Comptes rendus

Huguette O’Neil Yvette Rousseau, la réussite d’une vie. Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2004, 444 p.[Record]

  • Madeleine des Rivières

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  • Madeleine des Rivières
    Québec

En refermant le livre d’Huguette O’Neil, on se demande comment l’auteure a pu rendre fascinant le récit d’une vie aussi diversifiée… qu’un répertoire ! Comment a-t-elle pu décrire, sans ennuyer la lectrice ou le lecteur, ce dévidoir (pour emprunter une expression de Rilke) de tâches, d’emplois multiples, d’essais, de recommencements, qui ont mené Yvette Rousseau, jeune enseignante d’école de rang, au poste prestigieux de sénatrice ? Il est long le chemin de Saint-Éleuthère (Témiscouata) jusqu’à Ottawa. Huguette O’Neil a réussi ce tour de force dans une langue belle et simple qui sait cultiver l’intérêt et même quelquefois le suspense. Mis à part une introduction un peu lente, retraçant la lignée des ancêtres, le récit démarre et nous entraîne d’un événement à l’autre vers la réussite de cette vie remarquable, pour ne pas dire extraordinaire, qu’a été celle d’Yvette Rousseau. Le talent de l’auteure sait habilement lier la vie professionnelle de son héroïne à sa vie de famille. Il serait facile d’oublier cette dernière au profit de l’ascension étonnante de cette femme passionnée et ambitieuse vers les sommets. En effet, la trajectoire d’Yvette Rousseau ne manque pas de surprendre : institutrice, ouvrière, syndicaliste, sénatrice. Dès son enfance, on sent que le but d’Yvette Rousseau est d’améliorer son sort, de se libérer d’une condition modeste et limitée qu’elle ne méprise pas, mais qui convient nullement à ses aspirations. Elle rêve de s’instruire et, plus tard, de faire instruire ses enfants, quel qu’en soit le prix. À mesure qu’elle prend connaissance de la montée du féminisme, Yvette sent le besoin d’agir. Elle veut changer la vie des femmes qu’elle côtoie et qu’elle voit trimer dans le rôle difficile et résigné d’épouse de colon ou dans celui non moins exigeant d’ouvrière du textile dont elle expérimente elle-même le quotidien. Yvette Boucher naît en 1917, à Saint-Éleuthère, sur les rives du lac Pohénégamook. C’est un lieu de colonisation. Son père, Alexis, bûche pour les grandes compagnies forestières. Il se marie à Bernadette Marchand qui lui donne douze enfants dont Yvette est l’aînée. L’auteure décrit bien la vie misérable de ces familles contraintes à suivre le père dans les différents chantiers ou à défricher une terre souvent ingrate pour s’y bâtir une maison. Elle montre à quel point les femmes de ces colons tiennent avant tout à faire instruire leurs enfants. La mère d’Yvette, Bernadette, était de celles-là. Elle obtient enfin d’ancrer sa famille, pour un temps, à Saint-Éleuthère afin que les petits puissent aller à l’école. Au dire de sa biographe, Yvette est très intelligente et réussit bien en classe. L’institutrice se rend compte du talent de la petite fille et l’encourage à poursuivre ses études au-delà du primaire. En 1929, l’économie de la province vacille. L’auteure fait découvrir avec un réalisme prenant l’impact de la crise des années 30 sur les plus pauvres. Elle révèle, en même temps, le courage et l’ingéniosité des femmes de l’époque. Que n’ont-elles pas inventé pour subvenir aux besoins d’une famille nombreuse ? À 15 ans, Yvette s’exile pendant les mois d’été, de l’autre côté de la frontière toute proche, et travaille comme domestique. Il lui faut gagner un peu d’argent pour payer ses études au couvent de Rivière-Bleue. En 1933, la jeune fille obtient avec succès son brevet d’enseignement qu’elle appellera plus tard « son petit diplôme ». La municipalité lui confie l’école du rang Huit de Saint-Athanase. À 16 ans, Yvette est responsable d’une classe de 45 élèves, du cours préparatoire à la sixième année. La biographe, qui a pu consulter les notes intimes de son amie, révèle « que ces deux années d’enseignement apprennent à Yvette …