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La mondialisation et les technologies de l’information et de la communication (TIC) permettent désormais de diffuser des données jusque dans des régions et des milieux sociaux autrefois difficiles d’accès. Cependant, l’organisation des circuits et les intérêts financiers entraînent la diffusion des mêmes informations dans la presse imprimée, radiophonique, télévisuelle et informatique. Le choix de ces informations reflète le plus souvent les intérêts de leurs propriétaires au détriment de l’équité et de la justice sociale. Partout dans le monde, ceux et celles qui font l’objet d’exclusion économique raciale ou autre sont généralement exclus des moyens de communication. Notamment pour ces raisons, à Beijing, en 1995, à l’occasion de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes, on avait tenu à inclure les médias parmi les champs d’action prioritaires. Cet ouvrage présente les progrès accomplis en matière d’appropriation des médias par les femmes engagées dans des Organisations non gouvernementales (ONG) depuis cette conférence. Il se divise en trois grandes parties dont la première décrit le rapport mondial des ONG par régions selon le découpage de l’Organisation des Nations Unies (ONU) (Afrique, Asie-Pacifique, monde arabe, Amérique latine-Caraïbe et Europe-Amérique du Nord). On expose ensuite une sélection des meilleures pratiques dans le monde et, pour terminer, on effectue une évaluation parallèle pour servir de document de lobby dans le processus onusien.

L’évaluation des progrès accomplis dans toutes les régions du monde représentait une tâche complexe de par la diversité des actions, des cultures et des langues ; pour obtenir l’information nécessaire, les représentantes des ONG ont dû mettre au point un réseau de communication de grande envergure ; ce réseau et cette action, elles les ont nommés : « WomenAction 2000 ». La coordination a été confiée au Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF) de Montréal dirigé par Sharon Hackett, qui signe le chapitre d’introduction. En soi, WomenAction 2000 est un exemple peu commun d’efficacité solidaire, à l’instar de l’organisation de la Marche mondiale des femmes.

Bien que les discours introductifs apparaissent parfois triomphalistes sur le rôle potentiel des médias, notamment d’Internet « pour faire avancer l’avènement d’un ordre plus juste et équitable entre les genres » (p. 15), le constat est évident. Peu de choses ont changé (p. 21) :

Six ans plus tard, dans toutes les régions du monde, les grands médias continuent à stéréotyper et à banaliser les besoins et les préoccupations des femmes. Celles qui travaillent dans les médias occupent encore les postes les plus bas et sont confrontées à des obstacles invisibles (le plafond de verre) très réels et difficiles à surmonter. Même si un plus grand nombre de femmes entreprennent des études de journalisme et de communication, ce sont également elles qui abandonnent le plus souvent la profession. Au bureau, elles font l’objet de discrimination, de harcèlement sexuel et sont traitées comme citoyennes de seconde classe.

Les TIC ont eu des conséquences négatives tout autant que positives sur les organisations et les réseaux : « Au fur et à mesure qu’un plus grand nombre de femmes se réunissent pour élaborer des stratégies pour changer les choses, les choses deviennent de plus en plus difficiles à changer » (p. 23). Et pour cause, la propriété des médias et le niveau de concentration médias-industries résultant de la convergence des TIC avec les médias traditionnels soulèvent la question du contrôle dans de nombreux pays. La mondialisation et la monopolisation des médias rendent difficile la responsabilisation, alors que des conglomérats régionaux et internationaux achètent et vendent des fréquences nationales de diffusion, la presse écrite, des programmes de télévision, de câblodistribution et des films tout en ayant peu ou pas de comptes à rendre ni aux gouvernements ni à la société civile.

L’ensemble de l’ouvrage montre le rôle important que jouent les médias alternatifs en construisant des ponts entre les secteurs dominants et informels et en faisant connaître des préoccupations non soulevées par les autres. L’approche pragmatique est fondée sur cette idée que les grands médias ne parlent pas des préoccupations des femmes et véhiculent des préjugés sexistes qui leur nuisent ; une Africaine remarque justement que la mondialisation permet aux multinationales d’être reçues dans les parties du monde les plus reculées pour peu qu’il y ait un minimum d’infrastructure : « les images qui sont véhiculées causent partout un tort aux femmes » (p. 37). On peut déplorer que, malgré ce constat, le rapport ne fasse état nulle part de travaux sur la réception selon les publics ; la mise en commun des expériences de réception permettant à des femmes de partager les raisons des plaisirs et déplaisirs qu’elles trouvent dans la fréquentation des médias dominants (cinéma, téléfilm, magazine, etc.) recèle aussi un pouvoir d’action, de mobilisation et d’éducation certain.

Dans le monde arabe également « les médias jouent un rôle crucial dans la construction de l’image de la femme et dans l’orientation des représentations collectives et des attitudes à son égard. Un travail de sensibilisation et de responsabilisation des journalistes s’impose » (p. 49). En Argentine, alors que les filles représentent 52 % des personnes inscrites au deuxième cycle en journalisme et communication (et 70 % au troisième cycle), les droits démocratiques à des sources d’information pluralistes et aux moyens d’exprimer des points de vue sont menacés par la concentration des médias et de l’industrie des communications. Comme ailleurs, la déréglementation économique et le libre marché font fi des principes d’éthique et d’équité. L’information, transformée en produit, n’est plus un droit.

Depuis 1992, le Réseau des femmes de l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC) conçoit des ateliers sur les communications comme élément clé de sa politique de chances égales pour les femmes dans les productions radiophoniques. Cette éducation aux médias s’avère d’autant plus importante qu’elle est aussi l’occasion d’éducation par les médias ; ainsi, dans les ateliers de formation à la radio, ouverts aux hommes, on invite ceux-ci à participer à l’analyse de la « construction culturelle de l’identité masculine ».

Les constats diffèrent selon les cultures et les régimes politiques. Au Myanmar, l’ancienne Birmanie, une loi interdit aux citoyens et aux citoyennes de posséder des ordinateurs, des modems, des télécopieurs ou des photocopieurs sans une autorisation gouvernementale. En Indonésie, alors que, comme en Inde, en Malaisie et aux Philippines, des femmes ont réussi à accéder à des postes de cadre supérieure dans les entreprises médiatiques, des ONG font des reportages pour documenter des comptes rendus de femmes victimes, car l’État refuse de reconnaître l’existence de la violence domestique envers les femmes. Dans les Îles du Pacifique, où les filles sont rarement encouragées à étudier, Internet les intimiderait et elles le considéreraient plutôt « comme un domaine qu’il vaut mieux réserver aux hommes » (p. 46).

La seconde partie de l’ouvrage, titrée : « Nouvelles voix, nouvelles images », présente les meilleures pratiques des femmes partout au monde (plus de 40) ; ces pratiques ont été sélectionnées en fonction de leur succès, selon cinq catégories : les contacts avec les médias, la promotion, la surveillance des médias, les codes et standards et l’usage des TIC. Dans la catégorie « codes et standards », on évalue les obstacles à l’adoption d’un code de déontologie veillant à ce que les reportages et les éditoriaux tiennent compte de l’égalité des sexes. Il est de plus en plus reconnu que des codes, moins sujets à interprétation que ceux qui existent dans certains pays, pourraient aider à améliorer la qualité du journalisme. L’intégration de la « sexospécificité » est vue comme un processus qui peut constituer un outil important de changement. À cette fin, les activités de recrutement et de formation de journalistes capables de tenir compte des rapports sociaux de sexe dans leurs articles ont été retenues comme des modèles.

Il faut noter aussi l’exemple français des Pénélopes, qui ont développé une stratégie offensive dite de « harcèlement médiatique » ; elles ont pris le leadership du journalisme féministe dans la couverture d’événements importants tels que Davos, le Forum mondial à Porto Allegre, le Sommet des peuples des Amériques à Québec. Leur site Web (http://www.mire.net/penelopes/) créé en 1997 leur a permis de produire et de sélectionner des contenus qui apparaissent différents parce qu’ils sont traités dans une perspective de genre.

Partout dans le monde, les femmes martèlent la même idée : les contenus médiatiques doivent respecter la pluralité et la diversité des voix et des images qui favorisent l’équité et la justice entre les sexes. Et partout on critique l’usage du corps des femmes pour promouvoir les ventes ou augmenter le lectorat. Les études n’enregistrent aucun progrès sur ces points. Au contraire, l’évaluation parallèle conclut que « la représentation des femmes dans les médias continue d’être stéréotypée, accompagnée d’une augmentation considérable d’images qui perpétuent la violence à l’égard des femmes » (p. 125).

Les obstacles sont nombreux et d’abord d’ordre politique. Les changements politiques, tels que ceux qui se sont produits en Albanie, en Autriche, en Pologne, en République slovaque et au Royaume-Uni, ont eu des répercussions négatives sur tous les aspects des revendications des femmes. La poussée en vue de développer rapidement l’économie de marché a encouragé la production de pornographie. Dans certaines publications privées hautement commercialisées, la pornographie « douce » est devenue le fondement des stratégies commerciales. Internet est aussi utilisé pour faire le commerce et le trafic de femmes.

L’entreprise d’évaluation mondiale de l’évolution de la représentation des femmes dans les médias, de leurs pratiques et des politiques à cette fin était périlleuse, et le résultat obtenu dans cet ouvrage n’est pas à l’abri de la tendance à généraliser les situations et les positions. Les auteures notent elles-mêmes que le découpage par régions de l’ONU ne permet pas de rendre compte des différences à l’intérieur même des régions. De plus, il n’existe aucun processus uniforme mondial d’examen et d’évaluation ; aucun indicateur n’a été convenu pour mesurer les progrès ou les régressions en ce domaine ; les contraintes de la structure et des types de procédure de l’ONU rendent difficile la définition de mesures de responsabilisation que les États membres sont obligés d’accepter souvent par opportunisme politique.

Ce travail est toutefois remarquable par le fait qu’il dépasse le stade des données quantitatives sur la représentation des femmes pour exposer les situations des militantes dans leurs usages des symboles, des valeurs et des significations tellement similaires malgré la diversité des cultures, des langues et des régimes politiques. Cependant, l’anglais y est souvent mal traduit. Le vocable « féministe » n’apparaît pas dans l’ouvrage. Il a été remplacé par celui de « sexospécifique ». On peut penser que la prise en considération de la « sexospécificité » est un outil du féminisme qui témoigne du fait que les militantes d’aujourd’hui ont appris à être stratégiques. La prise de conscience résultant des efforts de lobby des femmes est importante. Le répertoire des organisations citées comprend près de 90 noms et adresses. Nous reconnaissons avec les auteures que leur démarche permet de mieux insister sur le fait que leurs actions, en visant l’avancement des femmes, travaillent aussi à l’avènement d’une société plus démocratique pour les hommes et les enfants.