Lecture critique

En principe était le sacré : l’humanité et ses croyances selon Frédéric Lenoir / Frédéric Lenoir, L’Odyssée du sacré. La grande histoire des croyances et des spiritualités des origines à nos jours, Paris, Albin Michel, 2023, 526 p., ISBN 9782226438201[Record]

  • Fabrizio Vecoli

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  • Fabrizio Vecoli
    Institut d’études religieuses, Université de Montréal

Il est tout à fait légitime de s’interroger sur la pertinence d’une recension consacrée à un ouvrage comme celui dont il est question ici. En effet, et il convient de le préciser, il ne s’agit pas d’un texte scientifique ou universitaire. Quel est alors l’intérêt d’en parler dans une revue universitaire ? Il est possible de répondre de plusieurs façons à cette question. Disons d’abord que l’occasion est venue d’une demande réitérée : une première fois, dans un de mes séminaires d’études supérieures, où un étudiant m’a demandé un jour ce que l’on devait penser de ce livre ; puis, quelques semaines plus tard, à un diner qui n’avait rien d’académique, où une personne cultivée mais externe à l’Université m’a posé la même question. Ces épisodes tout à fait anecdotiques et en soi négligeables renvoient à une circonstance plus générale, susceptible d’attiser notre intérêt : l’auteur de l’ouvrage en question n’est autre que Frédéric Lenoir, un des intellectuels français les plus traduits et les plus lus dans le monde. Ce philosophe-sociologue de formation (maîtrise en philosophie à Fribourg, doctorat à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales – EHESS – de Paris) a en effet publié plus de cinquante ouvrages – le plus souvent de vulgarisation – dans le domaine de la philosophie, de la spiritualité et de la religion. On se souviendra qu’il a dirigé avec Ysé Tardan-Masquelier la dernière oeuvre générale (en deux volumes) sur les religions qui ait été publiée en langue française depuis celle de Henri-Charles Puech : L’Encyclopédie des religions. Il a également dirigé entre 2004 et 2013 le magazine bimestriel Le Monde des religions. Il est auteur de livres d’entretien, de romans et de contes, de BD, de pièces de théâtre. Il est aussi actif dans le monde de la télévision et de la radio. En d’autres mots, Lenoir est devenu – particulièrement dans l’univers francophone – une sorte de maître à penser en matière de spiritualité, de philosophie et de religion. Ses livres se vendent par millions et sont traduits dans une vingtaine de langues. C’est à ce titre qu’il convient de dire quelques mots à propos l’entreprise intellectuelle qui a présidé à la rédaction de l’essai dont il est question ici. L’introduction entend offrir une définition des mots clés, inévitablement nombreux (ne serait-ce que dans le titre, où l’on n’en compte déjà trois). « Sacré », « religion », « spiritualité », « transcendance et immanence », « croyance » : c’est dans le but de s’entendre sur l’objet du propos que ces termes sont abordés, encore que de manière succincte, dans les premières pages. Si l’on considère que le texte s’ouvre sur une allusion plus ou moins explicite à la théorie du théologien luthérien Rudolf Otto (1869-1937) (« Au commencement étaient la crainte et l’émerveillement. Ainsi est né le sentiment du sacré », p. 7) et que dans les deux pages suivantes Lenoir s’appuie sur des références quelque peu décontextualisées à Émile Durkheim (1858-1917) et à Max Weber (1864-1920), afin de définir les concepts à étudier, on ne sera pas surpris de constater par la suite que les propos présentés au lecteur ne seront pas inspirés par la plus récente littérature scientifique. Dans cette première partie, la référence la plus proche de notre époque, lâchée sans aucune explication (au point où elle risque de demeurer incompréhensible au lecteur qui ne connaîtrait pas déjà l’auteure et sa théorie), renvoie à une monographie de la grande sociologue française Danièle Hervieu-Léger (La religion pour mémoire, 1993). Les chapitres s’enchaînent ensuite au gré d’une périodisation grossière, fondée sur une supposée succession …

Appendices