Abstracts
Résumé
En parcourant l’historique des revendications, des orientations et des prises de position des grandes centrales québécoises au cours des trente dernières années, force est de constater que celles-ci se sont d’abord cantonnées dans une position défensive visant à contrer la progression du travail atypique. Longtemps à la remorque d’autres organisations de la société civile lorsqu’il s’est agi de défendre aussi les intérêts des travailleurs s’exerçant sur les marchés périphériques du travail, les centrales ont lentement pris acte des transformations fondamentales des marchés du travail et de l’obligation d’agir « malgré et avec » les changements. Au tournant du millénaire, les centrales se sont progressivement tournées vers des stratégies plus variées cherchant à prendre en compte les besoins différenciés des travailleurs atypiques. Plutôt que de simplement combattre la prolifération de l’emploi atypique, les centrales syndicales insistent désormais sur l’amélioration des situations dans lesquelles se retrouvent ces travailleurs. Le principe général d’égalité de traitement affirmant qu’à travail égal il faut un salaire égal sera progressivement reformulé de manière à répondre aux nouvelles formes que prend l’emploi. Des efforts significatifs ont été faits afin de recruter de nouveaux membres parmi les travailleurs atypiques, notamment dans le secteur tertiaire privé où abonde l’emploi à temps partiel ainsi qu’auprès de travailleurs temporaires. Contrairement aux idées reçues, les centrales se sont aussi mobilisées afin d’organiser collectivement de nombreux groupes de travailleurs autonomes. Le fait que les grandes centrales syndicales du Québec se soient finalement prononcées pour l’interdiction totale des clauses de disparité de traitement en fonction du statut d’emploi constitue également une avancée importante. Cela dit, la persistance de ces clauses « orphelin » a un impact considérable sur la capacité du syndicalisme à affirmer sa raison d’être et apparaît aujourd’hui comme un enjeu majeur, notamment pour les nouvelles générations de travailleurs.
Mots-clés :
- syndicalisme,
- travail atypique,
- travailleurs pauvres,
- Québec,
- Au bas de l’échelle,
- clause « orphelin »,
- clause de disparité de traitement
Article body
Introduction
Depuis près de trente ans, nous assistons à une véritable mutation qui propulse un nombre toujours plus grand de personnes vers les marchés périphériques du travail. Deux phénomènes concomitants sont particulièrement remarquables : le recul de l’emploi à temps plein régi par un contrat à durée indéterminée et la forte croissance du travail atypique, sous toutes ses formes (travail à temps partiel, temporaire, autonome ou « dit » autonome, cumul d’emplois, etc.). Non seulement la succession des cycles économiques accroît chaque fois davantage le nombre de chômeurs relégués à la marge du marché du travail, mais il semble de plus en plus évident que les périodes de reprise économique ne créent pas suffisamment d’emplois permanents à temps plein pour empêcher la progression – sur le long terme – des formes d’emplois atypiques. La part de l’emploi atypique dans l’emploi total est en effet passée de 16,7 % à 38,1 % entre 1976 et 2011 (ISQ, 2011 : 1)[2]. Plus encore, les travailleuses et les travailleurs qui sont propulsés vers le travail atypique, bien souvent contre leur gré, souffrent de nombreux déficits : rémunération moindre, accès restreint aux régimes d’avantages sociaux privés, admissibilité partielle aux régimes publics de protection sociale, à la représentation syndicale et à la négociation collective (voir notamment Desrochers, 2000 ; Bernier et coll., 2003 ; Noiseux, 2008). La centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques du travail et la précarisation sont ainsi deux facettes d’une nouvelle réalité marquée également par une dynamique de rehiérarchisation des rapports entre les travailleurs sur la base du sexe et de l’âge ainsi que par une logique d’individualisation croissante des relations de travail qui tendent à se remarchandiser (Noiseux, 2008).
À cet égard, le rôle de l’État n’est pas neutre. Sous la pression de la mondialisation des marchés, la recherche de flexibilité sur les marchés du travail a été érigée en politique d’emploi. L’État employeur a lui-même eu recours à la flexibilité par la multiplication des statuts, et l’État régulateur a montré très peu d’empressement à ajuster les régimes de protection sociale et les lois du travail aux besoins différenciés des travailleurs atypiques. Bref, on pourrait discuter longuement des efforts mis en oeuvre par les gouvernements et les employeurs dans leur lutte commune contre les travailleurs, mais, comme Yates le remarque avec pertinence, « While this would make us feel righteous in our anger, it would not move us very far forward » (2004 : 172). Dans ces circonstances, il nous semble nécessaire, voire plus prometteur, de porter notre attention sur les efforts engagés par les organisations syndicales afin de défendre les travailleurs atypiques.
Dans ce court article, nous chercherons donc à prendre la mesure de la capacité des organisations syndicales à renouveler leur approche afin de pouvoir défendre aussi les travailleurs atypiques, voie que Yates (2004) et de nombreux penseurs du syndicalisme (p. ex. Murray, 1989 ; Rose et Chaison, 2001 ; Haiven, 2003 ; Dupuis, 2004) ont reconnue comme étant prioritaire. À cette fin, nous procéderons en deux temps. Il s’agira d’abord pour nous, en nous appuyant sur les archives syndicales, de dresser l’historique des principales prises de position, des revendications et des actions touchant les travailleurs atypiques mises en avant, depuis le tournant des années 1980, par les trois plus grandes centrales syndicales multisectorielles du Québec, c’est-à-dire la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Centrale des syndicats démocratiques (CSD)[3]. Nous présenterons ensuite une chronologie des prises de position d’Au bas de l’échelle, un groupe populaire défendant les travailleuses et les travailleurs précaires, afin de situer historiquement et de mettre en perspective les propositions syndicales concernant les questions qui nous intéressent ici.
Les prises de position des grandes organisations syndicales québécoises
Devant les transformations de l’économie et de la réalité du travail amorcées il y a près de trente ans, les grandes organisations syndicales québécoises se sont d’abord repliées dans une position défensive reposant sur une stratégie qui vise essentiellement à protéger leurs membres des aléas associés à la prolifération de l’emploi sur les marchés périphériques du travail. Cette attitude des grandes centrales syndicales québécoises s’est transformée d’abord lentement, puis de manière plus marquée au cours des dernières années, chacune d’elles faisant, peu à peu, une place relativement importante à la défense des travailleurs atypiques dans leurs orientations et leurs revendications.
Comme en fait foi le tableau 1, qui présente la chronologie de leurs prises de position respectives, les organisations syndicales québécoises affirment depuis très longtemps, voire depuis toujours, qu’à travail égal il faut un salaire égal. Au fil du temps, les multiples formes que prend le travail atypique ont amené les centrales à reformuler autrement ce principe général d’égalité de traitement. Au tournant des années 1980, poussées par leurs comités de condition féminine (qui avaient été mis sur pied dans les années 1960 pour exiger l’égalité de traitement homme-femme[4]), les grandes centrales syndicales réclament l’égalité de traitement entre les travailleurs à temps plein et les travailleurs à temps partiel. Elles se prononcent ensuite, au milieu des années 1980, contre les doubles échelles salariales qui pavent la voie à toutes sortes de disparités de traitement.
Au milieu des années 1990, à la suite des demandes faites à cet égard par les différents comités de jeunes, viendra la revendication concernant l’interdiction des clauses « orphelin » qui ouvrent la porte à des discriminations fondées sur la date d’embauche dont le plus souvent les jeunes ont été les victimes[5]. Quelques années plus tard, on réclamera l’interdiction des clauses non temporaires de disparité de traitement en fonction du statut d’emploi[6]. Ce n’est toutefois qu’au tournant du millénaire que les organisations syndicales se prononceront pour l’inclusion de l’égalité de traitement, peu importe le statut d’emploi, dans la Loi sur les normes du travail (LNT)[7]. La CSN se distingue des autres centrales syndicales en réclamant aussi, depuis 2002, l’interdiction des clauses de disparité de traitement, même temporaire, en fonction de la durée du travail (ce qui renvoie au travail à temps partiel), de la durée du contrat de travail (ce qui renvoie au travail temporaire) ou du lieu de travail (ce qui renvoie, bien souvent, au travail autonome). On remarque par ailleurs que, depuis une dizaine d’années, les centrales syndicales insistent régulièrement, dans divers avis et mémoires adressés aux gouvernements, sur l’ajustement des régimes de protection sociale – assurance-emploi, assurance parentale, service de garde, CSST, régime des rentes, etc. – aux besoins des travailleurs atypiques[8].
Finalement, force est de constater que les grandes centrales québécoises ont, grosso modo, adopté les mêmes positions, à peu près au même moment. Cela dit, on relèvera en terminant la prise de position originale de la CSD à son congrès de 2007. Soulignant qu’elle est « aux prises avec des droits qui sont attachés au statut de salarié alors même que ce statut est de plus en plus difficile à obtenir », celle-ci s’est engagée à agir sur la sécurisation des parcours de vie en « revendiquant des droits attachés non plus à l’emploi, mais à la personne, des droits individuels garantis et organisés collectivement dans le cadre de nouvelles institutions » (CSD, septembre 2007 : 1). Quant à la CSN, elle a réitéré, à son congrès de 2008, son engagement à « effectue[r] des représentations pour modifier la Loi sur les normes du travail (LNT) dans le but d’éliminer les discriminations faites notamment en vertu des statuts d’emploi et des échelles de salaires abusives » (2008 : 109). La FTQ avait fait de même lors de son congrès de 2007 en indiquant clairement sa volonté de poursuivre sa lutte pour l’amélioration des avantages et des protections sociales liés au statut d’emploi en adaptant notamment la LNT et la partie III du Code canadien du travail (FTQ, 2007 : 64). Depuis l’élection du gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2006, les conséquences du Programme concernant les travailleurs étrangers temporaires ont orienté les prises de position des organisations syndicales dans une nouvelle direction[9]. Dès 2008, la CSN adoptait en congrès une proposition visant à développer un discours sur le « phénomène croissant des migrants temporaires », mais dans la section « Société québécoise et immigration » (CSN, 2008a ; 2008b : 112). Trois ans plus tard, la FTQ emboîte le pas en adoptant une position plus précise en faveur de la mise en place de mesures pour assurer le respect des droits des travailleurs temporaires (FTQ, 2011 : 9). Ces deux centrales syndicales, tout comme ABE, ont d’ailleurs adhéré à l’initiative du Front de défense des non-syndiquéEs pour interpeller le gouvernement québécois afin qu’il respecte les droits de ces travailleurs (CSN, 2012).
L’extension du régime de syndicalisation est aussi un moyen d’assurer une plus grande équité entre travailleurs « typiques » et atypiques. Autant la CSN que la FTQ revendiquent la possibilité d’obtenir des accréditations syndicales multipatronales depuis quarante ans[10], ce qui faciliterait l’accès à la syndicalisation pour de nombreux travailleurs atypiques. Depuis le début des années 1980, la CSN et la FTQ militent également pour l’extension de la notion de salarié – qui inclurait désormais « l’entrepreneur dépendant » – dans le Code du travail, de manière à permettre la syndicalisation des faux autonomes[11]. À ce sujet, la FTQ réclame depuis 2007 l’adoption d’une loi-cadre facilitant la mise en place de regroupements de travailleurs autonomes « incluant la perception de l’équivalent d’une cotisation syndicale » (FTQ, 2007 : 64). On notera par ailleurs certaines différences quant à la pertinence de procéder à l’extension des décrets sectoriels, ce qui permettrait également à des travailleurs atypiques d’avoir accès à une forme de négociation collective. La FTQ y sera généralement favorable, alors que la CSN et la CSD, évoquant la nécessité de garantir le pluralisme syndical, seront plus réticentes à cet égard, la CSD allant même, pendant longtemps, jusqu’à demander l’abolition des décrets.
Par ailleurs, les trois centrales ont longtemps réclamé l’extension de la portée de l’article 45 du Code du travail afin que celui-ci encadre plus strictement le recours à la sous-traitance et, ainsi, protège mieux l’accréditation et la convention collective en cas de cession d’entreprise[12]. À cet égard, dans le contexte des modifications apportées au Code du travail en 2001 et 2003[13], celles-ci ont toutefois été contraintes de chercher – en vain, faut-il le rappeler – à empêcher que le champ d’application de l’article 45 soit réduit davantage. Enfin, eu égard aux agences de placement, notons que la CSN réclame depuis 2008 la reconnaissance « qu’en matière de rapports collectifs de travail, les salarié-es d’agence so[ient] visés par les accréditations existantes dans les entreprises clientes » (2008 : 109)[14].
En ce qui concerne les orientations internes au regard des pratiques de négociation, on notera qu’au milieu des années 1980, constatant que les travailleurs atypiques sont parfois exclus de la négociation collective, les centrales recommanderont à leurs syndicats affiliés de modifier leur accréditation syndicale de manière à les inclure. À la même époque, celles-ci suggéreront de négocier, pour ces derniers, des avantages sociaux au prorata des heures travaillées ou des compensations équivalentes. Au milieu des années 1990, constatant la persistance de traitements différenciés à l’égard des travailleurs atypiques dans les conventions collectives négociées par leurs syndicats affiliés, les centrales amorcent un débat interne sur les solutions à mettre en place afin de contrer ce phénomène. Différents colloques ont lieu – sur les mutations du marché du travail, sur les jeunes et le syndicalisme, etc. – qui portent sur ces questions[15]. Plus récemment, les travaux de Bernier (2007) – ayant mis en évidence la persistance, voire l’augmentation des clauses de disparité de traitement dans les conventions collectives – ont ravivé le débat. La FTQ a ainsi réitéré, lors de son congrès de 2007, sa volonté de « contrer l’expansion des divers statuts d’emploi dans [les] milieux de travail et [de] négocier des protections pour les personnes occupant ces emplois » (2007 : 66[16]). La CSN a réagi lors de son congrès de 2008 en mettant à l’avant-plan plusieurs propositions visant à contrer la discrimination sur la base des statuts d’emploi. Elle a alors promis de faire en sorte que : 1) tous les syndicats s’engagent, lors des négociations collectives, à lutter contre les pratiques discriminatoires basées sur les statuts d’emploi dans leurs milieux de travail (proposition 1.1) ; 2) la CSN et les fédérations intensifient l’action syndicale contre ces discriminations en procédant à l’identification des formes les plus fréquentes, en élaborant des politiques de négociation pour y faire face et en assurant un suivi des avancées (proposition 1.2). La Centrale s’est aussi engagée à définir une politique de négociation servant de base aux syndicats pour encadrer l’embauche, si nécessaire, par l’intermédiaire des agences de placement (2008 : 109)[17].
On notera enfin, pour conclure cette première partie, que dès les années 1970 les grandes centrales syndicales québécoises ont mis sur pied des comités de condition féminine, puis, au cours des années 1980, des comités de jeunes qui, les uns comme les autres, porteront les luttes des travailleurs atypiques au sein des institutions syndicales[18]. Dès le début des années 1980, la CSN fera de la syndicalisation des travailleuses précaires à temps partiel une priorité[19]. Les centrales ont ensuite mis sur pied différents groupes de travail sur le travail précaire où l’on fera une place aux travailleurs temporaires et à temps partiel (souvent des femmes ou des jeunes). À la fin des années 1990, des structures d’accueil visant expressément des travailleurs autonomes seront mises sur pied autant par la CSN, la CSD que par des syndicats affiliés à la FTQ[20]. Conséquence de cette prise de conscience, les trois centrales ont désormais fait du recrutement de nouveaux membres – et tous insistent spécifiquement sur l’importance de recruter les « atypiques » – leur « priorité absolue ».
Les groupes populaires, pionniers des luttes concernant le travail atypique
Bien souvent, les prises de position des grandes centrales syndicales relativement aux enjeux qui nous intéressent ici viendront quelques années après que des groupes populaires auront mis ces revendications à leur agenda. Il faut le constater, plus encore que le mouvement syndical, ces groupes – notamment Au bas de l’échelle (ABE), groupe auquel nous nous intéresserons ici – ont fait figure de pionniers en ce qui a trait à la diffusion des enjeux concernant, de près ou de loin, ce que nous appelons aujourd’hui le travail atypique.
Créé en 1976, ABE a rapidement mis sur pied la Coalition sur les normes minimales d’emploi et l’accès à la syndicalisation[21] qui luttera pour la création de la LNT afin de remplacer la Loi sur le salaire minimum, laquelle « offre une protection minime » (ABE, 1995 b : 4) et comporte des mesures discriminatoires envers les femmes et les jeunes, des catégories de travailleurs largement touchées par le travail atypique[22]. Dès 1981, l’organisme fait des pressions pour faire modifier le Code du travail afin d’élargir l’accès à la syndicalisation. ABE se distingue du mouvement syndical en exigeant aussi l’élargissement des droits contenus dans la Charte des droits et libertés de la personne par l’ajout de nouveaux droits, tels que la protection contre la discrimination basée sur l’âge[23], et en réclamant que « les avantages sociaux [soient] accessibles à toutes et à tous sur une base non discriminatoire » (ABE, 1995b : 8)[24]. Lors de la révision de la LNT en 1990, ABE réaffirmera ses revendications quant à l’instauration d’une durée quotidienne de travail[25], l’élimination des exclusions de certains groupes de travailleurs de la LNT et le paiement des jours fériés, « qu’ils tombent sur un jour travaillé ou non » (ABE, 1991). Dès le début des années 1990, ABE s’intéresse aussi aux conditions de travail des travailleurs migrants saisonniers (1991b)[26]. L’organisme insiste par ailleurs sur la nécessité d’éliminer toutes les exclusions partielles « qui s’appliquent à certains groupes de travailleurs et travailleuses » (1995a : 12). En d’autres mots, la LNT doit aussi s’appliquer « aux personnes participant à des mesures d’employabilité », « aux aides familiales résidentes », « aux travailleurs et travailleuses agricoles », « aux salariés dont la fonction exclusive est d’assumer la garde d’un enfant, d’un malade, d’une personne handicapée ou d’une personne âgée » (1995a : 12-13), des travailleurs atypiques souvent encore moins visibles que les travailleurs à temps partiel, temporaires ou autonomes[27].
En 1996, dans un document intitulé Attention travail précaire, ABE réaffirmera plusieurs des revendications évoquées ci-dessus. De plus, on y proposera l’ajout à la LNT d’un article global qui appliquerait la protection contre la discrimination (salariale et avantages sociaux) « à toute forme de travail précaire ou non standard, comme le travail dans des programmes d’employabilité, le travail sur appel, occasionnel, surnuméraire, temporaire ou saisonnier, le travail pour les agences de placement[28], le travail autonome[29] ou le travail à domicile » (1996 : 9). De surcroît, pour ABE, ce principe devrait également s’appliquer au Code du travail (ABE, 1996 : 9). ABE portera ses revendications lors des consultations concernant la révision de la LNT au début des années 2000 ainsi que lors des travaux qui mèneront, en 2003, à la rédaction du « rapport Bernier » sur les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle[30]. En 2007, dans un document intitulé Pour des normes à la hauteur, ABE réitérera l’ensemble des revendications énoncées plus haut[31]. On notera enfin qu’en janvier 2011, dans une lettre adressée à la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Kathleen Weil, le Front de défense des non-syndiquéEs, dont fait partie ABE, a interpellé l’élue au sujet du Règlement modifiant le Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers. Cette lettre demande notamment « que toutes les personnes travaillant au Québec soient protégées par la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité au travail et la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, et ce, sans égard au statut d’immigration ou à la validité du permis de travail » (FDNS, 2011). ABE se positionne ainsi en continuité de ces revendications passées en prônant la fin des discriminations peu importe le statut des travailleurs et travailleuses. Dans un mémoire présenté au Comité consultatif du travail et de la main-d’oeuvre en 2011, ABE plaidera aussi en faveur d’une interdiction du recours structurel aux agences de placement par les entreprises et insistera pour que ces agences ne servent qu’à répondre aux besoins ponctuels en main-d’oeuvre (ABE, 2011 : 6)[32].
Conclusion
En parcourant l’historique des revendications, des orientations et des prises de position des grandes centrales québécoises au cours des trente dernières années, force est de constater que la réaction syndicale fut relativement lente en ce qui concerne l’enjeu majeur que constitue l’essor du travail atypique précaire. Les grandes centrales syndicales québécoises se sont d’abord cantonnées dans une position défensive qui vise essentiellement à contrer la progression du travail atypique durant les années 1980. Prenant acte des transformations fondamentales des marchés du travail et de l’obligation d’agir « malgré et avec les changements », ces centrales se sont progressivement tournées au cours des années 1990 – d’abord dans le discours puis dans la pratique – vers des stratégies plus variées cherchant à prendre en compte les besoins différenciés des travailleurs atypiques. Autrement dit, plutôt que de « simplement » lutter contre la prolifération de l’emploi atypique précaire, les centrales syndicales insistent désormais sur l’amélioration des situations dans lesquelles se retrouvent les travailleuses et travailleurs propulsés sur les marchés périphériques du travail. À cet égard, il faut relever le rôle de catalyseur joué par les comités « femmes » et les comités « jeunes » afin de sensibiliser les grandes centrales syndicales à l’importance de ces enjeux. Ces comités sont largement responsables du fait qu’au tournant du siècle tant la FTQ que la CSN et la CSD ont désormais fait de leurs actions autour du travail atypique précaire une de leurs priorités.
Il n’en demeure pas moins, comme on a pu le constater, que les organisations syndicales ont longtemps été à la remorque d’autres organisations de la société civile lorsqu’il s’est agi de défendre aussi les intérêts des travailleurs atypiques sur les marchés périphériques du travail. À cet égard, tant le mémoire déposé par ABE à la Commission des droits de la personne, qui sera qualifié d’« avant-gardiste », que les représentations faites par la Coalition des non-syndiqué-es pour les normes minimales d’emploi et l’accès à la syndicalisation à auprès de la commission Beaudry au début des années 1980 attestent le rôle de chef de file joué par les groupes de défense des droits. Alors que de son côté Force Jeunesse mènera la lutte contre les clauses « orphelin » au début des années 1990, ces groupes de défense des droits ont lutté en faveur de la reconnaissance des droits des travailleurs atypiques, mais également de travailleurs et travailleurs confinés sur les marchés périphériques du travail, tels que les personnes participant à des mesures d’employabilité, les aides familiales résidentes ou encore les travailleurs et travailleuses agricoles engagés à travers des programmes de travail migrant temporaire.
Cela dit, force est d’admettre que les centrales syndicales québécoises ont récemment mené des campagnes importantes afin de recruter de nouveaux membres parmi les travailleurs relégués vers les marchés périphériques du travail. Même si le bilan des dix dernières années concernant la syndicalisation des travailleurs à temps partiel est mitigé[33], les organisations syndicales ont réussi à faire des percées dans le secteur tertiaire privé, ciblé par certains comme étant le secteur où se jouera l’avenir du syndicalisme dans un contexte de tertiarisation de l’économie, où la syndicalisation est notoirement difficile et où les pratiques antisyndicales des employeurs sont souvent à la limite de la légalité. Plus encore, la situation prévalant en 2009 – 27,3 % de syndiqués (Uppal, 2010[34]) – se compare avantageusement à celle qui prévalait au début des années 1980, alors que seulement 22,1 % des travailleurs à temps partiel québécois étaient syndiqués et que ceux-ci ne représentaient que 8,9 % (Statistique Canada, 1984) de l’effectif syndical total[35] (13,71 % en 2009). Pour ce qui est des travailleurs temporaires, même si l’organisation collective de ces travailleurs est particulièrement ardue étant donné l’absence de perspectives à long terme qui a indubitablement un impact démobilisant, le syndicalisme a mené avec succès une importante campagne de syndicalisation auprès d’étudiants employés dans les universités québécoises, ce qui témoigne du fait que des avancées sont possibles dans certains secteurs où l’emploi est occasionnel, saisonnier ou à forfait[36]. Enfin, contrairement aux idées reçues, les initiatives auprès des autonomes (ou dits autonomes) ont également permis au syndicalisme québécois de joindre des milliers de travailleurs. À cet égard, la Loi sur le statut de l’artiste a certes facilité la mobilisation de différentes catégories d’artistes, mais le mouvement d’organisation collective des travailleurs autonomes ne s’est pas limité au domaine des arts, s’étendant par ailleurs à de nombreux secteurs : journalisme, transport, services sociaux (notamment dans les ressources intermédiaires et les services de garde en milieu familial), médecines alternatives, etc.[37].
Enfin, le fait que les grandes centrales syndicales du Québec se soient prononcées pour l’interdiction des clauses de disparité de traitement en fonction du statut d’emploi (clauses d’exclusion, clauses « orphelin », etc.) constitue, de notre point de vue, une avancée notable. Les débats internes sur les solutions à mettre en place afin de contrer ce phénomène illustrent également l’importance actuellement accordée par les centrales syndicales québécoises à cette question épineuse. De plus, dans un contexte où les droits ont, historiquement, été attachés au statut de salarié et où ce statut est de plus en plus difficile à obtenir, la réflexion amorcée récemment concernant la nécessité de revendiquer des droits attachés non plus à l’emploi mais à la personne semble porteuse.
Il faut toutefois conclure en insistant sur l’enjeu lié à l’élimination des clauses de disparité de traitement en fonction du statut d’emploi. Cet enjeu est d’autant plus primordial que la persistance de ces clauses a, corollairement, un impact considérable sur la capacité du syndicalisme à affirmer sa raison d’être auprès des travailleurs projetés sur les marchés périphériques du travail. Pour reprendre les mots de Bernier, « les objets de disparité entre salariés traditionnels et atypiques sont nombreux et touchent de multiples aspects des conditions à telle enseigne qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que les salariés ayant un emploi atypique sont en quelque sorte les parents pauvres du régime québécois de la négociation collective » (2007 : 14). Et l’auteur d’ajouter qu’« il est possible qu’elle ne puisse, à terme, se résoudre de façon adéquate ou pleinement satisfaisante à l’intérieur de la négociation collective », mais plutôt par l’inclusion dans le Code du travail du principe d’égalité de traitement, peu importe le statut d’emploi. Mais, en attendant, il apparaît clair que ce constat doit interpeller les organisations syndicales. Il en va de leur raison d’être auprès des nouvelles générations[38] de travailleurs contraints d’exercer leur métier sur les marchés périphériques du travail. Ainsi, à défaut d’aller au-delà de l’énoncé de revendications interpellant le législateur et de renouveler ses pratiques en s’interdisant notamment d’institutionnaliser, dans les conventions collectives, des clauses de disparité de traitement négligeant les travailleurs atypiques – ou, à tout de moins, en les minimisant à un niveau tolérable –, c’est sa pertinence que le syndicalisme risque de voir s’effriter davantage auprès du tiers, et même plus, de la population active. Dans un tel cas, les avancées notables que l’on a identifiées risqueront de n’avoir été que de simples sursauts d’un syndicalisme en déclin.
Appendices
Notes
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[1]
L’auteur voudrait remercier Samuel Blouin pour la mise à jour des données pour la période entre 2009 et 2013.
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[2]
À cela s’ajoute l’importance accrue prise par ce que nous appelons le « travail invisible » – le travail domestique, le travail migrant saisonnier, le travail des « clandestins » au sens large, voire le travail des aidants naturels et le travail en milieu carcéral –, occulté par les statistiques gouvernementales portant sur l’évolution du marché du travail au Québec. Voir Noiseux (2008, chap. 3).
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[3]
La chronologie présentée dans cette section s’appuie sur un travail de collecte de données à partir des rapports de congrès publiés par les organisations syndicales entre 1980 et 2010. Par souci de concision, seuls les documents cités sont inclus dans la bibliographie. Pour une liste complète des documents utilisés, voir Noiseux (2008).
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[4]
On notera à ce sujet que, jusqu’à l’adoption de la Loi sur la discrimination dans l’emploi en 1964, la Loi sur le salaire minimum fixait un salaire minimum plus élevé pour les hommes que pour les femmes (Au bas de l’échelle [ABE], 1995 : 2). Jusqu’en 1986, le salaire minimum des jeunes sera inférieur à celui des adultes (ABE, 1995 : 3).
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[5]
Notons que les organisations réclameront également, au moins à partir de la fin des années 1990, l’adaptation du régime d’assurance-emploi de manière à ce que celui-ci puisse protéger aussi les travailleurs atypiques, notamment les travailleurs à temps partiel. Les modifications récentes annoncées dans le cadre du projet de loi C-38 vont toutefois dans la direction opposée ; voir Noiseux (2012a).
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[6]
Sur les clauses de disparité de traitement, souvent appelées clauses « orphelin », voir notamment CSN (1998), CSD (1999), Coutu (2000), Volovitch (2000), Force Jeunesse (2002), Bernier, Vallée et Jobin (2003) et Bernier (2007).
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[7]
La CSN et la CSD incluront cette revendication en 1999, alors que la FTQ le fera en 2002.
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[8]
Voir par exemple CSD (septembre 1999, juin 2002, novembre 2002 et novembre 2003) ; CSN (septembre 1998, octobre 1999, septembre 2000, septembre 2002, juin 2003, février 2004, juin 2005 et octobre 2005) ; FTQ (1999, 2001, 2003 et 2005).
-
[9]
Ce programme fédéral institutionnalise un régime dérogatoire sur les marchés périphériques du travail au détriment d’une immigration d’établissement ; voir notamment Noiseux (2012c).
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[10]
La CSD réclame quant à elle la négociation regroupée depuis 1984 et l’accréditation multiétablissement depuis 1997.
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[11]
En ce qui a trait à la CSD, cette revendication apparaît dans une proposition adoptée au congrès de 1999. Il est toutefois possible que la centrale l’ait fait valoir plus tôt. Notons par ailleurs qu’au Québec seuls les « salariés » peuvent se syndiquer. Même si la jurisprudence semble souligner que le droit du travail est capable de distinguer les véritables autonomes des faux indépendants, il n’en demeure pas moins que « la “requalification” d’une situation de travail autonome comme relevant du travail salarié aux fins des lois du travail n’interviendra qu’a posteriori et à la condition qu’il y ait litige » (Vallée, 1999 : 286). En réalité, cela fait en sorte que de nombreux travailleurs, qui ne sont pas en position de contester le statut d’autonome que leur impose leur employeur, demeurent en marge du champ d’application du Code du travail.
-
[12]
Le recours à la sous-traitance s’inscrit lui aussi dans une dynamique de centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques du travail, favorisant l’essor du travail atypique.
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[13]
L.Q. 2001, c. 26 et L.Q. 2003, c. 26.
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[14]
On notera que, relativement aux agences de placement, la CSD revendique depuis 1999 « que des dispositions soient intégrées au Code du travail permettant que plusieurs entreprises soient réputées n’en constituer qu’une seule » (CSD, 1999).
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[15]
La FTQ admettra alors que, « même dans ses propres rangs, les travailleurs atypiques sont un peu, beaucoup parfois, de seconde zone » (FTQ, 1997 : 49). Elle cherchera alors à mettre en commun les expériences d’organisation concernant les emplois atypiques afin de faire face aux nouveaux défis que pose la transformation du marché du travail (FTQ, 1998), organisera des campagnes de sensibilisation auprès des membres concernant l’impact des clauses « orphelin », etc.
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[16]
Lors de son plus récent congrès (2010), la FTQ a adopté une nouvelle résolution (no 58) exigeant l’interdiction de tout type de disparité de traitement en fonction de la date d’embauche, de même que l’interdiction de disparité de traitement en fonction de statuts d’emploi distincts (FTQ, 2010).
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[17]
Dans la foulée de l’adoption de ces propositions, la CSN a publié, en 2010, un document de vulgarisation intitulé Mettre fin aux disparités de traitement : pour un milieu de travail plus équitable et une « grille d’analyse des statuts d’emploi dans la convention collective » (CSN, 2010b). Pour sa part, la FTQ s’est engagée à « analyser les conditions de travail offertes par les agences de locations de personnel et aux travailleurs et aux travailleurs migrants » (FTQ, 2007 : 66).
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[18]
La CSD a quant à elle fait le choix de ne pas créer de comité jeunes afin de ne pas segmenter les revendications selon le groupe d’âge (communication avec Normand Pépin, du service de la recherche de la CSD).
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[19]
Celle-ci a été maintes fois réitérée depuis. Cela dit, on constate que la part du budget consacrée à « l’organisation » n’a cessé de décroître jusqu’en 1988, pour ensuite remonter, allant même jusqu’à atteindre 15 %, soit le double de la proportion initiale, en 2002 (estimation faite à l’aide des états financiers de la CSN (1980, 1984, 1988, 1990, 1996 et 2002). Pour sa part, la FTQ n’a pas le mandat d’organiser des campagnes de syndicalisation ; ce sont ses syndicats affiliés qui exercent cette prérogative. Il ne nous a cependant pas été permis de vérifier l’évolution des budgets liés à l’organisation chez ses affiliés. On a toutefois remarqué qu’une proposition prévoyant la mise sur pied d’un fonds spécial pour la syndicalisation des travailleurs atypiques a été rejetée lors de son congrès de 1998.
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[20]
On peut aussi noter qu’au début des années 1980 la CSN a tenté, avec peu de succès, de mettre sur pied des structures d’accueil permettant à des travailleurs, dont des atypiques, d’intégrer les structures syndicales sur une base individuelle. Sur ces expériences, voir Noiseux (2008, chap. 5).
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[21]
Créée en 1977, cette coalition prendra plus tard le nom de Coalition sur les normes minimales de travail et l’accès à la syndicalisation (ABE, 1995b : 5).
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[22]
Elle dénoncera aussi la « discrimination exercée envers les femmes dans les agences de placement » et cherchera des « moyens pour protéger les travailleuses domestiques » (1995b : 5-6). La revendication visant à faire appliquer la LNT aux travailleuses domestiques – présentée par ABE à la Commission parlementaire sur le projet de loi no 126, qui allait devenir la LNT – sera en partie retenue par le législateur (ABE, 1995b : 7).
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[23]
Concernant la question de l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge, on peut aussi noter que, lors des consultations sur la Charte des droits et libertés de la personne en 1981, ABE avait insisté pour inclure « l’âge parmi les motifs interdits de discrimination », notamment que « nul ne peut exercer de discrimination dans un régime de rente ou de retraite, un régime d’assurance de personne, ou dans tout autre type d’avantages sociaux » (ABE, 1981 : 31-32). Notons par ailleurs qu’en ce qui a trait plus spécifiquement à l’interdiction des clauses de disparité de traitements en fonction de la date d’embauche – les clauses orphelin –, du moins au départ, ce dossier a surtout été porté par Force Jeunesse (FJ) au début des années 1990.
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[24]
Notons que le mémoire d’ABE à la Commission des droits de la personne sera qualifié d’« avant-gardiste » par Herbert Marx, qui deviendra plus tard ministre de la Justice. Dans des mémoires adressés à la commission Beaudry, la Coalition des non-syndiqué-es pour les normes minimales d’emploi et l’accès à la syndicalisation revendiquera l’instauration d’une journée normale de travail, la fin de l’exclusion de la LNT pour les aides domestiques, la mise en place des accréditations multipatronales (ABE et ATIQ, 1984a ; ABE et Coalition des non-syndiqué-es pour les normes minimales d’emploi et l’accès à la syndicalisation, 1984b).
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[25]
Ce qui permettrait aux travailleurs à temps partiel d’être rémunérés à taux majoré lorsqu’ils travaillent plus de huit heures par jour.
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[26]
À cet égard, ABE propose « que le gouvernement utilise ses pouvoirs réglementaires et enlève les dispositions discriminatoires envers toutes les domestiques de la LNT et les travailleurs agricoles migrants », « qu’il rende obligatoire un contrat entre l’employée domestique étrangère et l’employeur et que ce contrat soit exhaustif » (ABE, 1991).
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[27]
ABE exige aussi « l’abolition de la limite qui réserve la protection contre la discrimination vis-à-vis les personnes qui travaillent moins d’heures par semaine aux seules personnes gagnant moins du double du salaire minimum » (1995a : 15).
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[28]
Concernant le travail temporaire et le travail dans les agences de placement, ABE revendique « que les entreprises clientes et les agences de placement doivent être considérées comme des co-employeurs au sens de la LNT », « l’accréditation des agences de placement » ; la « généralisation de l’interdiction d’effectuer de la discrimination salariale » ; « l’application de la Charte des droits et libertés de la personne » ; l’accès à la syndicalisation ; et, plus globalement, « la lutte contre la marchandisation du travail » (ABE, 1996 : 22-23).
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[29]
En ce qui concerne le travail autonome, ABE revendique que la « LNT contienne une définition du travail autonome et soit plus explicite sur le statut d’entrepreneur dépendant » ; « l’interdiction pour les entreprises de forcer une personne à s’incorporer ou à signer un contrat d’entreprise pour obtenir un emploi normalement salarié au sens de la Loi », l’interdiction d’imposer des sanctions pour le motif que ce salarié refuse de s’incorporer » ; « que les personnes qui travaillent à domicile [soient] protégées contre la discrimination salariale et aient droit aux mêmes avantages sociaux et aux mêmes normes du travail » ; « que leur salaire doit être majoré de 10 % afin de compenser notamment pour l’équipement et les fournitures requis pour l’exécution du travail » (ABE, 1996 : 28-29).
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[30]
Ajoutons que, depuis 2005, ABE a été invité à participer à des travaux d’un groupe de travail sur l’industrie du placement temporaire, celui-ci a été dissout en 2007 sans qu’un consensus puisse être obtenu (sauf sur la nécessité de documenter cette question). Sur le « rapport Bernier », dernier en liste d’une série de rapports sur le travail atypique commandé par le gouvernement du Québec, voir Noiseux (2008, chap. 3).
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[31]
De plus, ABE réclame désormais ce qui suit : 1) « Que soit établie dans la LNT une présomption simple de salariat […] qui viendrait renverser le fardeau de la preuve […] cela aiderait notamment les personnes qui travaillent à domicile à clarifier les difficultés dans la détermination de leur statut » ; 2) « Que soit élargie la portée de l’article 86.1 afin qu’il accorde non seulement le droit au maintien du statut de salarié, mais également le droit à la reconnaissance de ce statut. Ainsi, une personne à qui on attribue, à l’embauche ou en cours d’emploi, un faux statut d’entrepreneur indépendant pourra demander à la Commission des relations du travail (CRT) de reconnaître son statut de salarié ». ABE clarifie aussi, dans ce document, ses revendications concernant le travail temporaire, le travail à domicile, les travailleurs migrants, etc.
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[32]
Dans ce document intitulé « Présentation au comité de travail du CCTM sur la question des agences de placement temporaire », ABE demande aussi, notamment : « Que la Loi sur les normes du travail établisse qu’un employeur ne peut accorder à une personne salariée des conditions de travail inférieures à celles consenties aux autres personnes salariées qui accomplissent un travail comparable pour la même entreprise, pour le motif qu’elle a été embauchée par l’entremise d’une agence de placement » (p. 7) ; « Que la Loi sur les normes du travail prévoie, pour les personnes salariées qui n’ont pas accès en raison de leur statut d’emploi à une partie ou à la totalité des avantages sociaux de l’entreprise cliente, une indemnité salariale équivalente à la contribution versée par l’employeur à ces régimes d’avantages sociaux » (p. 7-8) ; « Que soit instaurée une indemnité de précarité représentant 2 % du salaire brut » (p. 8) ; « Qu’il soit obligatoire pour les agences d’obtenir un permis d’opération » (p. 8).
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[33]
Le pourcentage de travailleurs à temps partiel syndiqués a stagné entre 1998 et 2009. Il s’est d’abord fortement accru entre 1998 et 2003, puis la situation s’est détériorée entre 2003 et 2005 pour revenir au niveau de 1998 en 2009. De plus, entre 1998 et 2005, les salaires des travailleurs à temps partiel ont crû à un rythme inférieur à ceux des temps pleins (Akyeampong, 2006 : 32). Notons aussi que la part des travailleurs à temps partiel dans l’effectif syndical a légèrement augmenté entre 1998 et 2009, passant de 13,11 % à 13,71 % de l’effectif syndical. Pour un bilan plus complet, voir Noiseux (2012b).
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[34]
Les données pour le Québec nous ont été transmises directement par M. Uppal, de Statistique Canada.
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[35]
Les comparaisons avec les données de 1984 (Statistique Canada, Enquête sur l’adhésion syndicale, 1984) sont toutefois sujettes à réserve.
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[36]
On peut également noter les efforts, couronnés d’un certain succès, visant les travailleurs migrants agricoles. On notera aussi que le taux de syndicalisation des travailleurs « non permanents » est désormais égal (36,3 %) à celui des travailleurs « permanents » (Uppal, 2010). Il s’établissait à 29,5 % en 1998 (Akyeampong, 2006 : 32).
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[37]
Pour un bilan plus complet des efforts de syndicalisation des grandes centrales auprès des travailleurs atypiques depuis trente ans, voir Noiseux (2008, chap. 5 et 2012b).
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[38]
Rappelons que pour les jeunes travailleurs (15-24 ans) le redressement du taux de syndicalisation enregistré entre 1998 (14,6 %) et 2005 (20,5 %) n’a fait que ramener la situation au niveau observé au début des années 1980, alors que les jeunes travailleurs étaient syndiqués dans une proportion de 20,6 %. Cette proportion est demeurée stable entre 2005 et 2009, alors que la tendance générale était légèrement à la baisse (20,5 %) (Uppal, 2010).
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