En sciences sociales, bon nombre de concepts souffrent d’un flou définitionnel et donnent lieu à de multiples ambiguïtés quant à leur compréhension. Malgré son usage répandu dans la littérature scientifique, la notion de « construction sociale » — et d’équivalents tels qu’« invention du social » et « production sociale » — est de ce nombre. Il n’est donc pas surprenant devant une telle profusion de significations et d’usages de la notion de « construction sociale » qu’un auteur cherche à en préciser la teneur. C’est à cette tâche que se consacre Loriol dans La construction du social. Souffrance, travail et catégorisation des usagers dans l’action publique. D’entrée de jeu, l’auteur remet en cause l’acception commune du concept de « construction sociale » et une forme de relativisme ambiant, bon chic bon genre. En effet, il arrive trop souvent qu’au nom de la critique on rejette du revers de la main l’élaboration théorique d’un auteur dont on ne partage pas le point de vue, en disant qu’il s’agit là d’une construction sociale et qu’à ce titre, elle ne vaut pas mieux que d’autres propositions théoriques alternatives. On est alors plongé dans un monde conceptuel d’appréhension des phénomènes sociaux où, pour paraphraser Feyerabend, « everything goes » et où toutes les thèses s’équivalent, peu importe leur degré de vraisemblance ou la valeur de la démonstration apportée en appui. C’est contre ce relativisme ambiant que l’auteur s’élève. Reprenant à son compte le travail accompli par Hacking dans Entre science et réalité : La construction sociale de quoi? (2008), Loriol mentionne qu’un phénomène social sera dit « socialement construit » s’il n’est pas naturel, inévitable et s’il avait été différent ou n’avait pas existé dans un autre contexte sociohistorique. Cela dit, le propre d’un phénomène social est de chercher à s’imposer et à être généralement tenu pour naturel, acquis, stable et défini une fois pour toutes, en somme, à s’institutionnaliser, à devenir une institution sociale. Aussi, pour Loriol, la démarche à laquelle est convié le scientifique social est d’abord de chercher à déconstruire le phénomène social, en le reliant à son contexte sociohistorique d’émergence. Dans cette optique, le constructivisme est « plus une posture méthodologique large et ouverte qui consiste à comprendre, dans des contextes sociohistoriques précis, comment une distinction est posée, quel sens elle prend et quelle conséquence elle semble avoir sur l’expérience sociale ou la prise en charge [intervention]. » (p.13) L’auteur donne comme exemple la distinction dans le langage courant entre une « bonne fatigue » et une « mauvaise fatigue». Au niveau du sens, la bonne fatigue est celle qui découle d’activités saines, librement choisies, comme un entraînement au club sportif, alors que la mauvaise fatigue se vit sous le signe de la contrainte, du sommeil qui n’est plus réparateur, etc. Sur le plan méthodologique, la démarche constructiviste peut être définie par l’espace d’analyse ouvert au croisement de deux variables dichotomiques, soit des approches micro ou macrosociologiques et des actions volontaires ou non intentionnelles (effets émergents). Le tout débouche sur quatre dimensions à rechercher dans l’analyse de phénomène social : 1. la construction des problèmes publics (macroaction volontaire); 2. la définition de la situation (macroaction non intentionnelle); 3. l’étiquetage (microaction volontaire); et 4. la carrière-trajectoire (microaction non intentionnelle). En passant, on aura reconnu que cette grille emprunte à la terminologie des problèmes sociaux réfléchie par le courant de l’interactionnisme symbolique (Mead, Lemert, Goffman ou Becker). C’est donc muni d’une telle grille d’analyse que l’auteur étudiera le phénomène des risques psychosociaux au travail, notamment ceux vécus dans les métiers et professions impliquant un contact avec un public (infirmières, policiers, travailleurs …