Abstracts
Résumé
La marche La rue, la nuit, femmes sans peur s’inscrit dans deux dynamiques du mouvement féministe occidental renaissant dans les années 1970, soit celle de la mise en place de nouvelles stratégies d’action politique et celle de la dénonciation des violences sexuelles faites aux femmes. Cette marche revêt aussi un aspect original par son caractère international qui s’est développé rapidement grâce entre autres à l’essor des réseaux féministes radicaux américains et européens. Le présent article relatera les origines de ces marches, particulièrement aux États-Unis, au Canada, en Allemagne, en Angleterre et en France, en tentant de découvrir l’origine de la première marche. À partir d’un travail dans les archives canadiennes surtout pour la période 1980-1990, certains des aspects de la marche, tels que le symbolisme de la réappropriation de la nuit par les femmes, la solidarité entre les femmes du monde entier et la célébration de la force des femmes, seront mis en relief.
Mots-clés :
- violence faite aux femmes,
- marches nationales et internationales,
- mouvement féministe,
- violences sexuelles
Abstract
The march Take Back the Night is part of two dynamics of the Western feminist movement that was reborn in the 1970s, the new political action strategies, and the denunciation of sexual violence against women. This march also has an original aspect due to its international character which was rapidly developed due to the rise of the radical feminist networks in the United States and Europe. This article will elaborate on the origins of these marches, especially in the United States, Canada, Germany, England and France. And nonetheless, this article will try to relate the origins of the first march. From researches in the Canadian archives, during the period 1980-1990, some aspects of the march will be more highlighted, such as the symbolism of the appropriation of the night by women, the solidarity among women worldwide and finally the celebration of the strength of women.
Keywords:
- violence against women,
- sexual violences,
- feminist movement,
- national and international marches
Article body
« On ne naît pas femme, on le devient », assure Le Deuxième Sexe. Nos grands-mères en écriture ont toutes su nous signifier qu’on ne naît certes pas femme créatrice, ni femme indépendante de l’ordre sexiste : on le devient mais rarement toute seule.
Michèle Le Doeuff
« Elles ont défilé, elles ont écrit, elles ont signé des pétitions, elles ont chanté. Sans compter leur temps et défiant les interdictions, des générations de femmes se sont engagées dans l’action pour changer leur condition. Elles ont milité. » (Lévesque, 2004, p. 87). C’est en ces termes qu’Andrée Lévesque s’exprime pour définir le militantisme des féministes. Parmi ces actions, les marches y occupent une place privilégiée. Plusieurs d’entre elles sont au coeur de la dénonciation de la violence faite aux femmes. Pensons aux Marches mondiales[1] pour dénoncer la pauvreté et la violence faite aux femmes organisées depuis l’an 2000 ou, plus localement, dans plusieurs grandes villes canadiennes, à la Marche du 14 février, pour les femmes autochtones disparues ou assassinées[2]. Parmi celles-ci, la marche La rue, la nuit, femmes sans peur, connue aussi sous le nom Femmes,Reprenons la nuit, représente un événement unique. D’une part, cette marche permet d’appréhender la diversité des stratégies du mouvement des femmes contre les violences faites aux femmes, né dans les années 1970. En effet, ce mouvement a développé un ensemble de pratiques novatrices pour faire connaître son analyse de la violence comme une forme de contrôle social des femmes (Hanmer, 1977), que ce soit les speak outs, la publication d’ouvrages tel celui de Brownmiller (1975), la création de services d’accueil ou encore de lignes d’urgence. D’autre part, cette marche participe, par son caractère international, aux autres activités transnationales du mouvement des femmes qui se développeront dans les années 1970 (Desai, 2005; Moghadam, 2001). En effet, avec l’organisation de la Conférence de Mexico pour souligner l’Année internationale des femmes en 1975, puis avec les travaux du Tribunal international des crimes contre les femmes, tenus à Bruxelles en 1976, des militantes du monde entier se regroupent et partagent leurs expériences. Enfin, cette marche matérialise le caractère subversif du mouvement féministe, en ce que « les manifestantes qui envahissent la rue enfreignent bien des tabous » (Lévesque, 2004, p. 89) en remettant en question l’assignation des femmes à l’espace privé. Ainsi, qu’il s’agisse de militantes féministes canadiennes, britanniques, françaises, américaines, italiennes, suisses ou allemandes, après 1968, l’organisation de cet événement est une forme d’appropriation de l’espace public, espace souvent interdit… la nuit, sous peine de représailles.
Dans cet article, nous chercherons d’abord à retracer les origines sociohistoriques de la marche Femmes,Reprenons la nuit. Comme il sera démontré, ses origines sont liées au développement du mouvement des femmes contre les violences faites aux femmes et plus particulièrement contre les violences sexuelles. Au niveau socioculturel, nous ferons ressortir comment ce mouvement est apparu en quasi-simultanéité tant aux États-Unis qu’en Angleterre, au Canada ou en Allemagne et en France. Nous en présenterons aussi les principales stratégies telles que la création des groupes de conscientisation et les actions politiques. Puis, nous tâcherons de savoir si c’est le continent américain ou le continent européen qui a vu naître la première marche La rue, la nuit, femmes sans peur. Par la suite, en prenant en considération l’organisation de cette marche dans quelques grandes villes canadiennes, particulièrement Toronto, Montréal et Ottawa, nous présenterons ses principales caractéristiques. À cet égard, nous nous intéresserons aux motivations intrinsèques présentées par les organisatrices de ces marches pour rallier les marcheuses. Trois thématiques ressortent : reprendre le pouvoir en tant que femmes en se réappropriant la nuit, démontrer sa solidarité sans nier les différences et, enfin, célébrer les femmes. Nous pourrons ainsi faire ressortir le caractère festif de ces marches par la place que prennent les chants, les dessins des affiches ou encore les danses qui clôturent cette activité.
Pour préparer cet article, nous avons utilisé quelques fonds d’archives particulièrement ceux du mouvement des femmes au Canada, conservés à l’Université d’Ottawa, les archives de la Bibliothèque Marguerite Durand à Paris, ainsi que les archives de la Northeastern University à Boston. Les deux premiers fonds couvrent surtout la période 1970-1990 et touchent plusieurs villes de chacun des pays. Le dernier fonds concerne les années 1970 et 1980 pour la ville de Boston et pour le seul événement de la marche Take Back the Night. Nous avons pu aussi avoir accès aux archives en ligne des groupes féministes radicaux de New York pour les années 1960 et 1970, particulièrement pour les activités des groupes de conscience. Nous avons enfin consulté les archives de journaux canadiens, de même que les archives en ligne de la Take Back the Night Foundation, en plus des nombreux ouvrages universitaires touchant l’histoire du mouvement des femmes nord-américain et européen, plus spécifiquement des mouvements féministes contre la violence faite aux femmes. Cependant, vu les sources consultées et la période étudiée, particulièrement « la période de la pensée radicale 1969-1985 » (Dumont et Toupin, 2003), cet article ne prétend pas faire une étude exhaustive de cette marche, ni au niveau national ni au niveau international.
Le mouvement des femmes comme mouvement social
Le mouvement des femmes a été l’un des moteurs essentiels de la transformation de la scène politique dans les pays occidentaux au cours des quatre dernières décennies. Pour plusieurs auteures (Rosen, 2000; Corrin, 1997), le mouvement contre les violences faites aux femmes est une forme de « résistance féministe contre la violence masculine » et il est l’« une des grandes réussites du mouvement des femmes contemporain » (Smyth, 2002, p. 76).
Par suite des revendications du nouveau mouvement féministe qualifié souvent de la deuxième vague[3] (Dubesset, 2004), l’égalité des sexes investit le domaine du mariage, de la famille ou du monde du travail. Que l’on soit en Grande-Bretagne (Byrne, 1996), en Australie, aux États-Unis ou au Canada, le mouvement féministe est responsable des changements les plus marquants aux niveaux législatif et constitutionnel (Wine et Ristock, 1991). On assiste à une véritable renaissance du mouvement des femmes à l’échelle occidentale[4]. Quant à Dominique Fougeyrollas-Schwebel (1993), deux points essentiels caractérisent le nouveau mouvement des femmes, à savoir la rupture conceptuelle qu’il a opérée et sa capacité exemplaire de mobilisation.
Le féminisme est avant tout une production idéologique très diversifiée et c’est incontestablement dans la critique des catégories de la pensée que le féminisme connaît son impact le plus important […] (p. 760). […] Ce mouvement réussit également l’organisation de grandes manifestations de protestation et de revendication pour l’exercice des droits ou la conquête de nouveaux droits.
p. 764
Cette renaissance revêt d’emblée un caractère international.
Le mouvement des femmes en tant que mouvement social a intéressé de nombreux chercheurs et chercheures depuis quatre décennies. Dans une recension récente sur la sociologie du mouvement des femmes, les auteures Laure Bereni et Anne Revillard (2012) font ressortir que les recherches démontrent que les mouvements des femmes diffèrent des autres mouvements sociaux en « ce qu’ils placent au coeur de leur identité militante la catégorie des femmes » (p. 17). De même, elles soulignent que les mouvements des femmes
ne se laissent pas facilement réduire au cadre classique de l’« organisation de mouvement social » (social movement organization) (McCarthy, Zald, 1977), située dans la société civile et affirmant des objectifs explicitement politiques et contestataires : des entités aussi variées qu’un « groupe de conscience », un magazine, une section femmes de parti politique, un centre d’hébergement pour femmes victimes de violences et une administration chargée des femmes ont en effet pu être étudiées comme relevant du mouvement des femmes […]
p. 18
En partant de la théorie de la mobilisation des ressources, utilisée dans la sociologie des mouvements sociaux, Laure Bereni et Anne Revillard (2012) notent que la notion de communauté de mouvement social, soit « des réseaux informels d’individus politisés aux frontières fluides, avec des structures décisionnelles flexibles et une division du travail souple » (Buechler, 1990, p. 242), est un concept qui permet de bien saisir la réalité complexe des mouvements des femmes surtout le mouvement féministe de la deuxième vague américaine ou encore européenne. À cet égard, Suzanne Staggenborg et Verta Taylor (2005) notent que les vigiles, les groupes de conscientisation et les services d’accueil pour les survivantes de violences sexuelles ou conjugales sont de nouvelles stratégies mises en place par le mouvement des femmes américaines dans les années 1970. Plus particulièrement, la contribution de Staggenborg et Taylor permet de dépasser les notions de mobilisation des ressources pour ouvrir « la voie à l’inclusion, dans le champ de l’analyse des mouvements sociaux, de groupes, lieux ou réseaux sociaux » (Bereni et Revillard, 2012, p. 25). C’est à cet aspect des nouvelles formes de mobilisation que constituent les marches, telle la marche La rue, la nuit, femmes sans peur, que nous nous intéressons. Pour bien saisir sa portée, il est important de la recadrer dans le mouvement contre les violences sexuelles dont elle est une des stratégies politiques.
Le mouvement des femmes contre les violences sexuelles
Deux impulsions sont présentes en parallèle. La première touche la naissance de mouvements de libération des femmes appelés plus communément MLF[5] à la fin des années 1960 et au début de la décennie 1970[6]. La seconde est liée à deux événements à caractère international de cette décennie, soit la première Conférence internationale des Femmes à Mexico en 1975 et les travaux du Tribunal international des crimes contre les femmes, tenus à Bruxelles en 1976, initiant une réflexion féministe internationale de dénonciation des violences faites aux femmes, deux événements qui marquent aussi cette renaissance et l’amplifient. En effet, pour Staggenborg et Taylor (2005), l’expansion internationale du mouvement des femmes est le signe de l’importance sociohistorique du mouvement féministe comme mouvement social.
C’est aux États-Unis que tout commence. Selon Dominique Fougeyrollas-Schwebel (1993, p. 729), « l’onde de choc part des États-Unis et gagne très rapidement la Grande-Bretagne et l’Allemagne dans les années 1960 ». Pour Galster (2004), c’est « une étincelle venue d’Amérique » (p. 250) qui a provoqué la renaissance du MLF français. Ainsi, que l’on soit à Paris, à Vancouver ou à Genève et que l’on apprenne l’existence de groupes de femmes aux États-Unis, en Angleterre ou en France, participer à ce mouvement mondial devient une exigence. Ainsi, pour Gerhard (2011), le mouvement s’internationalise rapidement :
De par les problèmes posés et les réponses apportées, le nouveau féminisme eut, dès le départ, la stature d’un mouvement international. Les femmes ouest-allemandes se sentaient encouragées par les actions d’éclat du Women’s Liberation Movement (Women’s Lib) des États-Unis […], par celles du mouvement du même nom en Angleterre, par la rébellion des Dollen Minnas aux Pays-Bas ou par le Mouvement de libération des femmes (MLF) français […]
p. 54
C’est pourquoi de Dardel (2007) considère que les objectifs du mouvement féministe suisse lui ont été quasi « imposés » par le développement des mouvements de libération européens et américain.
Son apparition à Genève est la conséquence d’un mouvement idéologique beaucoup plus large qui a pris naissance aux USA et qui s’est propagé en Europe, surtout dès 1970 […] La multitude des thèmes pris en charge par le mouvement mondial ont été assignés de fait au MLF de Genève.
de Dardel, 2007, p. 57
Les dénonciations des violences faites aux femmes, telles que le viol, la pornographie et la violence conjugale, font ainsi leur apparition dans la décennie 1970 et elles sont au coeur du nouveau mouvement social. Ainsi, pour Castro, « [p]lus que l’avortement, le viol est le problème majeur qui révéla la transformation de l’action à des fins de prise de conscience » (1984, p. 212). Elles sont d’emblée théorisées par le courant radical[7] du mouvement de libération des femmes.
[…] les problématiques issues des analyses radicales incitent des féministes à continuer de dénoncer les manifestations de l’oppression des femmes […] sans ces analyses, sans ces dénonciations, le noeud des inégalités de sexe et de genre n’aurait pas été entamé, et nous n’aurions pas assisté à des changements considérables dans la société.
Dumont, 2005, p. 71
La mobilisation se diffuse de même que les moyens d’action. Cinq moyens d’action principaux seront mis en place : les témoignages publics soutenus par les expériences dans les groupes de conscience, la diffusion de l’analyse féministe par la publication d’analyses sur les violences sexuelles, la création de services d’accueil incluant des ateliers d’autodéfense, la formation de coalitions pour faire changer les lois et, enfin, les manifestations publiques (Castro, 1984; Bevacqua, 2000; 2008; Brownmiller, 1999) dont la marche La rue, la nuit, femmes sans peur. C’est par les réseaux féministes de divers groupes radicaux américains et européens que ces stratégies se diffusent[8].
Le 28 septembre 1971 a lieu un rassemblement à New York afin de protester contre la décision de ne pas « condamner le violeur de deux fillettes » (Castro, 1984, p. 212). Ce rassemblement new yorkais est considéré comme une des premières activités du mouvement américain contre le viol et trouve ses origines dans le travail souterrain effectué dans l’une des formes singulières de mobilisation du mouvement de libération des femmes aux États-Unis que l’on dénomme les groupes de conscience (consciousness-raising group)[9]. Il s’agissait par ces diverses activités de donner la parole aux femmes, prise de parole déjà expérimentée sur une base plus locale dans les groupes de conscientisation. Les groupes de conscientisation[10] sont, pour le groupe New York Radical Feminists et son groupe fondateur la Scanton Anthony Brigade, une manière de créer la base d’un mouvement féministe de masse. Ces groupes se multiplieront assez rapidement aux États-Unis, organisés comme des cellules indépendantes, certains se regroupant au sein d’une ville dans un comité de coordination comme à New York ou Chicago. Bevacqua (2000) estime qu’elles sont des milliers d’Américaines à se joindre au mouvement des femmes par l’intermédiaire de ces groupes de conscientisation[11]. Le slogan « Le privé est politique » est la formule la plus immédiatement évoquée. Charlotte Bunch l’explicite plus concrètement : « Il n’y a pas de domaine privé dans une existence personnelle qui ne soit politique, et il n’y a pas de problème politique qui, en dernier ressort, ne soit personnel » (Bunch-Weeks, 1970 dans Castro, 1984, p. 75). Pour Diane Lamoureux (2000, p. 175), « les groupes féministes se reconnaissaient dans une telle expression et en faisaient un élément crucial de leur radicalité ».
Cette première conférence Speak-Out on Rape[12], tenue à New York en avril 1971, aura une importance assez cruciale aux États-Unis, puisqu’elle servira de modèle pour d’autres sur le sol américain, à San Francisco en 1972 et à Washington en 1972 (Brownmiller, 1999, p. 203 et p. 206), ou encore en France, en Italie (Bonansea, 2004; Cuninghame, 2008) ou en Allemagne (Gerhard, 2011). Si les groupes de conscientisation ne sont pas aussi présents dans les mêmes années, en France[13] à Paris en mai 1972 se tiennent, sur le même modèle des speak outs,Les Journées de dénonciation des crimes contre les femmes, premier événement que l’on pourrait associer au mouvement français contre le viol et plus largement contre les violences faites aux femmes.
Toutes les femmes seraient invitées à apporter leurs témoignages sur ces « crimes légaux, quotidiens, invisibles, ces crimes si parfaits que les victimes en sont inconscientes ou s’en croient coupables » […] L’avortement bien sûr […] Mais aussi tous les « aspects de notre oppression : travail ménager et salarié, sexualité, viol (physique et idéologique), maternité (légale et honteuse), créativité » […].
Picq, 1993, p. 135-136
Quant à l’Allemagne, le modèle d’intervention s’inspire aussi des groupes de conscientisation.
Sur le modèle des consciousness raising groups américains (Sander, 1975), ils initièrent un processus d’apprentissage collectif en montrant que les limites imposées aux femmes, les discriminations et les violences tant structurelles qu’individuelles à leur encontre ne relevaient pas d’un destin privé, mais d’un état de fait politique […] »
Gerhard, 2011, p. 52
L’analyse féministe des violences sexuelles comme forme de contrôle social, « comme institution fondamentale du patriarcat qui fait système » (Smyth, 2002, p.76), se diffuse plus largement par la publication d’analyses de militantes et pour certaines universitaires, comme le premier essai de Susan Griffin, Rape: The All-American Crime (1971), suivi par ceux de Kathleen Barry, The Vagina on Trial: The Institution and Psychology of Rape (1971), d’Andra Medea et Kathleen Thompson, Against Rape (1975), de Diana Russell, The Politics of Rape: The Victim’s Perspective (1975), et de Susan Brownmiller, qui aura une diffusion sans précédent, Against Our Will. Men, Women and Rape (1975). Ces publications alimentent les réflexions ailleurs dans les autres groupes anglais, danois ou français[14]. Le livre de Kate Millett, La politique du mâle (1970), est traduit en français et en allemand en 1971, soit un an après sa parution aux États-Unis (Gerhard, 2011, p. 54). Celui de Susan Brownmiller (1975), Le Viol, suit le même parcours en France, en même temps que la parution d’ouvrages français tels que celui de Marie-Odile Fargier (1976) et de Viol, le procès d’Aix (1978). Des articles dans les journaux féministes français relaient aussi ces analyses (Le Quotidien des femmes, 1976; Les Cahiers du GRIF, 1976). Le premier ouvrage canadien est celui de Lorenne Clark et Debra Lewis, Rape: The Price of Coercitive Sexuality (1977), traduit en français en 1983 et développant une perspective féministe inspirée de ces travaux des pionnières.
Comme autre stratégie d’action, le mouvement de femmes américaines s’engage aussi dans l’accueil des femmes victimes de viol. À peu près à la même époque dans différentes villes américaines, on voit naître les premiers centres de crise contre le viol voués en grande partie à l’accueil des victimes de viol. Ces centres fournissent dans un premier temps sur une base militante de l’auto-assistance aux femmes ayant vécu une agression sexuelle[15]. Ces centres d’aide donneront lieu à la création de services de counseling pour les femmes, au soutien des victimes, à la diffusion d’informations juridiques et à l’accompagnement sociomédical et sociojuridique. S’ajoutent à ces services de première ligne, des lignes téléphoniques d’urgence[16], un groupe de support aux victimes de viol associé à un groupe de conscience, regroupé en collectif se partageant le temps de travail bénévole. Enfin, certains centres développent des ateliers d’autodéfense, une des formes pour se réapproprier le pouvoir pour les femmes (Bart et O’Brien, 1985)[17]. Par ailleurs, ces ateliers d’autodéfense rallieront les activités des centres de femmes en France, en Suisse et en Belgique, sans toutefois en avoir l’expansion, tout comme pour l’implantation de centres d’aide contre le viol.
Si déjà on pressent à partir de 1971 que, parmi les actions à accomplir, des changements législatifs touchant le viol sont nécessaires dans plusieurs États américains, les groupes de conscientisation ne seront pas les seuls groupes à s’engager dans cette voix. En effet, NOW en tant qu’organisation nationale créera un groupe de travail (Rape Task Force), une sorte de coalition avec les autres groupes anti-viol, pour exiger des modifications législatives. Susan Brownmiller (1999) estime qu’en une seule année, en 1975, trente (30) États américains avaient réévalué leur loi sur le viol de manière à les rendre plus équitables pour les victimes. En termes législatifs, le mouvement français se dotera plutôt d’une plate-forme commune d’analyse radicale sur le viol en 1976 et soutiendra les nombreuses femmes à travers la France qui intenteront des procès contre leurs violeurs, en organisant des comités de soutien et des manifestations publiques au moment des procès. Par ailleurs au Canada, à la suite d’une mobilisation importante de groupes de femmes, le Code criminel a été amendé en 1983 (Johnson et Dawson, 2010, p. 107). Ces mobilisations importantes contre les violences au niveau juridique font dire à Maryse Jaspard (2015) qu’en France, « les militantes féministes ont dénoncé les violences contre les femmes » si bien qu’« entre 1970 et 2010, chaque décennie s’achève par une avancée législative » (p. 10).
Enfin, la dernière stratégie mise en place par le nouveau mouvement féministe est celle des actions publiques de type manifestations, vigiles, sit-ins, entre autres. Ces manifestations publiques sont l’une des stratégies utilisées par le nouveau mouvement des femmes pour faire connaître sa dénonciation des violences sexuelles. Pour Fraser (2014), au Canada, au début des années 1970, les manifestations publiques comme les marches annuelles « Take Back the Night walks and October 4th vigils for Canada’s missing and murdered Aboriginal women and girls are highly visible public events » (p. 258). Elles sont l’une des marques de ces années de militantisme. Cependant, la marche La rue, la nuit, femmes sans peur a ceci de particulier qu’elle est devenue rapidement un événement annuel, qu’elle est malgré ses quarante ans toujours et même plus présente dans différentes communautés canadiennes et que son origine, quoique nébuleuse, a des ancrages historiques originaux. La marche La rue, la nuit, femmes sans peur a un caractère symbolique intéressant à étudier.
Aux origines de la marche La rue, la nuit, femmes sans peur
Dater la première marche des femmes, Femmes, Reprenons la nuit, organisée pour dénoncer la violence contre les femmes est assez complexe. Ce n’est pas sans rappeler le travail de documentation qui a été réalisé pour trouver l’origine de la première journée internationale des femmes, le « véritable » premier 8 mars (Côté, 1984; Kandel et Picq, 1982; O’Leary et Toupin, 1982). En effet, en consultant différents sites sur la Toile faisant référence à l’histoire de Take Back the Night — le nom le plus communément donné à cette marche — ou encore à des ouvrages relatant l’histoire du mouvement des femmes en Occident, on retrouve plusieurs événements qui ont ce statut de première marche. Selon ces diverses sources, l’origine de la première marche serait européenne et elle serait liée aux travaux de féministes du monde entier réunies au Tribunal international des crimes contre les femmes à Bruxelles en 1976; c’est la date originale la plus fréquemment mentionnée (Take Back the Night Foundation; Mackay, 2015). Ainsi, l’auteure britannique Finn Mackay (2015) dans son ouvrage Radical Feminism consacre un chapitre aux origines et controverses entourant la marche Reclaim the Night.
Outraged and united by what they had heard and shared, in candlelit procession the women delegates decided to take the city streets on the evening of the last day of the conference to loudly and visibly demonstrate their anger and resistance to all forms of male violence.
p.72
Cette marche aurait agi comme élément déclencheur, incitant les participantes à organiser, à leur retour sur les sols nationaux, des marches de ce type.
L’idée de la création d’un tribunal est développée en novembre 1975, à Francfort, lors d’une conférence féministe internationale[18] à laquelle participent plus de 600 femmes. La notion de tribunal n’est pas en soi une création féministe. Dans ce cas-ci, les organisatrices tentent de transformer le sens premier de ce type d’activité. Les organisatrices ne considèrent pas que le Tribunal de Nuremberg[19] ou encore le Tribunal Russell auraient pu servir de modèles. En fait, aucun juge n’est présent, et la notion de crime est redéfinie comme étant toute forme d’oppression des femmes par le patriarcat. Il touche les femmes de tous les pays et il est non mixte. La ville de Bruxelles est choisie en vertu de son accessibilité européenne. Pour Diana Russell, l’une des organisatrices de cette conférence, c’est un événement féministe contrairement à la Conférence de Mexico. C’est la rencontre des femmes ordinaires (ordinary women), celles de la base, non la rencontre des étoiles (stars) ou des représentantes des gouvernements. C’est une rencontre pour y dénoncer tous les crimes commis contre les femmes dans les sociétés patriarcales et non une initiative d’intégration des femmes, comme l’ont été les travaux de la Conférence de Mexico un an plus tôt en 1975. Ainsi, lors du congrès international des femmes à Francfort, un comité se met en place pour « organiser une grande fête des femmes pour faire une fête qui soit la nôtre, indépendante de l’idée officielle de l’Année internationale de la femme » (G.L.I.F.E., 1975). Deux mille (2 000) femmes y participent. Dès l’ouverture des travaux, la question de la non-mixité est posée de façon criante. Il avait été convenu que le colloque serait non mixte; il est donc en fait assez facile de prendre la décision d’expulser les journalistes masculins, et ce, dès l’ouverture. Par contre, les organisatrices sont soucieuses d’avoir une participation importante des femmes, d’en faire un événement médiatique; c’est pourquoi elles demandent à Simone de Beauvoir d’y faire le discours d’ouverture. En fait, Simone de Beauvoir y livrera à distance le mot de bienvenue, le 4 mars 1976 (de Beauvoir, 1976, p. 566-567).
Des comités nationaux, mis sur pied l’année précédente dans plusieurs pays, sont appelés « à présenter deux crimes et à trouver des femmes acceptant de témoigner à ce sujet » (Denis et Van Rokeghem, 1992, p. 200-201). Le viol y occupe la place la plus importante. Dans le compte rendu de la conférence, les membres de la délégation du Danemark font la lecture d’un court texte de Susan Brownmiller (1975), tiré de son ouvrage Against Our Will, afin d’éclairer les témoignages présentés. Selon Diana Russell, les témoignages sont une forme d’expression unique et féministe « our way » — qui permet davantage que les débats théoriques abstraits de développer une analyse féministe. Ces rencontres font dire aux participantes : « La sororité est puissante! La sororité internationale est encore plus puissante! » (Russell et Van de Ven, 1976, p. 1). La portée de cette initiative est importante dans d’autres pays. Des groupes la reconnaissent comme une étape importante dans le développement, dans leur mise en scène publique[20]. Mais plus largement, pour Smyth (2002, p. 77), les travaux de ce tribunal ont rendu « visible […] le travail politique, pratique et théorique des féministes (qui avaient mis à jour) ce qui avait été ignoré et nié, parce qu’enfoui dans le domaine privé ».
La plupart des sites sur la Toile qui rappellent les origines de la marche La rue, la nuit, femmes sans peur évoquent que, durant les travaux du Tribunal, une soirée aurait été consacrée à une marche aux chandelles dans la ville de Bruxelles. Cependant, il n’est pas possible de trouver de preuve de l’existence même de cette marche. À la suite de nos recherches, il s’est avéré que cette marche n’aurait tout simplement jamais eu lieu. C’est l’article « All night dancing, not marching: Reclaim the Night myth debunked », publié par le journaliste belge Vince Chadwick dans le Sydney Morning Herald, en octobre 2013, qui a attiré notre attention. Au moment où les femmes de Sydney allaient participer à cet événement annuel devenu international, et citant Diana Russell sur l’origine de cette marche, il dévoile que cette activité n’a jamais été organisée en marge des travaux du Tribunal. Intéressé par l’origine de cette marche internationale, il avait tout simplement contacté par téléphone Diana Russell, qui lui avait alors clairement signifié que cette marche n’avait jamais été organisée à Bruxelles.
‘’It has become part of history but it’s incorrect,’’ says Dr Diana Russell, 74, one of the key instigators of the tribunal and now professor emerita of sociology and women’s studies at Mills College in California. ‘’I hate to destroy the myth because I kind of like it, but we actually danced every night’’ — to the Flying Lesbians, a seven-piece rock band from Germany.
Chadwick, 2013
Intriguée par cette affirmation, nous avons aussi pris contact directement tant avec le journaliste Vince Chadwick qu’avec Diana Russell, qui a eu la gentillesse de confirmer, comme elle l’avait fait précédemment dans cette entrevue en 2013, l’inexistence de cette marche la nuit dans les rues de Bruxelles dans le cadre des travaux du Tribunal[21]. C’est ainsi qu’elle s’est exprimée dans son courriel de réponse (Russell, 2017) :
I don’t know who started the myth that it first occurred during the International Tribunal on Crimes Against Women, but it certainly wasn’t me! The photo on the cover of my edited book, MAKING VIOLENCE SEXY: FEMINIST VIEWS ON PORNOGRAPHY shows a placard reading «TAKE BACK THE NIGHT.» The photo on this cover page is of the 1st Take Back the Night march organized during a Conference on Pornography for Organizers in San Francisco in the Broadway area of downtown SF.
Par ailleurs, si cette marche à Bruxelles n’a jamais eu lieu, le continent européen a été très actif au chapitre de l’organisation de marches, la nuit en lien pour dénoncer la violence faite aux femmes dans les années 1970. En effet, il semble assez réaliste de considérer, comme l’une des suites du Tribunal international des crimes contre les femmes de Bruxelles, où une délégation italienne était assez importante, que, la même année, une manifestation de nuit ait été organisée à Rome. Ainsi, le 27 novembre 1976, 10 000 femmes participent à une manifestation pour une soirée. Le thème de la manifestation est : Reprenons la nuit. Selon Mackay, ce serait la première fois que l’expression Reclaiming the Night aurait été utilisée (2015, p.72). Les marcheuses italiennes mettent en exergue la violence patriarcale en disant « dénonçons la vexation que le mâle exerce sur nous tant physiquement que psychologiquement aussi bien dans la vie privée que dans celle publique par le biais des institutions » (L.P., 1976, p. 100). Considérons donc que la première marche européenne aurait eu lieu à Rome en 1976.
Sur la piste des origines européennes des marches Reprenons la nuit, il est nécessaire de mentionner la place importante qu’occupent les féministes allemandes et anglaises au milieu des années 1970. En effet, dans ces deux pays, dès 1977, des marches de nuit sont organisées systématiquement dans plusieurs villes; la première marche Take Back the Night aurait eu lieu à Berlin en Allemagne le 1er mars 1977. Ce serait le viol suivi du meurtre d’une jeune fille de 26 ans, Susan Schmidtke, qui aurait inspiré l’organisation de cette marche, la nuit aux flambeaux. Quelques semaines plus tard, soit le 30 avril 1977, cette marche devient un événement organisé simultanément dans plusieurs villes de l’Allemagne de l’Ouest. L’Angleterre va suivre ce mouvement quelques mois plus tard, en organisant plusieurs marches la même soirée, le 12 novembre 1977, dans plusieurs villes anglaises, telles que Lancaster, Brighton, Bristol, York, Newcastle, London et Bradford (Mackay, 2015, p.73), la première ayant lieu à Leeds[22]. Alors que la revue féministe radicale britannique Spare Rib relaie un article de la revue allemande Courage en août 1977 sur cette marche, ce sera l’étincelle de l’inspiration. « The women in WIRES Collective saw the news item in Spare Rib on the German RTN, and decided to copy the idea. » (Mackay, 2015, p.75). Par ailleurs, la ville de Leeds est aussi connue pour un tueur en série surnommé Yorkshire Ripper, qui aurait fait de nombreuses victimes dès 1975. Devant cette menace, les services policiers encourageaient les femmes à ne pas sortir la nuit à moins qu’elles ne soient escortées par un homme. Ces conseils n’ont pas l’assentiment des groupes féministes; c’est pourquoi elles proposent d’autres stratégies dont cette marche. C’est ainsi que le Leeds Revolutionary Feminist Group « made the first official call for, and took on the coordination of, the first synchronised RTN marches, thus inaugurating this type of protest method in Britain » (Mackay, 2015, p. 79). Symboliquement, le 12 novembre 1977, le trajet de cette première marche aux flambeaux, à Leeds, parcourra les lieux où les corps de plusieurs victimes ont été retrouvés.
Bien qu’il faille conclure que le Tribunal international des crimes contre les femmes n’ait pas été à l’origine de la première marche des femmes contre la violence, il a inspiré des actions publiques au niveau international. Le Tribunal international a été en quelque sorte un speak out mondial, un vaste exercice de dénonciation et de reprise de pouvoir, regroupant des femmes de tous les continents et les appelant à se mobiliser contre les violences qui leur sont faites. Cependant, ce n’est pas à Bruxelles que l’on doit la première marche Réclamons la nuit, en Europe, mais plutôt à Rome (1976). Et cette première marche sera suivie par d’autres dans plusieurs villes d’Allemagne de l’Ouest et de Grande-Bretagne en 1977, avec comme élément spécifique cette fois-ci : des actions concertées et organisées par des réseaux féministes radicaux de ces deux pays. Par ailleurs, les chercheures du Centre lyonnais d’études féministes attribuent, en partie, des origines anglo-saxonnes à la première marche de nuit des femmes, tenue à Paris le 4 mars 1978. En effet, selon elles, cette manifestation parisienne se situe dans une dynamique nationale, voire internationale, le Take Back the Night anglo-saxon et les défilés de nuit en Italie (Centre lyonnais d’études féministes, 1989, p. 150). Par ailleurs, plusieurs sources (Bevacqua, 2000; Castro, 1984; Lederer, 1981) nous dirigent aussi vers des origines américaines. Nous y consacrerons notre prochaine section.
Ou des origines états-uniennes?
Dans la lignée d’une origine américaine, Maria Bevacqua (2000, p. 72), auteure d’une histoire du mouvement contre le viol aux États-Unis, souligne qu’entre 1971 et 1975, plusieurs événements de nuit ont été organisés dans plusieurs villes, activités promues par les tendances radicales et libérales du mouvement des femmes contre le viol (2000, p. 72). Ces marches de nuit faisaient partie d’une trilogie de stratégies incluant l’autodéfense et les actions de guérilla (dénonciations publiques des agresseurs sexuels) mises en place par des groupes féministes contre le viol. Certaines marches de nuit avaient comme objet principal d’assurer la sécurité des femmes et la réappropriation de la nuit par les femmes. C’était l’occasion de créer des patrouilles, de surveiller certains quartiers ou d’organiser des services d’escorte pour les femmes. Dans une brochure de 1971 « Stop Rape » du groupe Detroit Women Against Rape, les auteures suggèrent que les femmes « rétablissent la marche du soir », une sorte de patrouille féministe des rues associée à des actes de résistance (Bevacqua, 2000, p. 71). Cette action aurait été lancée par NOW à ses différentes sections en 1975 dans le cadre des activités de commémoration du droit de vote des femmes, le 26 août. Elle s’inscrivait dans son action générale pour mettre fin à la victimisation des femmes par la violence (Maria Bevacqua, 2000, p. 72). Ces marches auraient eu lieu à Memphis, Raleigh, Cuyahoga Falls (Ohio) et Washington (D.C.) durant l’été 1975[23]. Ces marches ont toutes les caractéristiques des marches que l’on dénomme La rue, la nuit, femmes sans peur : des actions concertées — la nuit comme moment de la marche — et le motif évoqué étant la violence sexuelle et les violences faites aux femmes. C’est la reprise aussi de l’expression Claim the night and the streets, fréquemment utilisée comme synonyme pour désigner ces marches.
Quant à la première utilisation du terme Take Back the Night, elle n’est pas facilement repérable. Ce terme serait apparu la première fois dans le bulletin du groupe The Feminist Alliance Against Rape de novembre-décembre 1977 dans un article d’Anne Pride qui relatait une marche à Pittsburgh cette même année (Bevacqua, 2000, p. 71). Par ailleurs, Laura Lederer en donne une autre version. En effet, elle considère que « le slogan Take Back the Night a d’abord servi de thème à une manifestation nationale dans le quartier de la pornographie à San Francisco » (1983, p. 17), le 5 novembre 1978. Ce serait à la suite d’un appel d’Andrea Dworkin que 3 000 participantes à cette conférence auraient marché aux flambeaux dans le quartier de l’industrie pornographique (Brownmiller, 1999, p. 301-302). C’est généralement cette date qui a été retenue dans l’histoire féministe, associant la lutte contre la pornographie comme forme de violence envers les femmes au mouvement des femmes contre le viol (Bevacqua, 2000, p. 234, note 5). Cette confusion aurait été amplifiée par le titre même de l’ouvrage de Laura Lederer Take Back the Night: Women on Pornography. Cependant, il se trouve que ce slogan avait été utilisé auparavant, comme en témoigne un pamphlet pour solliciter la présence des femmes et des enfants à la marche Take Back the Night le 26 août 1978 à Boston (Take Back the Night, 1978), soit trois mois avant l’appel d’Andrea Dworkin à San Francisco.
Apparemment dès 1975, des marches de nuit ont été organisées dans plusieurs villes américaines par des coalitions de groupes féministes. Cependant, il faut reconnaître que la marche de Paris a eu lieu avant même celles de Boston et de San Francisco. Il est possible de conclure que les premières marches Take Back the Night pour dénoncer la violence sexuelle auraient eu lieu aux États-Unis et auraient été utilisées comme une stratégie de dénonciation des violences sexuelles, suivies de près par les Européennes. Tout se passe comme si le mouvement américain contre le viol (1970-1975) avec ses marches de nuit aurait inspiré les marches italiennes (1977), est-allemandes (1977), britanniques (1977) et françaises (1978) pour revenir aux États-Unis par Boston (1978) et San Francisco (1978).
Toutes ces dates « premières » ne sont pas mythiques comme celle du 8 mars 1857, mais elles participent, comme pour le 8 mars, à une « construction a posteriori », voulant supporter « l’idée de la cause commune et de la solidarité internationale des femmes » (Studer et Thébaud, 2004, p. 38). Elle s’articule aussi comme une activité internationale menée par des groupes du mouvement de libération des femmes surtout des groupes radicaux dans les premières décennies. Mais la date anniversaire ne sera pas toujours celle de sa commémoration, du moins dans les années récentes. Ce sont le lieu : la nuit, et le thème : la violence faite aux femmes, qui lui définissent généralement son caractère propre davantage que la date originale. En fait, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, ces marches de nuit sont organisées à plusieurs reprises, selon l’urgence de la situation. Ainsi, une première marche est organisée à Paris le 4 mars 1978 et une seconde quelques mois plus tard, le 29 juin 1978, pour dénoncer le viol d’une jeune fille de 13 ans par des policiers.
Une manifestation pour reprendre la nuit, le droit de se promener la nuit, contre tous les viols et les agressions sexistes. Une seule banderole : femmes battues, femmes violées. Plusieurs pancartes. La rue est à nous scandaient les femmes. Un collage massif d’affiches et un abondant bombage des murs, ceux d’un cinéma porno entre autres.
Rouge, 30 juin 1978
Il en est de même à Toronto en 1979 où deux marches y sont organisées : la première, en mai, avait regroupé sur les plages plus de 600 femmes après le meurtre de Barbara Schlifer le mois précédent (Toronto Star, 1980), et la seconde, en août, avait réuni plus de 350 femmes pour protester contre la violence faite aux femmes et se joindre à ce mouvement international de protestation. Chaque année, chaque ville participante rappelle fièrement la date anniversaire de la première marche.
De Boston à Lyon et Ottawa, une marche qui s’internationalise
L’année 1978 est une année faste. De plus en plus de villes participent à cet événement. Par exemple, des marches sont organisées en Australie (Carman et Thompson, 1997), en Inde (Carman et Thompson, 1997), à San Francisco, Washington, Boston, Paris (Picq, 1993, p. 244) ainsi qu’au Canada.
Vancouver semble avoir été l’une des premières villes canadiennes à se joindre à ce mouvement. Inspirée directement par le mouvement américain de la côte ouest et organisée par des membres du groupe Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter (Famous Canadian Women, 2017) et des participantes à la conférence sur la pornographie de San Francisco, cette marche vancouvéroise aurait eu lieu le 4 novembre 1978. Mais, plus généralement, ce sont trois villes canadiennes qui organisent des marches en 1978 : Vancouver, Halifax et Ottawa (Place aux femmes d’Ottawa-Ottawa Women’s Place, 1995).
La première marche Take Back the Night — La rue, la nuit, les femmes sans peur s’organise à Ottawa sous l’égide du groupe The Political Action Collective of the Ottawa Women’s Centre. Ce centre travaille de concert avec plusieurs groupes féministes tels Rape Crisis Centre, Women’s Career Counselling, Interval House et Upstream, un journal pour les femmes. Selon les archives de l’organisation Place aux femmes d’Ottawa-Ottawa Women’s Place, cette première marche s’est organisée sans qu’aucune organisation spécifique ne la revendique spécifiquement, sans réelle publicité et, malgré tout, quatre-vingt (80) participantes se rejoignent au Parc de la Confédération après avoir marché dans les rues Rideau et Bank (Place aux femmes d’Ottawa-Ottawa Women’s Place, 1995).
Au Québec, les marches semblent aussi prendre de l’ampleur à partir de 1980. Elles s’organisent la même année dans trois villes : Hull, Montréal et Québec. Seulement dans cette dernière ville, « plus de 1 000 femmes ont déambulé dans les rues du Vieux-Québec, sans hommes, réclamant ainsi le droit de se promener seule la nuit sans danger » (CBV Québec Nouvelle, 1980). Particularité régionale, et initiées dès 1984, les marches regrouperont les femmes des deux côtés de la rivière des Outaouais, dans une rencontre symbolique sur le pont Interprovincial (Le Droit, 1984, p. 55).
Ce sont toutefois les années 1980 qui marquent en quelque sorte une forme d’institutionnalisation de cette marche, tant au Canada qu’aux États-Unis. Ainsi, dès 1981, l’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel (ACCCACS) désigne le troisième vendredi de septembre de chaque année comme étant consacré à l’organisation de la Marche partout au Canada sous l’égide des centres d’aide. Selon ce regroupement, cette initiative serait aussi réalisée en concertation avec les associations américaines (CASAC ACCCACS, 2002) pour souligner l’événement et rappeler publiquement que la violence faite aux femmes n’a pas disparu. Et l’événement se diffuse. En effet, la plupart des villes canadiennes y participent : Vancouver, Winnipeg, Calgary (Women’s Centre of Calgary, 1982), Toronto, Montréal, Fredericton, Halifax.
Bien que les centres d’aide aient pris au Canada le plus souvent le leadership de l’organisation des marches, un peu à l’instar des groupes féministes britanniques en 1977 ou encore en Allemagne de l’Ouest, elles sont le plus souvent organisées par des coalitions de groupes. Par exemple, à Hull en 1980, la première marche est organisée par quatre groupes de femmes : Wen-Do Québec, l’Entre-Nous, l’Entre-Elles et le Centre d’aide aux victimes de viol (Rossignol, 1980). Et cette tradition se poursuit. Pour Ottawa, un comité régional organise la marche depuis 15 ans. En 2008, un comité francophone regroupant les ressources régionales francophones contre les violences faites aux femmes se forme et il participe en tant que tel au comité régional. Le comité régional regroupe des représentantes des différents services d’aide aux femmes victimes de violence, services en français, en anglais ou bilingues. Ce comité veille à la préparation logistique de la marche, à son déroulement et aux contacts avec les autorités municipales et policières pour le trajet. Des échanges sont aussi tissés assez régulièrement avec les groupes de l’autre côté de la rivière afin de convenir d’un lieu de rencontre des participantes des deux marches régionales.
Pourquoi marcher?
Certes, les marches Reprenons la nuit sont pour les femmes un acte symbolique montrant leur volonté de se réapproprier la nuit, se réapproprier l’espace, revendiquer le droit de se promener le jour comme la nuit sans craindre pour leur sécurité. Ainsi, la marche est ponctuée de slogans, tels que « In the streets and in our homes, Women’s bodies are our own » ou encore « Yes means Yes. No means No. However we dress, wherever we go ». Presque toutes les affiches y font référence distinctement « oui reprendre la nuit sans peur […] protestons contre cette violence, contre la dégradation de notre personne par le viol, la pornographie » (La rue, La nuit, Femmes sans peur, 1980) ou encore ceux-ci : « Le jour comme la nuit, la rue est à nous, sans mari, sans papa, sans alibi »; « Le viol, l’agression, la drague, ça suffit! » (Centre lyonnais d’études féministes, 1989, p. 151) ou ce dernier : « We believe women have a right to freedom of movement and we are asking women to join us May 6th to exercise that right » (Toronto Rape Crisis Centre, 1980). Dans les affiches pour inviter les participantes à la marche de nuit, les symboles de la nuit sont très présents, par exemple des dessins d’étoile ou de croissant de lune.
Dans les affiches, plusieurs formes de violence contre les femmes sont nommées. Elles apparaissent dans le continuum des violences faites aux femmes : Femmes battues/Emprisonnées /Torturées/Viol/Excision (Ripa, 2007, p. 249). Le viol et la marchandisation du corps des femmes présente dans l’industrie pornographique sont dénoncés dès la fin des années 1970, et ce, non seulement à San Francisco ou à Hull, mais aussi lors de la marche parisienne du 4 mars 1978. C’est pourquoi « on envahit des sex-shops, on brûle des livres porno, des poupées gonflables. L’espace d’une nuit on exorcise la peur » (Picq, 1993, p. 244). La manifestation du 11 mai 1978 à Lyon reprend aussi cette thématique (Centre lyonnais d’études féministes, 1989, p. 153-157). Quant à Bordeaux, la première marche de nuit est organisée en juillet 1978. Les mots d’ordre les plus repris sont : « Humiliées, agressées, violées, il y en a assez », et là aussi, au passage, un cinéma porno verra ses affiches arrachées. Outre l’industrie pornographique, plusieurs systèmes sociopolitiques d’oppression sont remis en question, entre autres l’État : « Not the church, not the State, women must control our fate! » (Take Back the Night, 1985).
Par ces manifestations, les marcheuses veulent aussi démontrer leur solidarité avec les femmes du monde entier. Comme il s’agit d’un événement international, qui s’inscrit généralement dans un calendrier connu et qui est considéré par plusieurs associations de lutte contre les violences sexuelles comme une activité annuelle dans leur programmation, ces rassemblements lors de la marche annuelle deviennent le symbole de cette solidarité. C’est un moyen pour les militantes d’être connectées les unes aux autres. Comme l’évoque l’invitation à participer à la Marche, en 1980, des Femmes de Hull souhaitent s’unir en solidarité avec les femmes vivant dans « les villes de l’Amérique du Nord […] afin d’exprimer leur désaccord à la violence faite aux femmes » (Rossignol, 1980). Cette marche vise à reconnaître que la violence touche toutes les femmes, peu importe leur statut ou condition de vie. Les femmes marchent ensemble pour dénoncer et protester contre « the restrictions imposed upon us by unsafe streets and the so-called «Rape Prevention Tips» » (Toronto Rape Crisis Centre, 1980). De ce fait, cette solidarité entre les femmes du monde entier les a encore plus poussées à participer aux marches et à ne plus tolérer les dominations masculines. Et on chante aussi dans la marche. On y distribue des textes contenant des slogans à répéter en choeur ou de courtes chansons. Les Archives canadiennes du mouvement des femmes en conservent certaines de la décennie 1980. Une chanson participe tant à la situation commune des femmes qu’à la définition du caractère international et solidaire de cette marche. Soulignons un couplet et son refrain :
Women all around the world
Every color, religion and age
One thing we’ve got in common
We can all be battered and raped (x2)
Chorus
Some have an easy answer
Buy a lock and live in a cage
But my fear is turning to rage
And my anger is turning to rage
And I won’t live my life in a cage
Cette même thématique sera reprise pour la marche à Ottawa en septembre 2016, lorsque les femmes francophones entonnent :
Femmes du pays, c’est à not’tour
De marcher fières, le soir, la nuit…
Femmes du pays, c’est à not’tour,
Ainsi faisant, la peur s’enfuit.
Femmes du monde, c’est votre tour
De vous laisser parler d’amour.
Les marches représentent donc une action de solidarité entre les femmes, mais sans nier leurs différences. On reconnaît à certaines femmes d’être plus vulnérables, que ce soit par rapport à leur « capabilities, ages, classes, races, and sexual preferences » (Women Unite, Take Back the Night, 1981). Déjà en 1979, en participant à l’organisation de la marche de Boston, le Combahee River Collective[24] faisait référence à la vulnérabilité des femmes racisées face aux violences : « Black, Hispanic, Native American, Asian and Semitic women are especially susceptible targets because violence is also a tool of racism » (Combahee River Collective, 1979). À preuve à Allston-Brighton, un quartier de Boston, entre le mois de janvier et le mois de mai, douze femmes noires ont été assassinées versus une femme blanche (Combahee River Collective, 1979). Pour Maria Bevacqua (2008), ces coalitions très présentes dans le féminisme américain contre le viol ont permis en fait de créer des ponts entre les différentes tendances radicales, libérales, mais aussi entre les féministes blanches et les féministes noires (p. 179).
Assez tôt dans l’histoire des marches, les organisatrices ont réfléchi à l’inclusion de toutes les femmes voulant participer aux marches, peu importe leur classe sociale, leur statut d’immigration, leur orientation sexuelle ou leurs besoins spécifiques. Sur les affiches ou dans les pamphlets, il y avait une première inclusion par la langue. En 1980, l’Immigrant Women’s Centre à Toronto offrait des cartes-itinéraires de la marche en trois langues, soit en anglais, en espagnol et en italien (Immigrant Women’s Centre, 1980). À Boston, les affiches étaient en anglais et en espagnol (Take Back the Night Boston, 1978). Au Manitoba, en 1987, les pamphlets de la marche étaient distribués en français et en anglais. De plus, pour les femmes malentendantes, il y avait des interprétations gestuelles (Reprenons la nuit Manitoba, 1987). Plusieurs groupes ont mis en place un système de garderie pour que les femmes qui avaient des enfants puissent participer aux marches, même si elles étaient invitées à y participer avec leurs enfants (Women Take Back the Night March, 1982; Take Back the Night, 1985). Et comme certaines auraient pu difficilement participer aux marches, les chiens en laisse étaient autorisés dans certaines marches, et des fauteuils roulants étaient disponibles (Take Back the Night, 1986) ou encore même des automobiles (McSkimmings, 1998) pour celles qui ne pouvaient pas marcher, mais qui voulaient y participer pour suivre le défilé. Enfin, on peut observer que certaines affiches dépeignent des images de femmes où la diversité était reconnue (Take Back the Night March, 1985). On reconnaissait sur les affiches d’invitation des profils de femmes représentant différents groupes ethniques. Ainsi, au fil des années, l’inclusion a été un élément essentiel.
Les marches servent également à célébrer la force des femmes. Malgré les difficultés quotidiennes des femmes, les marches sont un moment dans l’année où elles peuvent se retrouver entre femmes et célébrer leurs efforts, leur pouvoir et leur travail dans l’amélioration de leur communauté et de leur qualité de vie « to celebrate what we’ve accomplished so far » (Take Back the Night Boston, 1978). C’est dans cet esprit de célébration que la fête se poursuit après la marche.
Dès les débuts, les femmes se rassemblaient après la marche. Les marches incluent généralement des activités pour les participantes : des soirées dansantes réservées aux femmes (Femmes sans peur – Take Back the Night, 1993; Bead, 1998), des ateliers de poésie (La Rue, la nuit, Femmes sans peur, 1980; Women Take Back the Night March, 1986), des spectacles de musiques et de chants (PEI Advisory Council Status of Women,1998), des cafés-rencontres (Wimmin Unite, 1980; Women Take Back the Night, 1980). Ces activités avaient comme buts de rassembler les femmes et d’ajouter une dimension de joie et de solidarité aux marches.
Dans certaines villes, la marche est précédée d’une rencontre et suivie d’une soirée. C’est la formule souvent privilégiée à Toronto et à Ottawa. Par exemple, à Ottawa, tout commence au Parc Minto par le regroupement des marcheuses et marcheurs, suivi par quelques témoignages — généralement ceux de représentantes de divers services auprès des victimes de violence faite aux femmes — et par la marche en tant que telle dans les rues d’Ottawa. Le trajet suit de larges avenues (Elgin, Rideau, Laurier), et les participantes se retrouvent à l’hôtel de ville où des kiosques d’information, du counseling et une collation les attendent. Nouveauté importante en 2008, un premier comité francophone est créé et il participe à la coalition qui organise la marche régionale. En 2016, une partie de l’événement sera organisée pour et par les femmes francophones d’Ottawa. Elles se regrouperont 30 minutes avant le début de la marche afin de revendiquer l’amélioration des services en français (CALACS francophone d’Ottawa, 2016); une thématique les regroupe : dénoncer le manque de service récurrent en français pour les victimes de violence sexuelle.
De plus, il semble que les affiches des marches soient aussi l’occasion de se souvenir des origines de cette marche, soit son ancrage dans un passé féministe radical. Ainsi, dans les affiches des premières marches canadiennes conservées dans les archives, le symbole du MLF — poing levé et fermé, dans un symbole représentant les femmes ou le féminin — est inclus dans la plupart des affiches. Certaines affiches montrent des silhouettes féminines en mouvement, certaines tenant des chandelles, tandis que d’autres sont illustrées de mains jointes en triangle symbolisant un sexe féminin. Tous ces éléments sont réunis par exemple dans la marche organisée sur le campus du King’s College le 22 octobre 1981 ou encore à Toronto le 13 septembre 1985 (Take Back the Night March, 1985). Par ailleurs, il ne semble pas y avoir une couleur de prédilection, car autant le jaune, le bleu, le turquoise, le gris ou le violet sont présents. Mais le symbole du MLF n’a pas disparu des affiches quarante ans plus tard. Que ce soit dans l’invitation lancée dans les médias sociaux par le CALACS francophone à la marche à Ottawa le 22 septembre 2016, ou encore sur l’affiche portée par plusieurs marcheuses francophones, le symbole y apparaît fièrement (Perspectives Vanier, 2016).
Autre élément du lien historique avec les mouvements féministes radicaux : la non-mixité des marches dans les années 1970-1980. À son origine, cette marche, comme d’autres événements du mouvement de libération des femmes, est non mixte. Elle s’inscrit dans la première période de la renaissance du mouvement des femmes, celle des années 1970-1973, considérées comme « des années fastes » par Ginette Castro (1984, p. 217). Les organisatrices de ces premières marches La rue, la nuit, femmes sans peur veulent ainsi affirmer un de leurs deux principes fondateurs : « la non-mixité et l’autonomie étant en effet les principes fondateurs et organisateurs du […] MLF des années 1970 » (Zancarini-Fournel, 2004, p. 226). La non-mixité est affichée : « Seules les Femmes participeront à cette marche. Toutes ensemble, nous exprimerons notre force face aux multiples agresseurs, et ce, sans protecteurs. » (Rossignol, 1980). Jennifer Fraser (2014) retrouve cette même prescription pour les marches du 8 mars dans les années 1980 à Toronto, qu’elle attribue aussi aux groupes militants féministes radicaux canadiens impliqués dans les actions contre la violence faite aux femmes. Selon les affiches et dépliants conservés dans les archives canadiennes des années 1980, seules les femmes et leurs enfants peuvent prendre part à la marche. La place assignée aux hommes est celle de soutenir et d’offrir les services de garde. Ainsi, à Toronto, les hommes peuvent assurer les marcheuses de leur soutien mais en restant sur les côtés et en s’occupant des enfants : « Men will be showing support on the sidelines along the march route and by doing childcare during the evening so that women may attend the march » (Take Back the Night, 1985).
Si la non-mixité était clairement énoncée dans les années 1970 et 1980, depuis les années 2000, la participation des hommes à la marche a changé de statut dans certaines villes canadiennes. Il est cependant difficile de connaître à quel moment la non-mixité n’est plus imposée comme le mode opératoire des marches, par exemple, à Ottawa, à Sudbury ou à Londres. Mais un fait demeure, les hommes peuvent participer activement à la marche, comme en témoigne cette invitation à la marche de Sudbury : « Open to the public, ALL GENDERS are welcome to end violence against women. » (Voices for Women Sudbury Sexual Assault Centre, 2016). Cependant, la non-mixité dans les marches persiste dans plusieurs villes canadiennes ou européennes en 2016, par exemple Québec (Forgues, 2016), Paris, Toulouse (Marche de nuit féministe et non mixte, 2016), Lyon (Super féministe : Reprenons la rue!, 2016) et Lausanne (Marche de nuit Lausanne, 2012). Par ailleurs, dans les marches non mixtes, surtout les marches françaises, on invite les personnes trans.
Par ailleurs, cette ouverture de la marche La rue, la nuit, femmes sans peur à la participation des hommes dans les années récentes pourrait correspondre, selon Fraser (2014), à un engagement plus grand des hommes dans la lutte contre les violences faites aux femmes, avec la création d’organisations masculines proféministes; « a few pro-feminist men’s organizations have also mobilised over the years in solidarity with feminists working to end violence against women » (Fraser, 2014, p. 230). Ces organisations sont plus présentes sur la scène publique après les événements de Polytechnique, par exemple la campagne du Ruban blanc, et connaissent une plus grande légitimité avec la campagne ontarienne de prévention de la violence faite aux femmes Voisins, Amis, Familles.
Que faut-il retenir de ces marches?
Tout d’abord, le travail de documentation des actions collectives du nouveau mouvement des femmes est un travail de mémoire essentiel à faire. D’une part, la marche La rue, la nuit, femmes sans peur fait partie des actions originales inscrites comme l’une des stratégies de dénonciation des violences faites aux femmes, mouvement qui prendra son envol au début des années 1970 et qui s’inscrira très tôt dans un mouvement international. D’autre part, cette marche comme d’autres, en particulier les marches pour les célébrations du 8 mars, ont une valeur symbolique, devenues « les grandes fêtes du calendrier féministe » (Castro, 1984, p. 214). Ginette Castro cite deux événements particuliers qui ont ce statut : la Marche du 4 mars commémorant la Marche des 5000, le 4 mars 1913, pour l’obtention du droit de vote, et le 26 août[25], date qui correspond à l’accès au droit de vote pour les femmes américaines. Plus largement, ces dates ont aussi donné lieu à des événements publics associés à la naissance du mouvement de libération des femmes aux États-Unis et même en France; la date du 26 août 1970 est « le moment fondateur du MLF […] par convention » (Perrot, 2008, p. 19)[26]. Au début des années 1970, plusieurs de ces marches ont aussi caractérisé le renouveau du mouvement féministe en Europe et en Amérique. Pensons, à cet égard, à la marche internationale des femmes en novembre 1971 pour l’abolition des lois anti-avortement initiée par les Allemandes (Montreynaud, 1999, p. 563). Ces événements publics commémoratifs ont un caractère rituel qui, pour Ginette Castro, vise à la fois la démonstration d’une force féministe ayant « une large assise » et le rappel de la « sororité dans l’histoire des femmes » (Castro, 1984, p. 214). Elle constitue ainsi, pour Maria Grever (1997), un des exemples de la mémoire ritualisée du mouvement féministe. Cette marche Take Back the Night/La rue, la nuit, femmes sans peur est un peu le symbole du mouvement de dénonciation des violences sexuelles au niveau international.
De plus, la longévité de cette marche — certaines villes comme Toronto revendiquent la 40e marche — est la marque de la vitalité du mouvement des femmes contre les violences faites aux femmes et de sa pertinence sociale. En effet, pour Maria Bevacqua (2000), le mouvement des femmes contre le viol a changé non seulement la vie des femmes, mais aussi la perception de la société américaine à propos du crime de viol. Et ce mouvement de lutte contre les violences serait même, pour Flora Davis, un modèle d’efficacité dans le mouvement des femmes américaines dans la décennie 1970 (Davis, 1991, p. 314). Par ailleurs, le caractère international des marches La rue, la nuit, femmes sans peur peut témoigner par son expansion de sa pertinence sociale (Staggenborg et Taylor, 2005).
Les marches La rue, la nuit, femmes sans peur ont aussi participé à ce renouveau du mouvement féministe, en ce sens que ce moyen d’action a pris naissance dans les mouvements féministes radicaux et a essaimé au niveau international à partir des réseaux de militantes. Bien que, selon certaines auteures (Bevacqua, 2000; de Dardel, 2007; Gerhard, 2011; MacKay, 2015; Picq, 1993), l’origine de l’organisation des premières marches La rue, la nuit, femmes sans peur soit généralement attribuable aux mouvements féministes radicaux dans les différents pays, c’est sous l’impulsion de coalitions entre différents groupes de femmes que les marches ont connu leur expansion dans les années 1980. Cette modalité d’action politique permet ainsi de mettre en évidence cette communauté féministe comme mouvement social tel que conçu par Champy et Israel (Bereni et Revillard, 2012).
Par ailleurs, dans l’histoire plus récente du mouvement des femmes, les marches La rue, la nuit, femmes sans peur semblent aussi prendre de l’ampleur si l’on pense seulement que, depuis la décennie 2010, de nombreuses villes sont fières d’annoncer l’organisation de leur première marche comme dans la Péninsule acadienne en 2016 (Reprenons la nuit, L’Accueil Sainte-Famille, 2016). Nous pourrions considérer que cette présence davantage marquée dans l’espace public est l’un des signes de la résistance de militantes féministes face aux violences sexuelles. En effet, le mouvement de résistance contre les violences faites aux femmes est très vivant. Il continue d’être alimenté par les dénonciations des violences sexuelles non dénoncées dans le cyberespace ou encore par la mise en place de politiques provinciales. Pensons à la politique ontarienne sur les violences sur les campus universitaires engageant les gouvernements provinciaux dans des campagnes de sensibilisation et des lois pour obliger les campus universitaires à se doter de politiques contre le harcèlement et la violence sexuelle (Condition féminine Ontario, 2012; gouvernement de l’Ontario, 2015).
Enfin, les marches La rue, la nuit, femmes sans peur participent autant à dynamiser le mouvement féministe contre les violences faites aux femmes par leur assisse internationale, que le mouvement y trouve un fondement de sa pertinence. Ainsi, les appels à la solidarité des femmes, de même que la mise en évidence d’une cause commune qu’est la violence faite aux femmes à travers le monde, reconstituent en quelque sorte sa pertinence. Ces marches représentent encore aujourd’hui l’une des stratégies de ce mouvement visant à éradiquer les violences faites aux femmes. Et les objectifs initiaux de la marche La rue, la nuit, femmes sans peur sont toujours pertinents : dénoncer — sensibiliser — et reprendre du pouvoir.
Appendices
Notes
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[1]
Les marches mondiales dépassent cependant les caractéristiques strictes d’une marche. En effet, la marche mondiale est un mouvement transnational qui « participe à la construction d’un projet politique féministe international » (Giraud et Dufour, 2010, p. 16).
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[2]
La première a eu lieu à Vancouver en 1991 et s’est étendue par la suite à Calgary, Toronto, Edmonton, Winnipeg et Montréal. Le 14 février 2017, elle a réuni des milliers de participantes et participants à Vancouver. Réf. du 3 mars 2017, http://www.tuac.ca/index.php?option=com_content&view=article&id=31369:14-fevrier-une-journee-de-solidarite-avec-les-femmes-et-les-enfants-des-premieres-nations&:catid=9814&Itemid=6&lang=fr
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[3]
Les termes deuxième vague, deuxième phase ou néo-féministe correspondent généralement au mouvement des femmes qui fait son apparition aux États-Unis au milieu des années 1960 et se diffuse plus tard dans les autres pays occidentaux au début des années 1970. Généralement, il couvre la période 1960-1985. Selon Micheline Dumont, « le terme de ‘vagues’ s’est imposé durant la décennie 1980 » (2005, p. 61). Mais, ce terme vague est contesté en histoire des femmes. Ce terme ferait référence à un « postulat évolutionniste », selon lequel le mouvement des femmes est passé « d’un balbutiement […] jusqu’à la victoire finale ». Déjà, dans son texte de 1998, Toupin lui préfère celui de ‘phase’ pour qualifier la renaissance du mouvement des femmes dans la décennie 1960, avec l’apparition du néo-féminisme, de même que pour qualifier la naissance d’un mouvement des femmes organisé à la fin du XIXe siècle : « [q]uant à la première phase, elle s’échelonne, grosso modo, sur un siècle, qui se terminerait avec le début des années 1960 » (Toupin, 1998). Ainsi, dans une anthologie de textes féministes, Micheline Dumont et Louise Toupin (2003) ont retenu une chronologie en trois moments : le féminisme et les droits de la femme, 1900-1945; le féminisme comme groupe de pression, 1945-1985; le féminisme comme pensée radicale, 1969-1985. Cette périodisation a le mérite d’intégrer les thématiques de revendication ainsi que les courants de pensée les constituant. Par contre, Diane Lamoureux (2006) utilise le concept de deuxième vague, bien qu’elle soit plus sceptique sur l’existence d’une troisième vague. Quant à Ute Gerhard (2004), les termes « deuxième vague » ou « nouveau mouvement des femmes » ont le même statut. Le terme vague est une métaphore descriptive qui illustre « le fait que les différents mouvements de protestation se nourrissent à la fois d’une même problématique et de nombreuses contradictions » (p. 48). Nous utiliserons dans ce texte de préférence le terme néo-féminisme ou nouveau mouvement des femmes.
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[4]
Il est important de mentionner que ce mouvement occidental touche surtout les pays européens de l’Ouest plus exclusivement. Pour Blom (2004), le mouvement (« de la seconde vague ») s’étendit bientôt à l’Europe de l’Ouest, tandis que les pays de l’Europe de l’Est dominés par le communisme considéraient l’idéologie féministe comme une expression du capitalisme occidental, par conséquent à condamner. Le mouvement féministe touche aussi le Maghreb dans les années 1970 en Tunisie et, plus tardivement, en 1980 en Algérie et dans les années 1990 au Maroc (Daoud, 2004, p. 371).
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[5]
Le terme mouvement de libération des femmes (MLF) est le plus souvent attribué aux premiers groupes féministes américains, français, européens ou québécois qui se reconnaissaient dans une analyse radicale mais aussi dans des actions publiques hautement symboliques. Ainsi, pour Françoise Picq (1993), le MLF français est situé à « l’extrême gauche de l’extrême gauche » (p. 185). Et pour Dominique Fougeyrollas-Schwebel (1993), le terme libération est davantage marqué par l’« analogie avec les mouvements de libération nationale contre le colonialisme et l’impérialisme, ou avec le mouvement de libération des Noirs aux États-Unis » (p. 736).
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[6]
Tous ces groupes, appelés mouvement de libération des femmes, ont souvent en commun une date de naissance rapprochée et sont souvent associés à des actions publiques spectaculaires. Mentionnons ici, pour les États-Unis, Women’s Lib, en août 1968, un groupe de femmes à l’initiative du mouvement des New York Radical Women qui proteste contre le concours de beauté de Miss America à Atlantic City et détourne la manifestation en couronnant un mouton et en entassant dans une poubelle gaines, bigoudis et exemplaires du magazine Ladies’ Home Journal; ou encore, en janvier 1968, la marche de la Paix à Washington, action du groupe dit Brigade Jennette Rankin (Fougeyrollas-Schwebel, 1993, p. 737; Castro, 1984, p. 22 et p. 205-206); Vancouver Women’s Causus, 1968; Montreal Women’s Liberation Movement, 1968; Front de libération des femmes du Québec, 1969; Grande-Bretagne, 1968; Pays-Bas, 1969, le groupe les Dolle Minas; Les Frauenbefreiungsbewegung (FBB-Mouvement de Libération des Femmes) (Dardel, 2007, p. 56); Dolle Mina, en Belgique sur un modèle hollandais (Leplae, 2000); France, 1970; Italie, 1970; Danemark, les Redstockings, en mai 1970, qui font un sit-in dans les autobus de Copenhague en refusant de payer plus de 80 % du tarif puisque le salaire féminin n’est que de 80 % du salaire masculin (Fougeyrollas-Schwebel, 1993, p. 751); Irlande, 1970, Irish Women’s Liberation Movement (Fougeyrollas-Schwebel, 1993, p. 752); Portugal, 1974; Espagne, 1975.
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[7]
Le courant radical est l’un des trois courants/tendances qui traversent le mouvement des femmes. Ces trois courants ont été décrits par plusieurs auteures, dont Descarries (1998) et Toupin (1998). Nous citons Toupin (1998) pour définir ce courant radical. « Radical » signifiait qu’on entendait remonter, dans l’explication de la subordination des femmes, « à la racine » du système. Le système auquel on faisait référence […] était le système social des sexes, qu’on nommera patriarcat. « Radical » signifiait surtout qu’on allait assister à une toute nouvelle façon de penser les rapports hommes-femmes […] se présentant comme « autonome », et sur le plan de la pensée, et sur le plan de l’action (p. 21) : http://classiques.uqac.ca/contemporains/toupin_louise/courants_pensee_feministe/courants_pensee_feministe.pdf Par contre, Dominique Fougeyrollas-Schwebel (1993) considère que, dans cet effort de catégorisation classique, il y manque une tendance soit la tendance libertaire trop souvent absente des analyses, malgré sa présence dès les débuts du mouvement féministe des années 1970 « telle qu’on peut la rencontrer dans la tradition anarchiste en général et les luttes anti-institution et contre l’État » (p. 768).
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[8]
L’ouvrage de Françoise Flamant (2007) est à ce titre révélateur. À partir du récit de onze féministes radicales des années 1970, elle montre bien les allers retours de féministes américaines, suédoises, danoises, italiennes et françaises dans divers lieux féministes, que ce soit les groupes de femmes, les colloques, les camps d’été par exemple à Femø en Europe ou aux États-Unis. L’oeuvre de Monique Witting est un autre exemple de ces interinfluences. Quant à Françoise Picq, elle a recueilli le témoignage de Françoise Ducrocq, une militante des débuts qui soutient « qu’elles organisent des débats publics et parcourent l’Europe » rencontrant en Hollande les Dolle Minas (1993, p. 13 et note 5). Et une des premières rencontres de féministes en Europe aurait été organisée par des militantes du groupe hollandais le Dolle Mina à Stockholm en 1971 (Flamant, 2007, p. 71). Enfin, notons que Ti-Grace Atkinson et Kate Millett, toutes deux membres de groupes radicaux américains et théoriciennes du mouvement féministe, rencontraient régulièrement Simone de Beauvoir dès le début des années 1970 pour échanger sur les mouvements radicaux américains et français (Atkinson, 2008; Millett, 2008).
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[9]
Scanton Anthony Brigade, le 5 décembre 1969, le groupe fondateur du New York Radical Feminists http://ia331434.us.archive.org/3/items/Intro-newYorkRadicalFeminists1969/NYRFIntro1.1.jpg, réf. du 18 novembre 2010. Dans ce texte de 1969, le groupe présente les grandes orientations des consciousness-raising groups.
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[10]
L’idée des groupes de conscientisation ne serait pas cependant d’origine féministe. Ainsi, selon Maria Bevacqua (2000, p. 51), c’est dans la tradition révolutionnaire chinoise que l’on trouverait ses origines. L’expression « parler de ses souffrances pour renommer ses souffrances » (traduction libre de speaking pains to recall pains) de même que l’expression du mouvement noir américain « parler de ce qui est tel que c’est » (traduction libre de telling it like it is) seraient des précurseurs de cette forme de réflexion au sein du mouvement de libération des femmes. Ainsi, Kathy Sarachild, qui serait la principale architecte des groupes de conscientisation, s’en serait inspirée en 1968 pour développer ces groupes. Kathy Sarachild et Irene Peslikis auraient présenté cette technique à la Convention des Femmes, qui se serait tenue à Washington en 1969 (Flamant, 2007, p. 63).
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[11]
Ginette Castro explique que les centres de femmes présents dans la plupart des grandes villes américaines relayaient l’information sur les groupes de conscience dans la ville. Toute nouvelle venue dans la ville ou encore toute femme intéressée pouvait par l’intermédiaire du centre de femmes s’informer des activités féministes, les centres « enregistrant les candidatures à la prise de conscience et les répercutant sur les différents groupes existants » (Castro, 1984, p. 249). Des informations étaient aussi disponibles dans les médias féministes ou encore diffusés par la Women’s Action Alliance, qui « répond à toute demande de renseignements, publie des pochettes de documentation sur les centres de femmes et sur les diverses structures de la branche féministe radicale dont elle essaie de coordonner les efforts » (Castro, 1984, p. 249).
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[12]
L’organisation de Speak Out tire son origine dans le mouvement féministe de pratiques des groupes radicaux américains. Le premier Speak Out aurait été organisé par le New York Radical Feminists, le 24 janvier 1971, Speak-Out on Rape. Regroupant des femmes des divers quartiers de la ville de New York, elles sont à la recherche de témoignages sur des situations de viol aussi différentes que l’abus sexuel dans l’enfance, le viol conjugal ou par un ami, le viol par un gang ou par un professionnel de la santé tel un psychiatre. Le viol est présenté déjà en 1971 comme un crime contre les femmes (Castro, 1984, p. 213).
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[13]
Lors des journées à la mutualité en 1972, des kiosques d’information présentent des projets en cours, dont la création prochaine d’un centre de femmes comme il en existe aux États-Unis (Picq, 1993, p. 137). Françoise Picq aussi retient que certains groupes du mouvement parmi d’autres sont constitués sur le modèle américain des consciousness raising groups. Mais, selon elle, « les principes des consciousness raising groups s’adaptent difficilement à la mentalité française et aux conceptions politiques qui dominent l’après-Mai » (Picq, 1993, p. 124). Et, pourtant, ils seront nombreux à Paris et en province. À Lyon, des groupes émergent dès 1972 (Centre lyonnais d’études féministes, 1989, p. 25), et se créent des groupes de conscience (p. 28). Gerhard (2004) voit dans les groupes de conscience « une méthode spécifique de prise de parole [qui] s’étend internationalement et permet un apprentissage collectif selon le mot d’ordre : «le privé est politique» » (p. 56).
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[14]
Par exemple, l’article rédigé par Kathy Sarachild, membre des Redstockings de New York, et intitulé « Un programme pour l’éveil d’une conscience féministe », est publié dans la revue Partisans dans le numéro Libération des femmes, années zéro.
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[15]
C’est le Bay Area Women Against Rape (BAWAR) situé à Oakland (Californie) qui revendique le titre de premier centre contre le viol aux États-Unis, créé en 1971. D’autres suivent quelques mois plus tard. Selon Bevacqua (2000), les communautés universitaires sont très présentes dans la création de ces centres.
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[16]
Une première ligne d’urgence est lancée en 1972 par le D.C. Women’s Liberation, 333-Rape.
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[17]
La pratique des arts martiaux destinés aux femmes est lancée par le groupe Cell 16 de Boston au début de 1969; ils deviendront en quelque sorte leur marque de commerce et ils seront aussi associés au slogan Disarm Rapists/Smash Sexism, slogan largement utilisé dans les groupes contre le viol (Bevacqua, 2000, p. 31; Brownmiller, 1999, p. 205).
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[18]
Cette rencontre a eu lieu à Francfort, du 15 au 17 novembre 1975. Lors de cette rencontre, l’un des dix ateliers portait sur ce sujet. Après une journée et demie de rencontre, l’organisation de cette conférence pouvait commencer (Russell et Van de Ven, 1976, p. 218; Horton, 1976, p. 83).
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[19]
Le procès de Nuremberg a été intenté par les Alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour juger le génocide du Troisième Reich. Ce serait une première en termes de justice pénale internationale. Pour sa part, le tribunal Russell, présidé par Jean-Paul Sartre, a été mis sur pied en 1967 pour juger les crimes de guerre au Vietnam.
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[20]
K SOS Sexisme, dans le rappel de son histoire, souligne sur sa première page qu’une des fondatrices de ce groupe a participé au Tribunal de Bruxelles, preuve de l’ancrage de son engagement international, réf. du 6 janvier 2011, http://www.sos-sexisme.org/framef.htmk
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[21]
Greetings Cecile,The first quote of what I said is accurate. The second one was said in humor. As a scholar, I would never accept inaccurate statements. I don’t know who started the myth that it first occurred during the International Tribunal on Crimes Against Women, but it certainly wasn’t me! The photo on the cover of my edited book, MAKING VIOLENCE SEXY: FEMINIST VIEWS ON PORNOGRAPHY shows a placard reading «TAKE BACK THE NIGHT.» The photo on this cover page is of the 1st Take Back the Night march organized during a Conference on Pornography for Organizers in San Francisco in the Broadway area of downtown SF; I think the date was 1976, but I don’t have time now to confirm this. I did participate in this march, however. Take Back the Night is the title of Laura Lederer’s anthology on pornography that she edited after our conference. She was one of the main organizers. You can google her name. In Sisterhood, Diana
Diana E.H. Russell, Ph.D.
2432 Grant Street
Berkeley, CA 94703
Phone & Fax: (510) 843-0680 www.dianarussell.com -
[22]
Plusieurs raisons font que Leeds, en quelque sorte, en est l’initiatrice. Selon Mackay, la ville de Leeds a un statut particulier en raison de son militantisme féministe. Ainsi, le premier journal du MLF anglais, WIRES, est publié à Leeds sous l’égide de UK WLM Leeds, tout comme le groupe WAVAW and Angry Women direct action (Mackay, 2015, p.73).
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[23]
Pour cette même année 1975, la Take Back the Night Foundation considère davantage « comme la première marche » une marche à Philadelphie en octobre 1975. Elle serait liée à des événements tragiques qui auraient soulevé l’indignation de la population de Philadelphie. En effet, à la suite de l’assassinat d’une jeune femme, la nuit près de chez elle, des habitants de la ville se seraient mobilisés pour en faire un événement de nuit.
-
[24]
Le collectif Combahee River Collective a été actif à Boston entre les années 1974 et 1980. Ce groupe a été important dans l’analyse du féminisme noir. Le contexte raciste de la ville de Boston avait amené ces membres à des réflexions sur les conditions que vivent les femmes noires, qui non seulement sont des femmes, donc susceptibles de vivre du sexisme, mais aussi des personnes noires, où le raciste s’articule à leur statut de femme. En 1977, la première « retraite » a eu lieu, et les réflexions centrales portaient sur le mouvement féministe noir. Lors d’une autre « retraite », les discussions abordaient plus particulièrement la violence faite contre les femmes noires. En effet, en quelques mois, douze femmes noires avaient été tuées (Falquet, 2006).
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[25]
Ginette Castro rappelle qu’en août 1977, « 5 000 féministes vêtues de blanc à l’instar des suffragettes […] empruntèrent le même itinéraire pour réclamer la ratification de l’Amendement des droits égaux » (Castro, 1984, p. 215).
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[26]
C’est ainsi qu’à Paris, en solidarité avec la grève générale des femmes aux États-Unis, qui rassemble le 26. août des milliers de femmes à New York, des femmes déposent une gerbe de fleurs à la femme du Soldat inconnu à l’Arc de Triomphe (Picq, 1993, p. 16-17). Sur le tract appelant à la manifestation : Solidarité avec les femmes en grève aux USA les 26. et 27 août (Collectif, 2010, p. 36).
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