La revue Alternatives Sud édite depuis 1994, à l’initiative du Centre Tricontinental (Cetri) , des dossiers thématiques trimestriels sur les enjeux Nord-Sud. Leur intérêt est de porter à la connaissance de lecteurs francophones (et d’autres langues également) des contributions d’auteurs du Sud et, par-là, une analyse internationalisée illustrée par la diversité des contextes et des points de vue exprimés. Le dernier numéro présente une série de contributions sur les organisations non gouvernementales (ONG), comprises comme vecteur privilégié du changement social aux échelles nationales et internationales. Alors qu’il y a déjà vingt ans (volume IV-1997, no 1), la revue interrogeait le rôle et la légitimité de ces dernières en tant qu’outil de mobilisation et de contestation du néolibéralisme, dans le présent numéro elle fait état de l’essor de ces associations et de l’institutionnalisation des mouvements sociaux que les ONG accompagnent comme interlocutrices attitrées des Etats dont elles sont le prolongement à l’échelle internationale, via le financement des agences d’aide au développement. Les contributions traitent de l’Asie (Thomas Gebauer et Shankar Gopalakrishnan) et plus particulièrement du mouvement indien des femmes (Srila Roy), des associations palestiniennes (Walid Salem), de l’Amérique latine (David Dumoulin Kervran et José Luis Rocha), de l’Afrique subsaharienne (Maria Nassali et Léon Koungou), et enfin, des organisations environnementales à l’échelle internationale (Alain Le Sann). Basé sur ces contributions, l’article introductif de Julie Godin intitulé « ONG : dépolitisation de la résistance au néolibéralisme ? » souligne la difficulté d’appréhender la nébuleuse des ONG en raison de leur diversité (taille, échelle d’intervention, contexte de création, champ et mode d’action, fonctionnement, nature juridique, source de financement, etc.) et des différences de perception entre le Nord et le Sud à leur égard. Il rappelle le lien entre le néolibéralisme qui s’est imposé après la chute du mur de Berlin au travers de la notion de « bonne gouvernance » promue par les organisations internationales (Banque mondiale en particulier), et l’essor des ONG comme prolongement d’un Etat réduit au minimum. Ce faisant, les ONG témoignent de la contradiction existante entre une vision « d’élargissement de la démocratie » qu’elles incarnent comme forme de représentation de la société civile, et le rétrécissement du champ de la citoyenneté qu’elles peuvent traduire comme forme de représentation « d’un espace et d’acteurs sociaux particuliers » (p. 11). Ce risque de « privatisation de l’intérêt public » (p. 170) peut s’illustrer par l’exemple de la question environnementale en Amérique latine où la montée des débats dans les années 1990-2000 s’accompagne de la baisse de moitié des fonds publics pour la conservation de l’environnement et d’une montée en puissance de grandes ONG internationales sur le sujet, notamment via la certification environnementale. Trois enjeux transversaux sont retenus pour l’analyse : le phénomène de « privatisation par voie d’ONG », les risques liés à la professionnalisation des ONG, et le paternalisme et le « réformisme » qui accompagnent, encore trop souvent, leurs modes d’action (p. 8). Derrière ces différents enjeux, c’est la problématique du financement de ces organisations qui est surtout posée : elle se retrouve dans la plupart des contributions, sous divers aspects. Le dossier souligne par exemple que les financements externes ont tendance à gagner les organisations « de membres », même celles issues des mouvements sociaux et syndicats (p. 30). Ainsi, alors que la logique d’une organisation demeure « guidée par les besoins de sa propre reproduction » (p. 103), une tension permanente existe entre la dépendance des ONG – latino-américaines par exemple, vis-à-vis de la source de financement « qui tient le crachoir » (p. 123) et la volonté démontrée, illustrée par le mouvement indien des femmes, …
ONG : dépolitisation de la résistance au néolibéralisme ?, Alternatives Sud, Volume XXIV-2017, no 2, Cetri, Syllepse, 177 pages[Record]
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François Doligez
Iram, Inter-réseaux développement rural