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Méthodologie de l’intervention sociale personnelle offre aux étudiants et aux professionnels du travail social un guide visant à mieux structurer la pratique de l’intervention individuelle. Née des Charity Organization Societies, l’intervention sociale personnelle domine aujourd’hui le champ du travail social. Bien que près de 90 % des intervenants et des travailleurs sociaux utilisent cette méthode, il existe peu de ressources sur le sujet dans le contexte québécois. Cet ouvrage souhaite remédier à la situation en proposant un guide de référence qui présente les bonnes pratiques d’intervention selon le contexte professionnel et l’organisation des services sociaux au Québec. Sous la direction de Daniel Turcotte et de Jean-Pierre Deslauriers, cet ouvrage est né de la collaboration d’auteurs impliqués dans l’enseignement, la recherche et la pratique du travail social.

Afin de lancer la réflexion sur les bonnes pratiques, Sylvie Thibault définit l’intervention sociale personnelle comme une forme de pratique qui vise à réduire les problèmes liés à l’intégration de l’individu dans son environnement en misant sur ses forces et en maximisant l’utilisation des ressources disponibles dans la communauté. Pour ce faire, l’intervenant joue un double rôle. D’une part, il accompagne l’individu dans son cheminement visant à améliorer son fonctionnement social et, d’autre part, il pose des actions visant la justice sociale. Le changement individuel ainsi que le changement dans les interactions entre l’individu et son environnement se situent donc au coeur de l’intervention sociale personnelle. Thibault poursuit en situant cette pratique dans son contexte d’émergence, soit la méthode du casework. Cette dernière s’appuie sur l’analyse d’une situation problématique et sur l’établissement d’un diagnostic détaillant les forces et les faiblesses d’un individu en ce qui a trait à son fonctionnement social et à son intégration dans son milieu de vie. Une attention particulière est portée au contexte québécois au sein duquel les professions d’aide ont été fortement influencées par l’héritage de l’Église catholique. Pour clore cette première partie qui replace l’intervention sociale personnelle dans son contexte d’émergence, l’auteure propose une série de réflexions quant aux enjeux éthiques et aux valeurs associées à la pratique du travail social. Il y est question du respect de la déontologie professionnelle qui assure la protection du public ainsi que du respect des valeurs professionnelles des travailleurs sociaux, telles que la dignité, le respect des droits, l’autonomie, la confidentialité et la justice. L’accent est mis sur l’importance de bien connaître ces valeurs et de les actualiser dans le cadre de l’action professionnelle.

La deuxième partie se penche plus spécifiquement sur le déroulement de l’intervention sociale personnelle afin d’offrir aux intervenants et aux étudiants des moyens d’orienter leurs actions tout en tenant compte de la diversité des situations qui peuvent se présenter dans le cadre de la relation d’aide. Pierre Turcotte présente les principes d’intervention lors de la prise de contact, c’est-à-dire la rencontre entre l’intervenant et le client ainsi que le début de la relation d’aide. Les fondements de la relation entre le client et l’intervenant sont établis lors de cette phase initiale et ils influencent de façon marquée toute la relation thérapeutique. Afin de créer une alliance thérapeutique avec le client, l’intervenant doit faire preuve d’empathie. Il doit aussi être sûr de lui, authentique et conscient de ses propres valeurs et préjugés.

Par la suite, Marc Boily et Sonia Bourque décrivent les principales composantes de l’évaluation psychosociale dans le cadre de laquelle l’intervenant recueille tous les renseignements lui permettant d’émettre un avis professionnel et des recommandations pour aider le client. Ce processus est régulé par une majorité d’organismes qui ont développé des politiques et des outils afin d’assurer la qualité des évaluations qui sont effectuées en leur sein. L’évaluation psychosociale offre un portrait de l’individu et du milieu de vie dans lequel il se trouve, ce qui permet à l’intervenant de connaître et de comprendre la situation sociale du client et ce qui pose problème pour lui. Par la suite, l’intervenant présente son évaluation en précisant la situation problématique, les besoins et les forces du client, les liens qu’il entretient avec son environnement ainsi que les pistes à explorer pour la résolution du problème.

En se basant sur les résultats de l’évaluation psychosociale, l’intervenant travaille ensuite conjointement avec le client afin de développer un plan d’intervention. Il s’agit d’un outil de travail définissant les besoins du client, les objectifs de l’intervention, les moyens d’atteindre ces objectifs, les échéanciers, les responsabilités de chacun ainsi que les moyens d’évaluer la réussite. Gilles Tremblay met l’accent sur la nécessité d’impliquer le client à toutes les étapes du processus de planification. Il est alors possible de s’assurer que celui-ci est consentant et que l’intervention est adaptée à ses besoins et à ses objectifs personnels. Plusieurs principes doivent être respectés lors de la préparation d’un plan d’intervention. Les droits du client doivent être respectés, l’implication de l’intervenant ne doit pas dépasser les limites de son mandat et le plan ne doit pas contrevenir au code de déontologie de la profession. Aussi, le plan doit correspondre aux besoins du client, c’est-à-dire qu’il doit être rédigé dans un langage qui lui est accessible et il doit lui permettre d’effectuer des changements qui sont importants pour lui.

Marie Drolet et Madeleine Dubois poursuivent en abordant l’étape de travail, c’est-à-dire la mise en oeuvre du plan d’intervention afin d’atteindre les objectifs qui ont été fixés. C’est l’étape qui requiert le plus de temps et d’investissement de la part du client et de l’intervenant. Drolet et Dubois présentent les rôles et les méthodes d’intervention qui se démarquent en tant que bonnes pratiques de l’intervention sociale personnelle. Elles mettent également l’accent sur la nécessité pour l’intervenant d’effectuer une pratique réflexive, c’est-à-dire des interventions qui soient ancrées dans une réflexion critique sur son rôle en tant qu’intervenant et sur les enjeux sociaux qui influencent la situation problème du client. Lors de l’étape de travail, l’intervenant doit démontrer une grande capacité d’écoute afin de bien saisir le sens que le client donne à son expérience et ainsi éviter d’imposer involontairement sa propre vision de la situation problème. Afin d’accompagner le client dans son processus de changement, il peut également jouer plusieurs rôles différents selon les situations. L’intervenant peut jouer un rôle d’accompagnateur. Il peut aussi aiguiller le client vers les services appropriés, coordonner les actions des différents services ou défendre les droits du client. L’intervenant doit donc être à l’affût des besoins du client et lui offrir un soutien adapté tout le long du processus. Selon Drolet et Dubois, la connaissance des ressources disponibles, des moyens de mobiliser ces dernières et des façons de contourner les obstacles pouvant en réduire l’accès est liée aux rôles importants que peut jouer le travailleur social pour aider le client à atteindre ses objectifs.

Dans cet ouvrage, une attention particulière est portée à la fin de l’intervention, laquelle constitue une étape fondamentale de la relation d’aide en travail social. Daniel Turcotte, qui signe un chapitre entier sur la fin de l’intervention sociale personnelle, rappelle aux lecteurs l’importance de faciliter la transition vers la fin de la relation d’aide et de s’assurer qu’elle constitue une expérience positive pour le client. L’étape de fin doit être l’occasion de revoir les progrès réalisés dans le cadre de la relation d’aide et de mesurer les changements produits, de consolider les acquis et de se préparer à ce qui suit l’intervention sociale. Une attention particulière doit être portée à la gestion des émotions positives (fierté, soulagement, sentiment d’accomplissement) ou négatives (abandon, impuissance, tristesse, anxiété) qui peuvent survenir à l’approche de la fin de l’intervention. Enfin, Turcotte affirme que le succès de l’intervention ne peut se résumer à la qualité de la relation qui s’est développée entre l’intervenant et le client. Il est nécessaire de mesurer le changement à l’aide d’outils objectifs qui ont fait leurs preuves, comme l’évaluation sur système unique, le contrôle des objectifs, l’échelle d’impact différentiel et la mesure de la satisfaction du client.

En fin d’ouvrage, Louise Carignan présente trois des principales approches en travail social, soit l’approche systémique qui conçoit le client comme le porteur du symptôme qui pose problème, l’approche bioécologique qui s’intéresse aux moyens pour le client de s’adapter à son environnement ou de l’influencer et finalement, l’approche structurelle qui dénonce les rapports d’oppression entre les groupes sociaux dominants et les dominés.

Méthodologie de l’intervention sociale personnelle offre aux lecteurs une synthèse claire et accessible des différentes étapes de l’intervention individuelle ainsi que des rôles que doivent jouer les intervenants sociaux afin d’offrir un soutien adéquat aux personnes qui s’engagent dans un processus de changement. En ce sens, un tel ouvrage sera reçu positivement par les étudiants inscrits dans les programmes de formation en travail social. Il offre une vue d’ensemble de l’intervention individuelle, ce qui a pour avantage d’aider le futur professionnel à faire des liens entre la théorie et la pratique, liens qui peuvent paraître parfois difficiles à faire en cours de formation et en début de carrière.

À la lecture du chapitre 1 de cet ouvrage, le lecteur apprend que la lutte contre les inégalités représente une valeur centrale du travail social. À cet effet, Sylvie Thibault affirme que la Fédération internationale des travailleurs sociaux (FITS) « place les principes associés aux droits de l’homme et à la justice sociale au coeur des actions de toutes les travailleuses sociales » (p. 10). En revanche, lorsque les auteurs présentent les bonnes pratiques en matière d’intervention sociale personnelle, on sent peu cette préoccupation pour la justice sociale dans les actions concrètes des intervenants. À titre d’exemple, Daniel Turcotte informe les lecteurs que le succès de l’intervention doit être évalué en mesurant les changements dans les comportements des individus : « […] c’est généralement à travers les comportements qu’il est possible de percevoir les changements dans les attitudes, les habiletés et les connaissances » (p. 122). Cela est regrettable puisqu’une telle façon d’évaluer l’intervention ne permet pas de mettre en pratique la double mission du travail social, c’est-à-dire l’action sur les problèmes de l’individu et l’action sur son environnement.

Ce manque d’intégration du principe de justice sociale dans les modèles d’intervention présentés ne surprend pas. Il est en effet représentatif d’un malaise qui a depuis longtemps pénétré le champ du travail social, c’est-à-dire la constatation que les interventions s’orientent de plus en plus vers la recherche d’un meilleur fonctionnement des individus dans leur environnement alors qu’en théorie, la profession se présente comme visant la réduction des inégalités. Afin d’aller au-delà de cette tension entre l’intervention individuelle et la quête d’une plus grande justice sociale, il aurait été intéressant d’aborder cette forme d’intervention comme un aspect du travail social qui s’inscrit au sein d’une pratique intégrée qui comprend des actions à plusieurs niveaux, dont les actions à caractère structurel. Il aurait ainsi été possible de pratiquer l’intervention individuelle sans tendre vers une individualisation des problèmes sociaux, ce qui est inévitable lorsque l’on considère l’intervention sociale personnelle comme une façon en soi de pratiquer le travail social.