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Assemblée générale 2015 de Cooperatives Europe

A l’occasion du grand rassemblement des coopérateurs européens qui s’est tenu à Paris du 22 au 24 avril dernier, les mouvements coopératifs français et européen ont affirmé leur ambition de communication et d’actions de lobbying, afin de favoriser le développement des coopératives.

Coop FR, organisation représentative du mouvement coopératif français, a accueilli près de 170 coopérateurs européens à Paris, dans le cadre de l’assemblée générale de Cooperatives Europe, la région Europe de l’Alliance coopérative internationale (ACI). Fortes de leurs succès et de leur contribution aux économies nationale, européenne et internationale, les entreprises coopératives ont confirmé leur volonté d’être plus visibles et de se donner les moyens de leur développement. L’événement a également été propice aux échanges sur l’un des plus grands défis du mouvement coopératif : la transmission générationnelle.

Les entreprises coopératives se donnent les moyens de leur développement

Si les mouvements coopératifs français et européen se sont félicités de l’adoption récente de législations en faveur des coopératives, en Espagne en 2011 puis en France et au Royaume-Uni, ils restent vigilants, afin de défendre les spécificités des coopératives.

Au niveau national, les entreprises coopératives françaises disposent désormais d’outils de développement dans le cadre de la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS). Ainsi que l’a rappelé Carole Delga, alors secrétaire d’Etat en charge de l’ESS, dans son message vidéo diffusé en ouverture de l’assemblée générale, la France a été l’un des premiers pays à donner à l’ESS un cadre juridique ambitieux, sans équivalent pour l’instant, grâce à la loi du 31 juillet 2014. « Cette loi est importante, parce qu’elle comprend un volet central dédié aux coopératives, pour leur permettre de se moderniser […] ». Le mouvement coopératif français attend désormais qu’une véritable politique publique soit développée en faveur des entreprises coopératives avec des moyens financiers, telle que l’action de BpiFrance.

Selon Jean-Claude Detilleux, administrateur et ancien président de Coop FR, les avancées ont été nombreuses pour les coopératives, depuis l’année internationale des coopératives décrétée par l’ONU en 2012. Néanmoins, il a évoqué certaines menaces et un climat qui apparaît moins favorable en France, notamment le manque « d’une administration suffisante pour suivre la mise en oeuvre de ce qui a été instauré et la difficulté de mise en place des financements spécifiques promis par le président de la République. Dernier épisode qui doit nous alerter, la contestation de la spécificité des coopératives de commerçants détaillants », dans le cadre du projet de loi Macron.

Patrick Lenancker, président de la Confédération générale des Scop, a au contraire estimé que le contexte était bénéfique pour les Scop. Les politiques publiques peuvent selon lui agir en faveur des coopératives, mais un important lobbying est nécessaire pour obtenir des outils, telle la Scop transitoire d’amorçage nouvellement créée, qui permet aux salariés de devenir propriétaires de leur entreprise dans un délai de sept ans.

Au niveau européen, les entreprises coopératives restent également mobilisées pour faire reconnaître leurs spécificités. En France, la secrétaire d’Etat a confirmé « le travail en cours avec le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes au sein du gouvernement français pour interpeller la Commission européenne, afin qu’elle inscrive à son agenda la prise en compte des modèles économiques de l’économie sociale et solidaire, et particulièrement le modèle coopératif ».

Participant aux débats du 23 avril, Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de Paris, co-auteur du rapport sur la contribution économique des coopératives en 2012, a encouragé les mouvements coopératifs à poursuivre leurs efforts par des actions de lobbying à l’égard des institutions européennes (Commission et Parlement).

Hélène-Diane Dage, chef adjoint d’unité de la direction générale « croissance » (growth) de la Commission européenne, a, quant à elle, garanti la volonté de la Commission d’encourager l’intégration du thème des coopératives dans les programmes d’éducation à l’entreprise.

Au niveau international, enfin, Dame Pauline Green, présidente de l’ACI, a rappelé l’implication du mouvement coopératif mondial au forum des entreprises dans le but d’émettre des recommandations à l’attention du Business20 (B20), le sommet des dirigeants des vingt plus grandes économies du monde. Les coopératives doivent « être visibles » et « faire la différence dans le monde » a-t-elle réaffirmé.

Création d’un réseau de jeunes coopérateurs européens

La création d’un réseau des jeunes coopérateurs européens marque l’ambition des entreprises coopératives de répondre à l’un des devoirs des coopérateurs, la transmission, comme l’a souligné Jean-Louis Bancel, président de Coop FR. Ce réseau donnera l’élan nécessaire pour investir le champ de l’éducation, par le biais d’actions vers les écoles et les universités, pour renforcer la communication digitale autour du modèle coopératif et s’ouvrir aux autres formes d’économie, collaborative, citoyenne, etc.

La table ronde dédiée à la place des jeunes au sein du mouvement coopératif européen a permis de nouer un dialogue bienveillant entre les générations. Rhiannon Colvin, fondatrice de la coopérative britannique AlGen, a lu la déclaration rédigée la veille lors du pré-événement constitutif du réseau européen des jeunes coopérateurs qui a rassemblé près de soixante-dix participants venus de dix pays d’Europe. Ledit réseau a ainsi adopté un plan d’action concernant la communication, les rencontres, l’intercoopération, l’éducation, le soutien aux réseaux nationaux et les revendications auprès du mouvement coopératif, comme le rajeunissement des organes de coordination et de représentation du mouvement coopératif (30 % de moins de 35 ans), la parité, la limitation à deux mandats, la réduction des tarifs pour les jeunes lors des rencontres nationales et internationales.

Sébastien Chaillou, président de Solidarité étudiante et représentant du réseau français des jeunes coopérateurs, s’est fait le porte-parole d’une génération de coopérateurs militants qui souhaitent dépasser le « vernis coopératif », craignant l’effet de mode.

Dirk J. Lehnhoff, président de Cooperatives Europe, et Jean-Louis Bancel, président de Coop FR, ont souscrit aux arguments des jeunes coopérateurs. Selon J.-L. Bancel, « la Coopération, c’est la transmission générationnelle. Il nous faut utiliser la puissance et l’impétuosité de la jeunesse ! ».

Pauline Green a également exprimé un soutien fort à la démarche du réseau des jeunes coopérateurs, en invitant l’un de ses représentants à participer aux travaux du B20.

Le mouvement est en marche. Un deuxième rassemblement des jeunes coopérateurs européens est organisé à Bologne et Milan les 22 et 23 septembre 2015. Il permettra à une délégation de trente jeunes coopérateurs de tous les pays de l’Union européenne (UE) d’échanger sur les perspectives du réseau des jeunes coopérateurs européens et de préparer les prochains cadres de travail et d’échanges. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre de l’exposition universelle de Milan et sera l’occasion, pour la délégation, de rencontrer les coopératives qui y participent et d’échanger avec des jeunes du monde entier.

Chrystel Giraud-Dumaire, Coop FR

XXVIe colloque de l’Addes : Les chiffres de l’économie sociale, où en est-on ?

Le 24 mars dernier s’est tenu le XXVIe colloque de l’Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale (Addes), dont le thème est au coeur du projet de cette association et de sa contribution à la connaissance de l’économie sociale et solidaire (ESS). Il était particulièrement pertinent de revenir sur la production de statistiques dans un contexte où la loi étend le périmètre de l’ESS aux entreprises sociales, tandis que s’accroît la connaissance statistique de ce champ. Au-delà, les usages de la statistique publique ont été souvent questionnés de façon fort judicieuse par les intervenants et de façon très rythmée par Philippe Kaminski qui, à l’issue de chaque table ronde, venait alimenter la réflexion d’ensemble sur les bons et mauvais usages des chiffres sur l’ESS. Une animation dynamique et un croisement bien construit de regards de chercheurs et d’acteurs font aussi partie des ingrédients qui ont contribué à la qualité de la journée.

Le colloque s’est articulé en plusieurs temps. Dans ses propos introductifs, Jean-Louis Bancel, président du Crédit coopératif, reprenant la métaphore d’une économie sociale sans rivages [1], a évoqué l’absence de neutralité de la mesure et le fait qu’elle est une construction sociale, mettant ainsi d’entrée de jeu l’accent sur l’importance de compter, sur la rigueur nécessaire, mais aussi sur l’enjeu de la mise en débat des méthodes, des résultats et de leurs interprétations. Henry Noguès a ensuite souligné l’importance de se compter pour compter et rappelé le caractère fructueux des échanges et des coopérations entre l’Addes et l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), puis progressivement avec les chambres régionales de l’ESS (CRESS). Si compter permet de « corriger les erreurs de représentation », c’est également un « pouvoir d’agir ». Mais il a aussi justement précisé que compter ne fait pas tout : la compréhension de la réalité dans sa complexité et dans ses tensions suppose également d’autres outils et d’autres référentiels.

La statistique publique

La production de données par la statistique publique a fait l’objet de la première table ronde animée par Viviane Tchernonog. Julien Deroyon et Aurelien d’Isanto de l’Insee, dans des interventions particulièrement pédagogiques sur un sujet ardu pour les non-statisticiens, ont présenté les avancées de la statistique publique sur la question du poids de l’économie sociale au niveau macro économique, c’est-à-dire sur la part de l’économie sociale dans la valeur ajoutée et, donc, sa contribution au produit intérieur brut (PIB). Il s’agissait également d’apprécier la situation économique et financière des unités de l’économie sociale, de les décrire dans leur diversité. Julien Deroyon a indiqué comment les données ont été construites et décrit le cadre de la comptabilité nationale, qui leur sert de soubassement. Il a notamment souligné que, en l’état actuel du répertoire statistique, seul peut être appréhendé le socle traditionnel de l’économie sociale, et non le socle élargi aux entreprises sociales. Aurélien d’Isanto a quant à lui exposé les grands objectifs de l’enquête « associations », sa préparation en lien avec un comité scientifique et la collecte des données, en signalant l’intérêt de partir des associations – et non des ménages –, et de distinguer les associations employeuses des non employeuses. Cette présentation de la fabrique de la statistique publique était particulièrement intéressante pour mieux comprendre comment sont produites les données.

Les territoires

La seconde table ronde, présidée par Arnaud Matarin, avait pour thème « Observer l’ESS dans les territoires ». Les représentants des observatoires des CRESS Paca et Pays de la Loire ont particulièrement souligné l’importance de la production, de la compréhension, de l’analyse et de l’usage des données locales, en expliquant comment ces données pouvaient contribuer à l’émergence de pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). Enfin, Jean-François Draperi a insisté sur l’intérêt de cartographier l’ESS et sur les résultats que l’on peut en tirer pour mieux la connaître. Revenant sur l’Atlas commenté de l’économie sociale et solidaire 2014, il en a montré l’apport important sans en omettre les limites : l’enjeu de la construction des données régionales et leur coordination à l’échelle nationale pour chaque famille (coopération et association) ; la caractérisation des membres et de l’impact ; la compréhension de dynamiques diversifiées. Reprenant les résultats d’une étude réalisée avec Cécile Le Corroller dans le cadre d’une cartographie coopérative (voir article Recma n° 335) [2], il a aussi démontré l’intérêt de caractériser l’ancrage territorial des coopératives.

Le travail

Une troisième table ronde, présidée par Nadine Richez-Battesti, a privilégié la connaissance du travail dans l’ESS. Lionel Prouteau, présentant les progrès et les zones d’ombre en la matière, a pointé le développement de travaux sur la qualité du travail et l’insuffisance de données sur le bénévolat. Le principal problème vient aujourd’hui de l’absence d’enquête auprès des ménages qui puisse être comparée à celle de 2002 réalisée par l’Insee. Il y a là un véritable enjeu. Mathieu Narcy a analysé de son côté la question de la motivation au travail qui anime les salariés des associations et, plus précisément, du lien qui peut exister entre qualité de vie au travail et préservation de ce type de motivation. Enfin, Brigitte Lesot a présenté le baromètre Chorum sur la qualité de vie au travail. A partir d’un échantillon de plus de 6 000 réponses, la perception de la qualité de vie au travail des salariés de l’économie socialeest légèrement supérieure à la moyenne nationale : 6,3 points contre 6,1 points pour le secteur privé. L’autonomie décisionnelle apparaît comme un facteur qui contribue au sentiment de qualité de vie au travail, ainsi que l’écoute des responsables et des managers. En revanche, il existe un sentiment de dégradation et des inquiétudes liées à l’évolution des métiers ressentis par 57 % des salariés. Cette évolution est perçue négativement par près de 8 personnes sur 10 (comportements agressifs du public, intensification du travail et phénomènes de concentration et de regroupement).

Enjeux politiques

La dernière table ronde, présidée par Charlotte Debray, du think tank Fonda, concernait les enjeux politiques de la production et des usages de la statistique publique ainsi que de l’ensemble des données chiffrées en matière d’ESS. Les quatre grandes familles de l’ESS (coopératives, mutuelles, fondations, associations), tout en partageant des valeurs et des exigences, représentent des réalités très diverses. Quels sont les enjeux de la production de données chiffrées pour chacune d’elles ? Quels usages en font les organisations représentatives de ces grandes familles, quelles sont les questions politiques, voire sociétales qui les traversent ? Édith Archambault, vice-présidente de l’Addes et présidente d’un groupe de travail qui a remis au Conseil national de l’information statistique (Cnis) un rapport sur la connaissance des associations, a souligné que, comparativement à la plupart des pays européens, la France dispose de données statistiques de bonne qualité, grâce au travail de l’Insee, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et aux recherches de Viviane Tchernonog. Elle a rappelé que l’Europe, après un intérêt à éclipse pour l’économie sociale, a récemment suscité et financé trois grands programmes de recherche. Le premier, l’impact du tiers secteur (third sector impact), au champ plus large que les associations et les fondations et plus restreint que l’économie sociale, concerne une dizaine de pays européens. Il est piloté par Bernard Enjolras, ancien de l’Uniopss (Unir les associations pour développer les solidarités en France). Un autre programme sur les formes du bénévolat et son impact est dirigé par Helmut Anheier, qui a copiloté le programme comparatif Johns Hopkins. Un troisième programme sur la connaissance des entreprises sociales est pris en charge par Jacques Defourny. Du point de vue des coopératives, Chrystel Giraud-Dumaire, responsable de la communication de Coop FR, l’organisation représentative du mouvement coopératif français, a posé la production de données chiffrées comme un enjeu essentiel pour la coopération, notamment pour la reconnaissance des spécificités du modèle coopératif et de ses différentes composantes. Coop FR est d’ailleurs partie prenante des travaux sur le panorama sectoriel des entreprises coopératives conduits par l’observatoire national de l’ESS dont ce sera la 5e édition en 2016. De son côté, Laurence de Nervaux est responsable de l’observatoire de la Fondation de France qui, depuis 1997, produit et diffuse des données sur le secteur des fondations et ses huit statuts juridiques différents. L’enquête menée, pour sa quatrième vague cette année, permet de caractériser les principales tendances des indicateurs du poids économique des fonds et fondations en France. Quant à Mary Lamy, conseillère technique au Mouvement associatif CPCA (Conférence permanente des coordinations associatives), elle a défendu l’importance de la production des données pour la meilleure connaissance des associations. Enfin, selon Arnaud Lacan, responsable de la prospection du groupe MAIF, si la production de données dans le champ des mutuelles est assez aisée, elle est essentielle pour faciliter la différenciation entre les trois formes de mutualité et en renforcer la connaissance.

En conclusion, Henry Noguès a rappelé le rôle de l’Addes dans la coconstruction avec les statisticiens du service public des données qui éclairent la réalité de l’économie sociale. Jean-Pierre Duport, ancien président du Cnis de 2004 à 2014, a plaidé pour que la production de chiffres réponde aux attentes de la société, voire les anticipe, mettant en avant que « les bonnes statistiques constituent un enjeu démocratique ». Enfin, Jean-Claude Detilleux a insisté sur la nécessité de continuer à documenter l’ESS d’un point de vue statistique pour mieux rendre compte de ses principes et de sa réalité, mais aussi pour favoriser une reconnaissance en France et en Europe qui reste encore fragile.

La journée s’est conclue sur la remise du prix de l’Addes, attribué à la thèse en gestion de Pascale Château-Terrisse portant sur les outils de gestion dans la finance solidaire. Celle-ci, soutenue à l’université de Paris-Est sous la direction de Muriel Jougleux, est intitulée : « Les outils de gestion transporteurs et régulateurs des logiques institutionnelles, cas de deux organisations de capital-risque solidaire ». Le prix du mémoire fait l’objet d’un rapport du jury dans cette même rubrique.

Excellent cru donc que ce colloque de l’Addes, qui a contribué à la fois à démythifier la production des données, tout en montrant leur richesse et en soulignant l’enjeu et les écueils de leur analyse.

Nadine Richez-Battesti

Prix de l’Addes 2015 : rapport du jury pour les mémoires de master 2 [3]

Le jury du prix du mémoire (master 2) de l’Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale (Addes) a distingué cette année le lauréat parmi 29 auteurs de mémoire nous ayant soumis leurs travaux (tableaux 1 et 2, en page suivante).

Tableau 1

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Tableau 2

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Sur les 29 auteurs, 14 étaient rattachés à des universités ou écoles de commerce parisiennes, 11 de province (Lille et Grenoble en tête), et 4 n’avaient pas de rattachement explicite.

Résultats

Le lauréat 2015 est Raphaël Laforgue pour son mémoire d’histoire des sociétés occidentales contemporaines soutenu à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne : « La coopération sans les coopérateurs. Promotion de la coopération de consommation par la FNCC, France, 1918-1930 ». Avant d’en faire une brève présentation, le jury tient à souligner au moins la qualité des huit autres mémoires retenus au premier tour.

En premier lieu, celui de Sylvain Celle, soutenu à l’université de Lille 1, en sciences économiques : « L’esprit coopératif entre deux guerres. Les registres de justification du mouvement coopératif dans les transformations idéologiques du capitalisme français (1919-1939). » Ce candidat était en effet au coude à coude avec R. Laforgue dans la dernière ligne droite. Mais, le mémoire de S. Celle ayant été retenu par le jury du 6e Prix de la recherche coopérative, remis par la Fondation du Crédit mutuel et la Recma en janvier dernier, il a pu être retiré du lot des nominés.

Le jury avait également retenu le mémoire de Jean-Noël Fraizy, soutenu à l’université de Grenoble en sciences politiques : « L’Udess 05 [Union départementale de l’ESS des Hautes-Alpes]. L’institutionnalisation d’une représentation politique d’économie sociale et solidaire ». Ce travail est d’une grande pertinence et utile pour les acteurs et responsables des chambres régionales de l’ESS (Cress) et du Conseil national des Cress (CNCRESS) qui se préoccupent de plus en plus d’établir des plates-formes territoriales de proximité de l’ESS au contact des autres acteurs du développement local.

Sur les six autres mémoires ayant retenu l’attention de divers membres du jury, deux méritent une mention particulière :

  • Geoffrey Laissus, « Quels axes stratégiques pour développer une société coopérative de services aux entreprises ? Services coop de France », master spécialisé en management international agroalimentaire, Essec Business School, 2014.

  • Alain Brulard, « Quelle compatibilité entre le modèle associatif et le concept de résidences-services pour seniors ? A la lumière de l’expérience belge : de la description du concept à la présentation d’un modèle de mise en oeuvre en France », master « management des organisations », Institut d’administration des entreprises (IAE), Paris, 2014.

Signalons enfin les auteurs des quatre derniers mémoires retenus au premier tour : Sylvain Baruel, Clémence Bideau, Manon Desert et Jean-Marie Gallon.

Le lauréat

Présentons maintenant le mémoire du lauréat Raphaël Laforgue, à l’aide du résumé proposé par l’auteur, que nous compléterons par quelques observations relatives à l’objet du mémoire, aux méthodes de travail de son auteur historien et enfin à quelques apports clés de la recherche.

« Entre la fin de la Grande Guerre et le début des années 30, la coopération de consommation française connaît son apogée économique. » La grande crise des années 30 marquera un premier point de renversement de la courbe… « Pour la première fois, une instance unique assure la représentation de ce mouvement : la Fédération nationale des coopératives de consommation (FNCC). » L’unification du mouvement a été réalisée en 1912, par fusion de l’Union coopérative (courant réformiste de « l’Ecole de Nîmes ») et de la Bourse des coopératives socialistes.

« Ce mémoire a pour objet de comprendre les principes, discours et méthodes (tout spécialement les méthodes de “propagande morale” ou d’éducation des coopérateurs, puis celle de la “publicité commerciale” et d’éducation des consommateurs) choisis par cette organisation puissante mais peu étudiée, pour promouvoir la coopération de consommation auprès des Français entre 1918 et 1931. » Selon Laforgue, en effet, « les historiographes militants » de la coopération, dont ceux des coopératives de consommation, ont été trop absorbés par une « autocélébration » de « l’âge héroïque » du xixe siècle (les héros de « l’associationnisme ouvrier » français ou « les équitables pionniers de Rochdale ») au détriment de « l’âge réel », c’est-à-direde la prise en compte du contexte économique, sociologique et politique de l’entre-deux-guerres. « En associant lectures locale et nationale et en confrontant discours, pratiques et travail quantitatif, le mémoire montre comment les transformations de la société française d’entre-deux-guerres bouleversent les relations entre une organisation sociale et ses adhérents. » On entre ici dans les méthodes de travail classiques d’un historien : exploitation des « sources primaires » et références bibliographiques : fonds d’archives manuscrites ou imprimées de la FNCC et des sociétés coopératives régionales ; périodiques du mouvement ; ouvrages et publications des grands auteurs de la période (Brocard, Fauquet, Gaumont, Gide, Lavergne, Poisson, Thomas, etc.), mais aussi plus proches de nous, dont Desroche, Draperi, Dreyfus, Gueslin et Lacroix. Soulignons aussi la qualité du traitement informatique des données chiffrées et de la cartographie qui viennent solidement étayer les apports conceptuels et historiques de l’auteur et contribuent ainsi à combler les vides laissés par les « historiographes militants ». « Les transformations de la société française » (et ses fondements démographiques et économiques) nous ramènent à « l’âge réel » de la coopération de consommation de l’entre-deux-guerres. Celle-ci doit s’ajuster à de nouvelles assises sociologiques, constituées notamment de couches bourgeoises ou de classes moyennes (avant la lettre), désormais cibles privilégiées pour le recrutement des adhérents coopérateurs et aussi des consommateurs non coopérateurs (vente libre au public). D’où le changement progressif de stratégie de développement du mouvement coopératif (FNCC et sociétés coopératives adhérentes…) : concentration des coopératives, capitalisation (financement), formation professionnelle des dirigeants et administrateurs (au détriment de la formation doctrinale) ; priorité accordée à l’attraction et à l’éducation des consommateurs par une publicité commerciale pleinement assumée par le mouvement (FNCC), même si l’on ne renonce pas tout à fait à la recherche des adhérents et à l’éducation « morale » des coopérateurs, qui passent néanmoins au deuxième plan.

« C’est dans un moment de stabilité inédite pour la coopération qu’être un “coopérateur” prend un sens nouveau. » « Les transformations de la société française », telles que perçues par les grands auteurs et acteurs de la coopération de l’époque, vont donc déterminer les spécificités du nouveau modèle de coopération qui s’affirme progressivement dans les années 20 et, du même coup, redéfinir les figures de « l’homo cooperativus ». On peut distinguer ainsi les coopérateurs militants, les coopérateurs professionnels (gestionnaires, dirigeants) ou encore les coopérateurs-consommateurs (ceux qui répondent encore au principe de la double qualité), les coopérateurs non consommateurs (ou insuffisamment consommateurs !), mais aussi les consommateurs non coopérateurs mais fidélisés et « coopérants », etc.

En résumé, le grand mérite du lauréat est non seulement de contribuer à combler les lacunes de l’historiographie coopérative de l’entre-deux-guerres, mais aussi d’en tirer des leçons profitables pour le présent et l’avenir de la coopération de consommation.

Maurice Parodi