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Problématique
Importance sociale de la ménopause et impact de la révolution hormonale
Deux raisons principales incitent, au départ, à se pencher sur l’étude des représentations de la ménopause: l’accroissement du nombre de femmes à l’âge de la ménopause, à cause du vieillissement des babyboomers, et la révolution hormonale que cette génération fait actuellement vivre à l’humanité.
D’une part, selon Statistique Canada, 30,5% des Canadiennes avaient cinquante ans et plus en 2001 et celles qui étaient en période de ménopause constituaient plus de 14% de l’ensemble[2]. Ce qui veut dire que, à cause de l’allongement de la durée de la vie, la plupart passeront plus du tiers de leur vie en post-ménopause. Ce fait est significatif: dans la vision traditionnelle occidentale, on a longtemps cru qu’en sonnant le glas de la maternité, la ménopause sonnait aussi celui de la féminité et de la sexualité active. Perspective peu réjouissante. Ajoutons qu’il s’agit là de la première génération de femmes, depuis la modernité, à être massivement sur le marché du travail : 72,2% des femmes canadiennes de 45 à 54 ans étaient à l’emploi[3]en 2001.
D’autre part, les femmes en transition de ménopause, aujourd’hui, constituent la première génération à avoir pris, massivement, des contraceptifs, souvent à très fortes doses pendant plusieurs années. La première génération à avoir subi, massivement, diverses interventions chirurgicales: ovariectomie; hystérectomie; ligature des trompes avant 50 ans. Et la première génération à avoir eu un accès aisé à l’hormonothérapie.
Les conséquences générales que l’on peut tirer de cette situation font réfléchir et obligent à certains constats. La plupart des femmes vivant la transition de la ménopause sont en milieu de travail. Plusieurs femmes ont vécu, vivent ou vivront une ménopause précoce dû aux chirurgies gynécologiques dont elles ont été l’objet et qui produisent le risque de devancer la ménopause de quatre à cinq ans. Et nous sommes face à l’inconnu quant à la suite de la santé gynécologique des femmes: en effet, les conséquences des thérapies hormonales massives sur le vieillissement et les maladies gynécologiques ne commencent qu’à être connues[4]. En fait, on peut penser qu’elles ne le seront réellement que lorsque la génération actuelle de femmes en transition de ménopause atteindra 75 ans.
Vision sexuée des passages de la vie
Traduction et adaptation de l’expression « middle age crisis », l’expression « mitan de vie » ou « crise du milieu de vie » (CMV) désigne la période qui s’échelonne de 40 à 60 ans (variant selon les chercheurs et les chercheures), moment où se manifestent les signes de vieillissement physique, associés à des changements psychologiques et à une transformation de la perception du rapport à soi et aux autres en fonction du temps (Millet-Bartoli, 2002).
Bien que ce ne soit que récemment que la sociologie ait commencé à s’intéresser aux phénomènes liés au mitan de vie, il y a déjà longtemps que les recherches en psychologie sociale ont permis de constater que le milieu de la quarantaine ou le début de la cinquantaine est, pour la plupart des individus, le lieu d’un questionnement de fond sur leur vie. Quelle que soit leur situation, il semble que, pendant cette période, les personnes vivent un certain recentrement sur soi, établissent une sorte de bilan de vie et portent un regard critique sur leurs choix antérieurs, leurs acquis, leurs réalisations (Erikson, 1966, 1980; Neugarten, 1979; Levinson et al, 1978; Wolfe et al., 1990, Millet-Bartoli, 2002). Moment de passage transitionnel donc, tant dans l’ordre générationnel que dans celui du monde du travail ou dans celui des relations avec les proches et les amis de longue date.
Mais cette période, appelée souvent à tort crise plutôt que transition, serait vécue différemment en fonction de diverses variables: le sexe, l’état de santé, le statut familial, etc. (Gognalons-Nicolet, 1989; Waskel, 1992; Waskel et Coleman, 1991). Selon Millet-Bartoli, toutefois, la CMV n’est pas encore très bien ciblée dans la conscience populaire. En partie à cause des représentations collectives extrêmement stéréotypées que l’on en a et, en partie, selon elle, à cause de « la croyance selon laquelle une crise est nécessairement spectaculaire et bruyante […] oubliant qu’on peut traverser une crise, parfois assez longue, sans bouleverser sa vie de manière radicale » (2002: 50).
Pour plusieurs femmes, est-il utile de le rappeler, la transition du milieu de vie s’effectue en même temps que cet autre passage, aussi source de questionnement, voire d’anxiété chez certaines, qu’est celui de la ménopause.
Ménopause ou mitan
Bien que le terme ménopause, connu depuis 1823, signifie la cessation des menstruations, et que toute femme ayant terminé son cycle reproductif est, par conséquent, en ménopause lorsqu’on l’invoque socialement — parlant notamment de « femmes en ménopause » —, on réfère à la période de transition pendant laquelle s’effectuent effectivement les changements menant à la fin de ce cycle. On peut déjà voir, dans ce glissement sémantique, un indice de la construction sociale de la représentation actuelle de la ménopause. Le discours postmoderne s’est ainsi trouvé dans l’obligation de créer de nouveaux vocables, pré ou péri-ménopause, post-ménopause, pour rendre compte de cette nouvelle manière de voir le processus sous formes d’étapes (Greer, 1991). Ce qui a permis, en corollaire, de concevoir une désignation pour les femmes ayant achevé cette transition (post-ménopausées), montrant bien qu’il y a là un après, tangible, et que la ménopause ne renvoie plus, comme cela a pu être le cas, à un état de vie ou à un statut qui aurait une connotation de finalité (comme être productif dans la famille ou utile socialement).
Cette période de transition peut même se vivre, pour certaines femmes, comme le lieu de bouleversements physiques et psychologiques. (Page, 1993; Doress, 1994). Lorsqu’il y a coïncidence du questionnement lié au mitan de vie et de l’entrée en ménopause, cela peut même faire de ce moment de leur vie une période d’intense perplexité dont il semble que l’on n’ait pas encore bien mesuré tous les effets individuels et sociaux conjugués: difficultés physiques temporaires, repli sur soi, dépression, incidences sur l’estime de soi, dans le rapport au travail ou encore dans les décisions concernant la pré-retraite. (Jones, 1994).
Ce n’est pas faute de recherches scientifiques sur la ménopause ou sur le passage du mitan de vie. Bien au contraire. C’est plutôt que, jusqu’à tout récemment, tant dans l’imaginaire collectif que dans les recherches, on parlait davantage du rapport au mitan de vie chez les hommes (démon du midi; reconversion; changements radicaux) et de la ménopause chez les femmes (symptômes, hormones, variations émotionnelles). En fait, jusqu’aux années quatre-vingt, on considérait largement que, chez les femmes, la transition du milieu de vie se résumait à la ménopause (Millet-Bartoli, 2002). De même, chez les hommes, ce n’est que depuis une dizaine d’années que des recherches scientifiques font état de l’andropause comme d’un phénomène réel (Société canadienne d’andropause, 2002; Morazain, 2000), qu’il devient nécessaire de mettre en rapport avec la compréhension que l’on a développée de leur passage du mitan.
Discours dominant/discours féministe
En ce qui concerne les femmes, on peut penser que cette vision réductionniste de leur vécu est due à deux symboliques sociales tenaces, l’une liée aux rôles de sexe dans la société, l’autre à l’emprise du discours bio-médical en médecine gynécologique.
En effet, dans un premier temps, du fait que les femmes, jusqu’aux années soixante-dix, différemment des hommes, n’occupaient pas ou pas régulièrement, tout au long de leur vie, un emploi rémunéré, cela inclinait à ne les définir qu’en vertu d’un rapport à leur rôle de sexe dans la reproduction et dans la famille. Mais à présent que, depuis une génération, elles sont généralement à l’emploi, on est bien obligé de reconnaître que tout ce qui leur advient, lors de cette période de transition, n’est pas lié uniquement aux transformations hormonales. Diverses recherches ont commencé à explorer le rapport à la satisfaction personnelle et au bien-être psychologique chez les femmes en période de ménopause, en fonction de certains éléments (Barnett, 1997; Antonucci et Akiyama, 1997). Par exemple, on a démontré qu’assumer des rôles multiples ou avoir un emploi rémunéré valorisant leur apparaît comme des facteurs déterminants de santé mentale et de réduction des symptômes dus à la ménopause. En plus, ce sont des éléments qui, semble-t-il, aident à mieux gérer le stress familial et relationnel (Sarrel, 1991). Il y aurait donc un rapport déterminant des contextes sociaux de vie.
Dans un deuxième temps, l’analyse des rapports sociaux de sexe a permis de mettre en lumière, depuis le début des années quatre-vingt, l’ensemble des rapports de pouvoir existant dans l’approche de la santé sexuelle et reproductive des femmes donnant aux médecins le droit de regard et l’aval de la connaissance sur les vécus balisant le parcours gynécologique des femmes, des premières menstruations à la ménopause, en passant par les grossesses, l’accouchement, l’allaitement, la gestion de la contraception, les nouvelles technologies de reproduction (De Koninck, 1995). Cette surmédicalisation de la vie des femmes a eu pour conséquence négative de transformer leur rapport à leur corps de telle manière qu’elles se sont éloignées, non seulement de la production domestique de la santé telle que toujours effectuée par elles au sein des familles, mais aussi de leur faculté d’écoute et de compréhension des indicateurs que leur corps leur présente, laissant à d’autres le soin d’en interpréter les signes, et même, les sensations (Bell, 1990).
Dans ce discours dominant, la ménopause est dépeinte comme une maladie — une déficience hormonale, une défaillance ovarienne, une carence oestrogénique — (Mc Crea, 1983) dont on soigne les symptômes en administrant des hormones de remplacement, des antidépresseurs, des somnifères, des analgésiques, des tranquillisants et, à la limite, en faisant intervenir la chirurgie pour régler le problème (Réseau québécois d’action pour la santé des femmes : 1998). Comme le souligne à juste titre De Koninck, il est impératif que soit « remise en cause la représentation du corps féminin comme corps vulnérable continuellement susceptible de développer des pathologies : porteur de mal, porteur de maladies, de risques et de dangers, porteur de mort. La représentation négative du corps des femmes, souvent intériorisée par celles-ci, suscite des comportements de dépendance à l’égard des experts » (1999: 127)
En arrière-fond de ce discours, s’ajoute cette autre symbolique contemporaine: le corps (des femmes, surtout), ne doit pas vieillir. Ainsi on poussera l’administration de traitements hormonaux de substitution pour que les femmes restent jeunes, actives, désirables, appuyé en cela par les compagnies pharmaceutiques qui en profitent largement.
En contrepartie, un certain discours féministe, adoptant une approche holiste, tend à faire valoir le fait que la ménopause est une étape naturelle du vieillissement féminin, une période de changements dont le nombre et l’intensité varient selon les situations et les femmes, que celles-ci doivent être à l’écoute des signes de leur corps, qu’elles doivent demeurer autonomes en prenant des décisions réfléchies face à toute intervention chirurgicale. Tout particulièrement face à l’hormonothérapie, il est nécessaire, selon cette approche, que chacune en calcule les bénéfices en regard des facteurs de risques de sa situation de santé personnelle. C’est ici que la critique de la construction sociale de l’usage des hormones se fait entendre le plus ouvertement. Il s’agit donc d’un discours qui se veut un appel à vivre cette période comme une transition naturelle. (Réseau québécois d’action pour la santé des femmes: 1998).
Mais pour les femmes, généralement — du moins en Amérique du Nord ou en Europe occidentale — la question reste source d’interrogation: elles semblent avoir souvent une position ambiguë, voire contradictoire.
Les recherches sur le vécu de ménopause
Depuis une quinzaine d’années, les publications scientifiques sur la ménopause sont pléthoriques. La plupart d’entre elles s’appuient sur des recherches d’orientation biomédicale : études sur les effets des hormones de substitution, sur les maladies liées au vieillissement, sur les symptômes physiologiques, etc. Ce sont les plus nombreuses[5]. Puis, viennent les analyses en psychologie et en psychologie sociale qui sont souvent des études de cas de comportement dépressif lié à la ménopause.
D’autres travaux, moins nombreux mais cruciaux, en anthropologie sociale, relèvent d’une approche culturelle et environnementale. Ces recherches font état d’une corrélation entre les attitudes culturelles à l’égard de la ménopause et l’intensité des symptômes indiqués par les femmes. Dans une recherche menée par Jones (1994) sur, précisément, les attitudes des femmes au sujet de la ménopause, les résultats ont fait voir à quel point elles sont elles-mêmes surdéterminées par le discours ambiant. Les éléments que les participantes à la recherche ont le plus souvent associés à la ménopause sont: une perte au niveau de l’apparence physique, une diminution de la libido, un sentiment négatif lié à la vieillesse et un déclin au niveau de la santé.
Dans la recherche comparative sur les paradigmes culturels réalisée par Gannon et Ekstrom (1993), où il s’agissait de classifier la ménopause en fonction de trois catégories larges (paradigmes médical, de transition et en fonction de l’âge), toutes les personnes du paradigme « médical » ont manifesté des attitudes plus négatives à l’égard de la ménopause que celles qui avaient choisi les deux autres contextes. Même constat dans la recherche effectuée par Lock (1994), où une comparaison entre les représentations de la ménopause au Japon et aux États-Unis illustre clairement que plus l’image de la femme ménopausée est socialement valorisée, moins les femmes font état de symptômes physiques ou psychologiques. Dans certaines cultures, en effet, accéder à la ménopause, c’est gagner en statut pour les femmes.
En fait, selon ces recherches, ce sont les Nord-Américaines et les Européennes qui sembleraient avoir le plus de symptômes, qui vivraient le plus péniblement cette transition et qui auraient le plus de difficultés à percevoir la ménopause comme un phénomène naturel, au même titre que le début de la puberté (Beyene,1986, McCrea, 1983, Bowles, 1990, Lock, 1994). Non seulement cette vision médicalisée de la ménopause aurait-elle des effets sociaux négatifs sur chacune des femmes en particulier, puisqu’elle autorise un contrôle toujours plus grand de la médecine sur leur expérience et leur corps, mais, de surcroît, elle aurait pour effet d’oblitérer la réalité empêchant que soit perçue, socialement, la variété des situations de ménopause (Notman,1990; Gannon et Ekstrom, 1993).
Cependant, peu de travaux scientifiques, jusqu’à présent, avaient tenté de faire valoir la parole des femmes sur leur vécu de ménopause. Mais, depuis quelques années, nous assistons à un regain d’intérêt de la sociologie à ce sujet. Citons à ce propos les grandes enquêtes américaines[6] menées par la North American Menopause Society (1997, 1998), l’enquête récente de Bardet-Blochet (2002), en Suisse, sur la stabilité des représentations de la ménopause sur dix ans, et celle de Delanoë (2002), en France, portant aussi sur les représentations. Ces enquêtes, pour la plupart quantitatives, ont un spectre assez vaste, contrôlent plusieurs types de variables et portent sur de grands échantillons. Elles ont toutes en commun de conclure que l’expérience des femmes est variée et s’étend sur un registre assez large allant du plus négatif à une certaine satisfaction. Ainsi, une minorité des femmes de leur échantillon (25% dans le cas de l’enquête suisse, un peu plus dans le cas de la France), ont des représentations fortement négatives de la ménopause, alors que la moitié des participantes voient la ménopause comme une évolution physiologique sans conséquences particulières ou en ont une perception ambivalente (des côtés positifs mais avec certains désagréments); et qu’une minorité expriment leur satisfaction ou en ont un vécu satisfaisant. Les résultats de la présente recherche corroborent, on le verra, ceux de ces enquêtes.
Pourtant, aucune de ces recherches ne pose la question de l’existence du mitan de vie et de son rapport possible à la ménopause comme hypothèse pour tenter de comprendre, justement, le rapport aux représentations.
Objectifs de la recherche et méthodologie
L’objectif de l’enquête était d’identifier les représentations de la ménopause, de l’andropause et du mitan de vie auprès de femmes engagées dans le processus de ménopause ou ménopausées.
L’enquête s’est déroulée dans le Nord-Est de l’Ontario de mars 2000 à mars 2001. L’échantillon était composé de 33 femmes répondant aux critères suivants : avoir entre 40 et 60 ans, être francophones et en être à un moment du cycle de la ménopause (pré-ménopause, ménopause ou ménopausées).
La collecte de données s’est effectuée à partir d’entrevues semi-structurées d’une durée de 60 à 90 minutes. Le protocole d’entrevue abordait, entre autres questions, les thématiques suivantes:
leur définition de la ménopause;
le recours à une aide au cours de cette transition (médication, hormonothérapie, produits naturels, méditation, thérapie, chirurgie, etc.);
la différence entre ménopause et mitan de vie;
leur conception de l’andropause et du mitan de vie chez les hommes;
l’impact de la ménopause sur leurs relations familiales, professionnelles, conjugales;
leur image d’elles-mêmes comme femmes au mitan de leur vie;
leur rapport à la sexualité et à la séduction;
l’héritage de leur mère au sujet de la ménopause;
celui qu’elles entendent laisser à leur(s) fille(s) ou aux femmes plus jeunes de leur entourage;
et si, selon elles, ce sont les femmes au travail ou les femmes à la maison qui vivent le mieux cette transition.
En raison du cadre étroit de cet article, seuls les quatre premiers thèmes seront abordés ici. Les données recueillies ont été analysées sous deux formes. Les données codifiables (informations socio-démographiques, chirurgies gynécologiques, âge de la ménopause, maladies, médications, aides diverses…) ont été saisies avec le logiciel SPSS pour permettre l’élaboration du profil de l’échantillon. Les données de type qualitatif ont été transcrites sous forme de verbatim et ont fait l’objet d’une analyse de contenu.
Profil de l’échantillon
On trouvera en annexe un tableau donnant des indications précises sur l’échantillon (Tableau 1). Un coup d’oeil rapide sur ce profil permet de constater que la variété des situations de vie est assez représentative de l’ensemble de la population de façon générale. Plus de femmes vivent en couples. La scolarité est presque dichotomisée entre les études non universitaires et le baccalauréat, ce qui est à mettre en lien avec la diversité des âges, les plus âgées étant moins scolarisées. Au moment de l’entrevue, les âges se répartissaient comme suit: 9 femmes avaient de 42 à 50 ans; 12 avaient de 51 à 55 ans et 12, de 55 à 59 ans. Leur niveau de vie est compatible avec les données ontariennes sur les couples, notamment pour les femmes dont le mari travaille dans les industries du secteur primaire. La majorité d’entre elles ont 2 ou 3 enfants. Et, pour ce qui est de la pratique religieuse, il y a une répartition égale entre les pratiquantes et les non pratiquantes.
Résultats: ce que les femmes vivent et disent
Diversité des situations de ménopause
Ce qui frappe le plus, dans l’ensemble des données, c’est la variété des situations de ménopause: il n’y a pas de modèle unique. Cela confirme ce qui avait déjà été soulevé par d’autres recherches. L’âge du début de la ménopause peut varier d’avant 40 ans à plus de 55 ans et l’intervention chirurgicale est un facteur important de cet écart. Il y a un peu plus de femmes (17) qui déclarent avoir assez ou beaucoup de signes (symptômes) que de femmes (11) qui disent en avoir peu (cf. Tableau 1, en annexe). Le tiers des participantes ont subi une hystérectomie (partielle ou totale). L’usage d’hormonothérapie est aussi répandu que le refus d’en faire usage. Certaines prennent des antidépresseurs. La majorité d’entre elles étaient au travail pendant leur ménopause (celles qui ne l’étaient pas étaient toutes engagées dans des activités bénévoles dans les organismes communautaires ou religieux). Et les habitudes de vie sont multiples: qu’elles prennent des médicaments ou non, elles font en grande majorité usage de produits naturels (herbes, tisanes, suppléments nutritifs, vitamines…), plusieurs font de l’exercice (surtout de la marche) et un petit nombre dit s’adonner à la méditation de façon assez régulière.
Comment des femmes vivant des situations aussi diversifiées voient-elles la ménopause?
Des définitions en termes de vécu
Plus qu’une définition, c’est en général une attitude (positive, négative ou ambivalente) face au phénomène qui est exprimée lorsqu’on leur demande leur représentation de la ménopause. Là encore, il n’y a pas de position unique, pas de règle, de modèle ou d’équation qui rendraient compte d’une définition du phénomène pour l’ensemble des femmes et qui fonctionneraient comme une interprétation mécaniste. Par exemple, ce n’est pas parce que l’on est plus scolarisée ou que l’on vit sa ménopause plus tard qu’on la vivra mieux. Ou inversement. Rien dans les résultats obtenus ne permet de dégager des profils-types de vécu de ménopause en fonction de variables socio-démographiques définies, mais l’échantillon est restreint et là n’était pas l’objectif de la recherche. Ce sont les perceptions que l’on voulait identifier et l’analyse des résultats permet d’établir certaines récurrences liées aux attitudes[7].
La fin du cycle féminin
La question de la cessation du cycle menstruel est, on s’en doute, présentée par à peu près toutes les femmes comme étant le signe visible de l’entrée en ménopause. C’est toujours par l’établissement de ce constat que l’on commence à s’exprimer sur la question, à décrire son expérience. Et dans la très grande majorité des cas, cela est perçu comme bénéfique:
Je n’avais plus besoin de me préoccuper des menstruations, ni de la fertilité. Pour moi, c’était un point positif. Ça coïncide avec la maturité peut-être […] Des fois, ça donne le temps de reculer parce qu’on a des préoccupations de moins, là. Prendre le temps de faire l’inventaire… (Marianne, 58; méno, 41)
C’est une étape de la vie. Pas plus que ça. Et c’est un soulagement de ne plus être menstruée… Rien de compliqué. (Céline, 55; méno, 45)
Elles sont peu nombreuses celles qui verront comme douloureuse l’idée de ne plus être menstruées. Et la situation la plus typique vient sans nul doute de celles qui se voient dans l’obligation de faire le deuil d’une maternité désormais impossible. C’est le cas de Sarah :
Pour moi, la ménopause, c’est beaucoup plus physique. Avec, comme répercussion, psychologique… à un moment donné, il a fallu que je fasse le deuil de l’enfant. Je n’en ai pas eu, puis, là, je savais que je n’en aurais pas. Ça, pour moi, il a fallu que je le vive comme il faut, là.[…] Ça a été un gros deuil. (Sarah, 44; pré)
Tension entre libération et vieillissement
Ce qui revient souvent, surtout dans le groupe des femmes post-ménopausées, c’est l’expression d’une sorte de tension entre un profond sentiment de libération et la peur du vieillissement, qui semble incontournable:
Ça me faisait peur un peu à cause du vieillissement, mais, tu sais, c’est pas tout le monde qui vieillit de la même façon, qui vieillit au même rythme… Il faut accepter nos pertes, c’est ça qui est important. (France, 59; méno, 55)
La ménopause, bien, c’est un phénomène naturel, mais, surtout pour moi, ça été plutôt libérateur. […] Biologiquement, pour moi, ça été vraiment une libération. Mais d’autres facteurs… le côté vieillissement plus rapide, disons, ça c’est jamais bien drôle. C’est l’aspect vieillissement associé à la ménopause qui fait peur.(Sonia, 48; méno, 44).
Au début ça me faisait peut-être peur… il y a personne qui aime vieillir, se voir vieillir. Mais, quand tu le traverses, c’est comme toutes les étapes de ta vie, 20 ans, 30 ans, 40 ans. Tu passes à travers, t’as pas le choix… (Céline, 55; méno, 45)
Une étape normale de la vie
De même que pour Céline, il y a un peu plus du tiers de l’échantillon qui voit la ménopause comme un phénomène « normal » ou « naturel ». Juste une étape de la vie, comme les autres qui l’ont précédée. Celles qui s’expriment en ces termes semblent avoir une attitude de réceptivité par rapport à la question. Et bien que cela n’exclut pas le fait d’éprouver quelques difficultés d’acceptation ou d’adaptation, elles diront que, tout compte fait, c’est une transition qui peut amener des changements positifs. Comme l’indiquent France et Céline:
Je dirais que c’est une période de la vie qui est normale et puis qui peut être aussi bénéfique. Ça a été difficile un p’tit peu à m’adapter, mais après, là, il n’y a aucun problème. (France, 59; méno, 55)
C’est vrai que c’est une nouvelle étape de la vie puisqu’il y a une liberté. Je pense que c’est plutôt symbolique l’affaire des règles, là. Il y a une liberté qu’on ressent face à notre corps qui est… dynamique; c’est positif, oui. (Estelle, 59; méno, 55)
Au sein de celles qui voient la ménopause de cette façon, un petit nombre(5) ajouteront qu’elles font en sorte que « ça » dérange le moins possible leurs habitudes de vie, leurs relations avec le partenaire ou les enfants et, à la limite, leur image d’elles-mêmes. La ménopause, semble-t-il, leur est un passage facile. On peut penser que cette attitude leur vient, en partie, de ce que leur corps le leur permet: en effet, elles n’éprouvent pas ou très peu de signes physiques vraiment désagréables (chaleurs, insomnie, baisse d’énergie, hémorragies, irritabilité) avec lesquels elles devraient composer jour et nuit; ou alors elles ont subi une chirurgie qui leur évite d’avoir à en vivre les symptômes. C’est le cas d’Andréanne qui dira:
T’as plus de menstruations. Ça, c’est fini… une fois que c’était passé, je veux dire… ma vie a repris le normal. C’est seulement qu’une chirurgie que j’ai eue… Ça aurait pu être n’importe quelle autre chirurgie… J’ai eu celle-là, puis, maintenant, je continue ma vie. Ça n’a rien changé… (Andréanne, 58; chirurgie-méno: 37)
Mais, on peut aussi déceler chez quelques unes des plus âgées une certaine retenue, une gêne, comme une forme de contrainte dans la conduite, inculquée probablement au début de la puberté à l’apparition des premières règles, et qui s’exprime dans un comportement de discrétion; une impression qu’elles donnent qu’il ne faut pas que les « affaires de femme » s’étalent sur la place publique, « dérangent » dans les relations ou le discours. Les symptômes de la ménopause doivent rester de l’ordre du privé, de l’ordre de la gestion cachée des phénomènes biologiques qui sont l’apanage de la femme, hors discours à la limite. On voit ici se profiler tout ce qu’a pu développer, comme contraintes dans le rapport au corps, une socialisation de genre axée sur l’obligation d’invisibilité à laquelle sont tenues les manifestations physiologiques féminines.
Une étape fondamentale de la vie
Si, dans l’ensemble, on ne peut que constater un certain enchevêtrement dans le discours entre rapport aux aspects libérateurs et invocation de la symbolique forte du vieillissement, cela ne s’exprime pas pour toutes de la même manière. Alors que pour certaines, comme pour Céline, France ou Sonia, la ménopause semble perçue comme un fait banal, simple, de l’ordre des choses, d’autres lui accorderont cependant beaucoup plus d’importance et en feront une étape fondamentale dans la vie d’une femme. Ainsi, pour Estelle:
Bien, pour moi, la ménopause, c’était que tes règles cessaient. Bon, moi, c’était ça, là… puis c’était tout. Puis, là, je me rends compte que c’est plus que ça… Disons que, jusqu’à ce que ça m’arrive, je me suis dit: bien, ça va finir puis c’est tout. Ça va finir, j’aurai plus de menstruations, puis bon débarras! C’était comme ça que je l’envisageais. Maintenant, je comprends que c’est toute une étape de la vie qui est bien plus compliquée que je l’aurais pensé. (Estelle, 59 ans; méno, 55).
Dans cette même logique quelques unes démontreront même une attitude extrême. Cela peut se présenter, comme chez Chantal, sous la forme d’un grand enthousiasme:
Ah mon Dieu! Moi, je trouve ça l’fun, je trouve ca l’fun parce qu’on peut pas toujours rester p’tite fille… puis on peut pas toujours rester stagnante… on peut pas toujours être dans cet état de vie là. J’ai toujours cherché à me conscientiser, moi, j’ai jamais eu peur d’évoluer, puis j’ai jamais eu peur de l’évolution autour de moi. Il faut évoluer dans nos façons de penser. […] Et puis, bien, c’est aussi toute la sagesse que j’ai apprise et que je suis capable de donner. [Chantal, 52; pré.]
Ou, à l’opposé, comme pour Élise et Roxanne, comme le lieu d’une profonde anxiété. Elles parleront, en effet, d’un véritable bouleversement, d’une transition qui se vit douloureusement, d’un passage obligé, non attendu et qui implique insécurité, découragement, refus:
Ah… c’est un bouleversement de toute la vie. Quand ça commence, puis que tu n’es pas certaine de ce qui se passe… j’étais incertaine de moi-même, insécure là-dedans… frustrée, parce que je pensais pas que… je pensais, moi, sincèrement, je pensais que je passerais à côté. J’entendais d’autres en parler, puis je me disais… pas moi […] Le pire… ce qui est le plus difficile, c’est d’être déprimée. C’est ça qui est le plus difficile. (Roxanne, 53; méno, 46)
Ça été au point de vue hormonal en premier… Puis après ça, bien… le vieillissement. Parce que je me rendais compte que je passais une nouvelle étape. C’était le signal que j’étais réellement en train de vieillir, puis pas nécessairement un vieillissement que je choisissais. Un vieillissement que mon corps m’impose. […] J’ai vécu une partie de découragement parce ça faisait pas partie de mon plan de carrière. […] C’était assez sévère comme réaction parce que c’est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Je ne m’attendais pas à ça. […] Alors, même si j’étais dans la cinquantaine, la ménopause, j’avais jamais pensé à ça. […] Pour certaines femmes, elles disent: « T’as pas besoin de t’occuper de contraception après la ménopause, ça te décharge de toutes sortes de choses. Mais, dans mon cas, c’était pas la situation. Ça ne m’a pas déchargée de quoi que ce soit […]. Le vieillissement, ça pourrait se faire sans avoir de gros symptômes de ménopause. (Élise, 54; méno, 50)
Et entre ces deux tendances fortes, on trouvera, chez les autres, une gamme de perceptions mixtes qui allient aspects positifs et aspects négatifs.
Du temps pour soi
Mais s’il est un élément qui revient régulièrement chez celles qui sont « de l’autre côté », si l’on peut dire, une fois la transition ou le passage accompli, et qui, donc, sont désormais « ménopausées », c’est le sentiment positif d’avoir enfin accès à du temps pour soi. Avec la conscience d’avoir accompli leur tâche comme épouse ou mère, ou tout au moins avec le sentiment général d’avoir répondu aux demandes de leur environnement et de pouvoir enfin s’adonner aux activités qui les intéressent.
La ménopause, on dirait que ça nous donne… je ne sais pas si c’est la vie qui change, rendue à la ménopause, mais tu deviens plus libérée, plus de liberté… Moi, je trouve que c’est un vrai bon temps de la vie… tu peux grandir si tu te donnes la permission… tu peux retourner à l’école, tu peux faire toutes sortes de choses […] C’est pas un mauvais temps de la vie. (Laurianne, 56; méno, 46)
Sentiment de libération, donc, une reprise de liberté, une certaine réappropriation de pouvoir des femmes par elles-mêmes, un certain sens plus aiguë du soi, et pour plusieurs d’entre elles, une maturité. L’idée qu’elles ont mérité leur droit de s’occuper d’elles-mêmes, de se donner du temps, de faire des choses longtemps retardées ou en attente, avec, en arrière-fond, le sentiment d’être plus posées, plus sages dans leurs relations. Comme le dit, avec truculence, Patricia:
[…] la ménopause, ca m’a changée… J’ai dit: wow!… c’est assez ça, là… Je commence à m’occuper de moi-même. Puis… ils [le mari, les enfants] viennent frustrés parce que, d’habitude, la mère, là, on va laisser ça là, puis elle va nous aider, elle va s’en occuper… Mais, à c’t’heure, parce que je vois que je deviens fatiguée plus souvent ou que je suis pas toujours de bonne humeur… je me retire, je vais dire, non, je ne le fais pas. Alors… ils m’ont dit qu’ils ont bien de la misère avec moi: je les agace. J’ai répondu: savez-vous pourquoi le bon Dieu a donné la ménopause aux femmes? Pour qu’elles se reposent… pour qu’elles disent: wow! , c’est le temps que tu prennes soin de toi-même. (Patricia, 50, méno, 42)
Stéréotype et appréhension
Côté négatif cependant, pour d’autres, la ménopause n’apporte rien de bon — elles sont sept à avoir clairement signifié qu’il n’y a rien de positif dans la ménopause. « Je dirais que, dans toute ma vie, là, c’est l’affaire la pire que j’ai eue » clame Patricia, (50; méno, 42). Certains commentaires, provenant notamment des femmes en préménopause, sont incisifs et montrent bien où logent, dans la conscience populaire, les représentations négatives tenaces de la ménopause. Notamment dans le glissement qui s’opère entre perception de la ménopause et images de femmes ménopausées: « c’est l’image de la vieillesse: une mémère dans sa chaise »; « les femmes en ménopause, c’est toutes des chiâleuses »; « j’ai peur d’être déprimée comme ma mère ». On voit ici à quel point l’anticipation du phénomène, nourrie d’images construites au fil des rapports sociaux, sert de creuset à l’anxiété. Cela est flagrant chez Kim (53) qui est devenue ménopausée sans s’en rendre compte, n’ayant jamais eu aucun symptôme :
Disons que j’étais contente quand j’ai su que c’était passé, puis que j’avais pas eu de symptômes. C’était comme des bonnes nouvelles… Parce que ça m’inquiétait avant que je le sache… j’avais des amies qui avaient commencé plus jeunes, comme à 40, 46, 47, puis ça parlait toutes de ça. Puis, moi, j’avais pas de symptômes, alors je me disais, bien, peut-être quand moi je vais l’avoir, ça va être effrayant. Parce que je les écoutais parler, puis… oui, ça m’inquiétait.
On le voit, il y a peu de prise de distance entre la perception que l’on a de la ménopause, le vécu que l’on en a (eu), les peurs qu’elle suscite et les éléments positifs ou négatifs qu’on lui attribue. Cela forme un tout où s’entremêlent sa propre expérience du phénomène et le dire des femmes de l’entourage.
Et le discours médical?
Peut-on dire que leur conception de la ménopause est déterminée aussi par le discours médical ambiant? Quatre femmes seulement ont fermement insisté — en préambule de leur définition — pour dire que la ménopause « ce n’est pas une maladie » — elles comparent d’ailleurs cette transition à celle de la puberté. Voulaient-elles marquer, par cette affirmation, leur distance par rapport à une certaine représentation médicale?
Pour les autres, il est assez malaisé de le définir: même si on entend souvent l’idée selon laquelle il s’agit d’un « processus naturel », d’une « étape inévitable », en filigrane, on sent que leur attitude générale est encore et malgré tout médiatisée par la représentation du discours médical (et peut-être même du discours tout court) sur la ménopause. Il est certes probable que si on leur avait posé directement la question: est-ce que la ménopause est une maladie? elles auraient répondu par la négative. Pourtant, comme le laisse voir le profil des indicateurs de santé présenté en annexe, la présence thérapeutique médicale est un fait incontournable de leur gestion de la ménopause: la plupart ont consulté un médecin, ont un suivi médical, plusieurs sont sous médication ou ont eu une hystérectomie et elles sont peu encore à questionner le diktat médical[8]. Comme l’exprime Marie-Claire:
J’ai jamais questionné — même là, mon mari disait que j’aurais dû avoir une deuxième opinion — mais j’avais confiance dans mon médecin: dans mon médecin de famille et dans mon gynécologue… on m’a dit qu’à cause de mon âge, on m’enlevait mes ovaires [en plus de l’utérus], alors j’ai juste laissé passer […] et puis, parce que les raisons qu’ils m’ont données, là, c’était que c’était de la prévention. Mais dans ce temps-là, moi [je pensais]: « envoie, fais ce que tu veux, si c’est ça que tu dis, moi, les gens qui sont plus instruits que moi…» (57; méno, 48)
Non pas que le fait de s’informer sur les options possibles — et notamment médicales — ou encore d’utiliser des services, pourrait constituer en soi un jugement de fait sur leur position idéologique. Mais il n’y a pas de science ou de technologie — ici médicales — qui soient exemptes d’idéologie et on se rend bien compte qu’il s’agit là d’un discours presque toujours incontournable pour les femmes.
Ce qui donne, dans la pratique, une approche totalement paradoxale de la gestion du phénomène. Outre certaines positions radicales qui s’expriment, d’un côté comme de l’autre, c’est à dire, soit en faveur d’une intervention le plus rapidement possible[9], soit, à l’opposé, contre la médecine traditionnelle, par exemple, ici, celle de Roxanne,
On recherche aussi des alternatives… à ce qui nous est proposé par la médecine traditionnelle. Parce que tout le temps que j’allais régulièrement là… à peu près aux deux ans pour les rendez-vous… les vérifications juste normales, là, chez mon médecin: « Tu voudrais pas prendre des hormones? ça serait le temps… » Surtout quand j’avais des chaleurs. « Là, ça serait le temps » qu’il disait. J’ai dit non! j’en veux pas! Puis, je suis contente que j’en ai pas pris[…] Je veux le moins de choses chimiques dans mon corps que possible. J’aime mieux prendre des choses naturelles qui sont faites à base de plantes… que de prendre des médicaments. Pour moi, c’est des médicaments, ça. C’est pas naturel, il y a du chimique là-dedans. (53; méno, 46)
on pourrait dire que, chez plusieurs, l’affirmation que la ménopause est une étape normale de la vie des femmes et qu’il faut la vivre comme telle, sonne comme un discours non-assumé. En fait, il apparaît clairement qu’elles restent tributaires de la vision dominante, en ce sens qu’elles espèrent malgré tout que le médecin ou la médecine réglera le problème. Et ce, avec la conviction qu’elles font un choix libre. Ainsi, leur approche sera à la fois bio-médicale et féministe ou, à la rigueur, holiste. Elles suivront les indications médicales, mais utiliseront des médecines douces. Elles voudront une hystérectomie, mais se battront pour garder leurs ovaires. Elles accepteront les anti-dépresseurs, mais refuseront l’hormonothérapie. Elles accepteront l’hormonothérapie, mais refuseront l’hystérectomie… Comportement tout ce qu’il y a de plus postmoderne, pourrait-on dire, impliquant à la fois une adhésion au discours dominant et sa distanciation, dans l’ouverture à une vision « alternative ».
Rapport ambigu ménopause — mitan
Un autre rapport ambigu, parfois contradictoire, apparaît aussi lorsqu’on aborde la question du mitan de vie. Y a-t-il une crise du milieu de vie? Pensent-elles que la ménopause et le mitan de vie sont deux phénomènes différents? Pour quatre des répondantes, la crise du milieu de vie n’existe tout simplement pas, ni chez les femmes, ni chez les hommes et elles n’en ont pas vécu.
Pour le quart de l’échantillon, la ménopause et le mitan de vie semblent être la même chose: il n’est pas aisé de les différencier parce que leur histoire les a produits à la même période. Ce qui donne un certain flou dans les définitions, comme dans le vécu. Ainsi pour Carole et Marianne :
Moi, je dis que c’est à peu près la même chose. Il y a bien du monde qui prennent ça « dur » la cinquantaine et puis la ménopause avec, ça n’aide pas. (Carole, 57; méno, 45).
Ça s’adonne que c’est en même temps. Mais en même temps, aussi… le milieu de vie c’est toutes les autres dimensions. Pour moi, en tout cas, je suis portée à mettre la ménopause comme plus difficile. (Marianne 58; méno, 41).
Et lorsqu’elles doivent en soulever les aspects positifs ou négatifs, dans leur vie, la plupart des commentaires identifient les mêmes éléments pour les deux phénomènes, lorsqu’il ne s’agit pas tout simplement d’un glissement sémantique confondant les deux. Comme pour Laurianne, qui, à la question sur le mitan de vie répond:
Pour les femmes, je pense que ça se présente différemment parce que… les femmes, on a, plusieurs — la majorité d’entre-nous —, on a élevé une famille, alors, rendues à la ménopause, les enfants sont partis, alors là, c’est ton temps à toi, c’est ton temps pour grandir pour faire les choses que t’as jamais eu la chance de faire. (56; méno, 46).
Pour d’autres, la minorité, le mitan de vie est un passage réel très clairement distinct de la ménopause:
Je pense que t’arrives à 40 ans, ou 41, il y peut-être pas un âge spécifique là. […] Mais je sais qu’il y a toujours un temps dans ta vie, entre 40 ans et 45, c’est une ré-évaluation de ta vie: où est-ce que tu t’en vas, c’est quoi que tu veux faire. Les enfants vieillissent… Rendue là, ce n’est plus ce que je voulais faire 20 ans passés. Je n’ai plus la même vision… (Andrée, 45; pré)
La ménopause, pour moi, c’est quelque chose de physique. Fait que… je dois endurer. La cinquantaine [le mitan], bien, c’est une autre vie qui commence. C’est une autre étape de ma vie. C’est vraiment une autre vie qui commence. (Roxanne, 53; méno, 46)
Oui, une différence… il y en a pour qui c’est très négatif [le mitan], ils veulent pas en entendre parler, ils veulent pas vieillir. Ils disent ah! j’ai mal partout ou… je sais pas trop quoi, puis ils s’encabanent. Mais, il y en a d’autres pour qui c’est très positif. Ils vont se sentir vraiment… ils se prennent en main puis ils disent bien, écoute, j’ai vécu 50 ans, là, comment je veux vivre mes autres 50? Je pense que c’est une prise de conscience des choses qui sont importantes pour toi. Maintenant, tu t’occupes plus de toi-même… on est rendues peut-être à l’étape de notre vie où on se dit, bien là, j’ai pris soin de tout le monde toute ma vie, là, c’est mon tour. (Kim, 53, méno, ?)
Bref, suivant cette logique, la distinction entre ménopause et mitan serait que la première porterait le poids des transformations physiques et le second, celui du questionnement de vie (aspects psychologiques). Et que l’une et l’autre seraient liés à la réflexion sur le vieillissement. Mais, encore là, comme on le voit, rien n’est à ce point clair ou tranché que la plupart puissent attribuer les indicateurs de leur vécu à l’un ou à l’autre phénomène.
Retrouvons-nous cette même confusion dans la perception que les femmes ont du mitan de vie chez les hommes et dans leur perception de l’andropause?
Rapport mitan-andropause?
Peut-on réellement parler d’un rapport à l’andropause alors que le phénomène est encore si peu accepté socialement ou même reconnu par les principaux intéressés? Pourtant, sa représentation existe bel et bien puisque, lorsque l’on demande aux interviewées si, selon elles, les hommes en vivent une, presque toutes répondent par l’affirmative.
Différences ménopause/andropause
En fait, lorsque l’on compare leurs perceptions de la ménopause et de l’andropause il y a trois éléments qui apparaissent récurrents dans les réponses des participantes et qui distinguent leurs conceptions des deux phénomènes. Contrairement à elles face à la ménopause, les femmes croient :
que les hommes ne sont pas conscients qu’ils vivent un processus tel que l’andropause — ou ne veulent pas l’être; c’est-à-dire qu’ils le vivent comme tare ou honte ou alors, ils sont en plein déni;
que, pour eux, l’anxiété se canalise presqu’exclusivement au niveau de la sexualité; leur identité de genre est irrémédiablement liée à leur performance sexuelle;
que, contrairement aux femmes, la santé ne fait aucunement partie de leurs préoccupations.
Voici quelques commentaires qui expliquent de quelle façon, selon elles, les symptômes sont similaires ou différents de ce que les femmes vivent en ménopause:
Je pense que oui; peut-être pas de la même façon que les femmes, plus subtile, car, physiquement, ils ont moins de signaux. Je pense que c’est plutôt au niveau psychologique. Même [au niveau] physiologique, ils ont des symptômes, mais ils ne le relient pas comme on le fait nous autres. 1 + 1 = ménopause. Eux, ils l’ont pas ça. (Élise, 54; mémo, 50)
Oui parce que… j’ai remarqué que mon mari, il est ben chialeux; il y a jamais rien qui est ben faite pour lui… y a pas un soir qu’il chiale pas. Il était pas de même avant… et puis il chiale pas juste contre la maison, il chiale contre le monde avec qui il travaille, il chiale contre ses frères… Il y a rien, rien, qui lui plaît… Je le sais pas qu’est-ce que c’est un symptôme de ménopause d’homme, à moins que ca serait ça, là, chialer; puis, il dort pas ses nuits. Il dit qu’il est debout à toutes les heures… (Carole, 57; méno: 45)
Je pense que oui. Peut-être pas au même temps que nous autres, là, mais… oui. Je pense qu’ils sont juste… plus difficiles. Je le sais pas comment le dire. Disons que c’est pas aussi facile à dépister chez les hommes que chez une femme… mais, en tout cas, je les vois comme peut-être un petit peu plus… impatients là… moins tolérables… (Brigitte, 52; méno, 45)
Certaines, dont les conjoints ont, selon elles, vécu cette transition, soulignent leur impossibilité à le reconnaître, à l’admettre:
Moi, j’ai trouvé,d’après mon experience avec mon mari… qu’il est devenu plus… jongleux. Il pense à des choses… je sais pas… il était comme déprimé. Lui, il disait que non… Mais juste sortir de lui-même, là, pour s’expliquer… il a jamais pu s’expliquer… Non. Il ne voulait pas l’admettre que c’était ça. (Guylaine, 56; méno, 45)
Sûrement. Mon conjoint a 57 ans… puis je me suis rendue compte que ça y était quand il approchait de la cinquantaine… je suis sûre qu’il traversait une période… Il était ben inquiet de sa performance… il avait peur: il perdait 3 cheveux, il pensait qu’il deviendrait chauve… il était impatient… D’ailleurs il s’est replacé depuis ce temps-là… mais il a passé une période: mettons qu’y faut pas appeler ça l’andropause! C’est quasiment la fin du monde pour lui! J’y faisais quand même allusion des fois… […] Il l’admet pas… mais, moi, je suis convaincue. (Julie, 45; méno, 45)
Non seulement il faut gérer notre ménopause, mais il faut aussi être là pour nos maris parce qu’eux autres, ils comprennent pas qu’ils passent à travers de ça. Et puis, ils sont pas informés… il y en a qui veulent s’informer, mais la majorité, non… je pense que les hommes ont les même étapes que les femmes… (Thérèse, 52; méno, 48)
Eux autres aussi, je pense qu’ils passent à travers, mais ils ne comprennent pas qu’est-ce qui leur arrive. Pour eux autres, ils blâment ça sur la femme. (Patricia, 50; méno, 42)
Crise du mitan et stéréotype
Et la crise du milieu de vie? Existe-t-elle, chez les hommes, selon les interviewées? Selon elles, est-ce réellement un questionnement différent de celui des femmes, comme le veut la représentation stéréotypique axée sur la seule réussite sociale, présentée ici par Brigitte?
Je pense qu’ils voient ça comme… à 50 ans, est-ce que j’ai tout fait l’argent? ou tout ce que je voulais faire? Plus que nous autres, moi, je pense. Parce qu’ils s’étaient mis des buts dans la vie. Est-ce qu’à 50 ans, j’ai pas mal accompli ces buts-là? Puis, s’ils ne les ont pas accomplis, bien, je pense qu’ils seraient pas bien dans leur peau. (52; méno, 45)
Ou ne croient-elles pas qu’ils sont aux prises avec une réflexion similaire à celle qu’elles vivent elles-mêmes? Un retour sur soi global qui implique tous les aspects de la vie. Et qu’il pourrait s’agir, là, des mêmes lieux d’inquiétude liés au vieillissement et à la suite de leur vie…
De fait, pour la majorité des répondantes, les hommes vivent effectivement une sorte de crise. Mais, pour un peu moins de la moitié, cette crise des hommes est la manifestation d’une réflexion poussée. Et force est de constater que la confusion entre mitan de vie et andropause est encore plus grande que celle entre ménopause et mitan.
Ah oui! moi, j’ai la certitude qu’ils vivent une andropause… je pense que c’est pas quelque chose qui est encore bien connu, qui est encore bien accepté… Mais maintenant qu’ils font face, eux aussi, a une… publicisation, je dirais, du phénomène de l’andropause, ils vont peut-être être amenés à se poser, eux-mêmes, des questions. Je pense qu’ils font notre chemin 15 ans, 20 ans plus tard. Je pense qu’ils doivent vivre ça… d’une façon malaisée comme, comme des gros changements dans la vie. Il y a des gros changements physiques puis, en même temps, il y a peut-être une réflexion… tout à fait personnelle. Il y a peut-être une petite voix en quelque part, qui dit, bien, pour nous autres aussi, il y a des changements, là. Ma blonde, elle va-tu m’aimer pareil si je vieillis? Il y a probablement ce même type de questions de façon masculine que les femmes se posent par rapport à leurs relations, je penserais… Qu’est-ce qui m’arrive après, physiquement? Jusqu’à quel degré ça va se dégrader? J’ai l’impression que les questionnements doivent être les mêmes, formulés autrement, puis beaucoup plus cachés. Mais, fondamentalement, ça doit pas être plus facile pour eux autres. (Sonia, 48; méno, 44)
Je suis convaincue qu’ils vivent une andropause. Je pense qu’ils se mettent en « entrepôt »… je dirais, vers la cinquantaine. Bien, c’est peut-être un peu… comme le mitan de la vie là, mais… je regarde les hommes que je connais qui sont dans la cinquantaine parce que la plupart de nos amis le sont; il y a nettement chez les hommes une baisse de… au niveau sexuel… mais on n’en parle pas. C’est encore plus secret que la ménopause pour les femmes, je pense. (Annette, 59; méno, 55)
Et comme le font bien voir les énoncés ci-dessous, non seulement l’ambiguïté entre CMV et andropause est-elle à peu près totale et sans cesse reproduite, mais le stéréotype de l’homme dans la quarantaine ou la cinquantaine aux prises avec le démon du midi en est l’emblème le plus tenace:
Je pense que oui… peut-être moins d’énergie, un peu de dépression… la ré-évaluation de leur vie. Peut-être à ce moment là de vouloir s’associer avec quelqu’un de plus jeune. (Jacqueline, 53; méno, 40)
Je pense que, pour eux autres, c’est plutôt relié au milieu de leur vie, que physique. C’est pas comme nous… Ils ont pas l’air de vivre ça comme nous autres. C’est plutôt un deuil… ils laissent aller leur jeunesse, on dirait… L’histoire de s’acheter une corvette pis des chaînes dans le cou. L’image: ils laissent leur femme pour des plus jeunes… on en voit beaucoup de ça… C’est comme si… les hommes ont plus peur de vieillir. (Renée, 43, pré.)
Ben, y en a beaucoup qui couraillent à ce temps-là. (Estelle, 57; méno, 42)
C’est une « mental pause » quant à moi, chez un homme. Oui. Je le crois fermement [qu’ils vivent une andropause]. Regarde un homme à 40 ans: dans beaucoup de cas comment il va se revirer de bord, là, s’acheter un sports car et s’en aller avec une femme de 20 ans… (Andrée, 45; pré.)
Attitude liée au mitan de vie, mais définition en termes d’andropause, finalement, on peut le voir, dans les représentations des femmes interviewées, andropause et mitan de vie ne répondent qu’à une seule et même symbolique, et encore plus fortement, pourrait-on dire, que dans le tandem ménopause-mitan.
Les hommes ont surtout une crise du mitan de vie, tout comme les femmes ont surtout une ménopause.
Une conception genrée
Nous voilà en pleine conception genrée, au plein coeur de stéréotypes incontournables, incisifs : la quarantaine ou la cinquantaine seraient aussi sexuelles chez les hommes, qu’elles ont été pendant longtemps — et sont encore — hormonales chez les femmes. Quelle est l’importance sociale de cette sexuation symbolique des phénomènes liés au vieillissement, chez l’un ou l’autre sexe? Et pourquoi les femmes, qui, pourtant, dénoncent à cors et à cris les effets négatifs des stéréotypes accolés à la représentation des femmes « en ménopause » semblent-elles avoir de la difficulté à ne pas reproduire ceux concernant les hommes « andropausés »?
On peut proposer certaines hypothèses explicatives. La plus percutante pourrait bien être liée à l’existence du féminisme. En effet, alors que le féminisme a donné aux femmes un cadre d’analyse à partir duquel elles ont pu faire éclater les représentations féminines traditionnelles — notamment l’image de la maternité comme équivalence à féminité/sexualité — on trouve peu de discours masculins d’envergure (ou qui récoltent une large adhésion) qui assument socialement ce rôle de critique de la définition traditionnelle de l’homme, où, avec la force, c’est d’abord la sexualité — une sexualité performante — qui est déterminante de la façon dont on se représente le masculin. Au contraire, pourrait-on dire : le discours masculiniste montant, actuellement, est tout sauf nouveau à cet égard, en ce qu’il insiste largement sur la dimension sexuelle comme composante du masculin[10].
Aussi, la représentation du vieillissement, chez l’homme, ne pourrait que s’exprimer dans ce cadre, tout comme la fin de la maternité était l’image obligée du vieillissement féminin. Pour s’en convaincre, il suffit d’inverser les symboliques et d’imaginer le vieillissement des femmes en termes de sexualité amoindrie et celui des hommes en termes d’incapacité procréatrice. Si cette construction symbolique peut se comprendre assez bien aujourd’hui, on aurait plus de mal à en trouver des traces dans les discours des décennies précédentes.
Les femmes interviewées remettent donc peu en question cette représentation du masculin, tout comme, probablement, la majorité des hommes. Mais qu’en pensent-ils, en fait? Les résultats des quelques enquêtes en cours à ce sujet seront assurément les bienvenus. Cela étant dit, il n’y a pas à douter, toutefois que dans l’environnement des participantes, il y ait des hommes qui agissent ou qui ont agi en conformité avec le stéréotype, tout comme il y a des femmes qui correspondent à l’image sociale décriée de la femme « ménopausée ». C’est la non contestation de l’universalité du stéréotype masculin qui est remise ici en question.
Dans un autre ordre d’idées, on peut aussi penser qu’il est peut-être essentiel, pour elles, de continuer à marquer les différences entre les sexes, de préserver des espaces symboliques sexués. Dans une recherche subséquente, l’on pourrait se demander si certaines variables telles que le niveau de scolarité ou l’inscription ou non dans un travail valorisé socialement, auraient une influence significative sur cette construction de leur réalité (identité? sécurité?).
Finalement, au delà de la question des stéréotypes, à quoi ressemblerait une lecture du vieillissement où des distinctions entre ménopause et mitan de vie (ou andropause et mitan de vie) seraient socialement reconnues et assumées? Cela redonnerait, sans nul doute, sa vraie place à chaque phénomène et obligerait à transformer et les stéréotypes et les pratiques.
Dans le cas de la ménopause, on arrêterait de penser que tout ce qui advient aux femmes dans cette période de leur vie est dû à leurs hormones (dépréciatif et méprisant) et donc on saurait donner au questionnement lié au bilan de vie l’importance qu’il mérite. Atténuer ou même éliminer les symptômes de ménopause n’empêche en rien de s’interroger et sur le vieillissement et sur la suite de la vie, en faisant les deuils nécessaires. Autrement dit, ce n’est pas parce que les progrès de la médecine arriveraient à éliminer totalement les difficultés de cette transition au niveau physique que les femmes pourraient faire l’économie d’un questionnement plus global lié au vieillissement. Ce que l’on a pu constater chez les femmes qui ont eu une ménopause précoce, autour de la quarantaine, et qui ont eu à vivre un questionnement de l’ordre du mitan lors de la cinquantaine.
Dans le cas de l’andropause, on ferait le chemin inverse. On relativiserait la vision du comportement erratique stéréotypé des hommes à cette période de leur vie, en attribuant aux transformations physiques la part qui leur revient. On porterait ainsi une attention plus aiguë à l’anxiété que cette transition peut produire chez eux et, comme dans le cas des femmes, on accorderait une place importante au bilan de vie, étape nécessaire pour aborder l’autre tiers de la vie. Cela autoriserait les hommes non seulement à développer une écoute de leur corps socialement acceptable, mais, surtout, cela leur permettrait de se créer un espace valable de questionnement, en dehors du rapport à la puissance sexuelle.
En ce sens, on peut voir qu’autant la ménopause, l’andropause que le mitan de vie sont des symboliques construites socialement et qu’elles portent le poids de leurs récurrences idéologiques.
Conclusion
Cette recherche a voulu contribuer aux études actuelles sur les représentations de la ménopause en permettant aux femmes d’exprimer leurs réflexions et de communiquer leur expérience à ce sujet. Bien qu’elle souffre de certaines limites liées à la construction de l’échantillon (pas de conjointes de même sexe et un échantillon un peu plus scolarisé que la moyenne de la province), elle permet cependant d’émettre certaines conclusions.
Tout d’abord, il semble assez clair, à la lecture des énoncés présentés, que l’on fait bien face à une diversité de situations de ménopause. Ce qui ne peut que remettre en question à la fois le stéréotype de la femme en transition de ménopause, au niveau social, et la capacité de la pratique médicale actuelle à prendre en compte cette variation, considérant la représentation que l’idéologie médicale (et donc beaucoup de praticiens) véhicule du corps de la femme et de la ménopause.
En second lieu, on a pu constater qu’il y a beaucoup de confusion dans la perception des phénomènes de la ménopause (ou de l’andropause) et du mitan de vie. On a attribué cette confusion à la construction sociale genrée dont cette perception est l’objet et qui fait en sorte qu’on voit le vieillissement en termes de crise du mitan, chez l’homme, et de ménopause, chez la femme, se conformant en cela aux représentations traditionnelles véhiculées dans les rapports sociaux de sexe.
La vision bio-médicale de la ménopause qui s’est imposée au cours de la deuxième partie du dernier siècle a été partie prenante de cette construction. Elle a réussi à rendre plus ambiguë encore la différence entre vécu du mitan et vécu de ménopause en réduisant ceux-ci au point de faire en sorte que la question hormonale occupe la presque totalité du champ des préoccupations.
Mais ce faisant, par un juste retour des choses, cette gestion hormonale a permis — entre autres, à cause des ménopauses précoces qu’elle a induites — d’ouvrir l’espace physique et symbolique nécessaire à une mise à distance entre les deux phénomènes, ce qui permet de percevoir le questionnement lié au mitan de vie comme réel. De même que, de son côté, la critique (féministe) de la vision bio-médicale, qui se développe depuis une vingtaine d’années, a rendu possible la réhabilitation des autres dimensions de la ménopause — notamment socio-historiques.
En ce qui a trait à la ménopause comme telle, on a pu constater, appuyant en cela les résultats des recherches récentes, qu’il y a autant de femmes qui la vivent bien que de femmes pour qui il s’agit d’une période très difficile, mais que, dans l’ensemble, une fois la transition terminée, on considère qu’elle révèle certains acquis: le sentiment de plus d’assurance, de confiance, d’affirmation de soi; un temps de la vie pour vivre enfin pour soi, la sensation d’être plus libre. De même que l’on a pu constater qu’il y a certaines contradictions dans la gestion thérapeutique que les femmes en ont: elles font appel autant aux médecines naturelles qu’aux interventions médicales traditionnelles. On pourrait même parler ici de l’émergence d’un modèle mixte. Et même si les pratiques liées à l’auto-santé, l’intérêt pour l’alimentation, l’exercice, se voient surtout chez les femmes les plus scolarisées, il est apparu clairement, au cours des entrevues, que la santé est une préoccupation fondamentale dans cette période de leur vie. Elles disent s’occuper de leur corps, elles nourrissent la conscience aiguë du fait que la ménopause n’est pas le début de la vieillesse mais une étape dans le vieillissement et que ce n’est ni la fin de la sexualité, ni celle de la féminité.
Par contre, s’il est rassurant de voir que les représentations que les femmes entretiennent d’elles-mêmes à l’âge de la ménopause se sont radicalement transformées au cours des cinquante dernières années, jusqu’à remettre en question le stéréotype de la femme ménopausée, il n’en va pas de même en ce qui concerne celles qu’elles ont concernant les hommes de leur âge: elles reproduisent presque intégralement le stéréotype de l’homme « andropausé ».
Il semble qu’il est temps que la sociologie s’intéresse aussi à cette question, mette à jour cette représentation, construite sur l’obligation d’une société qui, encore et toujours, ne se donne les moyens de se représenter les phénomènes du corps que négativement dichotomisés selon le sexe, c’est-à-dire, de façon réductionniste, dans un cas comme dans l’autre. On arriverait peut-être ainsi à réhabiliter la part non dite, cachée, obnubilée de la réflexion, des inquiétudes et des émotions que suscite cette période de la vie.
Chez les femmes comme chez les hommes.
Appendices
Annexe
Notes
-
[1]
Je tiens à remercier mes assistantes de recherche Anne Julien, Natalie Dupont et Sylvie Boucher pour leur travail respectif lors de la recherche bibliographique, de la collecte et de la transcription des données.
-
[2]
En fait, selon Statistique Canada, en 2001, 7,6 % des femmes ont entre 45-49 ans et 6,8%, entre 50 à 54 ans. Chiffres calculés à partir des Tableaux 051-0001 et 279-0003, Population selon le sexe et l’âge, CANSIM, 2001.
-
[3]
Cela vaut pour l’emploi à temps plein et à temps partiel. Statistique Canada, Population selon le sexe et l’âge, CANSIM, Tableau 279-0003, 2001.
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[4]
Deux enquêtes américaines sur la ménopause ont récemment démontré qu’il existe un risque plus élevé de cancer ovarien et de cancer du sein chez les femmes utilisant l’hormonothérapie de remplacement après la ménopause. La première est une enquête longitudinale sur 20 ans (NCI); la seconde (WHI) a dû être interrompue récemment, en cours de processus, les résultats démontrant que les participantes couraient des risques trop élevés. Voir: pour l’enquête du NCI (National Cancer Institut): JAMA, 288, 334-341. Pour celle du WHI (Women Health Initiative): JAMA, 288, 321-333.
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[5]
On retrouve beaucoup de ces travaux, exposés ou cités, dans les sites Internet d’information tels que ceux du North American Menopause Society; A Friend Indeed: Canadian Menopause Resource; le Réseau Canadien de la Santé; SOGC: la société des obstétriciens et gynécologues du Canada; Ménopause Canada; et dans des revues scientifiques telles que Women & Aging; Menopause: The Journal of The North American Menopause Society; Menopause Managment: Women’s Health Through Midlife & Beyond, etc.
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[6]
Voir les enquêtes produites par The North American Menopause Society:Women and Menopause Survey: Beliefs, Attitudes, and Behaviors. 1997 et Menopause Survey: Part II. Counseling About Hormone Replacement Therapy: Association With Socioeconomic Status and Access to Medical Care,, 1998
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[7]
Tous les prénoms mentionnés sont fictifs pour préserver l’anonymat des participantes. Suite au prénom, on trouve l’âge de la participante au moment de l’entrevue et l’âge d’entrée en ménopause lorsque cela s’applique.
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[8]
En fait, il n’y en a que trois qui changeront de médecin en cours de diagnostic, l’une parce que sa médecin traitant lui refusait le traitement hormonal, l’autre, à l’opposé, parce que son praticien voulait lui imposer l’hormonothérapie, malgré son refus répété, et la troisième parce qu’elle trouvait le médecin trop interventionniste.
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[9]
À preuve, le commentaire de cette femme, âgée de 44 ans, dans le cadre de l’enquête ontarienne: « Moi, je me suis déjà fait mettre sur la liste d’attente pour mon hystérectomie pour l’an prochain ou dans deux ans, parce que sinon, quand j’en aurai besoin, il n’y aura pas de place pour moi » (Erika, 44; préménopause, Table-ronde, octobre 2001). C’est la certitude qu’elle en aura besoin qui est hautement étonnante, ici.
Voir aussi le taux d’hystérectomie, au Canada. Même si la tendance est à la diminution, depuis les années 70, les taux d’hystérectomie demeurent plus élevés que ceux pratiqués dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest et plus élevés pour certaines catégories de canadiennes comparativement à d’autres. En effet, selon une enquête récente menée en Ontario 22% des Ontariennes âgées de 35 ans et plus ont subi une hystérectomie – et dans la majorité des cas, l’intervention a été pratiquée pour des raisons discrétionnaires (Conseil ontarien des services de santé pour les femmes, juin 2002).
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[10]
Voir, pour s’en convaincre, la revue en ligne Content d’être un gars.
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