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Introduction

Les écrits disponibles montrent que les femmes ne vivent pas l’itinérance de la même manière que les hommes. Par exemple, en situation d’itinérance, les femmes n’occupent pas l’espace de la même manière que ces derniers. Selon le type de lieu dans lequel elles se retrouvent, on constate une variation du pourcentage de femmes, soit 54 % dans les logements transitoires et seulement 7 % dans la rue (Latimer, et collab., 2015). Il semble que l’une des stratégies qu’elles emploient réside dans le fait que « les femmes à la rue ne se retrouvent pas dans la rue » (Gélineau et collab., 2008, p. 20). En effet, les femmes représentent une population à risque élevé de se retrouver en situation d’itinérance « cachée » en vivant dans de mauvaises conditions d’habitation (Gélineau, et collab., 2006; Novac, Brown et Bourbonnais, 1996). Autrement dit, elles cherchent des alternatives à la rue considérée comme dangereuse pour elles. Selon Novac, Brown et Bourbonnais (1996), l’itinérance est souvent perçue comme un problème économique, mais pour ce qui est des femmes, elle est aussi une conséquence des rapports sociaux de genre inégaux. À l’évidence, la violence familiale demeure la principale cause précipitant les femmes hors de leur domicile (La rue des Femmes, 2011; Novac, 2007). Ainsi, les personnes ayant vécu des mauvais traitements (violence physique et sexuelle) durant l’enfance ont plus de risque d’avoir vécu un épisode d’itinérance (Rodrigue, 2016). Selon le Street Health Report2007 (2009) de Toronto portant sur la santé des personnes en situation d’itinérance, 21 % des femmes rapportent avoir été victimes d’abus sexuels durant la dernière année. De plus, l’étude de Gaetz et collab. (2010) révèle que 38,2 % des jeunes femmes en situation d’itinérance ont été victimes de viols. Cette même étude affirme que les jeunes femmes en situation d’itinérance rapportent être victimes de violence par leur partenaire intime : plus de 55 % rapportent au moins un incident de violence de la part du partenaire, et de cette proportion, 79,5 % à plus d’une reprise. L’abus émotionnel est rapporté par 53 % des jeunes femmes en situation d’itinérance et 35 % d’entre elles ont aussi été victimes de violence physique. Dans 71 % des cas, la principale raison mentionnée par les femmes dans l’utilisation d’un refuge est d’avoir été victimes d’abus (Burczycka et Cotter, 2011). Toutes ces violences augmentent par le fait même le sentiment de détresse, ce qui peut perturber l’estime de soi, et peut parfois exacerber les problèmes de consommation ou de dépendance, les troubles de santé mentale, l’isolement ou la désaffiliation sociale (Mimeault, Cassan et Cadotte-Dionne, 2011; Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), 2014a). Bien que l’itinérance en région soit un phénomène prenant de l’envergure, peu de recherches traitent de ses particularités, et encore moins en ce qui a trait aux femmes (Jetté, et collab., 2014; Paradis, et collab., 2003; Tota, 2005; Trépanier et Simard, 2002; Waegemakers et Turner, 2014). Quelques études abordent toutefois la question. Benbow, Forchuk et Ray (2011) observent un déracinement chez les femmes ayant besoin de services en santé mentale, ou chez celles qui souhaitent assurer leur sécurité, puisqu’elles doivent être relocalisées pour fuir une situation d’abus ou pour recevoir des services, qui sont plus complets et accessibles en région urbaine. Dans l’étude de Kauppi et collab. (2012) traitant des niveaux et des raisons du sans-abrisme chez les francophones du nord de l’Ontario, les chercheuses et chercheurs relèvent « que les femmes francophones sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes francophones à être migrantes » (p. 36). D’autre part, cette étude affirme que les femmes semblent plus particulièrement touchées par une situation de sans-abrisme de nature plus circonstancielle, en lien avec la désinsertion familiale, les ruptures, les séparations ou les divorces.

En donnant la voix à des femmes vivant une situation d’itinérance, nous cherchons à comprendre le sens qu’elles donnent à leurs parcours de vie et aux relations qu’elles entretiennent avec les institutions. L’analyse des données fait ressortir un aspect inattendu de leur discours, celui de leur rapport à l’action publique. Elle tiendra donc compte des dimensions structurelles, telles que les inégalités de genre, la pauvreté, l’emploi, la difficile « abordabilité[1] » des logements (Echenberg et Jensen, 2012), l’accès ardu au système de santé et de services sociaux (Thibaudeau, 2000) et la désinstitutionnalisation (Campeau, 2000), déterminées par le régime de citoyenneté et jouant un rôle déterminant dans le phénomène de l’itinérance. Cet article vise à explorer cette dimension de leur discours sous la loupe du concept du régime de citoyenneté en abordant d’abord le régime de citoyenneté issu de la perspective de l’investissement social ainsi que la méthodologie de la recherche. Il débouchera ensuite sur l’analyse des résultats d’une collecte de données auprès de femmes itinérantes.

Régime de citoyenneté

Le régime de citoyenneté définit les rapports entre l’État, le marché, la famille et la communauté. Il influence la reconnaissance des droits et le fonctionnement de la démocratie. Il détermine ainsi le parcours de vie des citoyennes et des citoyens (Jenson, 2001; Bourque et Quesnel-Vallée, 2007). L’augmentation du phénomène de l’itinérance au féminin décrite ci-dessus interroge le régime de citoyenneté actuel. En effet, on peut se demander comment les arrangements institutionnels en matière de protection sociale préviennent ou tracent le chemin de l’itinérance chez certaines femmes. Jenson (2001) considère que le régime de citoyenneté actuel est issu de la perspective de l’investissement social. La citoyenne ou le citoyen y est défini comme un adulte employable et qui doit le rester. Dans ce contexte, les politiques sociales sont considérées comme un investissement dans l’employabilité des adultes et de leurs enfants (Jenson, 2001). Toujours selon cette auteure, le régime de citoyenneté issu de la perspective de l’investissement social est sensible à la question du genre. La notion de care prend effectivement une place importante dans les politiques publiques mises en place depuis les années 1990, dont les principales caractéristiques sont celles de l’activation (programmes d’employabilité et d’insertion en emploi), de l’investissement dans l’enfance (entre autres, système de garderie éducative, protection de l’enfance) et du capital humain. L’État développe donc des programmes dans le but de maintenir les personnes sur le marché du travail et des politiques familiales visant à faire des enfants de futurs citoyens s’intégrant au marché du travail. L’individu partage donc la responsabilité de sa destinée avec l’État. En ce qui concerne le genre, les politiques de l’investissement social visant principalement la conciliation travail-famille sont au coeur du régime de citoyenneté actuel. Elles évacuent cependant toute référence aux inégalités structurelles de genre, ce qui risque d’accentuer ou de créer de nouvelles inégalités (Jenson, 2011). En effet, les politiques s’adressant aux femmes visent les mères ou les proches aidantes. Elles laissent pour compte les femmes vivant dans des situations de précarité, particulièrement celles n’ayant pas d’enfants à charge. Cet article pose donc un regard sur le parcours de vie des femmes en situation d’itinérance à la lumière du régime de citoyenneté et de ses arrangements institutionnels qui semblent relayer ces dernières à la catégorie de citoyennes de seconde zone.

Méthodologie

Cet article rend compte des résultats d’une recherche qualitative effectuée auprès de femmes en situation d’instabilité résidentielle. L’itinérance inclut diverses situations particulières représentées sur un continuum où d’un côté se situe le fait d’être sans-abri, et de l’autre, de se retrouver en instabilité résidentielle (Carl et Bélanger-Dion, 2007). La collecte de données a été effectuée de mai 2015 à octobre 2016 auprès d’un échantillon de 18 femmes logées dans deux maisons d’hébergement du Québec, dans des villes de taille moyenne en région. Ces femmes ont partagé le récit de leur vie en lien avec leur situation d’itinérance actuelle. Les entrevues semi-dirigées ont ensuite été transcrites en verbatim et une analyse thématique a été réalisée au moyen du logiciel d’analyse qualitative NVIVO. Il est important de préciser que le questionnaire ne portait pas directement sur le rapport entre ces femmes et les arrangements institutionnels, il portait plutôt sur leur parcours de vie. Les analyses de leur discours révèlent qu’elles avaient saisi l’importance de leur rapport aux institutions et aux politiques.

Portrait sociodémographique des femmes[2] rencontrées

Toutes les participantes de notre étude sont sans domicile fixe, elles sont âgées de 18 à 64 ans et ont recours ou ont eu recours à des ressources d’hébergement (n=13 Laurentides et n=5 Gatineau). En ce qui a trait à leur statut matrimonial, huit d’entre elles sont célibataires, neuf sont séparées ou divorcées et une seule est mariée. Sur les 18 femmes, seulement trois sont sans enfants. La majorité des mères n’ont pas la garde des leurs parce qu’ils sont trop vieux ou qu’ils ont été pris en charge par les services de protection de la jeunesse du Québec. Concernant leur niveau de scolarité, neuf n’ont pas terminé leur 5e secondaire et six ont obtenu leur diplôme de 5e secondaire. Pour celles ayant terminé leur 5e secondaire, cinq ont fait des études professionnelles (DEP) et trois ont poursuivi leurs études au cégep ou à l’université. Du côté de leur revenu, il s’avère qu’elles gagnent toutes moins de 25 000 $ par année. La moitié des femmes reçoit des prestations d’aide sociale (moins de 10 000 $ par année), l’autre moitié reçoit une prestation gouvernementale plus élevée, soit pour une contrainte sévère à l’emploi, une maladie grave, un montant de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) ou encore un montant du Régime des rentes du Québec (moins de 16 000 $ par année). En ce qui a trait à la profession ou à l’emploi, certaines femmes travaillent, mais de façon sporadique et en dessous de la table, pour arrondir les fins de mois (danseuse nue, prostitution, massage érotique, travaux physiques ou domestiques, serveuse). La seule femme qui occupe un emploi travaille à temps partiel comme infirmière auxiliaire dans des conditions difficiles et ses quarts de travail sont variables. Cependant, la majorité d’entre elles a travaillé dans le passé (apprentie carreleuse, poseuse de rosace, poseuse de plancher, courtière, barmaid, gérante de restaurant, danseuse, prostituée). Pour bien comprendre leur parcours, nous avons choisi de diviser la présentation des résultats en trois parties. La première révèle les facteurs qui ont mené ces femmes à l’itinérance, la deuxième expose leur rapport au régime de citoyenneté et la troisième fait état de certaines conséquences.

Les facteurs menant à l’itinérance des femmes

La violence

À la lecture des résultats obtenus, les spirales de violence et d’itinérance se juxtaposent, contribuant au maintien des femmes dans des rapports sociaux inégaux et les maintenant en marge de la société. Toutes les participantes à notre étude ont vécu des épisodes de violence à un moment ou à un autre de leur vie; nous avons retenu les témoignages suivants :

« […] mon père m’avait mis à genou dans le coin. Il me mettait souvent à genou. Un moment donné ç’a été sur des caps de bières. [En gémissant] Ça fait mal!!!! »

Carmen

« […] il y a 3 ans, je me suis sauvée d’une situation vraiment dramatique de la violence conjugale. Puis je me suis retrouvée dans un centre d’hébergement pour femmes violentées, battues à [nom de la ville]. Ça fait que, ça a commencé comme un peu là. »

Jasmine

Ces extraits confirment que la violence est un facteur pouvant contribuer à mener les femmes à l’itinérance. Outre la violence, la question des liens sociaux est également au coeur du problème des facteurs qui y conduisent.

La rupture dans les liens sociaux

Une étude de Statistique Canada (Rodrigue, 2016) portant sur l’itinérance cachée révèle qu’une proportion plus grande de Canadiennes et de Canadiens ayant un faible sentiment d’appartenance ou encore peu d’amis, de membres de famille ou de proches, ont vécu un épisode d’itinérance cachée. Selon Poirier et collab. (2000), la diminution du lien social peut provenir de la stigmatisation des personnes en situation d’itinérance ou encore de situations familiales tendues. Bonin et collab. (2010) ont recueilli de l’information quant aux formes et aux rôles de soutien que les parents offrent à leur proche en situation d’itinérance. Les relations sont caractérisées par des difficultés relationnelles. Les familles peuvent être une source de soutien sans réserve ou être dans le rejet et le jugement. Cette nature conflictuelle des relations peut engendrer une diminution du soutien et parfois entraîner la rupture des liens familiaux. Catherine, qui a des problèmes de santé mentale, de consommation et de jeu compulsif, en plus d’être victime de violence conjugale, a clairement épuisé son réseau :

« Oui, ça dépend quand, là t’sais. Ça dépend comment. Ils peuvent m’aider moralement. Oui, c’est ça. Pour le reste, je pense que j’ai tout brûlé tout le monde avec l’argent, pis toutes ces choses-là. »

Catherine

Pour Andrée, c’est l’accumulation de ses divers problèmes, conjugaux et psychologiques, qui ont eu comme effet d’amoindrir son réseau, voire de le rompre complètement :

« La première fois quand [nom du conjoint]… qu’il m’a cassé le doigt, je me suis retrouvée à l’hôpital, ma famille est venue me voir, ma soeur, parce que j’étais en psychiatrie. Puis c’est là qu’il y a eu une coupure définitive avec ma famille. Je suis sortie de l’hôpital, puis eux autres ils partaient… mes deux soeurs partaient ensemble, puis moi j’étais dans la rue. […] Ma situation est toujours précaire. Je ne suis pas stable depuis deux ans. Ça fait que par boutte, je les appelle pour leur dire que je suis en crise ou ça ne va pas bien ou je n’ai nulle part. Puis elles ne veulent plus de moi parce que je ne me suis pas refaite une vie, parce que je suis encore dans la merde, parce que… »

Andrée

Interrogée sur l’étendue de son réseau et du soutien qu’elle avait de la part de sa famille, de ses proches et du réseau communautaire, Andrée a répondu : « Présentement il n’y a rien. Zéro, j’ai zéro… ».

Bien que le réseau de plusieurs femmes soit complètement rompu, certaines d’entre elles maintiennent des liens, aussi fragiles ou faibles qu’ils soient. Entre autres, parce qu’elles ne veulent pas être une charge pour leur famille (pour elles, les enfants représentent souvent la famille) :

« Puis je voulais pas être un fardeau pour ma famille. Ça fait que, j’ai choisi de ne pas les embarrasser avec ça. »

Jasmine

D’autres cachent à leurs enfants l’état de leur situation d’itinérance :

« Pas avoir [nom d’un proche], j’aurais personne. Personne. Pis ce que je trouve dur, ben c’est de pas voir mes enfants. Pis de savoir que mes enfants ne savent pas que je suis rendue ici là. Ils ne savent pas je suis rendue où, rien. »

Iris

La violence envers les femmes associées à la rupture de liens sociaux se conjugue souvent avec la précarité économique, élément crucial dans le chemin menant à l’itinérance.

La précarité économique

Pour Milewski (2006), la précarité des femmes est le résultat des inégalités de genre, particulièrement sur le marché du travail. Elles occupent souvent des emplois atypiques, comme des emplois occasionnels ou à temps partiel, qui accentuent leur statut précaire (Boivin, 2012). C’est le cas, de presque toutes les femmes de l’échantillon. Par exemple, Andrée s’est retrouvée au chômage à la suite de suppressions de postes :

« […] ils ont fait des coupures et je n’étais pas permanente. Alors je perds mon travail. Je me retrouve sur le chômage. […] Mais ça fait 4 ans que je travaille pour le soutien à domicile, ça fait que la pharmacie j’en ai perdu. Puis j’ai fait un burnout au CLSC. C’était gros. Ça fait qu’il me faut un petit travail, mais je n’en trouve pas à [nom de la ville], puis je n’en trouve pas autour. Ça fait que je finis par accepter d’être sur le chômage, je finis par accepter de rien faire, je finis par accepter de… de ne plus être fixe au niveau travail, mais j’ai encore mon logis. Mais là le dernier mois arrive de chômage, puis tu vas finir par tomber sur l’assistance sociale. Ça fait que là c’est précaire […] »

Andrée

De plus, les femmes âgées de 50 ans et plus ont plus de difficulté à se trouver un emploi stable et à le maintenir. En effet, l’âgisme présent au sein du discours économique fondé sur l’économie de marché et la rentabilité peut engendrer des retraits précoces ou encore l’exclusion totale des personnes plus âgées de la sphère du travail (Charpentier et collab., 2010).

Même si elle n’a pas l’âge de la retraite, une des participantes s’est trouvée exclue du marché du travail. Elle mentionne d’ailleurs clairement que c’est la raison pour laquelle elle a choisi d’être escorte et de se prostituer, et pourquoi elle n’arrivait plus à se trouver du travail. Les participantes à notre recherche ont toutes eu un emploi instable (à durée déterminée) ou stable dans le sous-emploi (à temps partiel). Cette précarité a eu pour conséquences de les faire basculer vers la pauvreté et l’itinérance, et ce, en dépit des programmes sociaux. La dégringolade vers l’aide sociale se pose souvent comme un obstacle et un chemin vers l’itinérance. Le niveau de prestation dérisoire et la catégorisation de l’aide sociale se manifestent comme des contraintes importantes dans le parcours des femmes. Le rapport aux arrangements institutionnels de l’État est donc lié à leur maintien.

Les politiques sociales et l’itinérance

L’aide sociale

Comme il l’a été mentionné ci-dessus, le régime de citoyenneté détermine par ses arrangements institutionnels la relation entre les citoyens et l’État (Jenson, 2012). Lors des entrevues semi-dirigées, les participantes ont mis au jour les relations qu’elles entretenaient avec l’État via les programmes auxquels elles ont eu recours. On remarque assez rapidement dans leur discours que la catégorisation des prestataires à l’aide sociale et l’investissement dans l’enfance ont des répercussions concrètes sur la situation d’itinérance dans laquelle elles se retrouvent.

Jane a écrit un livre et réussi à le publier. Elle perçoit un maigre revenu de sa vente et se dit fière de pouvoir s’intégrer de cette façon au marché du travail. Or, la logique technocratique de l’aide sociale va à l’encontre de ses tentatives d’intégration au marché du travail compte tenu de son état de santé psychologique. En effet, selon les critères gouvernementaux, Jane est considérée comme étant gravement malade, ce qui devrait l’empêcher de travailler :

« [Ils] m’ont dit que j’étais sur maladie grave pis que j’avais pas le droit de travailler, pis moi j’ai dit regarde, je vais y aller pareil. Y en a qui disent contrainte à l’emploi, O.K., y peuvent aller travailler, mais moi, je suis maladie grave, je sais pas pourquoi, mais y m’ont dit ça. A pas le droit de travailler, j’ai dit, regarde, moi je vais travailler pareil! »

Jane

Cet extrait est doublement révélateur. Dans un premier temps, il y a le rapport entre Jane et les représentants de l’État. Sa catégorisation d’inapte au travail lui a valu une exclusion du programme du fait qu’elle tirait un revenu, minime, de la vente du livre qu’elle a écrit. Jane ne comprend pas cette décision qui lui semble absurde. Dans un second temps, il y a la manière dont elle s’exprime sur cette catégorisation. On pourrait parler d’une identification reliée à la catégorisation du programme. Comme si son identité était définie en fonction d’une catégorisation technocratique. Dans une moindre mesure, en discutant du programme, une autre femme s’exprime sur le fait qu’elle a « le 945 $ », cela exprime un rapport particulier entre elle-même et le programme d’aide sociale. Appliqués de manière instrumentale, les programmes font en sorte que des femmes s’instrumentalisent elles-mêmes.

La pauvreté demeure évidemment un facteur déterminant dans leur chemin vers l’itinérance, mais elle les exclut également d’une participation économique et sociale envisageable. Plusieurs femmes ont témoigné des conditions de pauvreté qui les empêchaient de participer pleinement à la société. La pauvreté marginalise les femmes, qui ont honte de participer à des activités. D’autres besoins doivent être comblés avant de participer à la vie en société, comme celui d’occuper son propre logis :

« Non je n’ai pas d’activités, je n’ai pas d’argent. J’ai honte. Je suis maigre. Je n’ai pas de shorts, je n’ai pas beaucoup de linge. Je veux pas des activités. Je veux mon chez-nous. »

Andrée

Cette précarité économique mène inévitablement à des problèmes de logement.

L’accès au logement comme facteur d’intégration à la citoyenneté

En région, pour les femmes âgées de plus de 18 ans, mais de moins de 65 ans, il n’y a pas assez de diversité de ressources dans les parcs locatifs. Les participantes sont conscientes de la situation reliée aux immeubles locatifs dans leurs régions et des barrières d’accès au logement :

« Qu’il n’y a pas beaucoup d’HLM pour… ici, à partir de Saint-Jérôme jusque dans le nord, il n’y a pas d’HLM pour… C’est en haut de 55 ans et plus. Il n’y a rien pour les femmes de 40 ans. Moi, même si je voudrais m’établir dans un HLM, à partir de Saint-Jérôme en montant, Prévost, Sainte-Adèle, name it, toutes les autres villes… Il y a un HLM à Sainte-Anne-des-Lacs Il y en a des HLM à Sainte-Adèle. Il y en a des HLM à… mais il n’y en a pas pour en bas… si tu n’as pas une famille. »

Andrée

Si les femmes sont arrivées à se loger par le passé, leur situation en logement demeure précaire, soit parce que les logements sont inabordables ou parce qu’ils sont inadéquats. Elles doivent consacrer une trop grande part de leur revenu au loyer. Les prestations reçues de l’État ne leur permettent pas de se loger convenablement :

« Bien j’avais un beau loyer, bien je veux dire il était cher là. Mais mon argent allait là là. […] Moi j’ai le 945 $. Mais les osties de loyer à 600 piasses là, tu n’as pas mangé encore, t’as pas acheté tes Atasols, t’as pas acheté tes plasters, t’as pas acheté ci. Puis le linge je l’achète là-bas toujours à la même place au magasin Centre-Aide. »

Liette

Cette situation pousse ces femmes à accepter l’inacceptable. L’expérience de cette participante en témoigne. Alors qu’elle est la seule femme de l’échantillon ayant un travail, elle n’est pas arrivée à se loger adéquatement. Son travail d’infirmière auxiliaire est précaire, puisqu’il est à temps partiel et que dans ce domaine les horaires sont variables. Son revenu insuffisant « l’a poussée » à demeurer dans un logement inadéquat :

« […] dans l’hiver, la pompe a pété, fait que moi, je restais dans la maison, mais fallait que j’aille chercher de l’eau chez lui. Ramener de l’eau chez nous. L’hiver, faire fondre la neige [rire] sur le poêle. Hem… c’est à peu près ça… il n’y avait pas de chauffage sur le premier étage. Il fallait que je fasse chauffer du bois tout le temps, mais en moment donné, tu manques de bois. Ça comme, ça m’a mis dans une petite dépression là. J’étais pu capable. »

Sophie

Enfin, la question de la citoyenneté est clairement dévoilée par l’une des participantes :

« Avoir un logement, ça veut dire avoir un chez-nous, ça veut dire vivre, ça veut dire faire partie de la société. T’sais, je le sais que je fais partie de la société parce que j’ai un numéro d’assurance sociale, parce que j’ai des prestations pour contraintes sévères à l’emploi, mais malheureusement, avec les contraintes qu’on a en ce moment pour se trouver un logement, c’est pas évident. […] Oui, à quelque part, je me sens exclue... »

Iris

Le manque de logements et la pauvreté poussent donc les femmes à la rue. Une fois qu’elles y sont, les ressources sont limitées pour elles et les normes et règles qui les régissent ont également leurs conséquences. Au Québec, on observe un débordement dans les ressources d’hébergement destinées aux femmes, avec un taux d’occupation des lits de 103,9 % comparativement à 85,7 % pour les ressources destinées aux hommes en 2013 (MSSS, 2014b). Bellot et Rivard soulèvent dans leur recherche (2017) l’absence des femmes dans le plan de lutte contre l’itinérance du Québec.

Les ressources d’hébergement pour femmes au Québec sont effectivement limitées. Il s’agit d’organismes communautaires subventionnés par le gouvernement. Soumis à la reddition de compte, ces organismes doivent aussi répondre à des critères très stricts pour obtenir leur financement. Et l’exigence gouvernementale du nombre de personnes différentes auxquelles ils offrent des services fait en sorte qu’ils doivent procéder à des rotations continuelles de ces dernières. Dans ce contexte de ressources limitées, la condition des femmes n’est pas nécessairement prise en compte. Cette participante ayant un diagnostic de dépression témoigne de son passage dans une maison d’hébergement :

« [Nom de la ressource] c’est, faut que tu te lèves le matin pis que tu bouges dans la journée, soit que tu te trouves un appart, en tout cas, faut que ça grouille. Tu peux pas rester couché toute la journée, ou vedger là. Mais moé c’est ça, j’suis à terre, n’essaye pas de me faire bouger, fais que je leur ai dit non. Mais avec ça, à cause que je leur ai dit non, ben ils avaient l’impression que j’voulais pas bouger dans vie, fais que regarde, si tu ne veux pas bouger, va falloir que tu bouges, on peut plus te garder. Fais que j’suis sortie de là j’étais pas mieux que je l’étais. Ça n’a rien donné. »

Dominique

Les propos de Jasmine montrent également à quel point l’hébergement reproduit l’instabilité. Les femmes sont constamment mises sous pression pour se trouver un logement alors qu’elles expriment un besoin important de soutien à plus long terme :

« Qu’ils prennent le temps d’écouter la personne. Après ça bien, je comprends que c’est de l’argent fait que, il devrait avoir un autre stage de maison. Parce que là tu es là en urgence, ils font attendre tant de temps, mais après ça on devrait aller dans une autre maison pour faire une étape. Faire les démarches, ce qu’il faut. Pour la personne qui veut continuer pour les démarches qui lui faut. Avec de l’aide! Parce que regarde-moi, j’ai, jusqu’à cette année j’avais encore besoin de l’aide pour les papiers. C’est fou à dire, mais ça m’a pris ça de temps moi. Moi je suis là que je faisais tout le temps des démarches. J’étais tout le temps en mouvement. Le stress-là ne déserre pas. Chaque maison que j’ai faite O.K. il faut que je cherche une place. Je réarrive, il faut que je cherche une place. »

Jasmine

En lien avec les autres témoignages, celui d’Iris illustre le dilemme des transferts d’hébergements et d’hôpitaux, la logique technocratique sous-jacente et l’absence de prise en charge des milieux, et ce, en dépit de ses besoins flagrants en termes de soins physiques et de protection. On sollicite la responsabilité individuelle des femmes en situation d’itinérance puisqu’on leur refuse une prise en charge institutionnelle, gouvernementale ou communautaire :

« […] Là, je commence à avoir des spasmes involontaires de mes jambes. Là, j’endure, pis j’endure, mais après une semaine, y a une intervenante qui est venue me voir pis a dit “Iris, tu peux pas rester comme ça là…” Bon… Appelle l’ambulance, je suis allée à l’hôpital. Donc, là, ils m’ont donné des médicaments intraveineux, pis ils ont dit “là, il faut aller voir votre médecin traitant au plus sacrant.” Bon. Eux autres [le centre d’hébergement], là, j’étais tellement mal en point physiquement. Donc, j’ai été transférée à [une autre maison d’hébergement dans une autre ville] […] Mais après, [ce centre d’hébergement] de me dire “Iris, nous autres, on peut plus rien pour toi là”. Hein? A dit “non, non, on peut plus rien pour toi là... Toi, tu n’as plus besoin d’aide au niveau violence conjugale là…” Là, je me dis, ben voyons, ils veulent me sacrer dehors?!? Ça pas d’allure!!! »

Iris

L’investissement dans l’enfance

Tel que mentionné ci-dessus, une des caractéristiques de l’investissement social est l’investissement dans l’enfance. Ce type de protection sociale issue de cette perspective est centré sur les enfants et sur leur avenir. Toutefois, le fait de centrer l’aide gouvernementale sur ces derniers n’est pas sans conséquence pour les femmes qui n’ont pas ou plus d’enfants à charge ou pour les jeunes femmes prises en charge faisant leur entrée dans l’âge adulte.

L’exemple d’Édith, 18 ans, est éloquent à cet égard. Elle s’est retrouvée hébergée dans une maison des Laurentides parce qu’elle devait quitter le Centre jeunesse, ce qui la laissait avec très peu de ressources pour intégrer le monde adulte :

« Pis là, j’ai eu mes 18 ans pis je suis partie! J’ai eu une vie assez mouvementée pour une jeune de mon âge. »

Édith

Pour Dominique, une période d’angoisse a précédé le moment où son fils aurait 18 ans et qu’elle ne bénéficierait plus des allocations familiales. À partir de ce moment, elle sait qu’elle n’arrivera plus à payer son loyer. La situation la mènera d’ailleurs à quitter ce logement de manière prématuré et à se trouver dans une situation d’itinérance :

« À partir de là, ma fille me trouve un 4 ½ au-dessus de chez son père que je payais 675 $ par mois. J’ai 653 $, mais j’ai quand même les allocations familiales à mon gars dans ce temps-là. Chu borderline, mais là ça a sauté. »

Dominique

Toujours sur le thème de l’investissement dans l’enfance, mais plutôt sous l’angle des experts participant à l’éducation des enfants (Jenson, 2002), on peut souligner ici le fait que la plupart des femmes participant à notre étude ayant des enfants qui n’avaient pas atteint la majorité en ont perdu la garde par une décision des services de protection de la jeunesse. Il est difficile de connaître les raisons exactes à partir de leurs témoignages, mais il est clair que de leur point de vue, cela a contribué à leur problème :

« Là, ça m’écoeure, parce que moi, quand mes [bébés] sont nés, j’avais un logement à prix modique [qu’une intervenante] m’avait tout organisé ça. Là, ben, parce que j’ai eu un questionnaire de la DPJ, pis celle qui s’occupait du dossier à l’époque a dit “le logement à prix modique que vous avez, c’est rempli de drogue pis d’alcool”. J’y dis “oui, mais écoutez [madame], moi là, quand je suis en logement, je vais pas côtoyer mes voisins, là”. A dit “oh… on veut pas que vous l’ayez, si vous prenez votre logement, on reprend vos [bébés]”. Fait que je me dis, c’est terrible, c’est quoi cette affaire-là? Ça fait 2 ans qui sont dans ma vie, ça fait 1 an et demi que je me démène, pour faire tout ce qui me demande, pis encore là, on dirait que ça paraît pas… ça, je sais que c’est des formalités pis qui ont pas le choix de faire une évaluation à risque, sauf qu’à quelque part, ça paraît même pas tous les efforts que je fais, toutes mes démarches que je fais. »

Annie

Ces extraits témoignent, entre autres, de l’importance des allocations familiales et des programmes de protection de l’enfance dans le parcours de vie des femmes en difficulté. En effet, les prestations familiales permettent à plusieurs de se maintenir hors de l’itinérance, mais tout bascule lorsqu’elles perdent la prestation. De la même manière, on repère dans le discours d’Annie les efforts effectués pour récupérer ses enfants placés en famille d’accueil par les services de protection de la jeunesse, mais son impuissance devant ces experts de l’État. Enfin, Édith qui atteint l’âge de 18 ans et qui doit quitter le Centre jeunesse sans avoir de ressources se retrouve à la rue du jour au lendemain parce qu’elle est maintenant majeure. Selon leur discours, dans le régime de citoyenneté actuel, le fait d’être sans enfant ne permet pas à ces femmes l’accès à une aide suffisante leur permettant de vivre décemment.

Les soins de santé et les services sociaux

D’autres éléments du régime de citoyenneté peuvent s’ajouter aux éléments déjà identifiés, telle la difficulté d’accès aux services de soins de santé et des services sociaux. L’accès privilégié à de tels services constitue un levier fondamental pour sortir de la rue. Cependant, pour l’intégralité des individus en situation d’itinérance et malgré un système de soin universel, l’absence de domicile fixe est une barrière importante pour accéder aux services sociaux et de santé ainsi qu’au suivi des soins (Hwang, et collab., 2010; MSSS, 2014a; Shortt, et collab., 2009; Thibaudeau, 2000).

Pour les personnes en situation d’itinérance, les modes de fonctionnement et les règles d’admission du réseau de la santé et des services sociaux rendent son accès difficile (Shortt, et collab., 2009). Parfois, en dépit de leur mission et en vertu de leurs règles d’accès et de différentes logiques, les ressources tendent à exclure ces personnes confrontées à des services normatifs et discriminants (Grimard, 2006; Rose et collab. 2012). Le genre semble influencer l’utilisation des ressources pour les personnes itinérantes (Bonin, et collab., 2010; Hwang, et collab., 2010). Dans l’étude torontoise de Hwang et collab. (2010), les femmes seules en situation d’itinérance rapportent le plus haut pourcentage des besoins en soins de santé non comblés (22 %), suivi des femmes avec des enfants en bas âge (17 %), puis des hommes seuls (14 %). Cette même étude rapporte que d’avoir été victime de mauvais traitements dans la dernière année est fortement associé à l’augmentation de besoins en soins de santé non comblés et, dans l’échantillon, ce sont les femmes qui ont les plus hauts taux de mauvais traitements subis. L’étude de Bonin, Fournier et Blais (2007) arrive à une conclusion semblable. Quirion et Di Gennaro (2000) évoquent très bien les enjeux liés aux cas dits multiproblématiques, en expliquant que la réponse institutionnelle génère la violence en se traduisant pour ces personnes par l’exclusion et la stigmatisation en raison de son inaccessibilité. Ainsi, il est nécessaire pour le réseau de revoir le traitement réservé aux citoyennes et citoyens qui s’inscrivent dans des trajectoires plus marginales (Fontaine, 2000; MSSS, 2014a; Thibaudeau, 2000). À cet égard, l’expérience de nos participantes est révélatrice.

Andrée s’est retrouvée à la rue après un séjour en soins psychiatriques :

« Oui, j’y vais de mon plein gré, puis le psychiatre il me dit “Vous allez y aller 1 jour, 2 jours, 3 jours”. Je ne connais pas ça les maisons d’hébergement. Moi… Puis je finis par aller là, là je me revire de bord puis je suis dans la rue. Crisse, je n’en ai pas! J’ai pu rien! Ça fait que là je me retrouve dans une chambre, mais ça, c’était un crack house. »

Andrée

Cette autre femme évoque un séjour à l’hôpital qui ne semble pas lui avoir été bénéfique :

« Là-bas c’est comme si j’étais rentrée pis qu’ils m’avaient dit : “Regarde, tu n’as pas le choix, faut que tu passes tes journées dans ta chambre”. Non. Le fait que les portes ne se rouvrent jamais, c’est eux autres qui ont l’heure pour que tu ailles fumer. L’heure pour manger. Tu ne peux pas sortir parce que les portes sont barrées. Ça aussi ça m’a étouffée, J’avais beau avoir les Paxils, les médicaments, ça jamais remonté. Je calais. Moé j’me dis c’est l’effet d’être en… d’avoir été pris. Je ne voulais pas être pris, laissez-moé… »

Dominique

Carmen, qui a besoin de voir un psychiatre pour une évaluation diagnostique est sur une liste d’attente :

« Non, pas encore… Ça prend 6 mois, un an… Je suis en attente, mais là, j’ai été voir la travailleuse sociale du CLSC que j’ai vu l’année passée, mais là, c’est pour avoir des services plus précis. »

Carmen

Ainsi, le système de santé et de services sociaux ne semble pas soutenir adéquatement ces femmes dans le besoin. Elles sont dépourvues devant des services difficiles d’accès ou peu adaptés.

Stratégies de survie

La pauvreté n’est toutefois pas le seul enjeu vécu par les femmes en situation d’itinérance. Tel que mentionné ci-dessus, la violence se perpétue lors des épisodes d’itinérance. Pour ne pas être dans la rue, considérée par elles-mêmes comme un lieu trop dangereux, les femmes cherchent à se loger comme elles le peuvent. Entrecoupée de périodes en maison d’hébergement, cette stabilité sera parfois possible chez des membres de la famille, parfois chez des amies. Certaines femmes vont « préférer » vivre en chambre parce que cela coûte moins cher, mais elles évaluent souvent que cela augmente le risque de se faire harceler et abuser par les autres chambreurs ou par le propriétaire.

Ce constat s’est malheureusement manifesté dans notre étude puisque, selon les participantes, plusieurs hommes ont voulu recevoir des faveurs sexuelles de leur part en leur offrant un hébergement. Si les femmes ne répondaient pas à leurs demandes, elles devaient quitter les lieux :

Q : « Ton coloc, c’était qui? »
P : « C’était pas un chum. Lui, il aurait ben voulu qu’on fasse de quoi, mais moi, j’étais pas intéressée […]. Écoute, [il m’a mise à la porte] parce que je ne voulais pas faire l’amour avec lui. J’étais pas là-dedans, j’étais ben célibataire, pis t’sais, j’en avais pas envie. »
« C’était comme, lui, dans sa tête à lui, j’étais obligée de faire ça, mais non. C’est spécial pareil, hein? (Rire) C’est assez heavy. »

Annie

Comme les rapports de pouvoir entre les genres sont inégaux, les femmes vont répondre aux besoins des hommes en optant pour le sexe de survie, une forme de prostitution leur permettant d’éviter la rue ou les refuges mixtes et leur garantissant une forme de sécurité avec un toit au-dessus de leur tête. Autrement dit, en échange de faveurs sexuelles, elles cohabitent avec des partenaires de passage pour ne pas se retrouver à la rue (Gagné, Poirier et Baret, 2016; Gélineau, 2012; Plante, 2012). Plusieurs d’entre elles vont éviter les ressources mixtes et préférer des réseaux en dehors de ceux reconnus pour l’itinérance, comme des ressources d’hébergement pour les femmes victimes de violence, ce qui fait qu’elles ne sont pas reconnues comme des femmes en situation d’itinérance, mais comme des femmes victimes de violence (Gagné, Poirier et Baret, 2014). Paradoxalement, les femmes ne sont pas à l’abri de la violence quand elles se retrouvent en situation d’itinérance (Gélineau, et collab., 2008). Ainsi, les femmes sont marquées par la violence avant et après l’entrée en situation d’itinérance (Gélineau, 2012; Gélineau, et collab., 2008).

Conclusion

Pour caractériser l’itinérance des femmes, plusieurs chercheurs proposent l’image de la spirale (Fournier et Mercier, 1996; Gélineau, 2012; Gélineau, et collab., 2006; 2008; Plante, 2007). Les femmes se retrouvant en situation d’itinérance vivent une dynamique spiralée passant par « un mouvement d’accélération et de complexification des temps de stabilisation et d’errance lié à l’interaction de nombreux facteurs de fragilisation » (Gélineau, et collab., 2008, p. 5). Notre étude montre que ces facteurs sont la conséquence d’obstacles liés à l’exercice de la pleine citoyenneté. Dans le cas de l’itinérance des femmes, cette adversité est liée de façon très claire aux rapports sociaux de sexe inégaux et aux politiques sociales se posant la plupart du temps comme des embûches. Ces facteurs d’ordre structurels les maintiennent la plupart du temps dans des conditions de vie précaire. Plusieurs transformations du régime de citoyenneté pourraient être envisagées pour permettre à ces femmes d’accéder au logement. À titre d’exemples, des programmes de soutien au revenu moins centré sur l’activation, lesquels permettraient aux femmes de vivre décemment et sans tout perdre lorsqu’elles n’ont plus d’allocation familiale; et aux maisons pour femmes en difficulté, un financement décent permettant d’offrir à ces dernières un hébergement pour une durée plus longue afin qu’elles puissent se reposer et retrouver leurs repères.