Abstracts
Résumé
Cet article présente les résultats d’une recherche-action collaborative (Savoie-Zajc, 1999) visant à observer ce qui se passe chez les élèves qui reçoivent pour la première fois un enseignement du Signwriting (SW), de même que chez les d’intervenants qui le dispensent. Le SW s’avère un outil prometteur pour faciliter l’apprentissage du français écrit — langue de la majorité entendante — chez les élèves dont la langue première est la langue des signes québécoise. Nous nous sommes particulièrement intéressés à l’apport du SW comme moyen pour l’élève Sourd de se construire une identité par rapport à une population majoritaire entendante et aussi anglophone.
Mots-clés :
- Élèves sourds,
- LSQ,
- apprentissage de la lecture,
- Signwriting,
- construction identitaire
Abstract
This article describes the results of a study conducted using a collaborative action-research framework (Savoie-Zajc, 1999) with a view to observing students’ reactions when they were taught Signwriting (SW) for the first time, as well as their teachers’ practices when teaching it for the first time. SW appears to be a promising tool for promoting student learning of written French, which is the language of the hearing majority for these students whose first language was Langue des signes québécoise (LSQ). We were particularly interested in the addition of SW as a means for the Deaf student to construct an identity distinct from that of the hearing majority as well as of the English-speaking majority.
Keywords:
- Deaf students,
- LSQ,
- learning to read,
- Signwriting,
- identity building
Article body
Introduction
En septembre 2008, un cours de Signwriting (SW), une version écrite de la langue des signes québécoise (LSQ), est offert pour la première fois à une classe d’élèves Sourds[1] (Sutton, 1996). Les élèves Sourds en général, et ceux de cette classe en particulier, présentent de grandes difficultés en lecture et en écriture, lesquelles entrainent des problèmes, notamment d’intégration au monde du travail et de qualité de vie. À titre d’exemple, l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) rapportait en 1991 que « seulement 19 % des personnes atteintes de surdité sévère ou profonde âgées de plus de 15 ans et de moins de 65 ans occupaient un emploi ». Dalle (2003) abonde dans le même sens en affirmant que les difficultés scolaires, l’illettrisme ou la maîtrise insuffisante du français écrit, l’absence de diplôme ou de qualification et enfin les difficultés de communication ont de fortes répercussions sur l’insertion sociale et professionnelle des adultes Sourds.
En fait, l’accès au langage — oral, écrit ou signé — est au coeur du processus identitaire de l’élève Sourd dont les difficultés de communication entravent la socialisation. Pour les jeunes dont la langue première est la LSQ, l’apprentissage de cette dernière contribue à la construction d’une identité Sourde. Aussi, apprendre à lire dans cette langue pourrait venir compléter ce processus de construction identitaire déjà amorcé en fréquentant une école pour Sourds. Historiquement, le système d’éducation de l’Ontario fait apprendre aux élèves Sourds de familles francophones le français écrit qui est la langue de la majorité entendante et qui est elle-même minoritaire dans la province. Cela avec peu de succès, car on n’apprend pas une langue orale si on ne l’entend pas. De surcroît, on en apprend difficilement la version écrite si on n’en connaît pas la version orale. En effet, le passage d’une langue visuelle, par exemple la LSQ, à la version écrite d’une autre langue, par exemple le français, se fait avec difficulté (Cummins, 1979; 1989). En conséquence, les élèves Sourds sont peu motivés à apprendre et à comprendre le français écrit, perçu comme très difficile et appartenant de plus à la culture entendante, historiquement associée à l’oppression vécue par les Sourds (Gaucher, 2009). Par contre, apprendre à lire et à écrire en SW, une version écrite de la LSQ, permettrait à l’élève de compléter son processus identitaire en tant que Sourd.
Les recherches en linguistique contribuent encore aujourd’hui à la reconnaissance et au développement du SW. Son intérêt et sa validité en tant que mode écrit des langues signées ont été examinés et confirmés par de nombreux chercheurs, dont Martin (2000; 2007), Boutora (2003), Bergeron (2004) et Prélaz Girod (2004). Prélaz Girod (2004) a également répertorié et décrit un certain nombre de projets d’intégration du SW à l’enseignement aux Sourds. Menée au Nicaragua, une première étude, celle de Gangel-Vasquez (1998), explorait l’emploi quotidien du SW par les élèves et son utilisation pour l’enseignement de la grammaire de la langue des signes du pays. Cette recherche démontre que même les signeurs débutants peuvent apprendre à reconnaître des signes écrits. Le développement d’une littératie en langue signée pourrait même ouvrir la voie à une littératie en langue orale. La recherche de Flood (2002), réalisée à Albuquerque (États-Unis), en est une longitudinale qui se base sur la réalisation d’entretiens d’élèves à différents stades du projet SW. Flood montre que l’apprentissage de l’American Sign Language (ASL) via le SW développe la littératie chez les élèves, que ces derniers s’émancipent davantage et qu’ils acquièrent une meilleure appropriation de l’écrit. Par ailleurs, l’auteur montre que l’apprentissage du SW entraîne des effets positifs sur l’estime de soi des élèves. Plus récemment en Arabie Saoudite, l’étude de Abu Shaira (2007) examine l’apprentissage d’un corpus de vocabulaire en lien avec les sciences. Les résultats démontrent que les élèves ayant bénéficié d’une formation en SW pour l’apprentissage du vocabulaire performent mieux aux tests que leurs collègues ne connaissant et n’utilisant pas le SW, notamment dans la mesure où ils déchiffrent facilement les symboles et sont capables de gérer rapidement l’information. Bien que les recherches empiriques sur le SW soient peu nombreuses, leurs résultats sont prometteurs et justifient une première introduction auprès d’une population francophone en sol canadien.
L’introduction du SW aux élèves Sourds de la classe observée a créé un engouement au sein de l’équipe d’intervenants de leur école. Le SW est un système composé de symboles; il transcrit les différents paramètres du signe, que ce soit la forme de la main, l’orientation, le mouvement avec sa direction et ses répétitions, les mimiques ou l’emplacement. Dans leur articulation, ces paramètres sont présentés de façon simultanée, comme dans l’expression signée (Sutton, 1996).
Selon le programme d’études du ministère de l’Éducation de l’Ontario et en plus des autres matières enseignées, les élèves de cette classe avaient toujours reçu un enseignement du français écrit alors qu’ils ne parlaient pas ou peu cette langue. Leur outil de communication et d’apprentissage était une langue signée, la LSQ, reconnue depuis 1994 comme langue officielle d’enseignement dans la province. De façon générale, les élèves Sourds ont longtemps été exposés à cette situation et, comme groupe minoritaire, ils ont développé une résistance à la langue orale de la majorité entendante (Bergeron, 2004). Le SW est donc envisagé comme un moyen de contribuer au développement et à la promotion des langues signées, de remédier aux difficultés des Sourds face à l’écrit et de bâtir un pont avec le français écrit (Rosenberg, 1999).
Un partenariat a été établi entre l’école pour Sourds et une équipe de chercheurs de l’Université d’Ottawa dans le but d’observer au moyen d’une recherche-action ce qui se passe chez les élèves Sourds issus d’un milieu familial francophone minoritaire qui reçoivent pour la première fois un enseignement du SW et chez les intervenants qui le dispensent. La question de recherche visée était la suivante : Qu’est-ce qu’on observe dans un cours de SW conçu comme ajout de la dimension écrite de la LSQ et outil de transition vers le français écrit?
Dans cet article, nous présentons les résultats de cette recherche-action collaborative (Savoie-Zajc, 1999). Nous examinons particulièrement le rôle que peut jouer le SW dans la construction identitaire chez l’élève Sourd et son apport éventuel comme transition vers le français écrit, outil de communication avec la majorité entendante.
Informations générales sur la surdité
Pour comprendre l’importance de la langue dans la construction de l’identité de la personne Sourde, il faut parler de deux constructions de la surdité en général et de la socialisation de l’enfant Sourd en particulier. La première construction de la surdité, médicale, voit cette dernière comme un déficit de l’ouïe, un handicap ou une incapacité; et la seconde, culturelle, voit la surdité comme une différence ouvrant la possibilité de faire partie d’un groupe distinct, bien que minoritaire, ayant une langue commune, une histoire et une manière de penser et d’être (Lane, 1995).
En ce qui concerne les enfants Sourds, il faut considérer le fait que 85 % d’entre eux sont nés de parents entendants pour qui la surdité est mal connue (Delaporte, 2002). Dès le diagnostic de surdité, ces parents ont à prendre une décision sur le mode de communication à privilégier avec leur enfant : favoriser l’apprentissage de la langue orale par le biais d’appareils auditifs ou d’implants cochléaires ou bien par la langue des signes (Roots, 1999). Puisque la langue occupe une importance capitale dans la construction identitaire de la personne par le biais de la transmission culturelle, ce choix est déterminant pour l’identité future de l’enfant (Lhéricel, 2006).
Or chacun de ces choix est problématique en termes de communication et de transmission de la culture. D’une part, le choix de la langue orale, le français par exemple, impose un fardeau à l’enfant qui doit fournir un effort conscient dans son apprentissage langagier (Prelaz Girod, 2004). Privés de stimulation sensorielle, les enfants Sourds ne développent pas de façon spontanée leurs compétences langagières et ont difficilement accès à la culture entendante de leurs parents, laquelle serait normalement transmise par la langue. C’est plutôt dans un cadre scolaire structuré (Prelaz Girod, 2004) qu’ils apprennent la langue de la majorité entendante et se développent une identité, celle de personne Sourde.
D’autre part, le choix éventuel de la langue des signes, langue naturelle pour l’enfant, puisque visuelle, impose un fardeau aux parents et à la famille qui doivent l’apprendre eux aussi (Piché et Hubert, 2007). Or, même en apprenant cette langue signée, les parents entendants auront du mal à transmettre la culture Sourde à leur enfant (Lachance, 2007) et à lui permettre de se construire une identité Sourde. Alors, que faire pour favoriser la construction identitaire de l’enfant Sourd issu de parents entendants?
L’école pour Sourds
Pour les parents qui choisissent la langue des signes, l’école pour Sourds est le partenaire qui peut permettre à leur enfant de se construire une identité Sourde — selon la perspective culturelle de la surdité. Historiquement, les écoles résidentielles pour Sourds ont été le véhicule de transmission de la culture Sourde d’une génération à l’autre (Sheridan, 2008). Ces lieux de scolarisation existent depuis le XIXe siècle et ont toujours accueilli des élèves nés de parents Sourds qui signaient et qui pouvaient transmettre la culture Sourde à leurs pairs nés de parents entendants (Sheridan, 2008). Cette transmission se faisait largement à l’insu des enseignants entendants qui interdisaient l’utilisation de la langue des signes (Gaucher, 2009). Maintenant que les langues des signes sont reconnues comme langues naturelles au même titre que les langues orales, les écoles pour Sourds assument un rôle de centre culturel (Stokoe, 1972).
Suivant la perspective culturelle de la surdité, l’identité Sourde émerge du partage d’une langue, de pratiques, de coutumes et d’une histoire commune (Duchesneau, 2008). Cette identité s’articule autour de la caractéristique visuelle, alors qu’elle tient selon la perspective médicale à l’absence d’audition et en ce sens, elle repose sur un déficit. La vie familiale des enfants Sourds de parents entendants est souvent marquée par le rejet ou l’isolement linguistique et représente un lieu où ils découvrent leur différence (Gaucher, 2009). Par contre, la découverte de la communauté Sourde est souvent un tournant dans leur vie. En se comparant à d’autres personnes Sourdes, ils se découvrent des ressemblances et se façonnent une identité propre (Mussen, 1980; Gaucher, 2009).
Contexte de l’étude
Le contexte scolaire à la source de cette recherche est celui d’une école spécialisée pour les élèves Sourds, où la langue d’enseignement est la LSQ — associée à la culture Sourde —, mais la langue écrite est le français — associé à la culture de la majorité entendante. Cette école offre un enseignement de niveau primaire et secondaire et dessert une population d’élèves issus de familles francophones minoritaires dans une province majoritairement anglophone. Le bassin d’élèves de cette école couvre l’ensemble des conseils scolaires ontariens de langue française. L’approche bilingue et biculturelle (Dubuisson et Lelièvre, 1998) basée sur la théorie de l’interdépendance linguistique élaborée par Cummins (1979; 1989) y est pratiquée et vise un accès précoce à la LSQ en même temps qu’un apprentissage de la langue de la majorité entendante, soit le français écrit. Selon Cummins (1989), enseigner d’abord la langue des signes fait partie d’une pédagogie de l’appropriation — notre traduction du terme empowerment — et permettrait de réduire l’échec des élèves.
Le programme de l’école est le même que dans toute école de l’Ontario, mais il est adapté aux besoins de chaque élève vivant avec une surdité. Ces adaptations sont précisées dans un Plan d’enseignement individualisé (PEI) dressé annuellement pour chacun. L’approche éducative s’insère dans la perspective culturelle de la surdité et permet donc à l’élève de se construire une identité Sourde en évoluant dans un milieu où il partage une langue et une culture commune. Le ministère de l’Éducation de la province reconnaît la LSQ comme langue officielle d’enseignement. Cependant, la langue écrite qui y est enseignée est le français. En termes de construction identitaire, l’enseignement du français peut être envisagé comme source de conflit pour des élèves Sourds qui associent cette langue à la culture de la majorité entendante (Gaucher, 2009).
La classe
La classe observée était composée de 10 élèves dont les profils variaient, mais tous atteints de surdité et manifestant des difficultés marquées en lecture. Leur recrutement s’est fait par l’entremise de la direction de l’école et un formulaire de consentement approuvé en vertu de l’approbation de la recherche par le comité de déontologie de l’Université d’Ottawa a été signé par le parent de chacun des élèves. L’hétérogénéité du groupe était caractéristique de l’institution où s’est déroulée l’étude, les classes multi-âge étant la norme et l’enseignement individualisé y étant pratiqué. Au moment de l’étude, l’âge des élèves variait de 4 à 13 ans et leur niveau de LSQ de débutant à très fluide, selon le rapport expert de l’enseignante. Leur connaissance du français écrit et oral était très faible — un niveau de lecture inférieur à celui de la 2e année. La langue d’enseignement dans cette classe était la LSQ. Par respect de l’anonymat et de la confidentialité promise en vertu de l’approbation déontologique du projet, nous ne présentons pas les caractéristiques individuelles des participants et nous avons opté pour une étude de cas du groupe dans son ensemble.
La naissance d’une recherche-action collaborative
Afin de mener une étude avec — et non sur — l’équipe d’intervenants Sourds nous avons voulu véritablement collaborer à la mise en oeuvre du cours de SW. Selon Savoie-Zajc (1999), la recherche-action collaborative permet aux praticiens d’échanger avec des chercheurs et de coréviser de manière dialogique leurs pratiques dans un contexte dynamique et collaboratif. La connaissance se construit dans l’action. À la fois une conception du monde et une méthodologie, la recherche-action est une approche de recherche à caractère social, associée à une stratégie d’intervention qui évolue dans un contexte naturel dynamique. Cette stratégie est fondée sur la conviction que la recherche et l’action peuvent être réunies dans un processus de résolution de problèmes au sein duquel les participants discutent de manière constructive, s’interrogent, réfléchissent ensemble et suggèrent des modifications à une intervention donnée. La notion d’appropriation est au coeur de cette collaboration, les intervenants étant eux-mêmes des Sourds et issus du même système d’éducation qui recrée la discrimination des Sourds par les entendants.
Ressources humaines
L’équipe de chercheurs de l’Université d’Ottawa était composée de la chercheuse principale, professeure entendante et ayant une compétence moyenne en LSQ et d’une assistante de recherche, étudiante du programme d’orthophonie et d’audiologie atteinte d’une surdité légère et ayant une compétence élevée en LSQ. L’équipe d’intervenants était menée par l’enseignante titulaire de la classe étudiée; Sourde elle-même, cette enseignante avait la LSQ comme première langue et le français comme deuxième. Deux autres membres du personnel enseignant de l’école, également Sourdes, participaient à tour de rôle au cours en tant qu’assistantes. Afin de faciliter les échanges en LSQ dans les discussions entre les intervenants et les chercheurs, un interprète LSQ-français a été engagé pour la durée de l’étude. Ce dernier a participé à toutes les rencontres de discussion.
Méthode
Pour l’ensemble de ce projet de recherche, plutôt que de parler de méthode dans le sens traditionnel du terme, nous l’avons abordé comme un processus itératif sous forme de cycles. Dans cette perspective de recherche-action collaborative, notre projet a pris la forme d’une évaluation continue d’un changement de pratiques, défini comme l’ajout d’un cours de SW comme moyen de consolider les acquis en LSQ et de contribuer à la construction de l’identité Sourde chez les élèves, tout en leur permettant de faire éventuellement la transition vers le français écrit. Le changement visé est celui d’enseigner d’abord une version écrite de la LSQ avant de passer au français écrit. Les pratiques antérieures visaient l’enseignement du français écrit comme deuxième langue à des élèves qui n’avaient aucune conception de l’écrit dans leur première langue.
Déroulement de la cueillette de données
Le cours de SW a été offert de septembre 2007 à juin 2008, à raison de trente minutes tous les jours. L’enseignante responsable du cours en a préparé toutes les leçons à partir du site web du SW (www.signwriting.org), du logiciel qu’il fournit et des étapes qu’il propose pour son enseignement. Un certain nombre de documents didactiques et de leçons y sont répertoriés, mais tous élaborés en fonction de l’ASL. L’enseignante a donc créé son propre matériel pour la LSQ en adaptant les leçons du site web. Les activités incluent la lecture d’un texte en SW, le décodage en groupe-classe de nouveaux symboles projetés sur un écran, l’enseignement des différentes composantes des symboles et leur correspondance en LSQ de même que l’enseignement de nouveaux mots de vocabulaire en SW. L’enseignante a tenu un journal de bord quotidien des actions et réactions des élèves.
Conformément à la perspective de recherche-action collaborative, la cueillette de données s’est effectuée selon un cycle en trois étapes : l’observation, la réflexion, et l’action. Au cours de l’année scolaire, ce cycle s’est répété sept fois, toujours amorcé par une période d’enseignement filmée par l’équipe de chercheurs et qui tenait lieu d’étape d’observation.
L’étape de la réflexion prenait la forme d’une rencontre de discussion à laquelle participaient l’enseignante du cours de SW, les deux assistants, la chercheuse principale, l’assistante de recherche ainsi que l’interprète LSQ-français (voir le calendrier des rencontres à la Figure 1). D’une durée de deux heures environ et se tenant systématiquement dans la semaine suivant l’enregistrement d’une période d’enseignement, cette rencontre visait un double objectif :
visionner la bande vidéo pour en analyser le contenu, à savoir ce qui se passe chez les élèves lorsque le SW est utilisé comme moyen de faciliter l’accès au français écrit;
examiner les perceptions, interprétations, préoccupations et problèmes vécus par les intervenants face au changement de pratiques ainsi que les succès, progrès et améliorations perçus.
Un enregistrement audio de cette rencontre était ensuite retranscrit par la chercheuse principale.
La dernière étape, celle de l’action, permettait une synthèse et la relance d’un nouveau cycle. C’était aussi l’occasion de faire le point sur l’expérience d’enseignement du SW, de revoir les objectifs des périodes d’enseignement à venir et d’amorcer un nouveau cycle d’observation, de réflexion et d’action
Analyse
La recherche-action visait donc à observer le déroulement de l’enseignement du SW, à en relever les problèmes potentiels ainsi que les points forts et à les analyser. Elle a été menée en collaboration avec les intervenants lors de rencontres de discussion/réflexion qui portaient sur l’examen collectif des séances d’enseignement. Après chacune des rencontres, la chercheuse principale effectuait la transcription des interprétations des participants et des décisions prises pendant les discussions, travail qui faisait l’objet d’un regard réflexif de la part de tous les participants lors de la rencontre suivante. Après sept cycles de cueillette de données, un document de synthèse a été produit par la chercheuse principale et soumis à son tour à l’approbation de tous les intervenants.
Présentation et analyse des résultats
Quatre grands thèmes sont apparus comme récurrents lors de l’analyse collaborative des résultats :
les apports du SW;
la démarche de son enseignement;
les défis de son apprentissage;
les difficultés liées au contexte de son enseignement.
L’analyse de ces thèmes, avec citations à l’appui, permet dans un premier temps de répondre à notre question de recherche, à savoir ce qui se passe lorsque des élèves reçoivent pour la première fois un enseignement du SW et, dans un deuxième temps, d’évaluer ce dernier comme outil de construction identitaire pour les élèves.
Les apports du SW
Ce premier thème s’avère le plus saillant dans les discussions, avec un nombre élevé de commentaires portant sur les avantages de l’enseignement du SW. Les intervenants soulignent d’abord la motivation des élèves comme apport du SW et indiquent que dès la première classe de SW les élèves sont très actifs et attentifs et que cet intérêt perdure jusqu’à la fin du projet. À titre d’exemple un intervenant exprime à la 6e rencontre : « Élèves très intéressés. Niveau d’animation très différent de celui de la classe de français. »
L’intérêt des élèves pour le SW se traduit également par une augmentation de leurs interventions dans les activités de groupe. Les intervenants indiquent qu’ils communiquent davantage entre eux et avec les enseignants et qu’ils s’expriment de façon plus vive. D’ailleurs, un intervenant remarque dès la 2e entrevue que les élèves défendent davantage leur point de vue, ce qui semble remarquable : « […] une élève de 10 ans s’affirme face à un garçon de 13 ans. 1re fois! »
Qui plus est, les intervenants soulignent à maintes reprises que l’apprentissage du SW enrichit l’apprentissage de la LSQ chez les élèves Sourds. Ceux-ci accroissent leurs connaissances et leurs compétences en LSQ, quel que soit leur niveau. À titre d’exemple, un intervenant partage à la 6e rencontre : « Même les élèves plus faibles profitent du cours de SW. Ça les aide à améliorer leur LSQ. Les élèves plus forts enrichissent leur vocabulaire. Leur LSQ est un peu bébé. »
En tant que langue signée, la LSQ n’a pas de version écrite. En conséquence, les signes font l’objet de nombreux dialectes non standardisés. Le cours de SW a permis aux élèves de discuter et de s’entendre sur la façon de produire un signe. Selon les intervenants, ce groupe s’est entendu sur une utilisation de la LSQ ce qui leur a permis de mieux se comprendre et d’optimiser leurs échanges. À ce sujet, un intervenant mentionne à la 7e rencontre : « En SW, le nombre de répétitions d’un signe est fixe. Ça aide les élèves à corriger leur signe en LSQ. »
De plus, les intervenants signalent que l’apprentissage du SW a aidé les élèves à améliorer leurs connaissances linguistiques. Il aurait été intéressant de comparer cela à des connaissances autres que linguistiques. Même si le SW est employé dans le cours pour la compréhension d’histoires, par exemple, une expérience sur des connaissances scientifiques aurait pu s’avérer utile. On comprend cependant que le niveau des élèves en SW soit encore basique à la fin du projet et que ce dernier soit encore difficile à intégrer à l’enseignement des matières. Un intervenant souligne à la 7e rencontre : « Le vocabulaire du SW s’enrichit, les élèves voient les nuances dans les symboles. »
Le SW constitue également un outil d’évaluation pour les enseignants, tant sur le plan des pratiques linguistiques que dans l’identification des difficultés des élèves. Ces deux aspects du SW apparaissent simultanément lors de la 4e rencontre : « Les enseignants se questionnent, réfléchissent, discutent entre eux. À cause du SW, sur la manière de s’exprimer. Une faiblesse au niveau des classificateurs identifiée à cause du SW. Le SW a aidé l’enseignante à faire l’analyse des faiblesses. »
Les intervenants se sont résolus à mettre de côté une approche comparative des syntaxes de la LSQ et du français, puisque la base de la LSQ n’était pas assez solide chez les élèves. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils abandonnent le SW comme outil de transition vers le français écrit, comme le démontre l’extrait suivant de la 4e rencontre : « […] lorsqu’on met de côté la phrase, on insiste sur le vocabulaire, les élèves font des liens entre mot français écrit, image, symbole SW et signe LSQ. »
La démarche de l’enseignement du SW
La démarche d’enseignement, le deuxième thème, s’est précisée et articulée au fil des rencontres avec les intervenants et au gré du progrès des élèves en SW. Au début du projet, l’enseignement est tiré d’un manuel de leçons et propose un apprentissage systématique des différents éléments constituant les symboles du SW. Cet enseignement s’adresse alors à l’ensemble des élèves et se traduit par un processus d’élaboration du sens par l’entremise d’un travail collectif par lequel les enseignants et les élèves construisent leur compréhension du SW. La démarche de l’enseignante inclut l’enseignement de base des symboles du SW par lequel, dans un premier temps, les élèves en apprennent les parties et travaillent en parallèle les parties des signes de la LSQ. Dans un deuxième temps, ils décodent de nouveaux symboles et développent leur capacité à les utiliser. Finalement, la démarche d’enseignement propose aux élèves de mettre en contexte les savoirs acquis par le biais d’activités de lecture dans lesquelles ils lisent une histoire en SW et la racontent en LSQ. Comme l’indique une enseignante lors de la 6e rencontre, il s’agit d’une méthode de travail par laquelle les élèves développent leur compréhension du SW : « La compréhension n’est pas là au début. On pratique, on analyse, on discute, puis ils comprennent. »
Le français est peu présent sous cette thématique de la démarche d’enseignement. On le retrouvera toutefois à maintes reprises sous la thématique Questionnements et défis de l’enseignement du SW. Cela traduit sans doute un certain flou, des doutes sur la façon d’intégrer le français au cours de SW dans la perspective d’une transition vers le français écrit. Ici, le français apparaît comme outil de compréhension par le biais de l’oralisation, tel que le suggère un extrait du verbatim de la 7e rencontre : « On montre d’abord le symbole de SW et ils ne comprennent pas même avec le signe en LSQ. On écrit les mots en français au tableau et on oralise, et puis ils arrivent à comprendre et font le lien avec le symbole SW. »
Le français est également mentionné dans le cadre du processus d’évaluation, à l’occasion de tests dans lesquels les élèves sont appelés à faire le lien entre SW et LSQ d’une part, et entre SW et français, d’autre part.
Les défis de l’apprentissage du SW
Au cours de l’étude, les intervenants ont énoncé certains défis liés à l’enseignement et à l’apprentissage du SW, mais ce troisième thème est moins récurrent que les deux précédents. L’analyse des verbatims indique que la plupart des difficultés rencontrées durant le projet sont avant tout liées à la maîtrise de la LSQ et particulièrement à l’hétérogénéité du groupe en termes de niveau de LSQ. Par ailleurs, on note plusieurs remarques de l’équipe d’intervenants sur la façon d’intégrer l’enseignement du SW et de la LSQ. Par exemple, à la 3e rencontre, les intervenants se questionnent à savoir si on devrait enseigner la LSQ en même temps que le SW et s’il serait bon de jumeler les cours de LSQ et de SW. Cela s’est résolu à la 4e rencontre par la décision d’intégrer les cours de LSQ et de SW et par l’identification d’une priorité, à savoir régler les problèmes de LSQ lorsque besoin est, en mettant temporairement de côté l’enseignement du SW : « […] parfois, c’est difficile d’enseigner le SW parce qu’il y a beaucoup de classificateurs (CL)[2], et les élèves n’ont pas cette base en LSQ. On met de côté le SW pour expliquer les CL. »
L’analyse fait aussi ressortir que les problèmes concernant directement l’apprentissage du SW sont causés principalement par un manque de pratique : « On constate que le sens des flèches n’est pas clair pour les élèves. Ils manquent de pratique. » Rappelons toutefois que les élèves observés dans cette étude en sont encore au tout début de leur apprentissage du SW.
Un autre défi de l’apprentissage du SW réfère aux difficultés liées à la transition entre les modes linguistiques de la LSQ, du SW et du français. La LSQ et le français écrit ont des syntaxes très différentes. La première réaction des élèves, lorsque confrontés à ce problème, est de répondre que l’on doit utiliser la syntaxe du français. Par contre, les enseignants affirment qu’on doit suivre la syntaxe de la LSQ. Cela s’avère très difficile pour les élèves, comme le souligne un intervenant lors de la 4e rencontre : « Il faut laisser tomber la syntaxe du français, c’est trop difficile de comparer la structure de la LSQ et celle du français qui sont très différentes. Si on travaille d’abord le SW et la LSQ, c’est plus facile pour les élèves d’analyser des phrases. »
Par ailleurs, un événement semble avoir surpris les enseignants. Il s’agit de la réaction des élèves face à un test en deux parties, l’une sur la traduction LSQ-SW, l’autre sur la traduction SW-français : « […] l’attitude est très différente, et visible sur le vidéo! C’était trop facile la LSQ et le SW, mais le français et le SW, ils l’ont refusé. » (5e rencontre)
Pour résumer, plusieurs questionnements et défis liés à l’apprentissage du SW ont émergé tout au long de l’étude sur le SW comme outil d’apprentissage du français. Entre autres, les intervenants ont abordé les difficultés liées à la maîtrise de la LSQ, le besoin de pratique et les difficultés liées à la transition entre les modes linguistiques.
Les difficultés liées au contexte d’enseignement du SW
Ce quatrième thème est relativement présent dans les discussions. Les nombreuses difficultés liées au contexte d’enseignement portent sur les différences d’âge, de niveaux de LSQ et de français; sur les problèmes de connaissances de base de la LSQ et du français; sur la résistance des élèves; sur le problème de connaissance du monde chez les élèves; sur le manque de références à la culture Sourde; sur le besoin de matériel; et sur l’autoformation de l’enseignante.
Les difficultés se rapportant aux différences d’âge et de niveaux linguistiques sont soulignées lors des 1re, 3e et 4e rencontres. L’hétérogénéité du groupe d’élèves en termes d’âge, de niveau de LSQ et de français constituait en effet une préoccupation majeure pour les intervenants. Au cours de l’étude, ils ont d’ailleurs décidé de regrouper les élèves par niveaux de compétence en LSQ et d’adapter l’enseignement du SW aux habiletés des groupes. Par la suite, ce constat de la difficulté d’enseigner à une classe hétérogène disparait des discussions — sans doute parce que l’enseignante a adapté sa pratique — pour graduellement laisser place à une autre difficulté, d’ordre général, celle des lacunes des élèves en français et en LSQ.
Pour ce qui est du français, ces élèves appartiennent à une culture francophone minoritaire en Ontario en plus d’appartenir à la culture Sourde, minoritaire par rapport à la majorité entendante. À cause de leur isolement sensoriel, on peut se demander dans quelle mesure ils sont exposés à la langue et à la culture francophone dans leur milieu. En ce qui a trait aux lacunes en LSQ, les intervenants déplorent à plusieurs reprises la faiblesse des élèves à ce chapitre. Leurs remarques permettent de préciser les problèmes et aussi d’en généraliser la portée. Par exemple, un intervenant énonce à la 4e rencontre : « Pas tous les élèves ont des cours de LSQ, mais tous en ont besoin. »
Les difficultés des élèves en LSQ se révèlent au fur et à mesure de leurs progrès en SW, à la confrontation à un signe écrit considéré comme standard. La représentation écrite leur permet de bien voir les détails du signe. En revanche, leur faiblesse en LSQ constitue une limite à l’utilisation de symboles complexes de SW.
La résistance initiale des élèves au cours de SW constitue une autre difficulté liée au contexte de l’enseignement. Elle n’est cependant mentionnée que lors des deux premières rencontres, les élèves s’étant rapidement intéressés au cours. Un seul élève a exprimé de la résistance, laquelle n’était pas liée à la nature du projet, mais plutôt au rapport qu’il entretient avec sa surdité. Cet élève refusait systématiquement l’utilisation des signes et insistait sur le recours au mode oral. Il s’est finalement retiré du projet.
Quant à elles, les lacunes portant sur les connaissances du monde apparaissent clairement lors d’un exercice dans lequel les élèves ne reconnaissaient pas les lieux qui étaient décrits dans une histoire, bien qu’ils les aient déjà visités. Ils ne faisaient pas le lien entre ces lieux qui leur étaient familiers et leur description en français écrit, ce qui nuisait à leur compréhension du texte.
Certains éléments en lien avec le contexte d’enseignement ne sont mentionnés qu’une seule fois lors des rencontres, mais ils nous semblent importants. C’est le cas du manque de références à la culture Sourde qui est souligné avec emphase à la 7e rencontre : « Il faut leur montrer la culture des Sourds, par exemple, la vibration au lieu du bruit! »
Le besoin de matériel est mentionné à la 1re rencontre et ne revient pas par la suite. Le matériel d’enseignement du SW — des leçons de SW et des histoires — est accessible gratuitement en ligne. Toutefois, il doit être adapté. D’abord, les leçons de SW sont conçues pour l’enseignement aux élèves qui utilisent l’ASL. Ensuite, elles doivent convenir aux élèves de la classe qui, rappelons-le, forment un groupe hétérogène en regard de leurs niveaux en LSQ et en français.
L’intervenante responsable du cours était elle-même initiée depuis peu au SW, et ce, à la suite d’une démarche personnelle. Cette autoformation a un impact certain sur le projet, dans la mesure où enseignante et élèves construisent leur savoir de manière concomitante. Cela entraîne des discussions sur l’analyse et l’interprétation des symboles. Également, l’enseignante est amenée à ajuster son enseignement au gré de nouvelles connaissances, que ce soit en termes de contenu ou d’activités.
Discussion des résultats
Notre étude s’est intéressée à l’enseignement d’un cours de SW à des élèves Sourds d’une communauté minoritaire francophone. Le SW comme version écrite de la LSQ est envisagé comme moyen de contribuer à la construction identitaire des élèves Sourds d’origine francophone.
Cette discussion répond à notre question de recherche, à savoir : Qu’est- ce qu’on observe dans un cours de SW conçu comme ajout de la dimension écrite de la LSQ et éventuellement comme outil de transition vers le français écrit? Les paragraphes qui suivent portent particulièrement sur l’évolution des élèves et de leurs rapports linguistiques, sur l’évolution de l’enseignement, et sur le rôle que peut jouer le SW dans la construction identitaire de l’élève Sourd.
Évolution du rapport des élèves au SW, à la LSQ et au français écrit
Les élèves ayant participé à cette recherche ont vécu une brève période de résistance. Ils se sont rapidement approprié le SW, sans doute parce qu’il constitue un langage commun qui décrit leur réalité et les rassemble autour de la LSQ. Le SW est aussi associé à la réussite, à en juger par la réaction des élèves à un test de LSQ-SW. Telle appropriation — voire adhésion — des élèves au SW est un premier indice du rôle qu’il joue dans la construction identitaire des élèves Sourds.
Les intervenants rapportent que les élèves sont intéressés et animés par le cours de SW. Cette motivation peut s’expliquer par le fait que le SW est facile à apprendre et que les élèves se l’approprient comme moyen d’expression. Cela s’inscrit tout à fait dans le cadre théorique de l’enseignement bilingue élaboré par Cummins (1989; 1991). Le SW représente pour l’élève Sourd la possibilité de s’exprimer et de devenir maître de son discours.
Par ailleurs, le SW permet aux membres de la communauté Sourde de mieux s’autodéterminer dans la mesure où, en tant que modalité écrite des langues signées, il symbolise la reconnaissance d’une langue signée comme langue à part entière. Introduire le SW dans l’enseignement bilingue et biculturel destiné aux Sourds participe de cette pédagogie de l’« appropriation » prônée par Cummins (1991).
En ce qui concerne la relation des élèves avec la LSQ, nos résultats suggèrent qu’elle profite des apports du SW. La LSQ passe du statut d’outil à celui d’objet d’étude via sa représentation par le SW. Les discussions animées qui se produisent pendant les cours en témoignent. Notre analyse montre que les élèves discutent de leur langue, l’étudient et arrivent à mieux la maîtriser. D’ailleurs, ils communiquent davantage avec leurs collègues de classe et avec leurs enseignants au cours de l’étude. On sent qu’ils partagent une identité.
En revanche, le rapport qu’expriment les élèves de notre recherche avec le français écrit est placé sous le signe du malaise. Comment expliquer une telle attitude? Nous l’avons vu dans l’introduction, les difficultés des Sourds face à l’écriture et à la lecture des langues orales sont certaines. Dans notre cas précis, il ne faut pas négliger le fait que la communauté francophone est en situation minoritaire dans cette province et que, de surcroit, le français est associé à la majorité entendante. Nos élèves souffrent sans doute d’un éloignement encore plus grand de la langue orale — le français, qui n’est ni leur langue, ni celle de la majorité linguistique de la province. Par contraste, le SW semble tout à fait approprié, ou « naturel ».
Évolution de l’enseignement du SW et du français écrit au long du projet
Dans les résultats de notre recherche, on constate une focalisation de l’équipe de recherche (chercheurs et intervenants) sur le SW comme outil d’amélioration de la LSQ, quel que soit le niveau des élèves. Cela constitue un ajustement des pratiques aux observations menées, et ce, tout au long du projet.
L’enseignement du SW permet de relever certaines difficultés qu’ont les élèves avec la LSQ. En effet, le SW est un moyen de communication facile et il permet aux élèves de parler de sujets communs. Parallèlement, le français voit son rôle diminuer au cours de l’étude : on met de plus en plus l’accent sur les liens LSQ – SW pour les questions de syntaxe et on se limite au vocabulaire pour les comparaisons avec le français. L’enseignante répond ainsi aux besoins immédiats des élèves qui avaient besoin d’une mise à niveau de la LSQ, de s’approprier le SW et de développer un vocabulaire élémentaire en français. Ce perfectionnement de la LSQ contribue à leur construction identitaire.
Conclusion
Dans la première partie de cet article, nous avons expliqué que les difficultés des Sourds face à la lecture et à l’écriture sont en partie dues aux approches et aux politiques éducatives mises en place il y a longtemps. Aujourd’hui, l’approche bilingue et biculturelle semble en mesure de résoudre en partie ces problèmes. Toutefois, pour favoriser le transfert de compétences entre la première langue (la LSQ) et la deuxième (le français écrit), il manquait jusqu’à récemment aux langues signées une véritable modalité écrite. Le SW créé par Valérie Sutton (1996) peut remplir ce rôle.
Les résultats de notre recherche-action collaborative menée auprès d’une classe d’élèves Sourds d’une école en milieu minoritaire francophone abondent dans le même sens que les données issues de la littérature linguistique (Martin, 2000; 2007) et des rapports de professeurs ayant déjà expérimenté le SW dans leurs établissements (Abu Shaira, 2007; Flood, 2002, Gangel-Vasquez, 1997).
Notre analyse démontre les apports du SW dans le développement de la LSQ chez les élèves, quelles que soient leurs difficultés individuelles. Cette analyse fait également ressortir qu’à plus long terme, le SW peut donner accès à des connaissances jusqu’alors disponibles seulement en langues orales. Le groupe d’intervenants et de chercheurs espère également qu’un apprentissage et une meilleure connaissance de la LSQ et du SW permettront aux élèves de consolider leur identité Sourde. Peut-être seront-ils ensuite plus réceptifs au français écrit.
L’étude en cours permet toutefois de tirer des leçons importantes en regard d’une intervention d’enseignement linguistique qui a pour but de réduire l’isolement d’une communauté doublement minorisée, c’est-à-dire des jeunes Sourds issus de familles francophones dans une province canadienne majoritairement anglophone.
D’abord, notre analyse du cours de SW indique que le français doit être abordé seulement sur le plan du vocabulaire durant la phase initiale de l’apprentissage du SW. Toutefois, certains résultats de notre étude démontrent que le cours de SW permet par exemple de motiver les élèves dans leur démarche d’apprentissage du français. Cela joue considérablement dans l’apprentissage linguistique des élèves Sourds.
Qui plus est, le français pourrait être un moyen pour les élèves d’acquérir des connaissances de leur environnement, ici dans la communauté francophone de l’Ontario. Un tel travail requiert bien sûr une collaboration étroite avec le professeur de français de l’établissement. À ce stade élémentaire, l’enseignant de français pourrait par exemple procéder à une mise en contexte dans d’autres histoires ou contenus des mots appris en SW et en français.
Enfin, nous sommes loin d’avoir épuisé le potentiel du SW, lequel évolue constamment et fait l’objet de recherches, comme en témoigne le rapport du Symposium européen des enseignants de SW (Di Renzo et collab., 2005). Les applications informatiques telles que clavier et logiciels d’écriture nous semblent offrir des pistes intéressantes pour l’enseignement. Nous considérons que le SW constitue une solution viable, permettant d’offrir à chaque élève Sourd, quels que soient son âge, ses difficultés ou ses particularités, une langue dans laquelle il puisse se développer tout en bénéficiant d’un pont vers l’apprentissage de la langue orale dominante dans sa modalité écrite. Ce faisant, le Signwriting contribuerait à réduire les difficultés sociales qu’entraîne l’illettrisme historiquement vécu par cette population.
Appendices
Notes
-
[1]
Selon l’Association des Sourds du Canada, les personnes Sourdes ont une culture unique qui s’exprime, entre autres, par l’emploi d’un S majuscule au mot « Sourd », quelle qu’en soit la fonction grammaticale.
-
[2]
Les classificateurs (CL) sont une classe de verbes en LSQ qui permettent, par exemple, de décrire un objet ou une action.