Éditorial

L’intervention sociale en contextes minoritaires : penser la complexité et la multiplicité des processus de minorisation[Record]

  • Marie Drolet,
  • Stéphanie Garneau and
  • Madeleine Dubois

…more information

  • Marie Drolet
    École de service social, Université d’Ottawa

  • Stéphanie Garneau
    École de service social, Université d’Ottawa

  • Madeleine Dubois
    École de service social, Université d’Ottawa

Ce numéro de Reflets propose une réflexion sur la complexité de la réalité sociale dans le champ de l’intervention en contextes francophones minoritaires, et ce, afin d’y révéler les angles morts et les processus d’invisibilité résultant, pour certaines catégories de population, de postures unilatérales de recherche et d’intervention. Par complexité, il est entendu les situations où des individus vivent au sein d’une minorité francophone tout en ayant d’autres identités minorées, telles de genre, d’ethnicité et de handicap. Quels peuvent être les réalités et les intérêts des immigrants, des femmes ou des personnes ayant un handicap, qui sont minoritaires linguistiquement ET qui vivent dans un milieu qui est aussi minoritaire? La multiplication et la diversification des flux migratoires à destination des sociétés occidentales, adjointes à ce qui est communément désigné comme la mondialisation de l’économie, ont fait accroître les appels à la nécessité d’encourager la communication et les échanges interculturels. Nous assistons à la célébration de la diversité culturelle : les élus municipaux font l’éloge de la coexistence pacifique des multiples communautés ethniques présentes sur leur territoire; les gestionnaires saluent l’enrichissement personnel pour tous qui résulte de la diversité culturelle de leurs entreprises ou services; des cours de communication et d’intervention interculturelle se multiplient dans les programmes d’enseignement supérieur tels qu’en gestion et management, en travail social ou en éducation. Mais paradoxalement, cette promotion de l’ouverture à l’Autre s’accompagne parfois de mouvements de peur, de repli sur soi, voire de rejet total de l’Autre à travers des actes de discrimination et de racisme. Nombre d’intellectuels de formations diverses mettent d’ailleurs en garde contre la promotion, par cette inflation de « l’interculturel », d’une pensée culturaliste, c’est-à-dire d’une pensée présupposant un lien de causalité univoque entre une culture et un comportement. Cette tendance à la culturalisation des rapports sociaux est d’autant plus trompeuse qu’elle oblitère, en sous-entendant un Nous et un Eux, d’autres rapports de minorisation — ceux fondés sur la classe sociale, le genre, l’âge, l’orientation sexuelle, le handicap — pourtant pleinement actifs dans la construction de la réalité sociale. Or, quelles sont les conditions de vie des minorités dans la minorité, par exemple des minorités culturelles vivant en milieu francophone minoritaire canadien? Comment se dessine leur accès au logement, à l’emploi, à l’éducation et aux différents services sociaux et de santé? La multiplicité et la simultanéité des processus de minorisation se doivent de traverser les modes de production des savoirs, à commencer théoriques, afin d’atteindre à une compréhension plus fine des phénomènes sociaux et, ultimement, de dévoiler les rapports de force et d’inégalités qui les forgent. On retrouve en effet dans la littérature de ces dernières années en philosophie, en sciences politiques, en sociologie, en études féministes et en travail social, l’émergence d’un débat autour de la nécessité d’inclure, au milieu des oppositions droits collectifs/droits individuels ou universalisme/communautarisme, une nouvelle catégorie qui serait celle des « minorités au sein des minorités ». C’est à ces minorités dans les minorités francophones, à ces personnes dont la voix est parfois imperceptible en raison d’une pensée dichotomique résistante ou tacite (majoritaire vs minoritaire; francophonies minoritaires vs communautés ethniques; multiculturalisme vs féminisme; modernité vs tradition; regroupement nationalitaire vs pluralisme), que souhaitent participer modestement, et chacune à sa manière, les contributions à ce numéro de Reflets. Malgré leur diversité, tous les articles partagent la même posture épistémologique : celle de plaider pour une pensée de la complexité, de pratiquer des sciences sociales offrant des « visions partielles et partiales » (Juteau-Lee, 1981) de la réalité sociale. Des visions partielles en ce que les auteurs rejettent l’universalisme supposé de la science, son explication unique et …