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Introduction

La plupart des hommes considèrent la paternité comme un événement significatif de leur vie (Devault et collab., 2008; Palkovitz, Copes et Woolfolk, 2001). Selon Lester et Moorsom (1997), les pères sont conscients des effets positifs de leur engagement envers leurs enfants, tant sur ceux-ci que sur eux-mêmes. Ils font néanmoins face à de multiples défis dans leur rôle, notamment en ce qui concerne le développement de leurs habiletés parentales et l’établissement d’un équilibre entre le travail et la vie familiale (Bell, St-Cyr Tribble et Paul, 2004; deMontigny et Lacharité, 2005), des défis pour lesquels de l’aide des professionnels de la santé peut être requise (deMontigny, Lacharité et Amyot, 2006; deMontigny et collab., 2007). De nombreux programmes communautaires visent à offrir du soutien aux habiletés parentales afin de répondre aux besoins développementaux des enfants (Devault, 2000). Toutefois, si l’on compare avec l’offre de services pour les mères, moins de programmes s’adressent spécifiquement aux pères (Devault et Gaudet, 2002; Gaudet et Devault, 2001). Parallèlement, on constate que les pères n’utilisent pas les services de soutien autant que les mères (Bolté et collab., 2002; Dulac, 1997). Le fait que les services soient développés pour rejoindre les mères et qu’ils soient offerts par des femmes peut expliquer l’inconfort des pères à les utiliser et celui des professionnelles à les offrir (Dubeau, 2002). Cependant, la formation est aussi perçue comme un facteur influant sur les habiletés des professionnels de la santé et de l’éducation à interagir auprès des hommes et des pères (Dubeau, 2002). Certains croient que la formation offerte actuellement ne prépare pas suffisamment les professionnels de la santé à travailler avec les pères (Rondeau et collab., 2004). Cet article vise à présenter brièvement les résultats de deux études, l’une portant sur un examen pancanadien des curriculums d’enseignement universitaire en sciences infirmières, l’autre, sur les perceptions des étudiants en sciences infirmières, en « pratique sages-femmes » et en travail social, en ce qui a trait à leurs interactions avec des pères. Il se termine par un aperçu d’un cours interdisciplinaire portant sur la paternité donné dans des universités québécoises.

Recension des écrits

Trois thèmes seront abordés dans la recension des écrits, soit les bénéfices de l’engagement paternel pour la mère, le père et l’enfant; les perceptions des professionnels de la santé des pères qu’ils côtoient ainsi que l’apport de la formation dans la construction de leurs habiletés à interagir avec les pères.

L’engagement paternel

Depuis le milieu des années 70, les intervenants de la santé ont été invités à considérer les pères comme des figures importantes de la vie familiale (Lamb et Lamb, 1976). Au fil des ans, les rôles et attentes envers les pères ont changé radicalement (Shimoni et Baxter, 2001), passant d’une image de père pourvoyeur et disciplinaire à celle d’un père partenaire de l’éducation de l’enfant (Glossop et Theilheimer, 1994). Le rôle de père évoluant en fonction de facteurs sociaux, culturels, économiques et personnels, on peut s’attendre à une étendue de comportements, allant du traditionnel « père pourvoyeur » à ceux de « père androgyne », où l’homme performe dans toutes les tâches associées au rôle de mère (Shimoni et Baxter, 2001). Les bénéfices de l’engagement du père auprès de l’enfant ont été amplement démontrés, et ce, tant pour l’enfant que pour ses parents (Carpentier, 1992; Lamb, 2003). En plus d’être un soutien pour la mère, la soulageant de porter seule les responsabilités de la parentalité, les pères engagés auprès de leurs enfants se sentent plus efficaces et confiants comme parents (DeLuccie, 1996), se disent davantage satisfaits de leur vie (Eggebean et Knoester, 2001; Hawkins et Dollahite, 1997), vivent moins de détresse psychologique (Barnett, Marshall et Pleck, 1992; Ozer et collab., 1998) et rapportent une plus grande satisfaction conjugale (Cowan et Cowan, 1992). Les enfants dont les pères sont activement engagés, pour leur part, présentent moins de problèmes émotifs, comportementaux et sociaux, développent une identité personnelle plus solide et sont plus compétents socialement (Broom, 1998; Snarey, 1993).

Les pères et les professionnels de la santé

Selon certains auteurs, une attention égale devrait être portée par les professionnels de la santé envers les pères et les mères (deMontigny et Lacharité, 2002; Devault et Gaudet, 2003). Dans les faits, on remarque que plusieurs, dont les infirmières et les sages-femmes, centrent leur attention sur l’unité mère-bébé plutôt que sur l’ensemble de la famille (Baker, 2007; deMontigny et Lacharité, 2005; Lacharité et collab., 2005; Ménard, 1999). Ménard (1999) a constaté que des infirmières oeuvrant en périnatalité ne percevaient pas les bénéfices pour les pères d’être engagés avec leurs enfants. Dans une étude réalisée auprès de 160 pères primipares, ceux-ci ont rapporté que les infirmières, en période postnatale, répondaient aux besoins de la mère, à ses préoccupations et questions plus souvent qu’aux leurs (deMontigny, 2002). Dans une autre étude menée auprès de 13 pères primipares, ces derniers ont dit s’être sentis « invisibles », l’attention étant centrée sur la mère et l’enfant (deMontigny et Lacharité, 2004). Une troisième étude auprès de 203 professionnels de la santé, dont 35 (18 %) étaient des infirmières, a révélé que ceux-ci avaient une perception négative des pères d’enfants d’âge préscolaire. Alors que les mères possédaient 20 attributs différents, tous positifs, le seul attribut positif reconnu aux pères était celui d’être « drôles ». Ils préféraient interagir avec les mères, qu’ils considéraient plus intéressées au bien-être de l’enfant (Lacharité et collab., 2005). Tout récemment, Baker (2007) a constaté lors d’entretiens avec 28 sages-femmes que ces professionnelles considèrent les pères comme étant principalement une source de soutien pour les mères. Cette perception teinte leurs interactions avec les pères, lesquelles ne sont pas orientées vers une réponse aux besoins spécifiques à ces derniers. Lester and Moorsom (1997) avaient déjà dénoncé le peu d’attention que les sages-femmes portaient envers les pères, leurs soins étant centrés sur les mères. Pourtant, l’on sait que des interventions s’adressant spécifiquement aux pères augmentent leur sentiment d’efficacité parentale auprès du nouveau-né (deMontigny, Lacharité et Amyot, 2006; deMontigny et Lacharité, 2008). Quand des professionnels de la santé collaborent avec des pères d’enfants de moins de cinq ans, ces pères se disent moins anxieux, se sentent plus compétents et éprouvent un sentiment de contrôle (Lacharité et collab., 2005).

Des recherches portent à croire que des connaissances et habiletés spécifiques sont requises des professionnels de la santé afin de saisir les différences qui existent souvent entre les hommes et les femmes en regard de leurs façons de rechercher et d’accepter l’aide (Bolté et collab., 2002; Devault et Gaudet, 2002; Dulac, 1997). La socialisation masculine prédispose les hommes à valoriser l’indépendance, au détriment de la vulnérabilité. Ils demandent donc de l’aide moins souvent que les femmes et, typiquement, attendent d’être en plus grande détresse pour le faire (Dulac, 2002; Devault et Gaudet, 2002). Cela influe sur la relation subséquente qui se tisse avec l’aidant, particulièrement dans un contexte de santé. En effet, les professionnels de la santé sont majoritairement des femmes pour qui il peut être perturbant d’interagir avec un homme en détresse, exprimant colère ou sentiment d’hostilité. Par ailleurs, les principes de la relation d’aide se sont développés sur un mode qui encourage l’expression des émotions, la verbalisation et l’introspection comme stratégies principales durant une situation de crise. Une recension des meilleures pratiques envers les pères démontre que des stratégies orientées vers l’action satisfont mieux les besoins des hommes. Engager les hommes dans une relation d’aide signifie créer un environnement qui reconnaît leurs forces et soutient leur participation active (Devault et Gaudet, 2008; Bolté et collab., 2002).

Les professionnels de la santé et la formation

Les professionnels de la santé ont régulièrement l’occasion d’interagir avec les pères, de la période prénatale à la petite enfance, ce qui permet de soutenir l’engagement de ces derniers au sein de la famille. Il semble toutefois exister un écart entre les besoins des pères et les pratiques professionnelles s’adressant à eux. Des auteurs stipulent que les croyances des infirmières influent sur la qualité des soins envers les pères (Kaila-Behn et Vehviläinen-Julkunen, 2000; Lester et Moorsom, 1997; Ménard, 1999), selon par exemple qu’elles considèrent le père comme un parent aussi important que la mère. D’autres avancent l’hypothèse que la formation des professionnels de la santé ne cible pas le soutien à l’engagement paternel (Dubeau, 2002; Ménard, 1999).

Deux articles incitent l’inclusion d’un contenu lié à la paternité dans les curriculums d’enseignement. Le premier (Dollahite, Morris et Hawkins, 1997) illustre comment Generative Fathering. Beyond Deficit Perspectives (Hawkins et Dollahite,1997) peut être utilisé dans un contexte d’enseignement universitaire. Des questions et activités pour stimuler la discussion avec un groupe d’étudiants sont suggérées pour chaque thème du livre. Une deuxième publication, celle de Stueve et Waynert (2003), décrit le contenu d’un cours développé par les auteurs et qui traite de la paternité. L’article inclut une évaluation du cours par les étudiants, ainsi que des commentaires pour améliorer cette formation. Selon ces auteurs, les étudiants peuvent apprendre à travers une réflexion sur leurs expériences personnelles (relation avec leur père ou avec leurs propres enfants) et professionnelles (interactions avec les familles en présence des pères). Toujours selon Stueve et Waynert, une façon de modifier les pratiques professionnelles envers les pères porte sur la formation des professionnels ayant à réagir au quotidien avec ces derniers, en étoffant le contenu théorique et pratique de la paternité.

Questions et objectifs

Devant le peu d’écrits portant sur la formation à l’intervention auprès des pères, les auteurs du présent article ont voulu contribuer à élargir la base de connaissances sur le sujet. D’une part, les chercheurs et cliniciens membres du Groupe de soutien à l’engagement paternel dans les institutions d’enseignement (FI-IE) se sont intéressés à la question suivante : quel est l’état de la formation des infirmières portant sur les concepts liés à la paternité? L’objectif visait d’abord à recenser les cours en sciences infirmières portant sur des thématiques liées aux hommes ou aux pères afin d’en comparer l’offre à ceux ayant des thématiques liées aux femmes ou aux mères. Puis, une étude qualitative menée auprès d’étudiants de premier cycle en sciences infirmières, en pratique sages-femmes et en travail social visait à répondre à la question suivante : quelles sont les perceptions des étudiants de premier cycle des pères qu’ils rencontrent lors de leur stage clinique et de la relation qu’ils tissent avec eux? Enfin, les auteurs ont visé l’élaboration d’un cours interdisciplinaire portant sur les enjeux de la paternité. Ces deux études ainsi que la structure du cours sont présentées brièvement.

État de la formation en sciences infirmières dans les institutions postsecondaires au Canada

Une étude descriptive, réalisée auprès de 68 des 81 écoles et universités canadiennes membres de l’ACESI[1], s’est déroulée de 2002 à 2003, documentant 3 336 cours en sciences infirmières, soit 91 % des cours en soins infirmiers offerts au Canada (FI-IE, 2003). Ces cours sont habituellement de trois crédits et d’une durée de 45 heures. La collecte de données s’est effectuée par une recherche des sites Internet des universités, des moteurs de recherche, un examen des cours, de leur description et des plans de cours. Lorsque les documents n’étaient pas accessibles sur Internet, une lettre type était envoyée aux responsables de programmes afin de compléter l’information manquante. Une analyse de contenu de l’information ainsi obtenue à l’aide de mots-clés prédéterminés a permis de classer les cours en trois catégories : 1) Thèmes liés aux hommes, avec les sous-catégories « thèmes liés aux pères » (ex. père, paternité, paternage) et « thèmes liés aux hommes » (ex. : masculinité, masculinisme, homme); 2) Thèmes liés aux femmes, comprenant les sous-catégories « thèmes liés aux mères » (ex. : mère, maternité, grossesse, accouchement) et « thèmes liés aux femmes » (ex. : femme, féminisme, féminité); 3) Thèmes liés aux deux sexes, avec les sous-catégories « genre » (ex. : relations homme-femme, genre, rôle selon les genres, relations selon les genres, femme et homme, rôle masculin et féminin) et « parentalité » (ex : mère et père, parentage, relation père-mère; maternité et paternité, rôle paternel et maternel, mère et famille, couple, etc.). En plus de classer les cours selon les catégories et sous catégories identifiées, et de comparer les données sur les pères et les mères, des analyses de fréquences pour déterminer le nombre de cours de chaque catégorie et sous-catégorie par province et au Canada ont été effectuées avec l’aide du progiciel SPSS 12.5.

Résultats

L’analyse des données révèle que dans les curriculums d’enseignement en sciences infirmières pour l’ensemble du Canada, seuls deux cours portent spécifiquement sur les pères et dix cours portent sur les hommes. Ces cours se retrouvent dans les institutions québécoises, ontariennes et néo-écossaises, ces thèmes étant absents du curriculum en soins infirmiers des autres provinces. Ces 12 cours représentent 0,4 % des cours examinés dans cette étude. Pour leur part, les cours portant sur les mères et les femmes se retrouvent plus fréquemment dans les provinces de l’Ontario, du Québec, de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, bien qu’on en retrouve dans toutes les provinces, sauf en Saskatchewan. Au total, 140 cours portent soit sur les mères (n=29 cours), sur la maternité (n=37), et sur les femmes (n=74), représentant 4 % de tous les cours examinés. Notons que les cours sur la maternité classés dans cette catégorie n’incluaient aucune mention d’un thème lié aux hommes ou aux pères, bien que comportant souvent des thèmes liés à la naissance de l’enfant.

Lorsqu’on analyse les cours qui touchent un « thème lié aux deux sexes », encore une fois, on note que ces cours se retrouvent à 95 % dans trois provinces, soit l’Ontario, le Québec et l’Alberta. Ainsi, 23 cours portent sur le genre et 18 sur la parentalité, ce qui représente 1,2 % des cours examinés dans cette étude. En résumé, les étudiants ontariens et québécois ont le choix de 144 cours portant sur les thèmes de genre, maternité ou paternité, alors que les autres provinces ne disposent ensemble que de 47 cours.

Cette étude constitue un premier catalogage des cours en sciences infirmières au Canada en ce qui a trait aux thématiques de la paternité et de la maternité. Elle permet de prendre connaissance d’une disproportion importante entre les activités de formation portant sur les femmes et les mères, et celles portant sur les pères, ainsi qu’une offre de cours inégale selon les provinces. Les données ayant été recueillies à travers la recherche documentaire des descriptions de cours et plans de cours informatisés, il se peut que le contenu actuellement enseigné en salle de classe soit différent de ce qui est inscrit dans la documentation. Pour certains établissements, l’information était difficilement accessible, treize établissements ayant ainsi été exclus de l’étude, ce qui constitue une limite. Toutefois, l’information est suffisante pour indiquer que les étudiants en sciences infirmières poursuivant leurs études dans des écoles et universités canadiennes sont peu ou pas exposés à des thématiques liées au genre, et encore moins à la paternité. Ayant peu d’opportunités pour apprivoiser ce contenu, il se peut que cela ait des retombées sur leurs apprentissages et leurs pratiques professionnelles, ce qui fut examiné dans l’étude citée ci-après.

Perceptions des étudiants de leurs interactions avec des pères durant leur formation

Une étude qualitative de type descriptif s’est déroulée dans deux universités du Québec (université A et B) offrant des programmes en sciences infirmières et en travail social (A) ainsi qu’en pratique sages-femmes (B), de 2005 à 2007. Un échantillon de convenance a été formé avec trente étudiants, soit 17 étudiants en sciences infirmières, neuf étudiants en pratique sages-femmes et quatre étudiants en travail social. Tous les étudiants avaient terminé la deuxième année de leur programme d’étude et avaient réussi au moins un stage clinique impliquant des interactions avec des pères. Les trois quarts des étudiants avaient moins de trente ans et la majorité était des femmes. Lors d’une entrevue semi-dirigée d’une heure, les étudiants étaient invités à décrire les pères qu’ils rencontraient, leurs perceptions des attentes et des besoins de ces derniers, ainsi que le rôle joué auprès d’eux. Un événement marquant survenu avec un père lors d’un stage clinique était exploré. L’analyse thématique des données a permis d’identifier trois catégories, soit : a) les perceptions des étudiants par rapport aux pères; b) leurs perceptions de leur relation avec les pères; c) leurs réflexions sur leur formation.

Résultats

Leurs perceptions des pères

Généralement, les étudiants décrivent les pères en termes positifs, bien que les étudiants en travail social soient les plus critiques envers le niveau d’engagement de ceux qu’ils côtoient. Ils ont plus tendance à dénoter l’absence des pères. Les étudiants en sciences infirmières trouvent les pères multipares plus impliqués et confiants que les pères primipares, alors que les étudiants en pratiques sages-femmes trouvent les pères primipares plus présents de la période prénatale à la période postnatale. Certains ne voient pas de différence entre les pères et les mères, ce qui les amène à interagir avec les deux parents de la même manière, tel que le rapporte cette répondante : « J’ai cette feuille d’enseignement et je passe au travers, avec les deux parents, pour voir si tout est maitrisé. Tout ce que je dois faire avec la mère, idéalement, je le fais avec le père ».

D’autres sont plus sensibles aux différents besoins des hommes, comme obtenir de l’information ou avoir du contrôle sur les événements. Bien que la plupart reconnaissent l’importance de soutenir l’engagement des hommes, peu nomment des bénéfices pour le père d’être engagé. L’engagement est vu comme un moyen de soutenir la mère, d’alléger son fardeau et parfois, de favoriser le développement de l’enfant. Lors de l’entretien avec le couple en période prénatale, un étudiant en pratique sage-femmes confie qu’il s’informe auprès du père des moyens que celui-ci prendra pour aider sa conjointe : « Les pères sont un soutien pour les mères. Je lui demande, que peux-tu faire comme père pour que la mère ait un beau postpartum ».

Leurs perceptions de leur relation avec les pères

Établir une relation avec les pères pose un défi pour la majorité des étudiants, et ce, quel que soit leur sexe. La plupart soulignent leurs difficultés à répondre aux attentes des pères par manque de connaissances ou de compétences. Tous les étudiants en travail social, et plusieurs dans les autres disciplines, expriment leurs difficultés à interagir avec les pères sur le plan émotif, lors de moments plus critiques, tel un signalement à la protection de l’enfance, un décès, l’annonce d’une maladie, une naissance prématurée ou une césarienne. De même, certaines clientèles posent des défis, notamment les pères séparés, les pères immigrants et les pères négligents. Lors de leurs interactions avec les pères, les étudiants se fondent sur leurs perceptions des besoins des pères et consacrent peu de temps à explorer les besoins réels de ces derniers. Souvent, ils transposent les besoins des mères sur les hommes : « Nous n’avions pas le temps d’explorer les besoins des pères ». C’est ainsi que leurs interventions sont calquées sur celles qu’ils jugent appropriées auprès des mères, c’est-à-dire l’enseignement, le soutien ainsi que le fait de les rassurer, de normaliser ce qu’ils vivent et de consolider leurs forces. Quelques répondants décrivent des interventions spécifiques aux hommes, à savoir celles visant à construire une relation, à les reconnaître comme pères, à s’adapter à leur culture en leur demandant ce qu’ils veulent, à fragmenter les apprentissages en tâches simples et à jouer un rôle de modèle. Les étudiants sages-femmes créent des espaces où les pères peuvent contrôler leur expérience : « Plutôt que de lui donner des outils, je l’aide à trouver les siens. Je l’aide en reflétant le problème, trouver ses propres réponses, faire ses propres choix. »

Leurs réflexions sur leur formation

Tous les groupes d’étudiants relatent comment leur formation universitaire cible l’unité mère-enfant et n’aborde que théoriquement l’importance du rôle des pères dans la famille. « On parle des pères, mais pas des moyens pour entrer en contact avec eux ». Certains ont côtoyé des enseignants qui valorisaient la place des pères; ils reconnaissent être mieux préparés que leurs collègues qui, généralement, ne se sentent pas outillés pour interagir avec des hommes. La présence de modèles dans les milieux cliniques est citée comme un facteur facilitant pour résoudre des situations critiques avec des pères. Les étudiants identifient trois besoins en termes de formation : d’une part, un plus grand nombre d’heures sur les connaissances théoriques portant sur la spécificité des hommes et des pères; ensuite, des occasions de pratiquer leurs habiletés d’interactions avec les hommes; et finalement, l’accès à un plus grand nombre de modèles dans les milieux cliniques et d’enseignement.

Les résultats de cette étude doivent être mis en contexte : les étudiants étant par définition en situation d’apprentissage, leur inexpérience peut influer sur leurs réponses. L’établissement de la relation avec les pères semble poser plus de défis qu’avec les mères. Il aurait été intéressant toutefois d’explorer ces différences.

Cette étude menée auprès d’étudiants provenant de différents champs disciplinaires et de deux universités différentes révèle des similitudes dans leurs perceptions et leurs expériences auprès des pères. Les étudiants semblent peu reconnaître les besoins spécifiques du père et les avantages pour lui d’être engagé auprès de son enfant. Ils semblent peu outillés pour répondre à ces besoins. Ces résultats amènent les enseignants à réfléchir sur le contenu et la prestation des cours portant sur les familles. En effet, comment les pères sont-ils décrits au sein de ces familles? Comment les étudiants sont-ils incités à leur faire une place? Ces deux questions semblent des défis dignes d’intérêt pour les enseignants universitaires. La dernière partie de cet article propose une structure de cours interdisciplinaire portant sur la paternité. Développé par un groupe d’experts québécois, ce cours est donné depuis 2007 au sein de programmes de deuxième cycle en sciences infirmières, en travail social, en psychoéducation et en éducation, ainsi que dans un programme de troisième cycle en psychologie dans deux universités québécoises.

Structure d’un cours interdisciplinaire portant sur les enjeux de la paternité

En 2005, un groupe de chercheurs a relevé le défi d’élaborer un cours médiatisé portant sur la paternité. Ce cours se décline en sept modules, chacun comportant des objectifs spécifiques, des lectures et des activités d’apprentissage. Un exemple d’activité d’apprentissage consiste à inciter les étudiants à interagir avec des pères et à analyser leurs interactions à la lumière des concepts développés dans le cours. Le premier module introduit les postulats de base du cours : a) la perspective générative : la paternité est ici considérée comme fournissant un apport positif au développement de l’enfant et à la famille; b) la perspective écologique : la paternité est influencée par de multiples facteurs (personnels, familiaux, sociaux, culturels et économiques) qui agissent en interaction les uns avec les autres; c) les perspectives d’intervention : les connaissances accumulées sur l’engagement paternel devant se traduire par des pistes d’intervention de soutien à l’égard des pères en fonction de leurs besoins et habiletés (Devault, 2007a). Le deuxième module illustre les transformations de la paternité au cours de l’histoire afin de comprendre que la paternité, tout comme la maternité, est un construit social et non une réalité immuable ou purement biologique. Au fil de l’Histoire et selon les différentes sociétés à l’intérieur desquelles elle s’est inscrite, elle a pris différentes formes et rempli diverses fonctions. La fresque sociohistorique qui est présentée est vaste, allant des sociétés primitives au XXIe siècle, en passant par l’Antiquité. Mais elle s’attarde surtout aux changements qui ont accompagné les passages de la « paternité traditionnelle » à la « paternité moderne », puis de la « paternité moderne » à la « paternité contemporaine » (Quéniart, 2007).

Le module trois s’interroge et alimente la réflexion sur les rôles parentaux : le père et la mère. Ainsi, s’agit-il davantage de deux entités similaires, relativement interchangeables ou, au contraire, de deux entités distinctes qui contribueraient à des apports différents quant au développement de l’enfant? Ce questionnement est pertinent puisque la façon de conceptualiser les rôles parentaux influencera inévitablement les comportements adoptés à l’égard de chacun des parents. Pour certains professionnels, elle guidera également les programmes d’intervention qu’ils auront à élaborer pour les parents (Dubeau, 2007). Le quatrième module examine les effets de l’engagement paternel sur le développement de l’enfant. Considérer qu’il existe un lien entre l’engagement paternel et le développement de l’enfant exige que l’on pose trois questions distinctes : 1) Qu’est-ce que l’engagement paternel et qu’est-ce qu’un père engagé?; 2) Quels sont les effets de cet engagement sur l’enfant?; 3) Quels mécanismes psychosociaux permettent d’expliquer ces effets? (Lacharité, 2007a). Le module cinq explore les transitions qui affectent les pères, des moments de la vie qui sont importants dans leur développement comme adultes, soit les transitions au rôle de père, au rôle de parent d’un enfant malade, d’un enfant décédé ou encore la transition à la monoparentalité (deMontigny et Devault, 2007). Dans le module six, les réalités plurielles qui affectent l’engagement paternel sont envisagées, soit la situation des jeunes pères, l’effet de l’origine ethnique et culturelle sur l’expérience de la paternité, la conciliation famille-travail et le contexte socioéconomique (Devault, 2007b). Le fait de simultanément tenir compte de ces dimensions individuelles et contextuelles influence la pratique auprès des pères et la rend mieux adaptée à leurs réalités et besoins. Finalement, intervenir auprès des pères, voilà tout un défi auquel l’étudiant est invité à réfléchir dans le module sept. Y sont étudiés les contextes d’intervention auprès des pères, notamment à partir d’une perspective écologique du développement humain, ainsi que les spécificités liées aux modes de socialisation des hommes (Lacharité, 2007b). Les concepteurs du cours croient fermement que son contenu vient combler un vide et que les apprentissages réalisés dans le cadre de ce cours ont le potentiel d’influer sur la pratique des futurs intervenants.

Retombées pour la pratique clinique, la formation et la recherche

Ces différentes études soulignent les avenues potentielles de développement pour la pratique clinique envers les pères, l’enseignement et la recherche. Sur le plan de la pratique clinique, les cliniciens doivent s’ajuster aux besoins réels des pères. Trop souvent, le rôle du père dans la famille est examiné sous l’angle du soutien que ce dernier apporte à la mère, et non comme une expérience personnelle spécifique. De même, les pères sont considérés dans le contexte de la naissance d’un enfant, et on omet d’envisager que la paternité est une expérience qui s’inscrit dans la vie de l’homme au fil du temps. Cliniciens et enseignants sont interpellés à répondre aux similitudes et aux différences intrinsèques entre les hommes et les femmes, de façon à former une relève qui adhère non seulement aux principes de soutien à l’engagement paternel, mais surtout, pose des gestes en ce sens au quotidien. Ces résultats invitent à une analyse des curriculums de formation disciplinaire de sorte à créer un espace permettant d’aborder concrètement les enjeux liés à la paternité. Sur le plan de la recherche, ces études doivent être répliquées afin de poursuivre le catalogage des cours portant sur la paternité, de développer des curriculums d’enseignement et de peaufiner la réponse des formateurs aux besoins des étudiants. Il importe de mieux connaître les représentations des professionnels de la santé des pères qu’ils côtoient, mais aussi, de cibler des moyens pour créer un rapprochement entre les pères et ces professionnels, en invitant par exemple les pères à parler de leur expérience à des groupes de cliniciens.

Conclusion

Cet article visait à présenter trois angles d’une réflexion sur l’enseignement de la paternité dans les universités canadiennes. Une première recherche documentaire a mis en évidence que pour étoffer leur formation les étudiants en sciences infirmières disposent de dix fois plus de cours portant sur la maternité et les femmes que de cours portant sur la paternité et les hommes; alors que leur clientèle sera fort probablement constituée de presque autant d’hommes que de femmes. Une deuxième étude révèle les lacunes de la formation universitaire en sciences infirmières, en pratique sages-femmes et en travail social, telles que perçues par un échantillon d’étudiants. Le manque de formation spécifique portant sur les hommes et les pères, le peu d’occasions de pratiquer concrètement leurs habiletés d’interactions avec les hommes et l’absence de modèles de rôles sont ici soulignés. Finalement, une structure de cours interdisciplinaire portant sur les enjeux de la paternité est proposée. Les auteurs invitent cliniciens, chercheurs et enseignants à réfléchir afin de proposer des activités qui préparent les professionnels de la santé à comprendre la réalité des hommes et des pères et à satisfaire les besoins spécifiques à ces derniers.