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Posons des gestes pour aider les garçons à développer des attitudes positives envers les filles et les femmes. En tant qu’hommes, soyons des modèles accessibles pour promouvoir les relations saines et égalitaires.

Cette citation est le message clé de la campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui[1] lancée en 2009 par le Centre ontarien de prévention des agressions (COPA). Créée par et pour des francophones de l’Ontario, cette campagne en ligne se veut positive et optimiste. Elle lance un appel en français à tous les hommes qui désirent travailler à la promotion de relations saines et égalitaires entre les femmes et les hommes de la province. Cette campagne de prévention et de sensibilisation et le programme qui l’accompagne proposent une panoplie de ressources, d’informations et d’outils pratiques[2] pour les hommes qui veulent exercer une influence positive et saine sur les garçons. Une version anglaise de la campagne a été lancée au même moment par le pendant anglophone du COPA, la White Ribbon Campain — dans son appellation en langue française, Campagne du ruban blanc. Les deux campagnes véhiculent un message semblable et travaillent dans le même but, mais chacune avec son approche distincte.

Le présent article résume la vision, les fondements conceptuels et l’approche de la campagne. On rendra compte des défis à relever et des stratégies conçues et mises en oeuvre pour rejoindre les hommes franco-ontariens en contexte minoritaire en Ontario.

Les origines de la campagne

Depuis une quarantaine d’années, le mouvement féministe, qui lutte contre la violence faite aux femmes en Amérique du Nord, milite aussi pour modifier l’ensemble des croyances et des conditions sociales qui tendent à perpétuer les iniquités entre les hommes et les femmes. Les personnes qui militent dans ce mouvement sont de tout temps majoritairement des femmes.

Pourtant, la participation des hommes en tant qu’alliés s’avère un ingrédient essentiel pour réaliser l’objectif fondamental du mouvement féministe, soit celui d’atteindre l’équité sociale entre les femmes et les hommes et ainsi contribuer à éliminer sous toutes ses formes la violence faite aux femmes. Il est généralement admis que les services directs offerts par et pour les femmes, sans la présence ou la participation d’hommes, répondent adéquatement aux besoins des survivantes des diverses formes de violence faite aux femmes. Toutefois, on reconnaît de plus en plus l’importance du rôle des hommes dans les initiatives sur la prévention de cette violence et la promotion de l’équité entre les femmes et les hommes.

En effet, un sondage Pollara (2005) commandé par la Campagne du ruban blanc et mené auprès d’hommes canadiens révèle que 75 % d’entre eux pensent qu’il est très important de parler franchement des enjeux liés au problème de la violence faite aux femmes. Les deux tiers (66 %) affirment pouvoir en faire plus sur le plan individuel pour contrer ce problème. De ce nombre, moins de la moitié interviennent lorsqu’ils sont confrontés au langage ou au comportement sexiste d’un pair; alors que plus de la moitié affirment qu’ils interviendraient si le comportement devenait violent. Selon la Campagne du ruban blanc, ces données suggèrent que la plupart des hommes se sentent un peu coincés. D’une part, ils sont conscients de l’importance de se prononcer sur la violence faite aux femmes, mais d’autre part, ils ne se sentent pas prêts ou pensent ne pas avoir les connaissances ni les capacités nécessaires pour intervenir de façon efficace si l’occasion se présentait (Minerson, et collab., 2011).

Ce sont là des données et des circonstances prometteuses qui ont inspiré la campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui. Le dilemme qu’elle vise à résoudre, c’est rejoindre les hommes qui sont conscients de l’importance de parler franchement et d’agir contre la violence faite aux femmes; c’est les sensibiliser, les inspirer, les motiver à agir et leur offrir des ressources, de l’information, des outils et des pistes pour l’action.

Le COPA et la campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui : vision, analyse et approche

La mobilisation des hommes qui s’allient à la lutte féministe contre la violence faite aux femmes n’est pas sans complexité. Mener une telle campagne, fondée sur une analyse féministe des causes systémiques de la violence contre les femmes, et une vision féministe de sa prévention, requiert des fondements conceptuels cohérents et explicites. En tant que féministes, nous nous opposons à l’idée populaire que les hommes sont naturellement agressifs. Au contraire, nous croyons que les attitudes et les comportements sous-jacents qui mènent à la violence de certains hommes contre les femmes sont appris et qu’il est possible qu’ils puissent les remettre en question afin de les changer. Mais comme l’indique Dupuis-Déri (2005, p. 23), « les hommes n’ont pas beaucoup de modèles, et doivent donc désapprendre leurs anciennes habitudes et apprendre de nouvelles façons de procéder ».

La socialisation, ici entendue comme étant un processus de conditionnement social imposé aux garçons et aux hommes — et aux filles et aux femmes — leur a appris à adopter les rôles et les valeurs spécifiques associées à leur sexe, selon des normes sociales rigides et fondées sur une conception limitée et étroite de la masculinité, de la féminité et du genre[3]. Or, pour beaucoup d’hommes, cette socialisation a des impacts importants. Cependant, bien qu’encore largement répandue et ayant toujours une forte influence, cette socialisation est en changement.

En même temps, la violence faite aux femmes est un problème social, comme l’indique le taux élevé de son incidence au Canada. Par exemple, une Canadienne sur deux vivra de la violence au cours de sa vie, et les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’être victimes d’agression sexuelle, de violence familiale et de violence au sein d’une relation intime[4]. La vulnérabilité sociale des femmes à la violence est ancrée dans l’organisation sociale du pouvoir entre les femmes et les hommes. Malgré des progrès sur le plan des conditions sociales de certaines d’entre elles, il est toujours vrai que, collectivement, les femmes vivent des inégalités au sein de plusieurs de nos principales institutions, entre autres : l’économie, où le revenu moyen des femmes est moins élevé que celui des hommes[5]; la famille, où les femmes font presque deux fois plus de travail non payé que les hommes[6]; et, la politique, où les femmes sont toujours sous-représentées parmi les têtes dirigeantes[7].

Il en découle que la prévention efficace de ce problème social requiert d’agir sur le plan systémique. Afin de prévenir la violence faite aux femmes, il est nécessaire de modifier les institutions et les structures sociales qui renforcent et maintiennent les iniquités entre les femmes et les hommes, lesquelles iniquités perpétuent la violence faite aux femmes. La campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui vise donc à mobiliser et à outiller les hommes qui veulent changer le statu quo en vue de contrer l’idéologie et les conditions sociales inéquitables qui sont à la racine du problème.

Cette campagne s’intègre dans le continuum des programmes et ressources élaborés par le COPA. Celui-ci a pour mission d’influencer l’opinion publique en vue de changer les attitudes et de mobiliser les collectivités franco-ontariennes pour réduire la vulnérabilité des enfants et des jeunes aux agressions et de briser le cycle de la violence. Depuis 1995, le COPA soutient de nombreux programmes éducatifs et de nombreuses ressources en matière de prévention des agressions.

Tout comme la campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui qu’il a créée, l’ensemble des programmes et des ressources du COPA s’inspirent de l’approche antioppressive et féministe fondée sur l’analyse du pouvoir et du genre. Lorsqu’on examine l’organisation sociale du pouvoir, on constate que de nombreux groupes sont marginalisés en raison d’un manque de pouvoir, entre autres, les enfants, les femmes, les personnes LGBTQ[8], certains groupes ethnoculturels ou religieux, les personnes vivant avec des handicaps ou sous le seuil de la pauvreté et les femmes autochtones.[9] Cette marginalisation crée des conditions sociales qui augmentent leur vulnérabilité à la violence interpersonnelle et systémique.

En établissant le lien entre les formes et niveaux d’oppression vécus par différents groupes sociaux marginalisés, on arrive à développer une approche à la prévention des agressions qui est à la fois cohérente et bien adaptée aux divers problèmes ainsi qu’aux besoins et vécu des personnes qu’elle vise à rejoindre. Par une telle approche, on élabore des stratégies qui créent les conditions visant à augmenter la probabilité que ces personnes reconnaissent leur pouvoir personnel et collectif et l’utilisent à bon escient, afin de réduire leur vulnérabilité et de s’épanouir sur tous les plans. C’est-à-dire, des stratégies qui facilitent la prise en charge.

Lorsque ces stratégies renforcent les capacités et augmentent la confiance, l’estime de soi, les options et la mobilité des personnes vulnérables, elles peuvent aussi améliorer la capacité de prise en charge. Les stratégies fondées sur cette dernière sont efficaces parce qu’elles établissent un lien entre les changements sociaux et individuels. Elles fournissent aux personnes des moyens de récupérer leur pouvoir personnel afin de transformer les conditions sociales qui les rendent vulnérables.

Un moyen à privilégier pour créer des conditions favorables à la reprise du pouvoir est la promotion des droits et des libertés des personnes, notamment, le droit de vivre sans violence et sans discrimination. Le COPA articule ce droit fondamental comme étant le droit de toute personne de vivre « en sécurité, forte et libre »[10]. Cette conceptualisation des droits est pertinente pour les femmes, les enfants, les personnes LGBTQ et tous les autres groupes de personnes vulnérables à la violence. La notion du respect des limites personnelles en découle : c’est-à-dire que lorsqu’une personne vit une situation d’agression ou de discrimination, elle perd son droit de vivre « en sécurité, forte et libre ».

La promotion des droits visant à favoriser la prise en charge des personnes vulnérables constitue le fil conducteur entre la vision féministe et l’approche des programmes de prévention des agressions contre les enfants du COPA et celles de la campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui.

La promotion des relations saines et égalitaires et le rôle de modèle accessible

Lorsqu’un homme choisit d’agir en tant qu’allié dans la lutte pour l’équité et l’inclusion sociale, et contre le sexisme et la violence faite aux femmes, il contribue à la promotion des droits des femmes. Sur le plan interpersonnel, la promotion des relations saines et égalitaires entre les femmes et les hommes mène à une remise en question des comportements masculins dits « traditionnels ». Comme ces derniers sont souvent empreints d’homophobie, la promotion des droits des LGBTQ fait nécessairement partie intégrante de cette cause.

Lorsqu’un homme choisit comme mode d’activisme d’être proféministe, d’être un modèle accessible[11] auprès des jeunes garçons, il entreprend de lutter contre l’adultisme[12] et en faveur de la promotion des droits des enfants. Il va sans dire que l’on manquerait d’intégrité si on luttait pour les droits de certains groupes seulement. En tant que modèles accessibles, nous devons nous rappeler que les enfants apprennent beaucoup plus en observant nos gestes qu’en écoutant nos paroles. Si nous leur parlons de relations saines et égalitaires entre femmes et hommes, entre filles et garçons, pendant qu’ils observent des comportements inéquitables et l’exclusion d’autres groupes, ou subissent eux-mêmes un tel traitement, nos paroles auront moins de poids à leurs yeux. Si notre objectif est de promouvoir des valeurs sociales comme l’équité, l’inclusion, la non-violence et la reconnaissance et le respect de la diversité, il est important que nos paroles et nos gestes soient intègres, de telle sorte que ces valeurs imprègnent toutes les sphères de la vie des enfants.

Voilà l’essentiel de l’approche globale de la prévention des agressions et de son lien intégral avec la promotion de l’équité et de l’inclusion sociale (Centre ontarien de prévention des agressions et la Fédération des enseignantes et enseignants de l’Ontario, 2010). Ça commence avec toi. Ça reste avec lui invite les hommes à promouvoir des relations saines et égalitaires entre les femmes et les hommes en exerçant leur influence auprès des garçons en tant que modèles accessibles d’une masculinité positive. La notion de « modèle accessible »[13] invite les hommes à remettre en question les pouvoirs et privilèges qu’ils n’ont pas nécessairement voulus ou choisis. Pour être des modèles accessibles, il est important pour eux de remettre en question leur pouvoir en tant qu’adultes et de l’utiliser d’une manière qui favorise le développement sain des enfants et des jeunes.

Les enfants observent et intériorisent dès un jeune âge des exemples — positifs ou négatifs — de relations interpersonnelles. Agir en tant que modèle accessible permet de transmettre des exemples positifs ayant le potentiel d’influencer chez l’enfant le développement de relations saines et égalitaires plus tard dans sa vie. Leurs droits fondamentaux « à la sécurité, à la force et à la liberté » étant reconnus, les enfants vivent l’expérience d’une relation saine et égalitaire dans laquelle sont respectés leurs limites personnelles, leurs besoins de base et leur humanité. Si le milieu dans lequel les enfants vivent cette expérience est empreint de ces mêmes valeurs, on renforce notre message. Plus tard, dans leur vie d’adultes, cette expérience pourrait devenir un point de référence, leur permettant de créer des relations de tous genres fondées sur le respect, ainsi que des relations intimes sans violence, dans lesquelles le consentement aux relations sexuelles constitue un élément essentiel.

Composantes de la campagne

Le site www.commenceavectoi.ca contient une panoplie d’information, de pistes, de ressources et d’outils promotionnels sur le thème des relations saines et égalitaires et sur le rôle de modèle accessible. Deux ressources clés sont à souligner :

Le documentaire Ça commence avec toi. Ça reste avec lui présente des témoignages d’hommes sur leurs expériences et leur point de vue sur le rôle de modèle accessible et sur la promotion des relations saines et égalitaires;

La formation en ligne Communauté des ambassadeurs de l’égalité explore de façon interactive les thèmes connexes au mandat et à la grande vision de la campagne. La formation en ligne est un programme complet et structuré qui encadre et mobilise les hommes en connexion étroite avec le COPA. Elle se compose de cinq modules virtuels et prévoit une rencontre en personne.

Une section intitulée Vers le changement présente des informations et des ressources pertinentes pour les hommes qui désirent lancer des activités visant le changement social menant à l’équité envers les femmes.

Deux sections incitent la population franco-ontarienne à participer à la campagne. La section Passez le mot offre des moyens pratiques de promouvoir la campagne par l’entremise de Facebook et d’outils électroniques affichés dans le site. La section Participez à la discussion invite les visiteurs à faire part de leurs commentaires, de leurs expériences ou à poser des questions.

Transformer un site Web en une campagne

S’il est vrai que les nouvelles ressources créées par et pour les collectivités franco-ontariennes sont une réussite en soi, il est également vrai qu’un site Web, aussi riche et volumineux soit-il, ne constitue pas en soi une campagne. Après la création de la gamme de ressources pour la campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui, le COPA s’est posé les questions suivantes : comment dynamiser le site Web? Comment le faire vivre au sein des collectivités? Comment inciter la population franco-ontarienne à utiliser ces ressources? Comment transformer le site Web en une campagne? Évidemment, ces questions ont été posées en tenant compte d’un contexte précis, soit celui de l’Ontario français.

Mise en contexte

L’intervention communautaire en Ontario français est à la fois riche et complexe. Ça commence avec toi. Ça reste avec lui, tout comme son pendant en anglais de la Campagne du ruban blanc, vise à mobiliser les hommes, à les inciter à agir et à se prononcer sur une question qui s’avère nouvelle ou récente pour plusieurs et qui est empreinte d’associations négatives, menaçantes ou difficiles pour d’autres : le rôle des hommes dans la prévention de la violence faite aux femmes. Le COPA partage avec son pendant anglophone le défi d’assurer que la campagne soit bien adaptée aux divers besoins, vécus et valeurs au sein de notre société, et ce, de façon à rejoindre l’ensemble de la population masculine.

De surcroit, le COPA doit surmonter des défis découlant du fait de travailler en contexte minoritaire. Les francophones de l’Ontario constituent une population très diversifiée, ayant un statut minoritaire, tant sur le plan démographique que sociologique, vivant en milieu rural, en région éloignée du Nord ou dans les grands centres urbains du Sud ou de l’Est de la province.

Certains membres de nos collectivités s’identifient explicitement et activement comme francophones. Ces gens auraient donc plus tendance à savoir où trouver les ressources, les écoles et les services offerts en français, et à les utiliser. Ces personnes sont plus visibles comme francophones, car elles entretiennent des liens plus serrés avec leur collectivité.

D’autres francophones sont plus discrets à cause de facteurs historiques ou sociaux. Ces personnes connaissent peu les services et ressources offerts en français. Malheureusement, il arrive trop souvent que les fournisseurs de services anglophones ne les dirigent pas vers les ressources adéquates. Forcément, ces francophones sont plus difficiles à rejoindre.

Ces dynamiques sociales et démographiques ont des répercussions importantes sur l’élaboration d’une approche efficace à la mobilisation de la collectivité franco-ontarienne et à la promotion de la campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui. D’une part, il est nécessaire de concevoir une approche ciblée qui vise à rejoindre les francophones sur le terrain, là où se trouvent les services, associations et écoles qui les desservent et qui les rassemblent. D’autre part, il est important de maintenir une grande visibilité afin d’attirer l’attention des hommes francophones qui n’ont aucun lien avec leur collectivité. Voilà le défi de taille auquel est confronté le COPA.

Moyens et stratégies

Structure et processus équitables

Trop souvent, des projets « bilingues » se heurtent à de nombreuses embûches en raison de la dominance de l’anglais. Il est de plus en plus reconnu qu’une stratégie gagnante pour répondre aux besoins de la population francophone en Ontario est de privilégier des ressources élaborées « par et pour » les membres de cette collectivité.

Dès le début du projet, les versions française et anglaise de la campagne ont été conçues comme étant distinctes, quoique parallèles et interreliées, véhiculant toutes deux le même message de base et des valeurs et objectifs communs. Cette vision a été mise de l’avant très tôt par le comité de direction, formé de représentantes et de représentants du COPA et de la Campagne du ruban blanc. Lors de la toute première réunion, le comité a jeté les bases de la relation de travail et du processus d’élaboration en les fondant sur les principes d’équité — plutôt que d’égalité — et d’inclusion. Par exemple :

  • plutôt que d’adopter le modèle typique des projets « bilingues » — un comité consultatif fonctionnant en anglais avec une représentation francophone —, le COPA et la Campagne du ruban blanc se sont mis d’accord dès le départ pour instaurer deux comités consultatifs afin d’assurer la pleine représentation des deux collectivités linguistiques dans leur langue de communication respective;

  • le plan d’action est flexible afin de bien répondre aux besoins distincts et communs pendant l’étape d’élaboration. Le COPA et la Campagne du ruban blanc se sont engagés à maintenir une relation de soutien mutuelle en échangeant au besoin les ressources, l’information et les compétences. On a reconnu et respecté le besoin du COPA de travailler de manière autonome pour répondre aux besoins distincts de sa clientèle;

  • Ça commence avec toi. Ça reste avec lui et la Campagne du ruban blanc ont lancé des campagnes distinctes en français et en anglais, plutôt qu’une campagne bilingue — traduite. Chaque campagne était conçue et élaborée pour répondre aux besoins précis, aux cultures et aux réalités des groupes linguistiques respectifs.

Mis en pratique dès le départ et tout au long des étapes subséquentes, ces principes d’équité et d’inclusion ont débouché sur une campagne en français, « par et pour » les francophones de l’Ontario.

Développement communautaire : un moyen à privilégier

On dit souvent que le « bouche à oreille » et le contact personnel sont les moyens à privilégier pour rejoindre les francophones de l’Ontario qui s’identifient comme tels. Il s’ensuit que le développement communautaire est une approche incontournable quand il s’agit de rejoindre les Franco-ontariennes et les Franco-ontariens qui ont un lien avec leur collectivité. Cette approche tend vers des résultats profonds et durables.

Pendant les deux premières étapes de la campagne, l’équipe du COPA a rejoint les collectivités franco-ontariennes par le biais d’un comité consultatif, lequel a d’abord permis d’établir et de maintenir un lien avec des organismes franco-ontariens issus des secteurs clés suivants : la jeunesse, le milieu scolaire, les organismes pour femmes immigrantes francophones, les services directs offerts aux femmes victimes de violence et un programme visant la prévention de la violence faite aux femmes[14].

La deuxième étape du projet a été orientée vers la sensibilisation et la mobilisation des leaders communautaires. L’outil de formation en ligne, Communauté des ambassadeurs de l’égalité, maintient et approfondit un lien entre les participants et le COPA, et un autre entre la campagne et les collectivités locales. La première étape de la formation en ligne consiste en une rencontre en personne pour permettre aux participants et à l’équipe du COPA de se connaître. Par la suite, la formation se déroule en ligne. À la fin de cette formation, les Ambassadeurs de l’égalité mettent en oeuvre des activités de promotion et de sensibilisation au sein de leur collectivité respective. On espère que les participants finiront par devenir des « agents de changements » sur le plan local.

La troisième étape du projet, actuellement en cours, conjugue promotion et sensibilisation. Des ateliers sont ainsi offerts là où se réunissent les Franco-Ontariennes et les Franco-Ontariens, entre autres, dans les écoles et au sein des services et des groupes communautaires et culturels.

Travailler sur deux plans

Malgré ses nombreuses forces stratégiques, le développement communautaire ne permet pas de rejoindre les francophones moins « visibles » qui n’utilisent pas les écoles, les services et les ressources offerts en français. Essentiellement, les organismes desservant la population francophone de l’Ontario ont un gros défi à relever : être partout en même temps et travailler sur au moins deux plans : auprès des services et établissements franco-ontariens; auprès de l’ensemble de la population.

Par conséquent, le COPA s’est associé aux efforts de promotion globale de son partenaire anglophone, la Campagne du ruban blanc, afin d’assurer la visibilité et une présence francophone à l’échelle provinciale, tout en insistant sur les particularités de la campagne francophone. De façon parallèle, le COPA conçoit et met en oeuvre des moyens de promotion, des ressources et des outils ciblés pour les regroupements, institutions, entités et organismes franco-ontariens.

Discussion

La campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui est encore toute jeune. Bien qu’elle soit constituée d’une gamme de ressources riches, pertinentes et bien adaptées à sa clientèle, elle ne peut réaliser sa vision que si la population franco-ontarienne l’adopte comme étant la sienne, en l’appuyant et en en faisant la promotion au sein de sa collectivité. Elle réalisera son plein potentiel lorsque des hommes francophones qui désirent s’allier à la lutte des femmes en faveur de l’équité, de l’inclusion et des relations égalitaires s’en serviront, visiteront le site Web, se familiariseront avec son contenu, mettront en application les ressources, les pistes et les outils qui s’y trouvent et échangeront avec leurs pairs sur leurs expériences, leur point de vue et leur vécu. À ce stade de la campagne, nous ne pouvons que faire part des défis auxquels nous nous sommes heurtés et des succès réalisés dans nos efforts pour la promouvoir et la dynamiser.

Défis

Il est important de souligner que notre plus important défi est le manque de financement continu pour la campagne. L’incertitude par rapport aux fonds nuit à la promotion et au déroulement du projet.

Nous avons également été confrontés à des embûches quant à l’utilisation des médias sociaux pour rejoindre la population franco-ontarienne, et ce, à cause du manque de lieux où cette population s’affiche clairement en tant que telle.

Nous avons également de la difficulté à transmettre des messages simples et positifs qui captent l’essentiel du problème et de la stratégie de prévention complexe et profonde. Nous cherchons une façon simple, concise, pratique et attrayante d’articuler la vision de la campagne.

Il arrive que certaines réactions à la campagne exposent des présomptions ou des attitudes qui nécessitent une remise en question. À témoins, les commentaires recueillis suivants : « Il y a si peu de services ou programmes pour les hommes. Il est à peu près temps qu’on fasse quelque chose pour eux. […] Les hommes aussi ont besoin de notre soutien. […] Le mouvement féministe a pendant si longtemps négligé ou exclu les hommes. »

Or, il est important de présenter de façon juste et précise l’historique du mouvement féministe contre la violence faite aux femmes. Né au milieu du siècle dernier, ce mouvement a souvent fait face à un mur de silence et de déni en ce qui touche les différentes formes de violence vécues par les femmes. Si nous avons actuellement des services pour les femmes victimes et survivantes de violence — même s’ils demeurent insuffisants —, c’est grâce à des années de travail et souvent au bénévolat acharné, réalisé par des femmes activistes. En Ontario français, les fruits de ce travail sont apparus un peu plus tard, en raison de la lutte visant à faire reconnaître la nécessité d’offrir des services dans cette langue. De nombreuses activistes se sont dévouées pour le bien-être des victimes et survivantes franco-ontariennes d’agression sexuelle et de violence au sein d’une relation intime, dont on niait ou minimisait le vécu pénible.

Dans ce contexte, il est impossible de parler de négligence ou d’exclusion. Les hommes qui sont des alliés ont la responsabilité d’appuyer le travail essentiel et souvent invisible de nombreuses femmes. Heureusement, de plus en plus d’hommes se rallient aux femmes pour accomplir ce travail essentiel. Toutefois, il est important de souligner l’appel des femmes francophones pour des services directs « par et pour » les femmes francophones. L’engagement et l’appui des hommes alliés sont sollicités plutôt sur le plan de la prévention de la violence faite aux femmes.

Succès

Malgré les défis qu’il reste à relever, il n’est pas trop tôt dans la campagne pour constater qu’elle connaît déjà un franc succès. Tout d’abord, le nombre de visites dans le site Web ne cesse d’augmenter, et ce, en dépit du fait qu’au début, on ait consacré beaucoup d’efforts à l’élaboration des ressources.

En outre, de nombreuses constatations se dégagent des évaluations menées à chaque étape du projet — entre novembre 2010 et mai 2011 — auprès des Ambassadeurs de l’égalité, des élèves et des adultes ayant participé aux activités.

Ainsi, on constate que beaucoup d’hommes veulent jouer un rôle positif auprès des enfants afin de promouvoir les relations saines et égalitaires. Toutefois, plusieurs Ambassadeurs se disent dépourvus de moyens pour jouer le rôle de modèle accessible adéquat auprès des enfants, et en particulier des garçons, pour faire cesser les agressions contre les filles et les femmes. En outre, une majorité d’adultes et d’enfants ayant participé aux activités ont de la difficulté à identifier un homme qui est un modèle accessible en matière d’égalité des sexes lorsqu’on leur demande de le faire. Ces constats renforcent la nécessité d’une campagne comme Ça commence avec toi. Ça reste avec lui.

Plusieurs Ambassadeurs affirment que le sentiment d’isolement qu’ils ressentent, parfois en raison de leurs croyances au sujet de l’iniquité et l’impact des normes sociales fondées sur le genre, est atténué lorsqu’ils se rapprochent d’autres hommes et d’autres personnes-ressources qui partagent une philosophie semblable. Les coanimatrices des activités — formatrices et animatrices du COPA —, le personnel du COPA, les membres du comité consultatif du projet, les conférencières lors de la formation et les participants à la Communauté des ambassadeurs de l’égalité constituent un réseau de personnes sur lequel les Ambassadeurs peuvent compter tant pour des ressources que pour un appui moral.

La reconnaissance du rôle de modèle accessible est renforcée. Lors de la formation, les Ambassadeurs ont davantage pris conscience de ce rôle de modèle accessible et de son importance primordiale. D’ailleurs, parmi les 200 personnes qui ont participé à la campagne dans les écoles, un grand nombre révèlent avoir été très inspirées par les activités présentées par les Ambassadeurs et, plus particulièrement, par le dialogue sur la question. Elles sont porteuses de sens dans un contexte scolaire où les hommes sont en minorité.

Enfin, on ne peut sous-estimer le succès de la campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui en vertu des ressources précieuses qu’elle a créées pour la collectivité franco-ontarienne. Ces ressources sont d’autant plus importantes du fait qu’elles s’investissent dans l’approche féministe de la prévention des agressions. Certes, la pérennité de ces ressources électroniques est assurée par leur malléabilité, voire leur adaptabilité, pour une clientèle cible diversifiée, en constante évolution et dispersée géographiquement. Il reste à assurer un soutien financier continu afin de transformer ces ressources en une campagne dynamique, de telle sorte que les Franco-Ontariennes et les Franco-Ontariens la fassent vivre au sein de leur collectivité, là où elles et ils travaillent, jouent, se réunissent et participent à la vie communautaire.

Conclusion

Les hommes ont un rôle important à jouer dans la prévention de la violence faite aux femmes. Ils peuvent faire partie de la solution, et bon nombre d’entre eux le veulent. La campagne Ça commence avec toi. Ça reste avec lui ouvre la discussion et offre des pistes et des outils permettant aux hommes franco-ontariens de faire une différence au sein de leur collectivité.

Il est important que l’activisme des hommes alliés se déploie clairement et explicitement en lien avec le mouvement féministe contre la violence faite aux femmes. En sollicitant la participation des organismes et intervenantes féministes, on encourage le développement d’un cadre conceptuel féministe et antioppressif. En adoptant une approche fondée sur le développement communautaire, bien adaptée au contexte minoritaire de l’Ontario français, on favorise la création de liens entre les alliés potentiels et leur collectivité.