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Formé en lettres classiques à l’Université de Pavie et docteur de recherche en sciences des religions à la Fondation San Carlo de Modène et à l’École Pratique des Hautes Études de Paris, Francesco Massa est actuellement chercheur enseignant à l’Université de Turin. Il est spécialiste des traditions religieuses dans l’Antiquité et dans l’Antiquité tardive, et plus particulièrement des thèmes et des problèmes relatifs aux cultes à mystères. La monographie dont il est question ici représente en effet l’aboutissement de ses recherches dans le domaine, dont certaines ont d’ailleurs été réintégrées dans ce livre.

En dépit du titre très général de l’oeuvre, il s’agit ici non pas d’une présentation systématique des cultes à mystères, mais plutôt d’un ensemble d’études de cas portant sur la rhétorique – de provenance surtout chrétienne – qui entourait cette notion, rhétorique dont l’impulsion viendrait, selon Francesco Massa, de la compétition religieuse caractérisant l’Antiquité tardive.

Après un premier chapitre qui présente la problématique et aborde les questions de méthodologie, l’auteur analyse dans le deuxième chapitre ce qu’il considère comme les origines de ce sujet en Asie Mineure, en exploitant les témoignages des principaux auteurs chrétiens de ce contexte (Ignace d’Antioche et Méliton de Sardes). Le troisième chapitre se penche sur la première catégorisation des cultes à mystères comme phénomène unitaire et cohérent par les premiers penseurs chrétiens d’une quelque envergure spéculative, entre le IIe et le IIIe siècle (Justin, Athénagore, Clément d’Alexandrie, Irénée de Lyon et Tertullien). Avec le quatrième chapitre, on passe à l’Afrique romaine de ces mêmes siècles (Apulée, Tertullien, Cyprien, Arnobe et Commodien). Le cinquième chapitre aborde pour sa part le tournant constantinien (avec Lactance, Athanase d’Alexandrie et Eusèbe de Césarée), alors que le sixième analyse le cas de Julien l’Apostat et des auteurs contemporains qui ont parlé de lui. Au septième chapitre, on examine les croisements entre les cultes à mystères et la magie, par exemple dans le cas spécifique du philosophe et thaumaturge Apollonios de Tyane. Vient ensuite, au huitième chapitre, l’île de Chypre durant la seconde moitié du IVe siècle, milieu dont l’importance est principalement due à l’évêque Épiphane de Salamine et à son oeuvre antihérétique, le Panarion. Dans le neuvième chapitre, on reste à la même époque, mais on se déplace à Milan pour y traiter – par le biais du témoignage d’Ambroise de Milan – de la compétition autour de la nature symbolique-initiatique de l’eau, utilisée dans la liturgie baptismale des chrétiens nicéens. Le dixième chapitre s’attaque à la question de la fin des mystères à Éleusis, dans laquelle l’auteur finit par trouver quelques éléments pouvant figurer dans le jeu de la compétition religieuse entre païens et chrétiens. Enfin, l’épilogue tente de fournir une lecture un tant soit peu générale de la matière très variée qui a été présentée au fil des chapitres.

Francesco Massa a déployé un effort considérable pour nous offrir une série de cas spécifiques, généralement représentés par des auteurs littéraires pertinents qui sont ordonnés selon la chronologie et la géographie. Par le biais d’une analyse très détaillée du contexte de production et de diffusion de ces auteurs, laquelle se fonde sur la documentation archéologique et épigraphique à disposition, Francesco Massa s’efforce ainsi d’appliquer sa clé herméneutique – la notion de compétition – à des milieux locaux précis. Il résiste donc à toute généralisation, ce qui, certes, lui évite de contrevenir au dogme de l’idiographisme historien, mais qui rend dans une certaine mesure moins convaincante l’affirmation d’une interprétation cohérente de toute cette matière. De plus, du moment que la plupart des sources sont de nature littéraire et s’expriment sur un objet qui autrement serait évanescent pour les historiens, c’est-à-dire les cultes à mystères, il ne lui est que trop aisé de suivre l’élan déconstructionniste lancé par Jonathan Z. Smith dans son Drudgery Divine[1], mentionné à plusieurs reprises dans le texte. Entendons-nous, la rigueur du travail, l’érudition dans le traitement de la matière et la force contraignante des arguments offerts ne sont nullement en question : Francesco Massa offre une analyse précise et informée des faits. Les cultes à mystères, sous la plume des auteurs chrétiens (qui représentent la majorité de ceux qui sont traités dans cette monographie), constituent bel et bien une notion polémique et pourtant – paradoxalement – cette notion est aussi récupérée par les chrétiens eux-mêmes pour se comprendre, se définir et se légitimer. Il y a là un gain important pour l’étude de la formation de l’identité chrétienne durant les premiers siècles.

Toutefois, s’il nous est permis – en tant que profane (c’est-à-dire non initié…) – de présenter une remarque critique à cet excellent travail, il nous semble qu’en refusant catégoriquement toute lecture globale du phénomène et en se cantonnant à des analyses spécifiques, rassemblées sous la notion trop peu approfondie de compétition, on finit par perdre quelques morceaux importants, par exemple le passage de la Vie d’Antoine (14, 1), attribuée à Athanase d’Alexandrie, qui présente le premier grand moine de la tradition chrétienne comme un initié aux mystères.

Une dernière remarque s’impose, hélas, et elle ne concerne pas le travail de Massa, mais celui des Belles Lettres. Ce livre s’est littéralement défait entre mes mains à mesure que la lecture avançait : l’été fut certes très chaud, mais pas au point de justifier le décollage systématique des pages du livre. Il est bien triste de devoir commenter ici la piètre qualité du support physique de l’étude d’un chercheur de haut niveau.