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C’est un vaste programme qu’ont entrepris Deirdre Meintel et son équipe avec le chantier qui allait mener à l’écriture de La pluralité religieuse au Québec. Issu d’un financement en deux phases du CRSH (2006-2015), le projet visait d’abord à « faire état de la diversité et du pluralisme religieux au Québec » et à « rendre compte de la manière dont [la pluralité religieuse] est gérée » (p. 5). Le groupe de chercheurs s’est également donné comme but de « comprendre la place du religieux dans le quotidien des personnes vivant dans cette société moderne et sécularisée qu’est le Québec contemporain » (p. 6). Le collectif offre une généreuse et abondante description du pluralisme religieux minoritaire et marginal en répertoriant dans leur étude pas moins de deux cent trente-deux groupes. Les exemples concernant des groupes comme les yogiques, les évangéliques, les pentecôtistes, les Témoins de Jéhovah, les chrétiens orthodoxes, les musulmans, les hindous, les wiccas et un ensemble de diverses spiritualités, croyances et pratiques hybrides au christianisme se multiplient. Malgré cette richesse, l’ouvrage trouve ses limites lorsque vient le temps de montrer la place que cette diversité prend à plus grande échelle au sein de la société québécoise. En dépit du contexte social et politique bouillant dans lequel cette étude a été menée, il est en effet peu ou pas question de la gestion politique du religieux, mais plutôt de la façon dont les individus négocient leur religiosité. C’est d’ailleurs à partir du concept d’individualisation du religieux que seront traités la plupart des cas répertoriés.

Ce projet, qui fut lancé à Montréal dans les années précédant la Commission Bouchard-Taylor, s’étendra au-delà des frontières de la métropole. Un total de quatre autres régions sont étudiées : la municipalité de Rawdon, la ville de Saguenay, la ville de Saint-Jérôme et la ville de Sherbrooke. Ce vaste terrain fut conduit par une équipe de huit chercheurs principaux et de soixante-six autres auxiliaires de recherche et contributeurs. Les données ont été recueillies à partir d’une approche ethnographique uniformisée misant sur l’immersion, les entretiens et les observations. Ainsi, les auteurs cherchent à saisir le sens de l’expérience religieuse chez les participants.

En plus de couvrir les aspects méthodologiques, le premier chapitre offre un survol des cinq régions analysées dans l’ouvrage. Pour chacune d’entre elles, les auteurs veillent à articuler l’histoire et le développement de la région avec son profil social et religieux. On y retrace l’origine de l’implantation orthodoxe à Rawdon. Au Saguenay, on y décrit la permanence catholique à travers les années. À Sherbrooke, on met en lumière la cohabitation historique entre les francophones et les anglo-protestants. Pour Saint-Jérôme et les Laurentides, les auteurs retracent l’histoire ouvrière et traitent brièvement de la diversité au sein du catholicisme. C’est toutefois à Montréal qu’ils trouveront leur matière à penser puisque c’est principalement de là que provient la diversité religieuse analysée dans l’ouvrage. Cette exploration permet néanmoins une mise en perspective du Québec et de ce qui distingue véritablement la métropole des régions. Or, à l’exception de cinq tableaux placés en annexe, la comparaison entre les régions ne sera que très peu approfondie. À la lumière des transformations démo-religieuses que vit le Québec, la comparaison entre les terrains aurait eu l’avantage d’en présenter le déploiement.

Dans le second chapitre, les auteurs montrent que la diversité religieuse moderne, présente ailleurs en occident, est aussi le fait du Québec. La province ne ferait pas exception et elle obéirait aux mêmes logiques de modernisation, de sécularisation et de mobilité humaine que l’Europe ou le reste de l’Amérique. Or, la particularité du Québec serait le fait d’une religiosité particulièrement taboue et largement invisible. Les auteurs constatent également une « hybridation » des phénomènes religieux, notamment chez la majorité québécoise d’origine catholique. Cette « hybridation » passerait souvent par un éloignement de l’institution que représente l’Église catholique et par l’ajout d’une dimension spirituelle, c’est-à-dire l’affirmation d’une certaine subjectivé au vécu religieux.

Le troisième chapitre repose sur la mobilité comme clé de compréhension du pluralisme religieux contemporain. Les auteurs cherchent toutefois à aller au-delà de l’apport provenant strictement de l’immigration. Même s’ils en reconnaissent l’importance, ils montrent également que la mobilité du religieux peut provenir d’individus d’origine québécoise qui reviennent de voyage et qui adoptent et intègrent ensuite une certaine religiosité apprise à l’étranger. Il n’en demeure pas moins que les liens transnationaux et l’immigration constituent une part importante de la circulation et de l’hybridation du religieux québécois, même au sein du catholicisme.

Le quatrième chapitre expose, à partir de nombreux exemples, les façons dont cette hybridation peut être appliquée aux soins. Le religieux et la spiritualité y sont alors présentés comme étant un ensemble de ressources qui sont mobilisées par les individus lors de certains moments difficiles de leur vie. Or, il s’agit d’abord d’une recherche du « mieux-être » spirituel où c’est l’âme qui est traitée plutôt que le corps. Ces pratiques sont généralement discrètes et s’inscrivent dans une tendance plus large d’individualisation du religieux.

Le dernier chapitre du livre repose sur une analyse de la contribution du religieux minoritaire au vivre ensemble. Les auteurs passent alors d’une perspective individuelle du religieux à un point de vue communautaire et social du religieux. Ce lien entre l’individu et la communauté est au coeur de leur thèse car le religieux serait d’abord « un facteur important de rapprochement entre citoyens ». En ce sens, les auteurs tentent d’agencer leur approche reposant sur l’individualisation du religieux à une conception sociale et communautaire du religieux. Ainsi, ils affirment que la diversité religieuse, ses pratiques et ses manifestations contribuent à la mise en relation, l’acceptation mutuelle et l’ancrage dans la société-hôte (p. 85).

Au terme de cet ouvrage, le lecteur sera certainement pris d’une grande curiosité pour plusieurs des phénomènes surnaturels, spirituels et religieux qui y sont décrits. Si l’enfilade de descriptions et d’exemples offre un portrait du religieux québécois qui est à la fois riche, original et complexe, répertorier autant de cas autour de thèmes figés limite inévitablement la profondeur analytique à laquelle on peut les soumettre. Il faut enfin reconnaître le mérite de ce livre d’une centaine de pages qui ouvre la porte aux chantiers de ses soixante-quatorze contributeurs et qui, du fait même, laisse espérer le développement et l’approfondissement des recherches qu’on y trouve dans des travaux futurs.