Lu pour vous

N. Aubert, Le Culte de l’urgence. La société malade du temps., Paris, Flammarion, 2003.[Record]

  • Michel-André Beauvolsk

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  • Michel-André Beauvolsk
    professeur, École de service social, Université Laurentienne.

L’auteure, Nicole Aubert, s’est inspirée d’une recherche menée auprès de plusieurs grandes entreprises dans divers secteurs d’activité: industrie lourde, banque, automobile, industrie pharmaceutique, informatique, grande distribution, assurance, multimédia, audiovisuel. Elle présente l’avènement de paramètres qui sont apparus et qui contrôlent notre vie: l’avènement de la dictature du temps et du règne de l’urgence, de l’instantanéité, de l’immédiateté. Le livre se divise en onze chapitres et quatre sections. Le but de l’auteure est de tenter de comprendre comment notre époque est en train de vivre une mutation radicale dans son rapport au temps. Dans la première partie du livre, l’auteure montre comment s’est effectuée la mutation du rapport au temps. Aubert illustre comment l’homme fait face à l’urgence et l’instantanéité, les deux nouvelles mesures du temps. Ces notions, étroitement liées entre elles, ont été générées par l’avènement de la mondialisation économique et financière au milieu des années 1980. Il a été lui-même rendu possible par la révolution survenue dans le domaine des télécommunications, apparue à peu près au même moment. Ce qui unit les trois premiers concepts d’urgence, d’instantanéité et d’immédiateté, c’est celui de la vitesse, elle-même au coeur du système capitaliste: plus le capital tourne vite, plus les profits sont élevés. Dans la deuxième partie du livre, l’auteure aborde le vécu de l’urgence pris entre la jouissance et l’épuisement. Elle avait déjà montré comment l’urgence pouvait être le fruit d’un processus réel, celui de la mutation économique, et être induite par les effets de la logique des marchés financiers, par celle des flux tendus et, d’une certaine manière, par un contexte de restructuration globale de l’activité économique, ponctué de fusions-acquisitions et autres absorptions d’entreprises. Dans cette partie, les «cultures d’urgence» se caractérisent par une survalorisation de l’action conçue comme un antidote à l’incertitude. Ces cultures se caractérisent aussi par un phénomène de compression, sur le terrain du temps, des hommes et des compétences, qui se traduit par la nécessité de faire toujours plus avec toujours moins. Elles impliquent également un envahissement du quantitatif. Pour l’auteure, l’urgence peut aussi devenir une construction mentale. Finalement, elle montre que l’intensité de l’instant frappe davantage les femmes devant confronter l’existence de leur vie professionnelle et synchroniser à la fois leur désir de maternité. L’urgence est alors perçue comme une perversité du temps et amène la corrosion du caractère de l’être humain. Le mot «caractère» réfère ici aux relations que nous avons les uns avec les autres de même qu’avec l’évolution à long terme de notre expérience émotionnelle. La corrosion comporte l’idée de ronger, d’entamer progressivement quelque chose par une action autre que mécanique. C’est donc une certaine altération du comportement qui s’observe en premier lieu et qui se manifeste par une grande irritabilité, une forte nervosité et une capacité à se mettre en colère de façon fréquente, injustifiée et imprévisible. Ces observations, concernant la perte des capacités relationnelles, se corrèlent parfaitement avec la perte du lien social. Les affections psychosomatiques qui atteignent ceux et celles qui travaillent dans l’urgence et la pression permanentes sont relativement nombreuses. Un psychiatre mentionne pêle-mêle les migraines, le mal de dos, les insomnies, tous des maux assez banals que l’on rencontre dans toutes les problématiques de stress. Aubert établit une typologie managériale assez simple, distinguant ce qu’elle appelle les réalisateurs, les innovateurs, les sécurisants et les empathiques. Les mieux armés seraient les réalisateurs, en raison de leur capacité à trier, hiérarchiser et établir très rapidement des priorités. De plus, pour Aubert, la maîtrise de soi implique une certaine maîtrise du temps. Certains peuvent souffrir alors d’une pathologie marquée par le ralentissement du temps et par le sentiment d’un arrêt …