Animée par des questionnements tirés à la fois de son vécu personnel et de son contact avec les études féministes, Nathalie Ricard a voulu connaître l’expérience d’autres femmes déterminées, tout comme elle, à conjuguer maternité et lesbianisme malgré l’antinomie apparente de ces termes engendrée par les représentations culturelles des « mères » et des « lesbiennes ». Décidant d’en faire le sujet d’un mémoire de maîtrise en intervention sociale, elle s’aventurait alors dans un champ d’études peu documenté, avec comme principal outillage un désir de se mettre à l’écoute et une curiosité sans bornes qui allait la mener à explorer de multiples facettes du phénomène de la maternité exercée par des lesbiennes. OEuvre d’une pionnière, l’ouvrage Maternités lesbiennes tire également son originalité du fait que l’auteure focalise son regard sur les mères, alors que le traitement médiatique d’un tel sujet dérive quasi inévitablement vers les enfants : leur développement, leurs droits, l’impact de l’absence du père, etc. De 1994 à 1996, l’auteure a rencontré plus d’une trentaine de lesbiennes au cours d’entrevues individuelles ou lors de forums de discussion organisés par des organismes de femmes et de lesbiennes. Ces échanges, semi-structurés, ont porté notamment sur leurs représentations de la maternité et de la famille, sur les joies et les problèmes quotidiens, les façons de nommer et de concevoir les arrangements familiaux qu’elles créent, les relations avec l’entourage et avec les institutions éducatives (garderie, école), les valeurs qu’elles tentent d’insuffler à leurs enfants, les craintes que ceux-ci et celles-ci ne soient exposés à des réactions homophobes et les moyens de les protéger de l’hétérosexisme ambiant. Le premier chapitre examine les conséquences de la visibilité des mères lesbiennes sur les plans social, culturel et juridique. Comment nommer des modes de vie familiale qui rompent avec les présomptions hétérosexistes des représentations conventionnelles de la famille ? Rejetant la neutralité apparente et trompeuse du terme « parent », l’auteure opte pour des expressions telles que « familles lesbiennes » et « maternités lesbiennes », afin de sortir de l’ombre ces mères qui, souhaite-t-elle réitérer, ne sont pas toutes hétérosexuelles et de traduire la volonté de plus en plus affirmée par plusieurs d’entre elles de concilier ouvertement maternité et lesbianisme. Car c’est là que réside la nouveauté du phénomène, comme le rappelle l’auteure, et non dans le fait que des lesbiennes exercent des fonctions maternelles à l’égard de leurs enfants ou encore de ceux ou celles d’une conjointe, voire de leur entourage. À plusieurs reprises, Ricard rappelle la diversité des trajectoires identitaires, en tant que mères et en tant que lesbiennes, autant de parcours complexes et changeants dont ne rendent pas compte les catégorisations courantes des genres et des orientations sexuelles. Elle insiste également, et avec raison, sur la pluralité des configurations familiales, lesquelles varient, entre autres, selon l’origine de la maternité (coït hétérosexuel, insémination alternative ou adoption), le contexte initial du projet parental (à l’intérieur d’un couple hétérosexuel ou lesbien, ou en situation de monoparentalité), selon les liens établis entre les conjointes actuelles et avec les enfants de l’une ou de l’autre, ou des deux à la fois, de même qu’avec le père biologique de l’enfant s’il y a lieu. Elle établit toutefois une césure entre la mère juridique et la seconde mère, qu’elle qualifie de non juridique, celle qui occupe la position la plus insécurisante et « la plus politisée » (p. 39) puisque son statut n’est pas reconnu et ne peut l’être sans remettre en question la conception traditionnelle des rapports d’alliance et de filiation qui constituent la famille. Ricard s’oppose vigoureusement au double standard moral qui autorise le maintien des discriminations …
Nathalie RicardMaternités lesbiennes. Montréal, Les éditions du remue-ménage et IREF, 2001, 189 p.[Record]
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Line Chamberland
Institut de recherches et d’études féministes
Université du Québec à Montréal