. Chamberland). Du côté européen, on s’inquiète, d’une part, de l’impact de l’institutionnalisation des couples lesbiens, par l’entremise de contrats apparentés au mariage, sous l’impulsion du mouvement intégrationniste (D. Charest) et, d’autre part, des stratégies sexistes et lesbophobes mises en place par le système dominant pour contrer les projets visant le changement social (M. Lens). On remarquera l’absence de représentation de la perspective fondée sur la diversité sexuelle (queer), dont la « focalisation sur le symbolique et l’individuel » (p. 18) suscite …
Appendices
Références
- Chamberland, Line, 2002 « La place des lesbiennes dans le mouvement des femmes », revue électronique Labrys, 1-2, juillet et décembre.
- Mathieu, Nicole-Claude, 1991 L’Anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe, Paris, Éditions côté-femmes.
- Mathieu, Nicole-Claude, 1985 « Quand céder n’est pas consentir », L’arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes (dir. N.-C. Mathieu), Paris, Cahier de l’homme.
- Rich, Adrienne, 1981 « La contrainte à l’hétérosexualité et l’existence lesbienne », Nouvelles questions féministes, 1, mai : 15-43.
- Wittig, Monique, 2001 La Pensée straight, Paris, Balland.
- Wittig, Monique, 1992 Straight Mind and Other Essays, Boston, Beacon Press.
- Wittig, Monique, 1980 « La Pensée straight », Questions féministes, 7 (été) : 45-54.
- Wittig, Monique et Sande Zeig, 1976 Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Paris, Grasset.