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Fruit de la réflexion d’un groupe de chercheurs, ces deux livres cherchent à circonscrire la zone d’interface entre l’économie sociale et le bien-être. C’est dans la mesure où cette interface crée une brèche dans les modes de régulation antérieurs que les auteurs s’y intéressent et examinent les diverses pratiques s’y rapportant dans le domaine de la santé et du bien-être. Dans le contexte actuel de crise de l’État-providence, selon les auteurs, on assiste actuellement à une reconfiguration de l’offre de services en matière de santé et de bien-être entre quatre secteurs de régulation, soit le marché, l’État, le tiers secteur ou secteur d’économie sociale et enfin, un secteur informel prenant appui sur l’univers domestique (liens familiaux et aidants naturels). Conscients que les entreprises d’économie sociale peuvent servir de soupape de sûreté à la crise financière de l’État en suppléant des services dont l’État veut se départir et avoir un impact sur le marché du travail et la crise de l’emploi (travail à moindre coût), les chercheurs pensent néanmoins que la remise à jour de l’importance de l’économie sociale fait contrepoids aux théories dominantes. En effet, selon eux, trop d’économistes voudraient soumettre les domaines politiques, culturels, sociaux et de la santé aux seuls impératifs de la main invisible du marché qui harmoniserait la demande (les besoins) et l’offre (les services et les biens). En contrepartie, «l’économie sociale se positionne comme une résultante organisée de l’action de certains mouvements sociaux (notamment le mouvement des femmes et le mouvement communautaire) qui tente d’élaborer des réponses concrètes et novatrices aux problèmes de santé et de bien-être des populations» (Jetté et al. 2000: 44).
Mais qu’entend-t-on au juste par économie sociale dans le domaine de la santé et du bien-être? Essentiellement, cette appellation recouvre trois grandes catégories d’initiatives, d’organismes ou d’entreprises, soit, 1) les ressources communautaires, coopératives, associatives comme les organismes à but non lucratif, qui dispensent des services ou organisent des activités dans le domaine de la santé, du bien-être et des affaires sociales; 2) les structures de soutien au développement d’entreprises d’économie sociale dans les communautés locales; 3) les organismes communautaires d’intégration ou d’insertion au travail et de formation de la main-d’oeuvre (Jetté et al. 2000: 10). Dans le domaine de la santé et du bien-être, ces initiatives communautaires s’inscrivent dans une stratégie visant à améliorer les conditions de vie des populations (revenu, scolarisation, logement et emploi) et à soutenir leurs milieux de vie. En effet, «les études de pointe sur les coûts du système de santé et de bien-être, au Canada et dans les pays de l’OCDE, convergent. L’amélioration de la santé et du bien-être de la population passe moins par l’ajout de nouvelles ressources budgétaires et humaines dans le système de services que par la réallocation des ressources et la prise en considération des déterminants de la santé et du bien-être, situés à l’extérieur du système sociosanitaire. Elle exige le passage d’une perspective curative à une perspective préventive et attentive aux facteurs environnementaux» (Jetté et al. 2000: 30).
Naturellement, nous pourrions ajouter à la liste des éléments qui caractérisent l’économie sociale en matière de santé et de bien-être. Nous avons souligné uniquement les grands traits qui justifient l’intérêt d’un tel projet de recherche. Ainsi, dans un premier temps, les chercheurs ont voulu s’équiper théoriquement en faisant une recension des écrits touchant principalement l’interface entre les modes de régulation étatique en pleine transformation et l’économie sociale. Le livre de Jetté et al. présente une bibliographie exhaustive des principaux articles, livres et documents (en tout, 811 documents) analysant à la fois la crise de l’État-providence et la redécouverte de l’économie sociale. En effet, l’économie sociale avait marqué les premiers pas de notre système sociosanitaire, notamment à travers le rôle prépondérant que jouait les églises dans la gestion des hôpitaux, des orphelinats, etc. À la faveur de la crise de l’État-providence, on en redécouvrirait les vertus.
Quoi qu’il en soit, le livre de Jetté et al. est très technique, car il relate la méthode employée et la sélection des mots-clés ayant servi à constituer cette bibliographie. Ce livre-outil intéressera certainement la personne qui décide de faire de l’économie sociale dans le domaine de la santé et du bien-être son domaine de recherche privilégié. Ouvrage de référence qui, une fois passée l’introduction qui retrace les principaux objectifs animant le projet de recherche, s’avère trop spécialisé pour un public moins pointu. De plus, la référence aux débats théoriques concernant l’économie sociale ayant cours en France s’avère de moindre intérêt pour le lecteur nord-américain.
Cela dit, le second livre qui présente une perspective interprovinciale (Québec, Nouveau-Brunswick, Ontario, Saskatchewan) du rôle de l’économie sociale dans le domaine de la santé et du bien-être au Canada est beaucoup plus intéressant. Comme le disent les auteurs: «Dans chacune des provinces dont il est question dans ce livre, l’économie sociale a contribué de manière significative à la mise en place du filet de sécurité dans le domaine de la santé et du bien-être» (Vaillancourt et Tremblay 2001:16). S’il est vrai que l’économie sociale, grâce aux institutions religieuses ou coopératives, a été une actrice importante de la mise en place du système de santé et de bien-être, sa contribution actuelle varie énormément d’une province à l’autre. En effet, la place qu’occupe l’économie sociale n’est pas la même au Québec, où il y a de nombreux projets touchant le logement social, les soins à domicile, la santé mentale et les services de garde alors qu’en Ontario, sous l’influence des gouvernements conservateurs de Harris et Eves, on assiste à la marchandisation grandissante du tiers secteur.
Comme le soulignent Paul Leduc Browne et David Welch: «Là où l’État-providence avait dé-marchandisé des biens primaires tels que les soins de santé et l’éducation, la privatisation les retransforme en marchandises. Elle réduit ainsi l’espace où les citoyens sont protégés de l’impact du marché. La privatisation menace les droits sociaux et ce faisant, la démocratie» (2001: 109). Les soins à domicile ne sont qu’un des exemples de l’emprise des marchés. Avant l’avènement du régime concurrentiel dans ce domaine, les visites étaient assurées en grande partie par les infirmières de l’Ordre de Victoria. Aujourd’hui, bien que cet organisme domine encore le marché, de grandes firmes privées comme Para-Med (firme multinationale ayant ses origines aux États-Unis), Comcare (un géant dans le domaine des laboratoires médicaux en Ontario) et Bayshore Health Services menacent cette domination. Dans un tel contexte de privatisation et de domination des marchés en Ontario, quelle place reste-t-il à l’économie sociale? Pour Leduc-Browne et Welch, «les personnes marginalisées et vivant dans la pauvreté non seulement s’organisent pour assouvir leurs besoins immédiats et défendre leurs intérêts mutuels, ils créent aussi des espaces publics où une re-politisation de l’omniprésente économie marchande devient envisageable» (2001: 129). Ainsi, l’économie sociale s’institue comme un bastion de résistance devant la toute puissance de l’économie de marché, une interface conflictuelle tant avec les gouvernements qui épousent les vertus du marché qu’avec les marchés eux-mêmes qui ne peuvent combler tous les besoins.
Nous nous sommes limités à la province de l’Ontario pour les besoins de notre auditoire, mais la comparaison entre provinces est riche d’enseignement pour celui ou celle s’intéressant à l’économie sociale. Elle permet de voir les variations régionales et la place que lui accorde le politique. Il s’agit d’un excellent livre que nous vous recommandons.