Ce volume collectif, dirigé par trois chercheures reconnues internationalement dans le champ des études sur la microfinance au Sud, traite du surendettement des ménages, défini comme un processus de paupérisation du fait de la dette (p. 3, 127). Cette dernière est bien plus qu’une simple relation financière et ne saurait être le seul résultat de choix rationnels d’individus atomistiques : elle est « d’abord et avant tout une relation entre des individus créditeurs et débiteurs disposant de ressources inégales » (p. 7). Le thème du surendettement n’est bien sûr pas nouveau, mais il a été relancé depuis 2007 par la crise financière, les effets colatéraux de celle-ci sur le Sud et la révélation de crises sociales induites par la microfinance, qui a salutairement refroidi l’enthousiasme prévalant à son égard depuis la fin des années 90. Dans tous les cas, le surendettement est une conséquence directe du processus global de financiarisation associé au monde néolibéral façonné depuis une trentaine d’années. Un apport du livre est ainsi de ne pas confiner l’étude aux seuls pays du Sud et à la seule microfinance, mais de les mettre en regard de pratiques au Nord. Cet ouvrage ne fait pas le procès de la microfinance, mais il examine la façon dont elle s’insère dans des configurations locales où les pratiques financières sont variées et s’appuient sur des cadres moraux différents. Ces pratiques sont étudiées sous un angle socioéconomique, donc interdisciplinaire, et comparatif (Mexique et Inde surtout, mais aussi Madagascar, Kenya, Bangladesh, France et Etats-Unis). L’excellente introduction met en forme les attendus et les leçons tirées de l’ouvrage que l’on peut reformuler ici (p. 2-4). Premièrement, le surendettement des ménages doit être resitué dans des transformations à grande échelle contradictoires : le consumérisme émergent engendre des besoins financiers croissants alors que les revenus ne suivent pas. Deuxièmement, il renvoie à une variété de manifestations concrètes, qui vont « de la perte matérielle jusqu’à la perception d’une mobilité sociale descendante, de la dépendance extrême, de la honte et de l’humiliation ». C’est la raison pour laquelle il ne saurait être examiné comme une pure question financière (évaluable par quelques indicateurs simples), mais constitue un « processus social impliquant des relations de pouvoir, ainsi que des questions de bien-être, de statut et de dignité ». Troisièmement, mettre le surendettement sur le dos d’un soi-disant analphabétisme financier est une grossière erreur, pourtant largement partagée, et qui est ancrée dans l’idée que l’individu est responsable de ce qui lui arrive : s’il est surendetté, c’est qu’il gère mal ses ressources et ses besoins. Loin de cela, le surendettement est plutôt façonné et renforcé par les inégalités de genre, de caste, d’ethnie et de religion. Quatrièmement, ces travaux conduisent à questionner les conséquences potentiellement néfastes de la microfinance : « Alors que la microfinance peut améliorer les flux de trésorerie des ménages et leur gestion, elle peut également conduire à la vulnérabilité financière, à l’addiction au crédit et aux pièges de la dette » (p. 3). La clé semble être l’adaptation réciproque des pratiques des ménages et des institutions de microfinance. Hormis le texte de Servet et Saiag qui adopte une « macro-perspective », les chapitres sont tous ancrés dans un travail d’enquête ethnographique qui donne un matériau certes spécifique mais permet, par la comparaison et l’accumulation, de fournir une vue synthétique particulièrement convaincante. Si l’ouvrage est austère, le sujet n’en est pas moins passionnant. Le livre traite ainsi des pratiques de jonglage financier (juggling), en d’autres termes des pratiques multiples d’épargne, de crédit, d’endettement, de remboursement et de réendettement auprès de différentes personnes et …