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Les quatre articles de ce numéro de REMEST se caractérisent pas des études de phénomènes sociaux longtemps considérés comme à la marge des études sur le travail mais qui prennent une place de plus en plus importante depuis une quinzaine d’années : le travail des séniors, les jeunes et le travail atypique, les formes de masculinité dans les organisations et… l’analyse commonsienne dans le champ des relations industrielles !
L’article de Hellemans s’intéresse à la catégorie des travailleurs séniors, un groupe de plus en plus nombreux dans le salariat et appelé à croître, ne serait-ce que par suite du rehaussement de l’âge de la retraite en cours dans plusieurs régimes publics et privés de retraite en Occident. L’auteure propose une analyse des représentations que les travailleurs séniors ont d’eux-mêmes, ainsi que les représentations véhiculées par leurs collègues plus jeunes. Par la suite, elle montre dans quelle mesure l’engagement au travail influe sur les valences des représentations à l’égard des séniors. L’analyse des réponses à un questionnaire distribué à des salariés de deux grandes institutions publiques belges montre que les séniors n’ont pas tendance à se dévaloriser mais que plus les travailleurs sont jeunes, plus leurs représentations des séniors sont défavorables. Plus les travailleurs sont engagés affectivement à l’égard de leur organisation et plus ils ont des représentations favorables vis-à-vis les séniors. En conclusion, l’auteure propose diverses pratiques de gestion pouvant permettre de renforcer les représentations positives à l’égard des travailleurs séniors : médecine du travail, mentorat transgénérationnel, gestion prévisionnelle des ressources humaines, etc.
Noiseux s’intéresse à l’impact des transformations du marché du travail pour les jeunes du Québec, à l’aide du modèle de centrifugation de l’emploi du coeur vers les marchés périphériques du travail de l’après-fordisme. À l’aide des données (synchroniques et diachroniques) publiées par l’Institut de la statistique du Québec, il montre un effet de réhiérarchisation des marchés du travail. Les jeunes sont surreprésentés dans le travail atypique, et subissent proportionnellement davantage l’impact de la rémunération plus faible, de l’accès restreint aux régimes de protection sociale et à la représentation syndicale. Cette discrimination indirecte et systémique fondée sur le statut d’emploi pose le problème de l’application des lois et des chartes interdisant la discrimination en milieu de travail. Le défi consiste à établir le lien entre travail atypique et protection du travailleur, un défi auquel l’État régulateur montre peu d’empressement à répondre.
Plusieurs études ont traité de la difficulté pour les femmes de faire respecter les droits à l’emploi et au congé de maternité prévus dans les diverses législations nationales et dans des conventions collectives, que ce soit avant la prise du congé de maternité, pendant ou au retour au travail. Par exemple, Malenfant et al (REMEST, vol. 6, no 2, p. 50-72) ont montré que des approches de gestion de la santé des femmes au travail renforcent les logiques qui président à la construction et à la reproduction des iniquités liées au travail et à l’emploi pour les femmes dans un contexte de transformations structurelles importantes du travail où persistent des rigidités organisationnelles et sociales anciennes. Dans leur recherche Murria et Poggio s’intéressent à l’autre facette de cette dynamique, soit à la construction des masculinités dans les organisations au moyen de l’étude du cas de la prise de congé de paternité. Divers bilans nationaux indiquent en effet que, généralement, très peu d’hommes se prévalent de ce congé. La question du congé de paternité constitue un révélateur important des pratiques tendant à faire prédominer une conception sexiste des rapports sociaux en milieu de travail et plus spécifiquement de la conciliation travail-famille. À partir d’une analyse de 92 entretiens réalisés avec des hommes de divers types d’organisations italiennes qui ont eu recours au congé parental, les auteures montrent que des hommes ont du défier le modèle dominant de la masculinité dans les organisations où ils travaillent afin de faire respecter leur droit à ce congé. Au plan méthodologique, l’usage d’une approche narrative permet de souligner l’importance de la narration comme défier/reproduire l’ordre de genre dominant tout comme pour découvrir et déconstruire les pratiques hégémoniques.
Le dernier article de ce numéro participe d’un effort international visant à réhabiliter le cadre d’analyse commonsienne dans le champ des relations industrielles. En effet, alors que Commons constitue le principal fondateur du champ des relations industrielles en Amérique du Nord, son cadre d’analyse y a été marginalisé à partir des années 1950. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ceci dont le développement d’une conception positiviste de la science en relations industrielles et l’enfermement de ce champ d’étude autour des seules questions de syndicalisme et de conventions collectives. Or face à l’échec de ce projet de science positiviste et à la transformation des rapports sociaux de travail, on assiste des deux côtés de l’Atlantique à une redécouverte des travaux de Commons. Hallée réussit admirablement à faire comprendre dans un langage simple une théorie fort complexe, et ce, tout en conservant les principaux concepts de Commons. Une tâche difficile puisque Commons possède un jargon autonome très élaboré, utile, mais extrêmement difficile à manier. Par la suite, l’auteur contraste l’approche de Commons avec les approches systémique de Dunlop, critique de Hyman et pluraliste de Fox. L’article se termine par une démonstration de la pertinence actuelle de l’usage de cette théorie en relations industrielles en raison de son caractère transdisciplinaire, de son pragmatisme et sur le plan de la méthode et de sa capacité d’analyse. L’auteur illustre ceci avec le cas des nouveaux acteurs en relations industrielles afin de montrer comment une analyse commonsienne permettrait de traiter cette question empiriquement et analytiquement.
Bonne lecture !