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Reconstruction de la société : analyses convivialistes, Marc Humbert (dir.), PUR, 2016, 220 pages[Record]

  • Danièle Demoustier

Marc Humbert, professeur à l’université de Rennes 1 et cofondateur de l’ONG Pekea, a réuni un ensemble de contributions issues du colloque « Un autre monde se construit » qui s’est tenu à Rennes en octobre 2015. L’ouvrage, préfacé par Edgar Morin, vise à construire une philosophie politique, une « doctrine » commune à divers artisans d’une pensée alternative qui, pour la plupart, ont élaboré ou signé le Manifeste convivialiste (2011) et inspiré l’émergence de certains mouvements civiques qui s’en rapprochent (Attac, Pacte Civique, Utopia…). L’ouvrage reprend aux thèses d’Ivan Illich (La convivialité, 1973) la critique du productivisme et de la quantification normative, mais s’attache moins à la critique des « outils » et des « institutions » qu’à celle du délitement du lien social par la marchandisation généralisée et l’appropriation du pouvoir par une oligarchie « techno-économique ». On y retrouve, sans les nommer explicitement, les inspirations associationnistes (de Owen à Proudhon) et personnalistes (de Mounier à Desroches), ainsi que de brèves références à l’éducation populaire et au « délibéralisme » (Dacheux, Goujon, 2011). Le livre est composé de deux parties : la première précise les principes convivialistes et certaines de leurs applications ; la seconde montre comment ces principes rencontrent ou sont portés par plusieurs mouvements de la société civile. L’approche convivialiste repose principalement sur la promotion de l’autonomie et de la créativité individuelles insérées dans des dynamiques collectives, ce qui fait dire à A. Caillé, dans son article « Le convivialisme comme philosophie politique », que le convivialisme reprend au libéralisme la volonté d’épanouissement individuel, au socialisme la recherche de l’épanouissement collectif, et au communisme la perspective d’une « communauté fraternelle ». Contre « l’hégémonie culturelle », notamment celle du « fondamentalisme marchand », il s’agit de défendre le « bien vivre », compris comme une « vie sociale pacifique » où les individus peuvent « s’opposer sans se détruire », une société de participation et de coopération dans une nature préservée. Il n’est donc pas question de contraindre, mais de convaincre, d’accroître le « pouvoir d’agir » afin que « chacun se sente bien tout en poursuivant ensemble le bien commun ». Ainsi la laïcité doit être ouverte et « faiseuse de paix » (J. Bauberot), l’éducation active et conviviale (F. Flahaut), la monnaie complémentaire locale et vectrice de liens (C. Fourel), l’autorité responsable et incitatrice (P.-O. Monteil), la production et la consommation maîtrisées démocratiquement (S. Latouche), alors que les échanges internationaux renforcent les pouvoirs des entreprises transnationales sur les Etats (S. George) et que les indicateurs actuels nous « aveuglent » (F. Jany-Catrice). Le convivalisme se veut donc « post-croissance » pour une société « de la mesure », post-libérale par la maîtrise démocratique, « post-viriliste » comme la « société du care », post-mondialisation par la relocalisation et post-occidentaliste par le « pluriversalisme » (T. Coutrot). Une telle perspective traverse déjà plusieurs mouvements de la société civile afin de la transformer en « société civique » ; « un tel mouvement ne part pas du néant, il est déjà présent sous des formes multiples » (P. Viveret). Certaines expressions du convialisme sont plutôt axées sur la dénonciation et la résistance alors que d’autres portent des initiatives et des expérimentations concrètes : altermondialisme, solidarité internationale, écologie, démarche civique, cercle convivialiste, prise en compte de l’expérience des plus pauvres, « convivance » sur l’espace public urbain, associations et tiers secteur, etc. Même si certains auteurs conviennent eux-mêmes que le terme de « convivialisme » n’est pas le plus approprié, que l’ensemble des réflexions et actions constitue « un puzzle éclaté », que le chemin qu’il reste …