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Longtemps fleuron de The Co-operative Group, The Co-operative Bank est à vendre. Créée en 1872 par The Co-operative Wholesale Society (CWS) basée à Manchester, en Angleterre, The Co-operative Bank avait pour objectif de répondre prioritairement aux besoins de financement des coopératives et des mutuelles ainsi que de leurs membres. Aujourd’hui connue sous le nom de Co-op Bank, elle s’est bâti une réputation d’entreprise innovante. Première banque à rémunérer les comptes courants en 1982 et à s’afficher banque éthique en 1992, elle s’est dotée d’une charte basée sur les valeurs coopératives d’entraide, de responsabilité individuelle, de démocratie, d’égalité et d’équité. C’est ainsi qu’elle promeut l’honnêteté et la transparence dans les relations avec ses clients et ses fournisseurs, la protection de l’environnement, celle des droits humains, le bien-être animal, règles qu’elle met en pratique en refusant par exemple d’investir dans un certain nombre de secteurs (armement, génie génétique, activités pouvant aggraver le changement climatique, expérimentation animale). Cette démarche éthique a contribué à valoriser une image que ses déboires récents risquent de ternir quelque peu.
Après la découverte inopinée de pertes très importantes en 2013 dues principalement à une politique d’acquisitions aux conséquences mal évaluées, la banque n’a dû son salut qu’à l’intervention de hedge funds, notamment le fonds vautour Aurelius Capital Management. En dépit du redressement opéré à partir de 2014, elle a continué à cumuler des pertes importantes, 473 millions de livres en 2016, après une perte de 610 millions en 2015. Devant cette situation, et face à l’impossibilité de satisfaire aux exigences en matière de fonds propres imposées par les nouvelles normes bancaires internationales, le conseil d’administration de la banque s’est vu contraint en février 2017 de prendre la décision de mettre en vente Co-op Bank. Ses actionnaires, les hedge funds qui l’avaient sauvée de la faillite en 2013 – elles détiennent 80 % du capital – et Co-op Group, ne sont pas en mesure d’injecter les capitaux additionnels requis. Est-ce la fin d’une histoire vieille de près de 150 ans ?
Une problématique liée à la gouvernance
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut se rappeler quelques épisodes antérieurs, à commencer par le rachat annoncé en fanfare en août 2009 de la building society [1] Britannia par Co-op Bank, donnant ainsi naissance à un groupe bancaire et financier de première importance, avec 70 milliards de livres d’actifs, 9 millions de clients, 12 000 salariés et plus de 300 agences. Dans la corbeille se trouvait également un gros portefeuille de créances liées à l’activité de la building society Britannia, accordé, pas toujours avec grand discernement, au moment du boom immobilier et qui, avec les développements de la crise de 2008, allait obérer lourdement la situation financière de Co-op Bank. Ce n’est que dans la période qui suit l’annonce en avril 2013 du projet de la reprise par Co-op Bank des 632 branches de Lloyds Bank [2] que la gravité de la situation allait être pleinement mesurée avec la découverte d’une perte de 1,5 milliard de livres.
La crise est ouverte, mettant en lumière un grave problème de gouvernance illustré par l’épisode tragi-comique du révérend Flowers, président de la banque, compromis dans une affaire de drogue. Elle gagne également Co-op Group dont la responsabilité est mise en cause en tant que société mère. L’affaire prend une dimension politique, d’autant que le Co-op Group est un contributeur historique au financement du Co-operative party [3], affilié au Labour.
La banque ne doit alors son salut qu’à des hedge funds dont les créances obligataires qu’ils détiennent sont converties en actions, leur assurant en même temps le contrôle de la banque. Co-op Group se retrouve actionnaire minoritaire avec 20 % du capital de la banque qui, rappelons-le, n’est pas une coopérative, mais une Public Limited Company [4], l’équivalent d’une société anonyme (SA) en France.
Une enquête est ordonnée par les autorités de régulation, confiée à un ex-ministre du Budget, Lord Myners, qui révèle les conséquences désastreuses du rachat de Britannia, l’incompétence des dirigeants de la banque et la responsabilité des autorités de régulation qui ont approuvé l’opération au départ. Le rapport Myners met également le doigt sur la fragilité de Co-op Group et ses déficiences en matière de gouvernance, avec un système de représentation complexe et peu démocratique et un conseil d’administration où les jeux de pouvoir et les ambitions personnelles l’emportent sur les compétences. La nomination à la présidence d’une personnalité telle que Flowers en est une illustration.
Suite au rapport Myners, un plan de réforme a été mis en place, mais il n’a pas suffi à remettre la banque définitivement à flot. Aux pertes associées à la reprise de Britannia s’ajoutent, en effet, l’écrasement des marges suscitées par des taux d’intérêt historiquement bas, le coût de la restructuration de sa plateforme informatique ainsi que des compensations versées au titre du scandale de la vente abusive (mis-selling) de produits d’assurance (Payment Protection Insurance) dans laquelle toutes les banques anglaises ont été impliquées.
Une crise des principes coopératifs fondateurs
L’affaire Co-op Bank n’est pas seulement l’histoire d’une banque mal gérée dont l’avenir apparaît compromis, même s’il n’est pas définitivement scellé. C’est aussi l’histoire de ce que ses critiques considèrent comme la dérive de Co-op Group, un groupe coopératif assez unique au monde tant par sa dimension avec 8 millions de clients, 2 800 magasins, cinquième réseau de distribution du Royaume-Uni avec près de 7 % de part de marché, que par la gamme très étendue de ses produits et services : alimentaire, assurances, pharmacie (cédées depuis lors), production agricole, services financiers, tourisme, pompes funèbres, etc. Le groupe a besoin d’être à la fois géré sur une base très professionnelle dans un contexte extrêmement compétitif, mais aussi de retrouver le sens des valeurs et le mode de gouvernance coopératif qui ont fait son succès et auxquels ses clients sont attachés.
Pour certains la crise n’est, en effet, pas tant le résultat de l’incapacité de faire les bons choix dans une organisation coopérative du type de Co-op Group, comme pourrait le laisser penser le rapport Myners, mais tout autant dans l’éloignement d’avec les principes fondateurs et une véritable déficience du fonctionnement démocratique. C’est l’analyse qu’en fait notamment Edgar Parnell dans « Rearranging the Deckchairs » [5] et qu’on retrouve exprimée dans des médias comme The Guardian, la BBC et d’autres organes de presse britanniques qui ont accordé une large place à ces événements.
La crise de 2013 a agi sur Co-op Group comme un révélateur et provoqué un sursaut salvateur. Le schéma de gouvernance a été réformé pour gagner en efficacité et permettre également l’expression démocratique des membres. Un milliard de livres sur la période 2014-2017 est consacré au programme de « reconstruction » (Rebuild) qui porte ses fruits. Une centaine de nouveaux magasins ont été ouverts en 2016. Des centaines d’autres sont prévus pour les années qui viennent. Autre signe encourageant, la ristourne [6] supprimée depuis 2014 devrait être rétablie en 2018.
Les capacités de résilience de Co-op Group
La crise liée à Co-op Bank, si dommageable soit-elle en termes d’image, ne devrait pas faire obstacle à la poursuite du redressement du groupe opéré sous l’égide de David Pennycoock. Celui-ci, estimant – le fait est assez rare pour être souligné – que l’entreprise étant maintenant sur la bonne voie et ne requérant donc plus le même degré d’engagement de sa part, a proposé une réduction de 60 % de sa rémunération, au demeurant confortable. On peut d’ailleurs se demander si la vente de Co-op Bank ne devrait pas plutôt être envisagée positivement dans la mesure où serait ainsi éliminé un foyer de perte qui obère la situation de Co-op Group et a failli déjà l’entraîner par le fond.
Enfin, la situation à laquelle a dû et doit encore faire face Co-op Group et dont on peut espérer que la page soit bientôt définitivement tournée entre en résonnance, dans un contexte certes très différent, avec celle des coopératives de consommation en France, entraînées dans une débâcle irrémédiable il y a une trentaine d’années. Les interrogations qu’elle soulève sont par bien des aspects les mêmes. Co-op Group s’y confronte plus résolument que ne l’ont fait ses homologues français et, en dépit de péripéties comme celle qui vient d’être exposée, semble plus en mesure d’y apporter les bonnes réponses.
Une situation très compromise pour Co-op Bank
Pour Co-op Bank, la situation est très compromise. Certes, la banque dispose d’atouts avec 4 millions de clients et une identité forte de banque éthique. A souligner également, en dépit de pertes récurrentes, le redressement opéré depuis 2013 avec une réduction substantielle des coûts, notamment en raison de la suppression de la moitié de ses agences, du transfert de sa plateforme informatique à IBM et de l’assainissement partiel du portefeuille de créances légué par Britannia.
Toutefois, trouver un repreneur ne sera pas tâche aisée. « L’heureux élu » devra ajouter au prix à payer pour la reprise les capitaux nécessaires pour remettre l’entreprise à flot, sachant que par ailleurs il trouvera dans la corbeille les créances irrécouvrables héritées de la fusion de 2009 avec Britannia.
Plusieurs noms de banques sont avancés par la presse anglaise (TSB/Sadabell, Santander, Clydesdale & Yorkshire, Virgin Money). Plusieurs fonds d’investissement (Cerberus, AnaCap) sont également cités parmi les repreneurs potentiels.
En l’absence de repreneur, les actionnaires et les détenteurs d’obligations pourraient se voir imposer par le régulateur d’avoir à recapitaliser la banque. En cas d’impossibilité de réunir les capitaux nécessaires, le régulateur britannique (Prudential Regulation Authority) pourrait mettre en oeuvre la procédure de résolution, c’est-à-dire la liquidation ordonnée de la banque. Un scénario de descente aux enfers en bonne et due forme.
Appendices
Notes
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[1]
Une building society désigne en Angleterre une coopérative d›épargne et de crédit immobilier.
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[2]
La Loyds Bank était passée dans le giron du gouvernement britannique lors de la crise de 2008.
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[3]
Co-operative party est un parti politique qui compte 27 élus siégeant à la Chambre des communes. Il est également représenté à la Chambre des lords. Créé en 1917 à l’initiative du mouvement coopératif, il est lié au Labour party par un pacte, les deux partis soutenant dans un certain nombre de circonscriptions des candidats choisis en commun sous l’étiquette « Labour and Co-operative party ».
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[4]
Public Limited Company (PLC) est une forme juridique qui n’existe qu’au Royaume-Uni, en Irlande et dans les pays du Commonwealth. Il s’agit de la structure adoptée par la quasi-totalité des grandes entreprises privées, cotées ou non en bourse. Ce statut se rapproche de la société anonyme (contrairement à ce que le mot « public » pourrait laisser croire).
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[5]
Edgar Parnell est un consultant indépendant avec une vaste expérience de la coopération. Il a exercé des responsabilités dans ce domaine tant au Royaume-Uni que dans d’autres parties du monde. Il a présidé la société des études coopératives et est l’auteur de nombreux ouvrages et études dont Reinventing the Co-operative et, en dernier lieu, Co-operation - the Beautiful Idea. Le texte « Rearranging the Deckchairs » a été adressé à l’auteur par Edgar Parnell en février 2014.
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[6]
Considérée par certains des théoriciens de la coopération comme « la règle d’or de la coopération », la ristourne correspond à la partie des excédents qui, après affectation aux réserves, est reversée aux sociétaires au prorata des opérations traitées avec chacun d’eux, et non pas au prorata du capital détenu.