Revue multidisciplinaire sur l'emploi, le syndicalisme et le travail
Volume 10, Number 1, 2015 Réforme de l’assurance-chômage et politique d’emploi : contrainte, compétition et mobilité Guest-edited by Dalia Gesualdi-Fecteau and Rachel Cox
Table of contents (7 articles)
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Réforme de l’assurance-chômage et politique d’emploi : contrainte, compétition et mobilité : texte introductif
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La justice administrative dans l’État providence. Quelques leçons de l’histoire de l’assurance-chômage
Pierre Issalys
pp. 8–32
AbstractFR:
Ce texte rappelle l’arrière-plan historique des changements apportés à compter de 2013 au système des recours dans le régime canadien d’assurance-emploi. Dès leur origine et par leur évolution, les instances décisionnelles en matière de prestations d’assurance-chômage ont constitué une contribution notable au renouvellement des institutions administratives au Canada. Le cheminement historique de cet aspect de la protection sociale illustre le lien étroit entre l’édification de l’état providence et le développement de la justice administrative. Positif à plusieurs égards, le bilan de cette évolution dans la procédure administrative de l’assurance-chômage jusqu’en 2012 appelait néanmoins un double constat d’inaboutissement, quant à l’aménagement des recours, et de renoncement, quant à l’aménagement de la phase initiale du processus décisionnel. La comparaison avec l’évolution des institutions britanniques, devancières et inspiratrices du modèle canadien, confirme cette évaluation en demi-teintes. Par rapport à toute cette expérience historique, les modifications de 2013, sous d’apparentes avancées, font appréhender un recul, notamment sur le plan de la participation citoyenne, de la justice de proximité et de la communication optimale entre agents publics et citoyens.
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Le droit aux prestations d’assurance-emploi soumis à l’épreuve du processus d’appel. Les mécanismes de contestation avant et après la réforme de 2013
Stéphan Corriveau
pp. 33–61
AbstractFR:
Dans le cadre des deux lois omnibus adoptées à l’occasion du budget de 2012, le gouvernement fédéral a réformé le programme d’assurance-emploi. Si cette réforme s’inscrit dans la continuité des différentes réformes mises en oeuvre depuis 1990 qui ont successivement restreint les droits des assurés et des prestataires, elle s’est distinguée par l’ampleur des modifications apportées au processus de contestation des décisions de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (CAEC). Ces derniers changements auront un impact sur la mise en oeuvre du droit aux prestations d’assurance-emploi, surtout que les règles de droit substantiel du programme lui-même ont changées simultanément. Le texte présente la nouvelle procédure et il analyse les effets de la réforme sous l’angle de l’accès à la justice et de l’équité procédurale. Ces deux concepts sont traités ici comme des notions socio-juridiques qui prennent en compte à la fois des facteurs juridique traditionnels comme l’indépendance et l’impartialité des décideurs, mais aussi des considérations telles que la littéracie des prestataires, la complexité des démarches, les délais et l’accès aux informations pertinentes ou encore le recours généralisé à la technologie (téléconférence, vidéoconférence, numérisation des documents, etc.). L’article conclut que le droit effectif aux prestations est restreint par le nouveau processus de contestation.
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Réforme de l’assurance-emploi. La notion d’emploi convenable à la lumière du critère de la rémunération offerte
Mathilde Valentini
pp. 62–80
AbstractFR:
L’article qui suit examine les nouvelles dispositions réglementaires en assurance-emploi prévoyant la rémunération minimale pour qu’un emploi soit qualifié de « convenable » et analyse en quoi ces dispositions modifient l’état du droit au regard de la jurisprudence antérieure à leur adoption. Dans un premier temps, l’auteure examine la définition d’« emploi convenable » au sens de la Loi sur l’assurance-emploi avant la réforme du 6 janvier 2013 et l’interprétation qui en était donnée par la jurisprudence au regard de la rémunération. Dans un deuxième temps, elle étudie les nouveaux critères relatifs à la rémunération d’un « emploi convenable », introduits dans le Règlement sur l’assurance-emploi. Dans un troisième temps, l’auteure s’intéresse à la notion de « situation financière moins avantageuse » prévue au nouveau règlement.
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Les femmes et l’assurance-emploi. Une lutte pour la reconnaissance de l’égalité
Ruth Rose
pp. 81–107
AbstractFR:
En raison de leurs responsabilités familiales, les femmes ont un rapport avec le marché du travail qui est différent de celui des hommes. Dès ses débuts, le régime canadien d’assurance-chômage a incorporé des mesures discriminatoires à l’égard des femmes. Le préjugé voulant que le revenu des femmes ne soit qu’un revenu d’appoint et qu’elles ne « méritent » pas la même protection sociale que celle des hommes persiste dans la conception et l’application du Régime d’assurance-emploi. La règle dite DEREMPA, les exigences plus strictes pour l’accès aux prestations spéciales et, surtout, les critères d’admissibilité plus sévères pour les personnes travaillant à temps partiel sont les manifestations de ce préjugé. Les nouvelles règles redéfinissant la notion d’un « emploi convenable » pour tous les prestataires, particulièrement les prestataires fréquents, risquent d’affecter les femmes plus que les hommes, puisqu’elles occupent plus souvent des emplois temporaires que les hommes et qu’elles ont déjà plus de difficultés à satisfaire aux conditions d’admissibilité à l’assurance-emploi. La règle qui limite une période de prestations à 52 semaines vise presque exclusivement des femmes qui auraient reçu 50 semaines des prestations spéciales (maladie, maternité, parentales, soignants), mais qui se trouvent réellement en chômage après un congé parental. De plus, l’application des deux semaines de carence et d’autres mesures visant à inciter les chômeurs à se trouver un nouvel emploi rapidement ne sont pas appropriées dans le cas des prestations spéciales.
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Le droit humain à la protection sociale et le risque du chômage : doit-on capituler ?
Lucie Lamarche
pp. 108–130
AbstractFR:
La plus récente réforme de l’assurance-emploi au Canada remonte à 2013. C’est une réforme qui prétend maximiser le potentiel de ce régime de protection sociale d’arrimer les besoins du marché du travail et les travailleurs disponibles à l’emploi. La réforme de 2014 comporte à cet effet des dispositions brutales, telles celles relatives à l’évaluation du refus d’un emploi jugé convenable, refaçonné, lequel peut entraîner la suspension des prestations d’assurance-emploi. Pour plusieurs, cette dernière réforme s’inscrit dans le continuum des mesures législatives destinées à rendre plus hasardeux l’accès aux prestations d’assurance-emploi. Nous croyons cependant que celle-ci s’inscrit plutôt dans le récent virage de l’État néo-providentiel. Si l’État social néo-libéral a eu pour effet de transformer le statut des bénéficiaires du droit à la protection sociale en celui de ressources humaines mises à la disponibilité immédiate du marché du travail, l’État néo-providentiel se distingue pour sa part par la reconnaissance du besoin d’un réinvestissement dans les mesures de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et ce, à l’échelle planétaire. Dans ce contexte nouvellement minimaliste en matière de protection sociale, doit-on renoncer au droit à l’assurance-emploi ?
La première partie de cet article s’intéresse aux dimensions philosophiques – la liberté du travail et ses conditions d’exercice – et politiques – l’exercice du travail nécessite que l’on veille à la satisfaction des besoins des base- de la plus récente réforme canadienne en matière d’assurance-emploi. La seconde partie de l’article propose l’analyse de la même question sous l’angle des droits humains, et plus particulièrement du droit à la sécurité sociale prévu au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Puis, elle s’intéresse à la récente initiative de l’Organisation internationale du travail pour les socles minima de protection sociale concrétisée par la Recommandation no 202 adoptée en 2012.
Suite à cette analyse, nous concluons à l’existence d’un virage international en faveur de la fonction minimaliste – à savoir la satisfaction des besoins de base des personnes et des familles – des mesures dites de protection sociale. Un tel niveau de protection sociale consacre non pas la préséance de l’égalité dans le paradigme de la protection sociale mais bien plutôt celui de la liberté et de l’égalité des chances, sis tant est que les besoins de base soient satisfaits. Dans un tel contexte, il reste bien peu de choses du régime canadien d’assurance-emploi, historiquement destiné à remplacer le revenu de l’emploi perdu.
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Les magistrats face à l’ignorance de la Loi sur l’assurance-emploi – de la lutte contre la « fraude » et « l’insouciance » à la reconnaissance du non-recours aux prestations
Martin Gallié
pp. 131–157
AbstractFR:
Dans la lignée des travaux sur le « non-recours » aux droits et aux prestations, cet article veut montrer en quoi le discours sur les « fraudeurs » ou sur les « profiteurs » de l’assurance-emploi – véhiculé par le patronat et le gouvernement conservateur pour justifier la vaste réforme de 2012 – renforce les stéréotypes sur les prestataires et contribue à discréditer le droit à la protection contre le chômage. Ce discours participe ainsi à limiter la demande de prestations et à masquer les dysfonctionnements graves de ce régime au coeur de l’État social canadien. Or, selon les données disponibles, plus du quart des chômeurs et des chômeuses admissibles ne perçoivent pas les prestations auxquelles ils pourraient légalement prétendre ; et ce, en raison notamment, d’un manque d’information ou d’une mauvaise information. Malgré ces chiffres, les demandes de prestations déposées hors délai pour ces motifs restent majoritairement traitées comme un problème d’ordre individuel, une preuve « d’indifférence ou d’insouciance » pour reprendre les termes de la jurisprudence. L’ignorance de la loi ou la désinformation ne sont qu’exceptionnellement reconnues comme des arguments recevables par les magistrats pour accorder des prestations demandées hors délai. Et cela, même quand les juges se déclarent convaincus de la bonne foi des prestataires.