Depuis la diffusion des premiers résultats de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEFF) en 2001 et la récente publication du rapport final de celle-ci en 2003, la France est traversée par un vent de polémique sur la quantification des violences faites aux femmes et sur la manière de les appréhender. Sujet très peu abordé jusque dans les années 90 par les chercheuses féministes françaises, malgré des articles de référence, l’émergence dans l’espace public de la question des violences semble avoir parallèlement ravivé un antiféminisme. À travers la désignation d’une approche qui victimiserait les femmes, comme l’affirme la philosophe Élisabeth Badinter (2003), c’est bien à une remise en cause sous-jacente des concepts de domination masculine et de continuum des violences que l’on assiste ; or ceux-ci constituent précisément la base d’une analyse féministe des violences. Dans un contexte des mauvaises heures du féminisme français et d’un État sécuritaire qui joue sur les peurs réelles ou fantasmées des citoyens et des citoyennes, la sortie du dernier numéro des Cahiers du genre, consacré à la thématique des violences, invite à la réflexion. Il est donc question ici de la violence — qui aurait sans doute mérité un pluriel tant ses facettes sont multiples —, des mots qui permettent de la désigner et de la nommer et, enfin, du corps, vecteur sexué de la souffrance engendrée. L’objectif annoncé par les coordonnatrices de la publication est de montrer que la violence est sexuée : « la question des rapports différenciés des hommes et des femmes vis-à-vis de la violence est sous-jacente à ce dossier » (p. 8). Et plus loin : « Ce numéro voudrait ainsi contribuer à la mise au jour des divers processus de la violence, et à la résolution des stigmates que ces violences marquent sur les corps par les mots et les actes » (p. 12). Une place importante est ainsi laissée au vécu des violences, lesquelles ont été appréhendées comme un rapport de force, de domination entre les hommes et les femmes. Les auteures respectent en cela le regard anthropologique de Françoise Héritier pour qui la violence est plus précisément définie comme « toute contrainte de nature physique ou psychique susceptible d’entraîner la terreur, le déplacement, le malheur, la souffrance ou la mort d’un être aimé » (Héritier 1996a : 17). L’ensemble des articles qui allient anthropologie, démographie, sociologie, ethnologie et psychanalyse n’entendent pas uniquement traiter des violences masculines à l’encontre des femmes mais plus largement de la perception de l’un et l’autre sexe devant les différentes formes de violence. L’articulation entre violence et domination masculine est l’objet des deux premiers articles de la revue dont la fonction est justement de fixer le cadre général de réflexion. Aux origines de la violence, il y aurait l’Autre, celui ou celle qui diffère de soi, postule Françoise Héritier. La violence, résultante de l’interaction de l’identité de l’individu à celle des autres, est intrinsèque à la vie en société. Elle serait le fruit de besoins ou d’affects universels élémentaires qui se seraient mal imbriqués, à savoir la satisfaction des besoins vitaux, le besoin de confiance et de sécurité, le besoin de protection d’où résultent la domination et le sentiment de puissance et, enfin, le sentiment du juste et de l’injuste qui conditionne la libre disposition de soi. L’intolérance serait, dès lors, la négation de l’humanité de l’Autre, comme l’illustre l’exemple des castes en Inde qui excluent selon la double division pur/impur et sale/propre. Cet article qui tente d’expliquer les fondements de la violence dans la société contribue à alimenter la thèse de l’auteure sur la valence différentielle des sexes …
Appendices
Références
- BADINTER, Élisabeth, 2003 Fausse route. Paris, Odile Jacob.
- HANMER, Jalna, 1977 « Violence et contrôle social des femmes », Questions féministes, 1, novembre : 69-90.
- HÉRITIER, Françoise, 1996a De la violence. Séminaire de Françoise Héritier, t.1. Paris, Odile Jacob.
- HÉRITIER, Françoise, 1996b Masculin/féminin. La pensée de la différence. Paris, Odile Jacob.
- HIRIGOYEN, Marie-France, 1998 Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien. Paris, Syros.
- IACUB, Marcela et Hervé LE BRAS, 2003 « Homo mulieri lupus ? », Les Temps modernes, 623, février-mars-avril : 112-134.
- MATHIEU, Nicole-Claude, 1985 L’arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes. Paris, EHESS, Coll. Les Cahiers de l’Homme.