Comptes rendus

Lucie Piché Femmes et changement social au Québec. L’apport de la jeunesse ouvrière catholique (1931-1966). Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2003, 349 p.[Record]

  • Mona-Josée Gagnon

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  • Mona-Josée Gagnon
    Département de sociologie
    Université de Montréal

L‘ouvrage de Lucie Piché constitue un apport intéressant à l’historiographie du catholicisme québécois tout autant qu’à celle du mouvement des femmes québécoises. Résultat d’une thèse de doctorat en histoire, l’ouvrage a été, on peut l’imaginer, considérablement retravaillé, car la lecture en est agréable, sans que quelque concession ait été faite à la rigueur scientifique (sources scrupuleusement citées, notes de commentaires en bas de page). L’auteure propose de reconnaître le caractère potentiellement émancipatoire de l’organisation de la Jeunesse ouvrière catholique féminine (JOCF) pour ses membres et dirigeantes, en dépit du fait que la JOCF faisait partie du mouvement plus large de l’Action catholique, par conséquent inféodée aux autorités ecclésiastiques. Qui plus est, la JOCF était le rameau féminin de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC), organisation à la fois générale et… masculine (point de JOC-M). Le principe de la non-mixité s’imposant dans la doctrine catholique, les jeunes filles devaient en effet se regrouper à l’écart, non sans être soumises à la commune surveillance ecclésiale. Les dirigeantes élues de la JOCF participaient cependant à la direction du mouvement, le représentaient dans les congrès internationaux, la JOC du Québec étant une section d’une confédération internationale mise sur pied par un ecclésiastique belge (Mgr Joseph Cardijn). Lucie Piché retrace l’entièreté de la vie du mouvement, de sa naissance à sa disparition. Des photos bien choisies complètent le texte. L’ouvrage se distribue en deux parties qui regroupent au total six chapitres. Le premier situe la naissance de la JOCF dans le contexte des mouvements de jeunes et d’action catholique québécois et permet de définir le terreau de ce qu’a été la JOCF, mélange d’influences étrangères (Belgique et France) et locales. Les deuxième et troisième chapitres relatent l’histoire de la naissance de la JOCF et font état de ses structures et de sa composition sociodémographique. Ces trois chapitres, qui forment la première moitié du livre, resituent les lectrices et les lecteurs à l’époque de ces décennies pendant lesquelles l’Église catholique s’est mobilisée contre les idées « socialisantes » qui auraient pu attirer les classes populaires aux prises avec des conditions de vie difficiles. Dans le cas de la JOCF, il s’agissait aussi de prémunir les jeunes travailleuses contre les influences immorales qu’elles auraient pu subir en milieu de travail, de même que de garder à leur souvenir que leur mission première, même si elle était à venir, demeurait d’être des épouses et mères (à temps plein). En filigrane apparaissent les inévitables tensions entre un clergé naturellement autoritaire et méfiant à l’égard des laïcs – et plus encore des laïques – et les responsables du mouvement. Au cours de son évolution, la JOCF a été naturellement tentée de donner autant d’importance à sa mission sociale qu’à sa mission religieuse. Après des débuts plutôt fulgurants, la JOCF a commençé, pour ce qui est du nombre de membres, à s’étioler dès les années 40 et le récit des dernières années amène les lectrices et les lecteurs à s’étonner que la JOCF ait survécu si longtemps malgré la modernisation du Québec. Comptant au départ des membres venant largement du monde ouvrier (incluant les aides domestiques), la JOCF s’est tertiarisée graduellement. Comme le souligne l’auteure, malgré toutes ses contradictions, la JOCF a été pour ses responsables un lieu de formation et d’émancipation pour les filles des classes populaires qui n’avaient guère d’espace pour ce faire. La JOCF a donné aussi des formations pratiques — dont les inévitables formations toutes féminines que l’on imagine sans peine — à ses membres et elle a pratiqué ce que plus tard on appellera de l’« animation sociale » dans tous les coins du Québec, accumulant …