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La spiritualité a-t-elle sa place dans l’intervention? Quels sont les bienfaits et les défis qui y sont associés? Comment la spiritualité peut-elle soutenir le cheminement thérapeutique? Voilà quelques-unes des questions abordées dans ce texte, fruit d’une réflexion personnelle sur le sujet.

Dans notre société de surconsommation, si on utilise comme mesure la pratique religieuse, on pourrait croire que la dimension spirituelle a été largement évacuée. Chez les Franco-Ontariens élevés dans la foi catholique, nombreux ceux qui, pour diverses raisons, ont quitté l’Église, entre autres, par indifférence, par protestation contre le pouvoir hiérarchique masculin ou à cause d’abus perpétrés par le clergé. Cependant, plusieurs croyants non pratiquants ont conservé un attachement pour l’Église lorsque vient le temps de marquer des moments forts de leur vie, comme une naissance, un mariage ou un décès.

La plupart d’entre nous cherchent des balises pour guider nos choix de vie, trouver l’espoir dans les moments sombres et résoudre les questions morales auxquelles nous devons faire face. Pour certaines personnes, c’est la foi en Dieu ou en un Être suprême qui agit comme un phare dans leur vie et qui les aide à traverser de terribles épreuves. Si la religion peut fournir certaines réponses sur le sens à donner à notre vie, c’est à l’extérieur des structures des religions établies que de plus en plus de gens poursuivent leur recherche spirituelle. Car religion et spiritualité ne sont pas synonymes et la spiritualité moderne comporte bien des visages. Par exemple, la quête du sacré peut prendre la forme d’une communion avec la nature d’où l’on puise la force.

Avec le phénomène grandissant de l’immigration, les intervenantes et intervenants sont appelés à transiger avec des réalités nouvelles, telle la diversité religieuse et spirituelle. Il devient essentiel d’en savoir davantage sur des religions comme l’islam, le judaïsme, le bouddhisme, ou même sur certains préceptes du christianisme, afin de mieux comprendre et d’intervenir auprès de clients qui ont, au coeur de leur vie, croyances et pratique religieuses. La même recherche devra s’appliquer à l’athéisme et à l’agnosticisme ainsi qu’aux formes multiples de spiritualité nouvelle. Toutes les traditions religieuses comportent des éléments de sagesse qui sont à découvrir. Un des défis soulevés par la diversité religieuse et spirituelle est le respect des croyances de l’autre, surtout lorsqu’on estime que certains éléments de ces croyances empêchent la personne de s’épanouir.

Apprendre pour mieux comprendre sera un grand atout pour quiconque est appelé à intervenir auprès de personnes en phase terminale. D’ailleurs, c’est souvent devant la mort que la question de la foi peut se poser avec acuité. Devant la déchéance du corps physique, il est naturel de se demander si la vie se poursuit après la mort. Le respect absolu doit primer : autant faut-il éviter d’imposer ses propres croyances à la personne mourante, autant est-il nécessaire d’être à l’écoute de ses besoins et de l’accompagner dans la dignité.

Au cours des prochaines années, le domaine de l’intervention sera confronté à un phénomène semblable à celui que l’on observe actuellement dans la médecine traditionnelle qui s’emploie à traiter les symptômes d’un « bobo », souvent avec un arsenal de médicaments et de technologies aux effets secondaires parfois inquiétants, sans pour autant aller à la racine du mal. Or, de plus en plus de gens sont insatisfaits des résultats obtenus par l’entremise de la médecine traditionnelle et choisissent d’explorer les médecines douces.

Dans la même veine, des personnes ayant vécu des traumatismes profonds sont à la recherche de nouvelles formes de thérapie. C’est ainsi, observe-t-on, qu’un nombre croissant d’intervenantes et d’intervenants utilisent de nouvelles approches intégrant un volet spirituel, après avoir constaté les limites ou même l’échec des méthodes qui leur ont été enseignées ou qui leur sont prescrites pour appuyer leurs clientes et clients dans leur cheminement thérapeutique.

Même si les nouvelles approches comportant une dimension spirituelle peuvent s’avérer efficaces et populaires auprès de la clientèle, leur application n’est pas toujours pleinement acceptée au sein d’organisations qui valorisent l’uniformité et le conformisme sur le plan de la pratique. Lorsqu’elles ne sont pas comprises ou sanctionnées, ces nouvelles pratiques d’intervention sont parfois appliquées de façon clandestine. Lorsque l’expérimentation est tolérée, il arrive que les détracteurs réalisent que les nouvelles méthodes fonctionnent et méritent d’être appliquées sur une plus grande échelle.

En vérité, on assiste à un questionnement et à une transformation graduelle des pratiques établies et à une exploration consciente de nouvelles façons d’accompagner des personnes aux prises avec la souffrance. L’exemple du secteur de la violence faite aux femmes servira à illustrer le processus de mutation des pratiques. D’ailleurs, les femmes sont généralement plus ouvertes que les hommes à la dimension spirituelle de l’être. Cela explique, en partie, le fait qu’on retrouve plusieurs exemples d’expérimentation dans les interventions auprès des femmes et des enfants ayant vécu de la violence.

L’agression à caractère sexuel, qui est un acte de pouvoir et de dominance commis envers une personne sans son consentement, peut englober l’agression vécue durant l’enfance, de même que l’agression par un étranger ou dans une relation de couple. Pour plusieurs survivantes d’agression à caractère sexuel, il n’est pas suffisant de « parler » du traumatisme vécu pour atteindre la paix de l’âme. Blanche Landry, psychothérapeute et auteure de Le secret de Blanche, aborde les limites de la psychothérapie traditionnelle et l’importance de développer l’aspect spirituel dans un processus de guérison. Elle-même victime d’abus sexuel, y compris l’inceste, elle est passée de victime à survivante, puis de vivante à aidante.

Blanche Landry préconise des psychothérapies globales où une personne — quel que soit le type de traumatisme vécu — peut travailler non seulement avec sa tête, mais aussi avec l’ensemble des quatre types d’intelligence qui se trouvent dans toute personne : rationnelle, corporelle, émotionnelle et spirituelle. En matière d’intelligence spirituelle, la méditation, la contemplation ou l’intériorisation facilitent l’accès à l’âme et à l’essence divine, ainsi qu’à toutes les forces nécessaires pour suivre un cheminement menant à la sérénité. Blanche Landry soutient que cette approche psycho-corporelle-spirituelle permet aux personnes profondément traumatisées de se connecter à chacune de ces quatre intelligences pour enfin intégrer leur vrai moi, transcender les blessures et, finalement, ÊTRE.

Selon Victoria Monkman, auteure de Le chemin du retour et pionnière sur le plan des services en français en Ontario pour les femmes ayant vécu de la violence, les attitudes envers les femmes dans la société franco-ontarienne ont été profondément influencées par les croyances enseignées par l’Église, en ce qui a trait à leur place au sein de l’institution ou à la soumission prônée. Les victimes et survivantes d’agression à caractère sexuel doivent donc consciemment se réapproprier leur spiritualité et trouver le courage d’explorer de nouvelles formes si elles ne sont plus à l’aise dans la religion de leur enfance.

De son côté, Judy Leclair, qui intervient dans l’Est ontarien depuis une douzaine d’années auprès de personnes victimes d’abus sexuel pendant l’enfance, a expérimenté la thérapie Morita, issue de la psychologie japonaise. Cette philosophie a des racines dans le bouddhisme zen. Répandue en Occident par l’Américain David Reynolds qui l’a surnommée « Constructive Living » et diffusée notamment par le Todo Institute, cette approche permet aux gens d’accepter leurs émotions sans les changer et d’être en contact avec la réalité externe, afin de se libérer de la souffrance qui découle d’une trop grande concentration sur leurs propres difficultés.

La thérapie Morita est utilisée pour une vaste gamme de problèmes, tels que les troubles alimentaires, les troubles de la personnalité, les conditions médicales chroniques et la dépression. Elle est basée sur l’action : au lieu de sombrer dans un marasme causé par des émotions envahissantes, la personne est amenée à agir et à accepter la réalité telle qu’elle est, quand il est impossible de la changer. Une approche complémentaire appelée Naikan offre des outils permettant de cultiver la gratitude dans sa vie et de recadrer ainsi les expériences pénibles vécues.

Au début de sa carrière comme thérapeute, Judy Leclair croyait qu’il était nécessaire que ses clientes parlent en détail de la violence vécue et expriment les émotions provoquées par ce traumatisme. Elle a découvert que plusieurs clientes étaient effectivement trop en contact avec leurs émotions et pas assez branchées à leur corps physique et à d’autres éléments de leur passé et du présent. Elle a constaté le danger de plonger les clientes dans une crise lorsque l’attention demeure rivée sur la description en long et en large de la souffrance et des pertes. C’est ainsi qu’elle a modifié sa pratique en amenant ses clientes à accepter qu’elles ne soient pas responsables des émotions et des pensées qui surgissent et qu’elles n’aient de contrôle que sur leur propre comportement et sur leurs réactions à leurs pensées et émotions. Les souvenirs et émotions associées au passé peuvent encore faire surface, mais pour la cliente, l’accent mis sur son comportement dans le temps présent fait d’elle une participante active de sa vie et non plus une victime des circonstances du passé.

Comme complément aux thérapies traditionnelles, certaines intervenantes auprès de femmes victimes d’agressions à caractère sexuel proposent à ces dernières des approches les mettant en contact avec leur corps qui peut alors devenir un moyen d’accéder à l’âme et de faciliter la guérison. La victime peut s’être dissociée de son corps pour ne pas ressentir la douleur associée à une violation de son être. La mémoire peut avoir bloqué le traumatisme vécu, mais le corps et l’inconscient ont enregistré ce qui s’est passé et les « mémoires du corps » peuvent fournir des indices. La science reconnaît de plus en plus que le corps exprime les émotions non assumées, au point de somatiser et de développer des « mal-aises » et des maladies lorsque les émotions ne trouvent pas un exutoire.

Pour révéler et favoriser l’écoute des secrets du corps et du coeur, des exercices de mouvement, la thérapie par la danse ou la danse créative créent un espace sacré permettant d’entrer en contact avec des aspects refoulés de la psyché et accélérer la guérison spirituelle. La musique peut aussi être utilisée à des fins thérapeutiques.

Pour sa part, le yoga, qui est pratiqué depuis 6 000 ans en Inde, facilite l’union du corps, de l’esprit et de l’âme. Les postures de yoga et les techniques de respiration favorisent la relaxation et le relâchement de tensions profondes. La méditation est une approche efficace pour calmer le mental et faire le vide en soi afin de pouvoir refaire le plein. Le yoga et la méditation sont des portes d’entrée éprouvées pour accéder à des niveaux de conscience plus élevés.

Les blessures invisibles de l’âme peuvent aussi être traitées par les rêves. Ce langage personnel de l’inconscient, ce trésor de vérités — une fois écouté et compris — ouvre toute grande la porte de la guérison et du développement spirituel. Dans la même veine, la thérapie par l’art travaille avec des énergies subtiles et facilite, autrement que par des mots, l’expression de la souffrance enfouie et de la guérison émergente.

Parmi les approches dites énergétiques, le Reiki est une technique d’imposition des mains dont l’origine se trouve dans le bouddhisme tibétain et qui permet d’acquérir et d’utiliser des énergies dans un but d’autoguérison. « Reiki » est un mot japonais qui signifie « Énergie universelle de vie », c’est-à-dire la force divine qui soutient toute vie. Il s’agit d’une méthode de guérison du corps qui agit sur tous les plans : physique, psychique, émotionnel et spirituel. Il n’est pas nécessaire d’avoir un don ou de savoir préalable pour devenir un canal de l’énergie vitale. L’énergie canalisée coule partout où elle s’avère nécessaire à l’organisme. À la suite d’une initiation par un maître Reiki, on peut acquérir, selon les divers degrés d’initiation, la capacité de se traiter soi-même ou de soigner les gens de son entourage. La technique permet de traiter le corps physique ainsi que le mental, et de soigner à distance. Elle agit aussi sur les animaux, les plantes de même que sur les situations.

Des professionnels de la santé formés au Reiki et oeuvrant en milieu hospitalier aux États-Unis ont observé que cette approche était particulièrement utile pour divers troubles, y compris pour traiter les dépendances de toutes sortes, le syndrome de fatigue chronique, le stress ou les maladies associées au stress et la douleur, notamment auprès des malades en phase terminale. Bref, le Reiki peut servir d’adjuvant à d’autres approches pour soutenir la guérison. L’intervenante ou l’intervenant peut ainsi amplifier la portée de son intervention en devenant un canal pour l’énergie guérissante. Comme il est facile et rapide de devenir praticienne ou praticien et que ses bienfaits ont été documentés, un cours de base de Reiki devrait faire partie de toute formation en service social ou en relations humaines.

Issu de la tradition autochtone, le chamanisme est pratiqué par les êtres humains depuis 30 000 ans. Il s’agit d’une autre approche qui peut être utilisée pour accompagner des survivantes d’agression à caractère sexuel dans un processus de guérison. Avec la renaissance du chamanisme dans le monde occidental, les scientifiques s’y intéressent de plus en plus. Des thérapeutes adoptent des pratiques chamaniques comme complément à leur travail de psychothérapie. Méthode de guérison spirituelle, le chamanisme ne remplace ni la médecine moderne, ni la psychothérapie. Il n’est pas une religion. Traditionnellement, le chaman issu des peuples autochtones agissait en tant que guérisseur et guide spirituel. Le chamanisme vit en nous tous et nous assistons présentement à des applications contemporaines de ce savoir ancestral de guérison. Les états de conscience modifiés permettent de trouver des solutions à des problèmes et de soigner. Par des méthodes de méditation ou de transe connues sous le nom de « voyage chamanique », il est possible de contacter des énergies invisibles et de tirer de cette expérience des enseignements utiles dans notre réalité quotidienne.

La psychologue américaine Sandra Ingerman a fait connaître la méthode ancestrale de recouvrement d’âme. Dans les traditions anciennes, on croit que si le corps souffre, c’est l’âme qui a besoin d’aide. On considère que lors d’événements traumatisants comme un choc majeur ou un abus sexuel, une partie de l’âme se perd, ce qui fait que la personne se sent incomplète, coupée de la vie, en dépression ou chroniquement malade. Souvent, la personne perd même le souvenir de telles expériences.

Depuis des millénaires, les chamans aident les êtres humains à retrouver et à ramener ces fragments d’âme. Après avoir entrepris un voyage dans un monde parallèle pour y rechercher l’essence de cette énergie perdue, le chaman la rend à la personne qui pourra faire un travail d’intégration et se la réapproprier. Un recouvrement d’âme peut parfois guérir un mal-être que l’on a traité en psychothérapie sans succès durant des années. Le chaman peut aussi aider les personnes mourantes à traverser le seuil de la mort et accompagner les âmes de personnes décédées qui ne trouvent pas leur chemin vers l’autre dimension. Le counselling chamanique ouvre une voie intéressante pour apporter un certain apaisement des blessures invisibles de l’âme.

Certaines mises en garde s’imposent lors de l’utilisation d’un volet spirituel dans une intervention. Étant donné qu’une personne qui a vécu un traumatisme peut être dans un état de vulnérabilité et afin de prévenir qu’elle ne soit revictimisée par un charlatan, il est essentiel qu’elle puisse faire un choix éclairé dans sa quête de méthodes alternatives dans un processus de guérison. L’intervention ne doit pas être nuisible. Comme c’est le cas dans d’autres domaines, des individus peuvent se présenter comme des spécialistes d’une approche, sans posséder le savoir et l’expertise nécessaires pour garantir un accompagnement thérapeutique de qualité. De plus, l’approche proposée peut ne pas convenir à la situation.

En conclusion de ce bref tour d’horizon sur la question, la spiritualité a sa place dans l’intervention, dans la mesure où :

  • cela répond aux besoins et aux désirs des clientes et des clients;

  • toute composante spirituelle peut être complémentaire à d’autres formes d’intervention et est introduite à un moment propice qui respecte les étapes suivies par une personne qui a entrepris une démarche;

  • l’intervenante ou l’intervenant fait preuve d’une intégrité irréprochable et possède les connaissances et l’expertise en la matière;

  • l’intervention aide la personne à reprendre son pouvoir sur sa vie (par ex. si une victime d’abus sexuel invoque une puissance supérieure, elle ne doit pas transférer à un pouvoir suprême le pouvoir que l’agresseur lui a enlevé et sombrer dans l’inaction en attendant d’avoir des réponses);

  • les organismes acceptent de débattre de la question, sont ouverts à une certaine forme d’expérimentation et acceptent de former leur personnel pour multiplier les connaissances sur des méthodes d’intervention alternatives qui sont appropriées à la clientèle desservie.

D’aucuns ont prédit une explosion vertigineuse des cas de santé mentale au XXIe siècle. Bien que plusieurs facteurs tels l’hérédité et l’environnement puissent influencer le développement de maladies mentales, celles-ci sont fondamentalement des maladies de l’âme. De ses profondeurs, l’âme tente d’exprimer un déséquilibre qui se vit à l’intérieur de l’être.

Le vide existentiel — si courant dans nos sociétés modernes et accentué par un style de vie et des valeurs matérialistes — peut provoquer chez les individus une crise psychospirituelle qui n’est malheureusement pas toujours reconnue et traitée en tant que telle. Devant les limites de la psychothérapie traditionnelle et compte tenu des traumatismes de toutes sortes qui requièrent une intervention, il deviendra primordial de s’ouvrir à des approches alternatives pour soulager et libérer de leurs souffrances les personnes blessées par la vie.