Abstracts
Résumé
Cet article traite de l’intégration professionnelle réussie des femmes immigrantes, un sujet peu documenté qui dévoile la réalité positive des femmes immigrantes. L’étude décrit les facteurs et procédés favorables au succès de l’intégration professionnelle réussie des femmes immigrantes africaines francophones à Winnipeg. Réalisée dans une démarche qualitative et sous l’éclairage des théories du capital social et de l’acculturation, les résultats avancent que ces femmes ont réussi leurs parcours professionnels en utilisant leurs compétences personnelles et leur capital social, en participant dans les réseaux et en bénéficiant des opportunités. Confrontées à des difficultés dans leur ascension professionnelle, elles ont développé des stratégies et des accommodements.
Mots-clés :
- Femmes,
- Immigration,
- Intégration,
- francophonie minoritaire,
- réussite professionnelle
Abstract
This article pertains to the positive factors ensuring successful professional integration of immigrant women, a subject poorly documented in the literature. The study describes the factors and processes favorable to the successful professional integration of French-speaking African immigrant women in Winnipeg. Using a qualitative approach and guided by social capital and acculturation theories, findings suggest that these women’s success depended on personal skills and social capital, their participation in networks and their ability to seek advantageous opportunities. Faced with difficulties in their professional ascent, they have developed strategies and accommodations to achieve success.
Keywords:
- Women,
- Immigration,
- Integration,
- linguistic minority,
- professional success
Article body
Introduction
Cet article présente les résultats d’une étude exploratoire et descriptive sur une question sociale peu ou mal connue : l’intégration professionnelle réussie des immigrantes francophones appartenant aux minorités visibles à Winnipeg au Manitoba. L’immigration est un phénomène très important au Canada et plusieurs études soulignent que l’intégration socioprofessionnelle se fait plus difficilement pour les groupes plus récents de personnes immigrantes, (Gauthier, 2013). Comme dans la plupart des Communautés de langue officielles en situation minoritaire (CLOSM), au Manitoba, les personnes immigrantes francophones constituent une communauté croissante et importante. Cette situation, qui vient en réponse aux nouveaux besoins créés par le vieillissement de la population francophone et la pénurie de la main d’oeuvre surtout bilingue dans certains secteurs, fait en sorte que les personnes immigrantes sélectionnées et accueillies sont de plus en plus issues de la francophonie (Vatz-Laaroussi, 2008), et elles sont souvent plus scolarisées et qualifiées (Chicha, 2012). En 2014, le Manitoba a accueilli 407 personnes immigrantes francophones sur 16 222 personnes immigrantes reçues. Elles proviennent principalement de la République démocratique du Congo, du Mali et de la France. Leur pays d’origine témoigne de l’importance de la présence des Africains parmi ces immigrants francophones et Winnipeg constitue le principal lieu de leur destination dans la province. (Immigration et travail Manitoba, 2014). Le recensement de 2016 révèle qu’à Winnipeg, 975 personnes parlent uniquement le français, alors que 70 315 sont bilingues (français/anglais) sur une population de 702 760 personnes (Statcan, 2016).
Les immigrants, particulièrement les femmes, présentent plusieurs besoins d’adaptation qui pourraient entraver leur intégration professionnelle (Pagé, 2012). En effet, les difficultés liées au fait d’immigrer ont souvent de sérieuses répercussions sur leur vie et d’autres facteurs tels que l’inégalité, l’exclusion, la différenciation sociale peuvent constituer de sérieux écueils à l’intégration de ces dernières (Pagé, 2012). Des études menées au sujet des femmes immigrantes, notamment au Québec, ont permis de constater, de décrire, d’expliquer ou de dénoncer la précarité des conditions socioéconomiques des femmes immigrantes (Vatz-Laaroussi et al. 2002; Vatz-Laaroussi, 2008). D’autres études révèlent les facteurs d’exclusion faisant obstacle à l’intégration socioéconomique de certains groupes de femmes immigrées (Pierre, 2005) ou de la discrimination systémique à travers la déqualification professionnelle (Chicha, 2012; Boulet, 2012).
Ces difficultés seraient accentuées dans le cas de plusieurs femmes immigrantes qualifiées. Celles-ci privilégient souvent des stratégies familiales d’intégration qui tendent à privilégier d’abord la formation et la carrière du conjoint (Chicha, 2012). Par ailleurs, les employeurs peuvent entretenir des préjugés souvent basés à la fois sur le sexe et sur l’origine ethnique de ces femmes (Reitz, 2007; Gauthier, 2013). Selon Gauthier (2013), l’intégration socioprofessionnelle se fait de plus difficile particulièrement lorsqu’il s’agit des femmes immigrantes qui peinent à rattraper les immigrants masculins et les femmes natives du pays d’accueil. Les études faites à ce sujet mettent principalement en évidence des obstacles tels que : la non-reconnaissance des acquis et des compétences, le manque d’expérience sur le marché canadien, les préjugés, la discrimination et les difficultés d’accès aux réseaux sociaux (Chicha, 2012; Gauthier, 2013).
Pourtant, malgré ces difficultés, certaines femmes immigrantes sont parvenues à bien s’intégrer professionnellement dans leur communauté d’accueil. Quelques rares écrits qui abordent ce sujet ont mis en évidence les représentations sur le plan identitaire et les stratégies que certaines femmes ont développées devant les obstacles à l’insertion socioprofessionnelle (Cardu et Sanschagrin, 2002). D’autres auteurs insistent sur l’apport et l’importance du rôle des réseaux sociaux (Bouchard et Gilbert, 2005; Gauthier, 2013) et des organismes communautaires (Campanile, 2007; Bamba et Morin, 2014) dans ce processus d’intégration professionnelle. Cependant, il existe très peu d’études concernant les femmes immigrantes qui sont parvenues à s’intégrer professionnellement avec succès et presque pas d’études qui sont menées sur les réalités de cette catégorie de femmes immigrantes au Manitoba (Ba, 2018).
Ainsi, par opposition à la littérature portant sur les femmes immigrantes qui les présente plus souvent en difficultés sociales et relationnelles, isolées, dépendantes du conjoint ou de la collectivité, invisibles socialement et économiquement (Pierre, 2005; Gauthier, 2013, cette recherche veut explorer une question sociale peu ou mal connue : l’intégration professionnelle réussie des immigrantes francophones appartenant aux minorités visibles. Souvent, pour bien s’intégrer professionnellement, ces immigrantes francophones doivent maitriser l’anglais, la langue majoritairement parlée dans la communauté. En plus, elles doivent faire face à certaines normes sociales établies qui occasionnent de profonds changements et transformations sur le plan identitaire et comportemental pouvant avoir des conséquences sur leur vie, (Freund, 2015; Carter et al. 2009a; Hyppolite, 2012, Gallant, 2010). Ces normes sociales établies, qui sont des signaux indiquant les bons ou mauvais comportements dans la communauté, font référence par exemple à la capacité des personnes immigrantes de bien s’adapter à la communauté d’accueil et de veiller au respect des règles établies (tolérance zéro pour la violence). (Livet, 2012).
La réussite professionnelle des personnes immigrantes est une problématique qui interpelle les communautés dans lesquelles ils vivent. Le concept même peut être perçu et réalisé différemment. Son appréhension peut s’avérer une tâche ardue et sa définition tiendrait compte de plusieurs dimensions (Dahan et Dufour, 2012). La stabilisation dans l’emploi, les opportunités de promotions, la rémunération, le développement de nouvelles compétences et surtout l’épanouissement professionnel et social sont autant de dimensions à considérer (Davoine et Erhel, 2007). Aussi, la réussite professionnelle peut dépendre des capacités et des compétences des immigrantes. Dans le cadre de cette recherche, l’accent est plutôt mis sur ce que nous considérons plus tangible, comme le salaire gagné et le poste occupé. À ce sujet, le salaire moyen dans la province du Manitoba des femmes âgées de 25 à 54 ans était 47 200 $ en 2018 (Statistique Canada, 2020). Pour considérer la réussite professionnelle des immigrantes dans cette étude, nous entendons le fait d’occuper un emploi garanti et permanent avec un revenu annuel minimum de 50 000 $ par an et qui correspond aux attentes de ces femmes. Donc, dans cette recherche, l’accent est plus porté sur la dimension rémunération qui a plus de sens pour appréhender la réussite professionnelle, car elle recouvre le salaire et la satisfaction que les femmes peuvent retirer.
L’étude ainsi initiée a pour objet de comprendre comment ces femmes ont réussi professionnellement à Winnipeg, malgré certains obstacles qui ont pu se dresser dans le parcours d’intégration. Plus spécifiquement, l’étude vise à connaitre qui sont ces femmes qui ont réussi professionnellement et à décrire les facteurs et processus qui ont favorisé cette réussite professionnelle, les difficultés rencontrées et les stratégies développées pour y contrer et ultimement formuler quelques recommandations. Après avoir campé le but et les objectifs de l’étude dans l’introduction, l’article présentera brièvement le cadre théorique qui a inspiré l’étude et le choix méthodologique. Ensuite seront exposés les résultats de l’étude qui indiqueront le profil d’immigration des répondantes, le contexte d’immigration, les facteurs et procédés favorables à l’intégration professionnelle réussie et les difficultés rencontrées et stratégies adoptées pour les contrer. Enfin, seront présentées une discussion qui analyse des résultats en lien avec les théories et une conclusion qui indiquera quelques remarques et recommandations.
Cadre théorique
La théorie du capital social et la théorie de l’acculturation ont été utilisées pour bien comprendre la réussite professionnelle des immigrantes africaines francophones à Winnipeg. La combinaison d’éléments contenus dans chacune de ces théories a été prometteuse pour analyser et décrire les résultats de cette recherche et a pu augmenter les connaissances dans le domaine.
Dans cette étude, le capital social sera défini sous l’angle des relations sociales, des réseaux sociaux et des ressources qu’il rend accessibles aux individus pour leur permettre d’atteindre leur buts (Bourdieu, 1986; Coleman, 1990). Le capital social permet l’accès à certaines ressources indispensables qui sont disponibles au sein d’une communauté (Tortelli, Sauzé et Skurnik, 2017). Plus particulièrement, le capital social est toujours en mode d’évolution ou de mutation en fonction des ajouts de membres au réseau, ou du style de vie de chaque individu. Il est aussi affecté par les facteurs externes tels que les événements globaux, la démographie de la communauté, et la diversification des groupes (Martin-Caron, 2013; Tortelli, Sauzé et Skurnik, 2017). En plus, la façon dont le capital social est utilisé par un membre d’une communauté peut aussi dépendre de l’initiative et de l’investissement de cet individu dans ce même réseau (Tortelli, Sauzé et Skurnik, 2017). Sibony (2016) propose quatre dimensions du capital social qui sont les obligations sociales, les réseaux, les normes et le contexte institutionnel, le tout contribuant aux différentes facettes du capital social. De plus en plus, les réseaux sociaux deviennent un élément explicatif important dans l’étude des sociétés contemporaines, notamment des personnes immigrantes parce qu’ils permettent de recréer le lien entre société et individu. (Arcand et al., 2009). Selon Vatz Laaroussi (2005), les réseaux sociaux recouvrent les fonctions remplies par les familles, les groupes ou les systèmes tout en les transcendant. Les réseaux sociaux sont à la fois des systèmes de relations et de socialisation qui fluctuent dans le temps et dans l’espace, grâce à des vecteurs qui peuvent être de nature humaine, mais aussi matérielle et qui entretiennent une forme de solidarité (Fiore, 2013). En ce sens, le capital social s’avère une théorie utile pour expliquer les facteurs et les processus de succès de l’intégration professionnelle des immigrantes francophones dans les Prairies.
L’approche de l’acculturation, quant à elle, est souvent utilisée pour décrire le processus d’accommodation qui survient lorsque des individus de cultures différentes interagissent continuellement. Selon Berry et Sam (1997), l’acculturation implique plusieurs variables au niveau de l’individu, mais aussi au niveau d’un groupe auquel la personne appartient et au groupe auquel la personne voudrait appartenir. Les éléments de groupe comprennent la société d’origine, l’acculturation du groupe, la société de résidence, les expériences d’acculturation et les événements de vie (Berry et Sam, 1997; Gakuba et Graber, 2012). Pour ce qui en est des éléments d’un individu, il y a les facteurs présents avant l’acculturation tel que l’âge, le genre, le niveau d’éducation, le statut social, la motivation pour la migration, les attentes, la langue, la religion et la personnalité (Berry et Sam, 1997; Gakuba et Graber, 2012). De plus, pendant le processus d’acculturation, soit la durée, l’appui social, les préjugés et la discrimination de la société, les stratégies et les ressources pour faire face à l’acculturation, ces facteurs jouent aussi un rôle important (Berry et Sam, 1997). Plus particulièrement, il existe quatre facettes d’acculturation à savoir l’intégration, l’assimilation, la séparation et la marginalisation (Berry, 2011). L’intégration se passe lorsque les individus d’un groupe minoritaire s’identifient avec le groupe ethnique et la culture majoritaire, contrairement à l’assimilation où les individus veulent interagir et s’intégrer à la culture majoritaire (Berry, 2011). La séparation survient lorsque les individus ne veulent pas interagir avec la culture majoritaire et s’associent très fortement à leur culture ethnique; la marginalisation surgit quand les individus ne s’identifient pas avec la culture ethnique, ni avec la culture majoritaire (Berry, 2011). Toutes ces variables pourraient aussi affecter le processus d’intégration d’un individu.
Le cadre conceptuel adopté pour cette recherche, influencé par la combinaison des théories du capital social et de l’acculturation, a permis de mieux analyser et de mieux saisir l’expérience de l’intégration professionnelle réussie des immigrantes africaines francophones. Il a permis de tenir compte de certaines variables essentielles et pertinentes mentionnées dans les deux approches telles que les relations sociales, les réseaux sociaux, la disponibilité de ressources et l’accommodation culturelle. En d’autres termes, la combinaison de facteurs de ces deux théories a permis de mettre en évidence les relations entre les éléments individuels, socioéconomiques, politiques et environnementaux qui ont pu influencer la performance et la réussite professionnelle de ces femmes immigrantes à Winnipeg, selon leurs différentes expériences vécues.
Méthodologie
Cette recherche est réalisée en adoptant une méthode qualitative de cueillette et d’analyse des données (Gauthier, 2010). Le recours à des entrevues semi-dirigées pour donner la parole à ces femmes a permis d’atteindre les objectifs fixés. Les femmes ont été sélectionnées selon les critères suivants : être femme immigrante issue de l’Afrique, être francophone, vivre à Winnipeg depuis au moins 5 ans et occuper un emploi permanent qui correspond plus ou moins à ses attentes. L’échantillonnage choisi est typique et a adopté la stratégie de « boule de neige », à partir de deux contacts initiaux. Cette façon de sélectionner les participantes est appropriée car elle a permis de cibler 30 femmes qui sont de bonnes informatrices-clés (Bertaux, 1997; Comeau, 2000) et qui ont fourni des informations pertinentes. Le travail de terrain a débuté après l’obtention d’un certificat d’éthique, approuvé par le comité d’éthique de la recherche à l’Université de Saint-Boniface. Avant l’administration des entrevues, chaque participante est informée de l’objet de la recherche et de son déroulement, des mesures déjà prises pour garantir la confidentialité des données et l’anonymat des participantes. Le consentement éclairé de ces dernières est obtenu et authentifié par leur signature sur un formulaire élaboré à cet effet.
D’octobre 2017 à février 2018, les entrevues semi-dirigées sont réalisées à travers une grille élaborée à cet effet. Le recours à des entrevues semi-dirigées a permis de donner la parole à ces femmes immigrantes qui sont des sujets concernées et capables de donner elles-mêmes des informations les concernant et permettre ainsi l’atteinte des objectifs fixés pour cette recherche. La réalisation des entrevues a duré approximativement 60 minutes. Chaque entrevue est enregistrée sur bande audio pour des fins de transcription. Par la suite, les données transcrites sont analysées à l’aide de Microsoft Word afin de permettre un regroupement de thématiques notables présentes dans la grille d’entrevue (contexte d’immigration, facteurs favorables, procédés adoptés, difficultés rencontrées et stratégies adoptées.)
Les données ont été traitées selon l’analyse de contenu de façon inductive (Matthew et Huberman (2003). Une première lecture verticale de chaque entrevue est réalisée avec une codification manuelle des catégories émergentes de premier ordre hiérarchique, soit les catégories déterminées en fonction des principaux thèmes abordés lors des entretiens. À cela, a suivi une analyse horizontale du matériel et des codifications réalisées. Par la suite, pour chacune des catégories retenues, des catégories de second niveau hiérarchique ont été identifiées pour cibler les thématiques notables (Miles et Huberman, 2003). Également, ces données ont aussi été introduites dans le logiciel NVivo version 11 (QSR International, 2015) pour faciliter l’analyse du contenu et de la codification des données des entrevues afin de former des thématiques du contenu de tous les entretiens. Le logiciel NVivo est utilisé pour appuyer et valider l’analyse faite dans MicroSoft Word. De plus, une analyse quantitative est effectuée pour le traitement des données sociodémographiques recueillies auprès des participantes en utilisant le logiciel SPSS version 21 (IBM Corporation, 2012).
Dans les chapitres qui vont suivre, les résultats de la recherche seront exposés. Ceux-ci concernent le profil sociodémographique des répondantes, le contexte d’immigration, les facteurs et procédés favorables à l’immigration et les difficultés rencontrées et les stratégies développées.
Résultats
Les résultats de l’étude permettent d’avancer incontestablement l’existence d’immigrantes africaines qui sont parvenues à bien s’intégrer et à prendre leur place dans la société franco-manitobaine à Winnipeg. Avant d’entamer la description des différentes thématiques, le profil sociodémographique des femmes interviewées sera dressé.
Profil d’immigration des répondantes
Le tableau ci-après dévoile les caractéristiques sociodémographiques des femmes qui ont participé à l’étude.
Les 30 femmes immigrantes africaines francophones interviewées sont originaires de neuf pays d’Afrique de l’ouest. Elles proviennent majoritairement du Congo (23 %) et la plupart sont venues avec le statut de réfugié. Elles sont toutes âgées de plus de 30 ans et parmi elles, nombreuses sont celles qui sont venues dès leur jeune âge par le biais des études. 70 % d’entre elles ont foulé le sol canadien pour la première fois il y a plus de 10 ans. Près de la moitié (46,7 %) ont immigré de façon volontaire. Elles possèdent toutes la citoyenneté, à l’exception d’une seule femme qui demeure encore résidente permanente. Au moment de leur immigration, 70 % d’entre elles avaient un niveau d’études universitaires ce qui constitue un échantillon fortement scolarisé et qualifié. Néanmoins, quelques-unes d’entre elles ont décidé de retourner aux études. Elles sont majoritairement des femmes mariées (76 %) vivant en famille avec plus de trois enfants pour 50 % d’entre elles.
Sur le plan professionnel, 28 répondantes (93 %) affirment avoir changé d’emploi au moins une fois depuis leur arrivée à Winnipeg pour un nouvel emploi qu’elles qualifient de meilleur et plus valorisant parce que dans ces emplois, elles détiennent plus de responsabilités. Ces femmes travaillent dans plusieurs secteurs d’activités, mais majoritairement dans la santé et l’éducation (46,6 %). Il est remarquable de voir que 50 % de ces femmes travaillent dans le secteur public et intéressant de constater aussi que 16,7 % de l’échantillon sont des entrepreneures autonomes qui gèrent elles-mêmes leur propre entreprise. Dans cette recherche sur l’intégration professionnelle réussie des immigrantes, un des critères de sélection des participantes était en lien avec leur revenu annuel qui devrait être assez substantiel (50 000 $) pour prouver leur réelle autonomie financière et justifier leur réussite professionnelle. Ainsi, 60 % d’entre elles gagnent plus de 60 000 $. Incontestablement, la maîtrise de l’anglais a été un grand facteur de la réussite de l’intégration professionnelle de ces femmes immigrantes francophones à Winnipeg. Toutes les femmes interviewées comprennent l’anglais qui est majoritairement parlé au Manitoba.
Contexte d’immigration
Les résultats révèlent trois sortes de parcours empruntés par ces femmes pour immigrer au Canada et à Winnipeg : le parcours volontaire, le parcours involontaire et le parcours par le biais des études. D’abord, le parcours volontaire concerne les femmes (47 %) qui ont pris volontairement la décision de venir au Canada et particulièrement au Manitoba. Dans cette catégorie, se trouvent surtout les couples qui sont venus s’installer à Winnipeg. Pour plusieurs d’entre ces femmes, l’initiative d’immigrer vient principalement de la femme qui soit est venue toute seule soit a encouragé son conjoint à la suivre :
« Venir au Canada c’était mon idée, c’est moi qui voulais ça, c’est moi qui pensais qu’on aurait un meilleur avenir pour notre fils en venant au Canada. Comme j’ai dit, contrairement à d’autres personnes qui viennent accompagner leur mari, j’ai envie de leur dire c’est mon mari qui m’a accompagnée au Canada, ce n’est pas moi qui l’ai accompagné au Canada. C’est moi qui ai payé tous les frais pour venir au Canada. C’était mon projet. »
P16
Ce témoignage illustre bien le fait que certaines femmes, en quittant leur pays, choisissent de renoncer à une condition de vie acceptable pour aller tenter une autre vie ailleurs. Ensuite, le parcours par des études regroupe les femmes (33,3 %) qui sont restées immigrantes après avoir fini leurs études au Canada. Quelles que soient les raisons évoquées, ces femmes sont toutes à la recherche d’un avenir meilleur, libre et sécuritaire pour leur famille. Pour ces dernières, les études sont une bonne porte d’entrée.
« Moi, un de mes objectifs dans la vie c’était d’apprendre l’anglais, donc quand j’ai décidé de venir ici au Canada et qu’on m’a acceptée et bien qu’étant francophone je sais que Winnipeg n’est pas une ville francophone. Donc, j’ai demandé par-ci par-là et mon but c’était d’aller pratiquement là où les deux langues sont pratiquées. »
P26
Enfin, le parcours involontaire regroupe les femmes (20 %) qui ont été contraintes d’immigrer. Cette catégorie regroupe les femmes qui sont venues en tant que réfugiées et celles qui ont été obligées de suivre leur mari sans vraiment le vouloir. Voici un témoignage édifiant à ce sujet :
« Je suis venue ici à Winnipeg c’est parce que mon mari est venu et pour conserver l’unité familiale et tout je l’ai suivi mais ce n’est pas comme quelque chose que j’ai choisi. »
P22
Pour cette autre femme, son engagement politique et social dans son pays l’a obligée à s’exiler : « Mais j’étais forcée de venir, de quitter (mon pays), parce que j’encadrais les femmes, je militais pour les droits de la femme alors cela n’était pas facile. Alors je devais quitter et sauver ma vie et celle des enfants. » (P14)
Hormis celles qui sont venues en tant qu’étudiantes, la plupart des autres femmes, avant l’immigration, avait déjà une expérience de travail dans leur pays d’origine et souvent y occupaient des postes avec responsabilités. Une fois au Manitoba, presque toutes les répondantes ont eu à travailler quelque part ailleurs avant d’occuper leur poste actuel à Winnipeg. En effet, (90 %) des répondantes ont changé d’emploi au cours de leur séjour à Winnipeg. Les raisons évoquées sont nombreuses, mais le plus souvent c’est parce qu’elles ont trouvé mieux :
« Avant d’arriver au Canada en 2000, j’ai fait une première formation d’aide en Soins de Santé à Paris à l’Hôpital (nom de l’hôpital). J’ai travaillé avec des personnes âgées dans une clinique et les enfants handicapés avec handicap lourd. »
P19
« Je suis venue ici en 1994, donc j’ai commencé mon université ici à Saint-Boniface… C’est à partir de la deuxième année vraiment que j’ai commencé à travailler et j’ai commencé par des petits-emplois…quand j’étais étudiante. Et quand j’ai terminé mon premier boulot professionnel c’était à Pluri-Elles parce que j’avais longtemps fait du bénévolat là-bas. »
P29
Pour trouver du travail, les répondantes ont mentionné être passées par quatre processus : le stage, le bénévolat, l’acceptation d’un emploi en dehors de leur domaine de qualification ou alors l’acceptation d’un emploi dans son domaine mais en dessous de sa qualification. Ces quatre voies leur ont permis d’accéder à l’emploi qu’elles ont actuellement.
Facteurs et procédés favorables à l’intégration professionnelle
Plusieurs facteurs ont contribué au succès de l’intégration professionnelle des femmes immigrantes africaines francophones à Winnipeg. Pour bien les décrire, ces facteurs ont été regroupés au niveau individuel et familial, au niveau sociétal et au niveau institutionnel et politique. En lien avec le cadre théorique, ce regroupement judicieux à ces trois niveaux a facilité l’analyse et l’explication de la réussite professionnelle de ces femmes.
Au niveau individuel et familial, l’étude révèle la capacité des de ces femmes à occuper un emploi important et prestigieux et à leur convenance et un solide soutien familial. La capacité de ces femmes repose sur trois facteurs individuels essentiels et nécessaires qui renvoient aux compétences qu’elles ont acquises, à leurs qualités personnelles et aux bons procédés qu’elles ont utilisés pour réussir sur le plan professionnel. D’abord, les femmes dans cette étude ont acquis un statut légal et valide au Canada, position qui facilite l’intégration professionnelle. Elles sont aussi bien scolarisées et maitrisent bien l’anglais. Ensuite, à côté des compétences acquises souvent par le biais des études ou d’une formation, les femmes ont indiqué l’utilité de posséder certaines qualités personnelles. Celles-ci doivent être suffisamment développées et entretenues pour favoriser la réussite de l’intégration professionnelle. Ces qualités sont nombreuses et les principales sont répertoriées dans le tableau 2 ci-dessous.
Enfin, les femmes ont utilisé des procédés pour se donner plus de chances de réussir. Ces procédés favorables renseignent sur leurs façons de faire ou de se comporter qui ont permis leur réussite professionnelle. Selon le discours des répondantes, pour prendre sa place dans sa nouvelle communauté, l’immigrante doit tout d’abord en démontrer la volonté. À ce sujet, les répondantes ont énuméré plusieurs procédés qui leur ont permis la réussite de leur intégration professionnelle. Il s’agit de se fixer un objectif clair dès le départ, de se former pour être à la hauteur de sa responsabilité, de faire du bénévolat, du réseautage, de sortir de sa zone de confort pour s’ouvrir à la communauté d’accueil, de refuser de l’aide gouvernementale en travaillant par conséquent, de vaincre sa peur en prenant des initiatives et finalement occuper un poste en-dessous de leur compétence pour mieux avancer. Voici un témoignage éloquent à ce sujet :
« Dès que je suis arrivée, j’ai commencé à connaître le système… j’ai cherché à savoir comment trouver du travail. La première chose qu’on dit ici, c’est, il faut chercher à faire du bénévolat…. Donc j’ai commencé à faire du bénévolat dans les écoles, dans les garderies. Et ça m’a beaucoup aidée pour trouver du travail et développer un réseau. Au début, je ne veux pas dire que c’est difficile de dire oh je vais travailler sans être payée, mais moi je l’ai pris personnellement pour travailler. Quand tu arrives ici on te demande des références, et moi je ne pouvais pas donner des références de France, ils ne vont pas appeler en France pour demander des références. Donc il fallait des références d’ici, des contacts d’ici. Le seul moyen pour moi de les avoir, étant nouvelle, c’est de faire du bénévolat. »
P08
Ces différents procédés démontrent bien que ces femmes ont choisi de s’intégrer au lieu de se marginaliser ou de s’exclure de la société comme l’explique bien la théorie de l’acculturation (Berry, 2011) dans la présente recherche.
Par ailleurs, le soutien familial constitue un facteur très encourageant dans le succès professionnel des femmes. En effet, vouloir concilier famille et travail a toujours été un casse-tête pour toutes les femmes qui aspirent à des emplois qui les propulsent en dehors du foyer familial. Lorsqu’il s’agit de femmes immigrantes, la gestion de la famille peut demander beaucoup plus de sacrifices et de flexibilités. Ces femmes viennent d’un contexte social différent où la vie familiale se passe très souvent en communauté et l’entraide est très souvent disponible. Pour certaines des répondantes, c’est très difficile de concilier les deux ou de faire un choix. L’aide et le soutien des membres de la famille tels que le conjoint, les belles-mères, les enfants s’avèrent d’un précieux apport. Parfois il peut s’agir de voisin ou réseau d’amies qui finalement complète la famille. Elles s’accommodent autant que possible pour se soutenir au mieux. Cette femme évoque le soutien de son conjoint, qui dans un contexte différent, adopterait une autre attitude :
« … Il m’a vraiment supportée étant donné que nous avons quatre enfants, et quand nous sommes venus à Winnipeg, ils étaient assez jeunes, il fallait vraiment… Il a fait de son mieux et c’est lui qui m’encourageait chaque fois, va étudier il ne faut pas rester juste accompagner les résidentes, tu n’es pas venue pour ça, moi je suis assez âgé, je ne veux plus étudier, mais toi au moins tu as un grand diplôme, il ne faut pas gâcher toutes ces années d’études-là. Alors il m’a vraiment encouragée. »
P13
Certaines répondantes décrivent la patience et la tolérance de leur conjoint qui « leur permet de pouvoir travailler le soir, travailler le weekend, faire les quarts des nuits. » (P27). C’est gratifiant pour elles d’avoir quelqu’un qui les soutient et qui les motive. Cette attitude très encourageante des maris raffermit les liens familiaux et constitue un facteur très favorable dans la réussite professionnelle des femmes dans ce nouveau contexte culturel de vie. Cependant, il faut remarquer que ce soutien du mari constitue un facteur très favorable dans un contexte où le couple vit dans un climat familial très paisible, en l’absence de tout signe de violence dans le foyer. À l’inverse, le compagnonnage peut déboucher sur des conflits. Dans le nouveau contexte de vie, loin de l’Afrique, des situations de conflits se sont présentées et sont décrites plus loin dans la partie dédiée aux difficultés vécues par les femmes dans cet article.
Au niveau sociétal, pour réussir professionnellement, le discours des femmes révèlent qu’il est fondamental de connaitre et de comprendre la culture de travail d’ici à Winnipeg où elles sont installées et plus globalement du Canada. Ensuite, c’est d’avoir un mentor dans le cadre du travail et réussir à gagner la confiance des supérieurs. Il est essentiel de vivre dans une bonne ambiance constructive dans l’environnement du travail ; et « de tenir compte de l’expérience positive ou réussie des immigrantes pionnières, celles qui ont précédé dans le milieu. Pourquoi elles et pourquoi pas moi? » (P29).
Face à l’insuffisance de certains services essentiels telles que les garderies, les femmes qui en ont les moyens font venir leur mère pour avoir de l’aide pour les enfants. La présence sur place de la famille, surtout élargie, constitue une aide qui contribue positivement à leur réussite professionnelle. Selon les répondantes, leur participation sociale et leur appartenance à des réseaux sociaux constituent un procédé qui ouvre des portes inespérées et inaccessibles du premier coup. Certaines d’entre elles ont profité des bienfaits du mariage mixte entre Africaine et Canadien blanc. Ce genre d’union dans bien des cas a favorisé le sentiment d’appartenance, l’intégration dans la société d’accueil et a facilité leur réussite professionnelle.
Au niveau institutionnel et politique, les répondantes disent avoir bénéficié aussi des opportunités communautaires, gouvernementales et politiques. Ces opportunités qui ne sont pas forcement et exclusivement pour les femmes, mais qui ont pu influencer leur intégration, en ayant eu un impact positif sur leur vie en tant qu’actrices dans la communauté. Les répondantes P09 et P26 se prononcent là-dessus :
« De savoir qu’il y avait de l’aide. Il y avait des contacts, des services. Ici, aussitôt que je suis arrivée, grâce à mon réseau social, ils m’ont dit mais il y a des services francophones, tu peux ici choisir de vivre en français ou en anglais (…) Aussitôt que j’ai su qu’il y a des services en français, en moi-même je me suis dit que je vais réussir. Donc c’était un gros fardeau-là qui était vraiment retiré de mon être. »
P09
« L’Université de Saint-Boniface m’a beaucoup aidée, (…) L’Université t’apprend comment te comporter d’une façon générale. Le monde du travail on t’apprend le monde du travail ici comment il faut faire et même comment faire son résumé. Voilà, moi je dirais que tout ça, ce sont des opportunités qui sont là. »
P26
Ces opportunités renvoient aux dispositions mises en place par la société d’accueil pour faciliter l’accueil et l’insertion des immigrants francophones en termes d’infrastructures, de services directs et indirects et de lois. Plusieurs femmes interrogées ont indiqué avoir reçu de l’aide de la part des institutions franco-manitobaines. Parmi ces institutions, la présence de l’Université de Saint Boniface est très bénéfique pour les immigrantes. Avec la formation et l’offre d’emploi qu’elle offre, les prêts-bourses, l’Université a servi de tremplin pour plusieurs d’entre elles. Les répondantes ont indiqué aussi leur gratitude envers les organismes communautaires tels que l’Accueil francophone (organisme pour l’accueil et l’intégration des immigrants francophones), ChezRachel.Inc (maison de refuge seconde étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale), Pluri-Elles (organisme polyvalent d’aide aux femmes surtout pour l’employabilité et l’alphabétisation) dont le rôle n’est pas uniquement de les aider en tant qu’immigrantes, mais de leur consacrer aussi beaucoup d’énergie et de ressources. Le rôle joué par Service Canada, le Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM), les 100 noms et Premier Choix a été apprécié par les répondantes. Le Canada est un pays de liberté par sa constitution qui attire les immigrants en quête de liberté et de sécurité et la Charte des droits et libertés de la personne, un pilier de la constitution, les protège. À ce sujet, les répondantes P09 et P12 font un témoignage édifiant :
« C’était plutôt savoir que j’étais en sécurité. En sécurité, c’est-à-dire que je me sentais en sécurité pour pouvoir être moi. Pouvoir m’exprimer, (…) je me suis sentie libre de vivre, libre d’être moi-même (…). Quand tu as cette liberté d’expression, tu sais que tu as une protection, au niveau politique (…). Alors ça c’est quand même sécurisant pour moi et ça me permet de me sentir comme une citoyenne accomplie. »
P09
« Oui, je sais qu’il y a la Charte des Droits et Libertés de la personne, et puis ils disent qu’il ne faut pas discriminer une personne à cause de sa religion ou bien de la couleur de sa peau ou de son origine ethnique. Alors, ça c’est bien. »
P12
Au Manitoba, une opportunité politique en faveur des immigrants francophones est incontestablement, la Politique d’agrandissement de l’espace francophone, contenue dans le volet francophone du Programme Candidat du Manitoba (PCM) (Martin, 2011). Ce programme facilite le recrutement et l’établissement des Immigrants en général. Il leur offre aussi beaucoup d’opportunités d’investir et d’entreprendre sur le plan économique. Déjà le CDEM fait la promotion du volet francophone du Programme Candidat du Manitoba pour attirer des immigrants. Les femmes ont souligné aussi la présence du World Trade Centre qui est là pour aider celles qui veulent se lancer en affaire.
Les immigrantes africaines ont bénéficié de la disponibilité de toutes ces ressources qui sont des opportunités ayant contribué favorablement à leur réussite professionnelle à Winnipeg. Cependant, malgré tout, quelques difficultés ont parsemé leur chemin.
Difficultés rencontrées et stratégies adoptées
Derrière tout succès se dresse son cortège de difficultés. Les femmes immigrantes afri- caines francophones ayant réussi ne font pas exception à la règle. Ces dernières ont rencontré des difficultés qui ont parsemé leur chemin en quête d’une intégration professionnelle. Celles qui prenaient le Canada comme un Eldorado ont vite désenchanté en voyant leurs premiers rêves brisés. Face au changement social, au choc culturel et à l’éloignement de la famille, quelques-unes ont ressenti des problèmes d’adaptation à leur début. En effet dit P25 « C’était difficile pour moi de comprendre les différences culturelles, donc je ne sortais pas trop, je commençais à manquer mes amis et ma famille me manquait trop ». Pour d’autres, les difficultés sont en lien avec leur « manque de confiance en soi et l’inacceptation de la société d’accueil » (P5).
Réussir dans son travail rime avec un bon soutien dans la famille. Or, à ce niveau, tout dépend de la personnalité de chaque individu et de la nature des relations de couple dans la famille. Dans un contexte d’immigration, la famille peut-être être un moteur de cohésion sociale et de rapprochement entre les membres. Des femmes en ont démontré la preuve dans une rubrique citée plus haut dans cet article. Cependant, loin d’être une contradiction, la famille peut aussi être un frein à l’épanouissement de la femme. Quelques répondantes ont rencontré des difficultés qui, à un moment donné, ont failli freiner leur ambition professionnelle. Le cas de P5 illustre bien cette situation :
« Il y a eu des périodes où ça a été très difficile parce que à un moment donné de ma vie, il a fallu que je fasse un choix personnel avec mon partenaire. C’était soit vivre de ne pas être heureuse, vivre dans le mensonge et apprendre des valeurs à mes enfants que je ne veux pas forcément qu’ils les apprennent; soit prendre mes responsabilités et vivre la vie que je veux mener.
P05
Comme mentionné plus haut, une partie des répondantes ont immigré en accompagnant leurs conjoints. Parmi ces femmes, il y en a qui ont été capables de mieux s’intégrer professionnellement et plus rapidement que leur conjoint. Cette situation a généré des difficultés dans quelques familles. En effet, lorsque l’ascension professionnelle de la femme est mal gérée par le conjoint frustré et déçu de sa propre condition sociale, le climat social dans le foyer s’en ressent. Le témoignage de P22 est éloquent.
« L’ironie du sort, j’ai suivi mon mari, mais les choses ne se sont pas passées aussi bien pour lui. Il y a beaucoup de frustrations qui suivaient mon succès parce que ça créait des tensions par rapport au fait que j’avançais, mon mari n’avançait pas. Et lui qui pensait qu’il a un niveau supérieur au mien, toutes les portes se sont fermées devant lui et moi les portes s’ouvraient. »
P22
Entre divorce et violence conjugale, parfois ce sont les caprices des maris jaloux que certaines femmes doivent supporter. Pour P06, dont le mari ne travaille pas, après avoir passé une dure journée épuisante, elle souhaiterait revenir trouver une ambiance paisible à la maison, mais à la place, dit-elle :
« Tu reviens trouver quelqu’un qui est fâché. Tu ne sais pas pourquoi il est fâché. Quelqu’un qui ne veut pas manger les histoires congelées… tu dois préparer tous les jours. Si tu ne prépares pas, c’est là il commence… maintenant c’est parce que tu travailles, parce que tu es connectée. Si je ne t’avais amenée ici… »
P06
Selon les répondantes, certaines difficultés rencontrées sur le lieu de travail sont relatives au jugement, à la discrimination et aux stéréotypes liés au genre et à la race, aux difficultés d’ascension professionnelle. Parmi les difficultés les plus décriées par ces immigrantes, il y a « le manque de confiance de leur patron en tout ce qu’elles font et surtout le fardeau de toujours tout prouver » (P18), ce qui occasionne souvent de travailler deux fois plus fort pour être approuvée. P21 pense que l’impact des stéréotypes envers les femmes, surtout celles immigrantes et des différences culturelles peuvent influencer le comportement de certains employeurs et collègues au travail. Voici son sentiment à ce propos :
« … moi j’ai commencé à travailler tôt donc à 26 ans, 27 ans au Canada. J’avais déjà un poste de gestion donc je me retrouvais dans des réunions de conseil d’administration, avec des gens qui avaient je peux dire l’âge de mes parents. Donc quand tu donnes ton opinion, on va te regarder ou on va remettre un peu en doute ce que tu dis, pas à cause de tes compétences, mais plutôt soit à cause de ton âge, soit parce que tu es une femme, soit parce que tu es une Noire et c’est la conclusion à laquelle je suis arrivée. »
P21
Les femmes disent rencontrer dans leur environnement social des difficultés qui peuvent diminuer leur chance de succès professionnel. Cet environnement englobe leur communauté ethnique et la communauté d’accueil. Pour elles, rester trop attachée à sa communauté d’origine peut constituer un frein à la réussite, en les empêchant de saisir ailleurs des occasions de s’intégrer en trouvant de bons créneaux d’emplois dans la société d’accueil. À l’inverse, le fait d’avoir réussi peut créer de la jalousie ou de mauvaises intentions inavouées contre elles, de sorte qu’elles deviennent victimes de leur propre succès dans leur propre communauté.
« …par rapport à ma communauté c’est le rejet : pour qui elle se prend? Parce qu’elle travaille avec les Blancs, elle se prend pour une blanche, alors comme chez toi on te rejette parce que tu as réussi, … parce que on essaye de te rejeter croyant que tu te prends pour quelqu’un d’autre. »
P22
Les répondantes se sont exprimées aussi sur des difficultés rencontrées dans la communauté d’accueil aussi en déplorant une « attitude de méfiance quelquefois teintée d’un peu de racisme » (P8). Cette attitude peut développer ce que Martin (2011) appelle un « favoritisme communautaire » qui, manifestement nuisible aux immigrants, consiste à offrir des postes à des gens de la place qui sont moins qualifiés que les immigrants. Les répondantes ont évoqué le déficit de services francophones alors que la demande est de plus en plus grande, situation qui peut entrainer un véritable défi pour l’obtention des emplois en français. Elles se sont exprimées sur le caractère étanche de la communauté franco-manitobaine, une communauté qu’elles disent « tricotée trop serrée » (P05). Il ressort des propos des répondantes que quelles que soient leurs causes, les difficultés existeront malgré leur réussite professionnelle. Cependant, elles doivent toujours redoubler d’effort et rester à la hauteur des attentes envers elles. Cela est d’autant plus vrai qu’elles sont caractérisées minoritaires quadruplement en étant femmes, immigrantes, noires et francophones en contexte minoritaire.
Face aux difficultés, P05 pense qu’il faut « rester positif, avoir l’esprit ouvert et de ne pas prendre toutes ces critiques au premier degré. » Pour les répondantes, le but d’immigrer reste d’avoir une vie meilleure. Et l’idéal serait d’avoir un jumelage de culture et une cohabitation qui montrent un respect assez mutuel entre les deux communautés, ethnique et d’accueil. Les répondantes préviennent que dès le début de l’immigration, il faut s’assurer d’avoir opté définitivement de s’établir en terre d’accueil et planifier ses besoins en conséquence, en se donnant des défis et les moyens pour les atteindre. Quel que soit leur niveau de scolarisation, les femmes conseillent de suivre une formation de mise à niveau et de ne pas se limiter juste à leurs connaissances de base ou seulement aux expériences antérieures. Pour elles, cette stratégie permet de contourner le fameux problème de non-reconnaissance des diplômes acquis ailleurs. Pour ce faire, elles conseillent de diversifier les compétences pour pouvoir allier plus qu’un seul secteur d’activité. Ce procédé leur permet d’élargir leur champ d’expertise et d’augmenter leur chance de réussir professionnellement, mais en plus, il leur donne la capacité de tout recommencer pour rebondir dans une nouvelle carrière professionnelle. Face aux jugements et aux intolérances qu’elles peuvent subir, les femmes conseillent de « se faire une solide carapace et d’opter pour la non-violence, la paix et une communication saine pour bien tenir émotionnellement » (P29). Leurs stratégies au bureau consistent à miser sur l’excellence pour fermer la porte aux jugements négatifs, à garder une attitude toujours positive aux critiques constructives et à bien gérer les conflits tout en collaborant. Les stratégies concernent aussi la création des conditions idéales dans la famille pour permettre aux femmes de rester performantes à leur lieu de travail. C’est l’avis de cette répondante qui engage son mari dans la prise en charge de leur tout petit enfant qui pleure, alors qu’elle vient de finir une longue journée de travail : « mon mari me dit vient prendre TON enfant, je lui réponds que ce n’est pas MON enfant, mais c’est NOTRE enfant » (P24). Les femmes encouragent l’engagement et la participation sociale dans la communauté. Elles conseillent de faire du bénévolat, de créer et de faire partie des réseaux sociaux et de participer aux évènements sociaux collectifs en allant vers les autres communautés.
Discussion et conclusion
Dans cette partie, nous saisissons l’occasion de revenir sur les grandes lignes de la recherche. Réalisée à travers une méthode qualitative, cette étude exploratoire et descriptive avait pour but de connaitre les facteurs et procédés favorables à la réussite professionnelle des immigrantes africaines francophones à Winnipeg. Deux théories, celle du capital social et celle de l’acculturation ont servi de cadre d’analyse. Des éléments combinés issus de ce cadre ont permis d’interpréter les résultats en tenant compte de trois niveaux, soit individuel/familial, sociétal et institutionnel/politique. L’analyse, ainsi faite à travers ces niveaux, a permis de connaitre les facteurs et procédés favorables de cette réussite professionnelle. La présence de ces facteurs dans chaque niveau, loin d’être exclusive, a permis de mieux situer les efforts fournis par les femmes elles-mêmes, les institutions et la société, mais aussi de rendre plus intelligibles leurs influences dans le marché du travail pour permettre la réussite professionnelle des femmes. La figure1, ci-dessous, donne un aperçu de l’influence exercée par ces différents facteurs sur la réussite professionnelle de ces femmes immigrantes africaines francophones en lien avec ces théories.
D’abord, les résultats révèlent que les immigrantes africaines francophones ont réussi professionnellement à Winnipeg grâce à une utilisation judicieuse de qualités personnelles telles que la motivation, la persévérance, l’initiative, l’ouverture d’esprit, la confiance en elles et la volonté de se forger une nouvelle identité tout en ayant un esprit d’autonomie. Elles ont renforcé leurs compétences par la formation pour devenir plus aptes à pouvoir s’adapter au fonctionnement du groupe local majoritaire comme le suggère Berry (2011) et répondre aux normes établies dans la société d’accueil. Ces femmes ont aussi bâti un capital social en interagissant de façon judicieuse avec les membres de la famille. A ce niveau, l’étude a montré que si les relations familiales demeurent harmonieuses, dans bien des cas, les époux se sont montrés très tolérants et participent dans la gestion de la famille et la garde des enfants. Ils deviennent ainsi de véritables soutiens pour les femmes et de bons conseillers pour les propulser professionnellement. Les enfants, les mères et belles-mères ont aussi contribué à la réussite de ces femmes en apportant leur soutien. Le capital social que les femmes ont bâti leur permet de développer de relations cordiales et efficaces avec des collègues de bureau, avec les membres de leur communauté d’origine et ceux de la communauté d’accueil. Ces interactions leur ont permis d’avoir accès à des réseaux sociaux qui ont facilité l’atteinte de leur but de réussir, selon la perspective de Colman (1990). En plus de leurs qualités personnelles, tous les efforts qu’elles ont fournis témoignent de leur choix de s’intégrer définitivement dans la société d’accueil, au lieu de se marginaliser ou de s’exclure comme le suggère Berry (2011). Malgré le contexte francophone minoritaire et les obstacles liés au fait d’être immigrantes, africaines et francophones, elles consentent à rester et à se faire une place dans la société d’accueil.
Ensuite, elles ont utilisé de bons procédés pour réussir, en utilisant des relations sociales efficaces. Elles ont aussi développé des bonnes stratégies face aux difficultés et aux défis qui ont existé dans leur parcours. Les résultats démontrent que leur réussite professionnelle s’appuie sur leur attitude et leur capacité à s’intégrer qui guident leur comportement de chaque jour et qui les aident à faire face aux difficultés telles que les préjugés et discriminations. Immigrer, c’est mourir un peu, c’est perdre un peu de son identité. Pour ces femmes, c’est aussi perdre certains privilèges sociaux que leur procuraient les interactions collectives existant dans le fonctionnement de leur société d’origine. Des privilèges tels que la vie en famille élargie, le soutien réciproque des membres qui vient avec et le peu de chance de vivre l’isolement social. Des accommodements ont été nécessaires pour retrouver un équilibre en soi et une place dans le nouveau contexte. Plusieurs femmes ont dû apprendre comment « se perdre un peu culturellement pour pouvoir se retrouver après » (P8). En effet, l’influence de la culture pèse doublement sur le comportement des femmes. Elles ont dû s’accommoder culturellement pour se conformer aux normes sociales avérées et s’intégrer plus facilement. En plus, comme le souligne Gakuba et Graber (2012), le contact continu et direct que ces femmes ont avec les franco-manitobains entraine des changements dans leur façon de faire culturellement. Selon ces auteurs, cet accommodement est nécessaire dans la mesure où les répondantes viennent d’une culture différente de celle de la société d’accueil.
L’utilisation de relations sociales, à travers le bénévolat, l’engagement social et le mariage mixte (entre Africaine et Franco-manitobain) ont été de bons procédés pour leur réussite professionnelle. En plus, à ce niveau, les contacts par les réseaux sociaux se sont avérés comme de bons moyens de développer la confiance des employeurs à leur égard et de faciliter la reconnaissance de leurs acquis et compétences. Leur participation dans ces réseaux sociaux a facilité l’échange d’informations et l’accès aux normes dans la société d’accueil et d’accéder au poste qu’elles désirent et surtout de s’y maintenir.
Enfin, les femmes ont acquis des ressources sociales leur permettant ainsi d’atteindre leur but de réussir. En effet, comme individus ou comme groupe d’immigrantes, ces femmes ont bénéficié de la protection des lois qui leur assurent la sécurité individuelle, mais aussi qui leur permettent l’accès aux ressources sociales et aux opportunités politiques pour atteindre leurs objectifs, comme le souligne Berry et Sam (1997). Elles ont bien utilisé des avantages sociaux disponibles grâce à la présence de services tant dans la communauté que du côté gouvernemental. Elles ont bénéficié de politiques sociales en matière d’immigration. L’impact de certaines lois canadiennes a pu changer le cours de leur vie sur le plan personnel, dans la gestion de leur famille au Manitoba et dans l’accès à l’emploi par le biais de l’investissement économique.
Les désagréments qui accompagnent le fait d’immigrer accentuent les défis et font que les répondantes décident d’utiliser des réseaux sociaux et développent des nouvelles façons de faire pour changer positivement leur situation, tout en restant conformes aux normes et valeurs sociales en vigueur au Manitoba. En immigrant, les femmes avaient beaucoup d’attentes à l’endroit de leur société d’accueil qui se sont parfois vite estompées. Dans ce décalage entre les attentes et la réalité et en bonnes actrices, les répondantes ont dû affronter quelques difficultés dans leur ascension professionnelle. Souvent face aux jugements discriminatoires, aux stéréotypes et à l’influence culturelle, les femmes ont dû développer des stratégies, s’accommoder et s’adapter à la réalité de leur nouvelle condition de femmes minoritaires quadruplement. Sur ce plan, Madibbo (2006) indique que le racisme est toujours présent au Canada, mais il est devenu plus subtil et moins facile à identifier que par le passé et plus difficile à contrer. Malgré les différences d’une culture à l’autre, les femmes ont réussi à se construire une identité sociale leur permettant de changer leurs conditions de vie et de réussir professionnellement. Aux termes de cette étude, toutes les répondantes ont adhéré à notre définition de la réussite professionnelle et elles ont décrit des changements positifs survenus dans leur vie sociale et professionnelle. Elles ont exprimé un fort sentiment de satisfaction dans leur emploi actuel, même si elles reconnaissent que des améliorations sont toujours possibles. Ce sentiment de satisfaction se traduit largement par leur conviction que leur travail contribue à apporter beaucoup de bénéfices au profit de toute la société.
En guise de conclusion, cette recherche rend compte d’un volet très pertinent et peu documenté de la littérature scientifique dans le domaine de l’immigration : l’existence de femmes immigrantes qui ont réussi professionnellement. Elle dévoile un aspect positif sur les femmes immigrantes qui mérite d’être connu. L’étude révèle aussi qu’il n’y a pas une seule stratégie gagnante à développer pour assurer la réussite professionnelle des femmes immigrantes à Winnipeg. Cette réussite dépend de la combinaison de plusieurs facteurs, de l’engagement de tous les acteurs, surtout ceux qui oeuvrent dans le domaine de l’immigration et à tous les niveaux de la société. Elle ne repose pas uniquement sur les compétences et les qualités des femmes ou sur la présence des opportunités institutionnelles et politiques. L’enseignement qu’il faut tirer de l’expérience réussie des femmes de cette recherche renvoie à la consolidation des communautés francophones. Celle-ci doit nécessairement passer par une ouverture des franco-manitobains à la population dite immigrante francophone pour favoriser une cohésion sociale, basée sur la solidarité entre les différentes communautés ethniques présentes au Manitoba. L’étude est menée auprès d’une population très restreinte et très ciblée ce qui constitue sa limite. Cependant, elle a le mérite d’ouvrir un nouveau champ d’études plus large sur les aspects positifs de l’intégration concernant toutes les femmes immigrantes francophones. Les conclusions pourraient déboucher sur des nouvelles pistes de recherche qu’on peut élargir à toutes les femmes immigrantes francophones dans tout le Manitoba. Une autre piste serait de mener une étude qui serait réalisée auprès de toutes les femmes immigrantes vivant les trois provinces dans les Prairies ou ailleurs dans la francophonie minoritaire hors Québec au Canada.
Appendices
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