Au moment où de plus en plus de citoyens cherchent à réhumaniser une économie destructrice de ressources naturelles, de richesses humaines et de cohésion sociale, les Actes du colloque « Vers une économie humaine ? », qui revisitent la pensée d’auteurs un peu oubliés aujourd’hui tels que L. J. Lebret (1897-1966), H. Lefebvre (1901-1991), F. Perroux (1903-1987), E. Mounier (1905-1950) et H. Desroche (1914-1994), bien connus des lecteurs de la Recma, nous interpellent sur la manière de concevoir cette transformation économique. Les quatre décennies principales couvertes (entre 1930 et 1970), à partir d’une crise économique, sociale et politique vue aussi comme une crise morale et spirituelle, ont en effet produit des pensées non conformistes visant à échapper à l’alternative entre libéralisme et totalitarisme. Puisant leur inspiration à la fois dans le christianisme, l’associationnisme et le marxisme, ces différents penseurs engagés partageaient l’ambition de construire une « définition de l’économie humaine » à partir d’une approche morale, politique et scientifique. Après une présentation des « itinéraires de ces cinq personnalités », l’ouvrage, riche et foisonnant, regroupe les communications en quatre autres parties : les origines chrétiennes et socialistes de leurs écrits ; leur rapport aux « pouvoir, économie, institutions » ; leurs conceptions de « la croissance et du développement humain » ; la dernière partie, plus hétéroclite, présentant des moyens recherchés pour activer « cette création collective » (de la planification à la recherche-action), avec quelques digressions dans un but d’actualisation. Ces analyses révèlent, sous des formes diverses, le même souci de conjuguer recherche et implication, méthodes d’analyse et méthodes pédagogiques à partir des expériences de la vie quotidienne. A travers des pratiques et des développements différenciés, elles traduisent la même critique de l’individualisme, du libéralisme, du capitalisme ou du totalitarisme et convergent vers une même finalité : construire une « économie de l’Homme et pour l’Homme », par et pour « tout l’Homme et tous les Hommes ». Le terme « économie humaine » a été proposé en 1940 par Lebret, qui l’a fait reposer sur trois piliers : « l’idéal communautaire, la hiérarchie des besoins et la solidarité ». Il n’est pas explicitement utilisé par tous, mais ses références sont partagées : la primauté de l’homme sur l’argent, du travail sur le capital, de l’implication et de l’engagement sur l’aliénation et la soumission. L’économie est donc appréhendée comme science morale, politique et scientifique ; elle ne saurait être laissée à la seule discipline des économistes. Les réflexions sur la nature humaine et les critiques sociales sont alimentées par les apports du christianisme (plus indirectement pour Lefebvre), de l’associationnisme, de Fourier à Gide, en passant par Buchez et Proudhon (plus lointain pour Perroux), et du marxisme (moins exploré par Mounier). Du christianisme, on retiendra la transcendance, la foi dans l’Homme, sa capacité de responsabilité et de fraternité, l’influence de la doctrine du « bien commun » de saint Thomas d’Aquin, fondatrice de la doctrine sociale de l’Eglise (de Léon XIII et Pie XI jusqu’au concile Vatican II) ; de l’associationnisme, la nécessité d’une utopie sociale mobilisatrice et d’une organisation collective ; du marxisme, l’historicité et l’analyse des processus d’aliénation et de domination, plus que d’exploitation, compte tenu de la place accordée à la philosophie et à l’anthropologie économique (chap. 6). Chacun de ces auteurs a vécu une relation complexe, de continuités et de ruptures, avec les institutions catholiques ou communistes de son époque et a plus ou moins participé à leurs évolutions. Ils s’accordent pour critiquer et refuser l’individualisme libéral, pour dénoncer la réduction du comportement humain à la figure de l’Homo oeconomicus, atomisé, atemporel …