FR:
Cet article se donne pour but d’examiner l’expression et la représentation des passions dans les dizains spéculaires de Délie, object de plus haulte vertu de Maurice Scève à la lumière de plusieurs traditions (ovidienne, platonicienne, pétrarquiste, ficinienne, etc.). Il s’agira donc d’analyser les usages multiples de la symbolique des miroirs dans le texte, ainsi que les réseaux de sens liés aux passions suscitées par la contemplation spéculaire. Le miroir sert non seulement de médiateur au désir, à travers le « Cristal opaque » (D229) qui renvoie l’image de la bien-aimée, mais il est parfois même personnifié pour pouvoir exprimer ses propres plaintes d’amour et le pouvoir paradoxal de l’oeil de la « Damoiselle » qui a le même effet sur lui que sur les hommes (D230). Ses jeux d’absence et de présence, de surface et de profondeur évoquent aussi l’inaccessibilité de la Dame dans cette « heureuse fontaine » qui cèle l’image de Délie dans ses « sacrées undes » (D235). Il sert également à évoquer le regard mortifère de la dame dont la face s’avère un « miroir meurdrier de ma vie mourante » (D307). La métaphore du miroir sert aussi à évoquer le regard introspectif de l’amant-poète qui se contemple. Entre autres, nous pourrons nous demander si cette « méditation du miroir reste dominée par l’univers platonicien des Idées » comme le suggère Jean Frappier — si « le mythe de Narcisse » est vraiment « dépassé, purifié » dans le texte scévien.
EN:
This article examines the expression and portrayal of passion in the mirror poems of Maurice Scève’s Délie, object de plus haulte vertu, in light of several traditions (influenced by Ovid, Plato, Petrarch, Ficino, etc.). It analyzes the multiple uses of mirror metaphors in the text, along with symbolic networks related to conflicting desires, thoughts, and emotions brought about by the specular contemplation of the self and the love object. The mirror serves not only as a mediator of desire, through the “Cristal opaque” (of D229, for example) that reflects the image of the beloved. It is sometimes personified, so that it may express its own cries of love and sorrow, and the paradoxical power of the Lady’s eyes that can affect it in the same way as it does men (D230). Plays on the co-opposites of presence and absence, or surface and depth, are used to evoke the inaccessibility of the Lady in the “heureuse fontaine” that hides Délie’s image in its sacred waters (D235). In addition, the looking glass evokes the fatal gaze of the Beloved whose face becomes a “miroir meurdrier de ma vie mourante” (D307). Mirror metaphors are also used to evoke the introspective gaze of the poet-lover who contemplates his own emotional state. Among other things, we will reconsider Jean Frappier’s thesis that this specular meditation is dominated by the Platonic world of Ideas and that these poems go beyond the Narcissus myth, which he sees as “surpassed, purified” in Scève’s text.