Au Canada, la profession du travail social, ainsi que les métiers du développement territorial (Robitaille, 2016), bénéficie de plus de cent ans d’histoire. La profession a émergé à une époque marquée par l’avènement du capitalisme. Cette période était caractérisée par l’essor de l’industrialisation, l’apparition de nouveaux modes de production, le développement rapide des centres urbains et la déqualification du travail (Braverman, 1976). L’effort social, pour reprendre le concept utilisé par Dennis Guest (1995), est venu prendre en charge les nouvelles formes de pauvreté et de misère, ainsi que mobiliser les changements sociaux afin d’améliorer les conditions de vie des individus et des communautés. De nos jours, les étudiantes et les étudiants en travail social sont initiés aux oeuvres d’autrefois, en particulier aux traditions de Janes Addams et de Mary Richmond (Ives et coll., 2020). Comme le souligne Guest (1995), le travail social constitue une forme moderne des solidarités traditionnelles, et son histoire est imbriquée dans l’évolution du capitalisme et la concrétisation de l’État social. Dans un premier temps, les travailleuses et travailleurs sociaux ont joué un rôle notoire dans les oeuvres de charité et l’assistance sociale apportée aux familles, mais aussi dans la lutte ouvrière de la première moitié du XXe siècle (Holland et Scourfield, 2015). Les récits des manifestations contestataires, des débrayages spontanés, des arrêts de travail délibérés et des grèves séditieuses sont nombreux à cette période. Par exemple, la grève de Winnipeg, en 1919, met en scène des personnes reconnues comme étant à l’origine du travail social au Canada (Collective, 2019) et qui luttent aux côtés des ouvrières et des ouvriers. Pensons, entre autres, au méthodiste James Shaver Woodsworth qui, par ses idées de justice sociale, inspira la profession et, sur le plan politique, fonda la Fédération du Commonwealth Coopératif, ancêtre politique du Nouveau parti démocratique du Canada. Les travailleuses et travailleurs sociaux ont oeuvré à organiser des syndicats, des groupes de travailleurs et d’autres organisations de défense de leurs droits. Ils ont aussi travaillé auprès de familles ouvrières, notamment en aidant à accéder à des services de santé, de logement et d’éducation. Dans un deuxième temps, à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, le travail social a joué un rôle primordial dans la construction de l’État providence. Maintes fois, ils ont été à la source de nouvelles politiques sociales progressives, et ont même été aussi responsables de leur mise en oeuvre (Provencher, 2004). Au Nouveau-Brunswick, le rapport Byrne en 1963, de même que la réforme sociale qui en découle sous le gouvernement libéral de Louis J. Robichaud, est accueilli favorablement par les travailleuses et travailleurs sociaux (Lewey et coll., 2019). À cette époque, cet État social nécessitait des professionnelles et des professionnels pour gérer les prestations sociales, offrir des services sociaux et superviser les divers programmes destinés à améliorer la qualité de vie des individus et des communautés : les travailleuses et travailleurs sociaux étaient les « fourmis ouvrières » de cette expansion. Comme le constate Guest (1995), le nombre de travailleuses et travailleurs sociaux au Canada a explosé entre 1951 et 1971, passant de 3 495 à 30 535 personnes. Dans un troisième temps, au cours des années 1980 et 1990, avec l’avènement du néolibéralisme (Favreau, 2000), les tenantes et tenants du travail social ont dénoncé le désengagement et le démantèlement de l’État social au profit d’un capitalisme de plus en plus mondialisé et financiarisé. D’un côté, ces personnes ont été touchées par les réformes néolibérales, avec des réductions de financement et de personnel dans les services publics et sociaux (Bellot et coll., 2013). Leurs conditions de pratique ont alors été de plus en …
Appendices
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