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Ensemble : pour une éthique de la coopération, Richard Sennett. Albin Michel, 2014, 384 pages[Record]

  • Nicole Alix

Dans ce deuxième tome d’une trilogie consacrée à l’Homo faber, Richard Sennett nous propose un ensemble de repères et de visions de la coopération, qu’il tire de son expérience personnelle – notamment celle du violoncelliste et chef d’orchestre qu’il a été – et de ses observations politiques. Enseignant la sociologie à la New York University et à la London School of Economics, l’auteur franchit en permanence les frontières disciplinaires entre l’histoire, la philosophie, l’ethnologie…, quitte à nous y perdre un peu. Les spécialistes liront avec intérêt sa compréhension, au travers de la littérature américaine, de la conception du « musée social » ; cet espace baptisé « La Question sociale » pour l’Exposition universelle de Paris en 1900 où, selon Sennet, le « mot qui se murmurait » était « solidarité » et « la coopération donnait sens à cette relation » (p. 55). Il estime cependant que le xxe siècle a perverti la coopération au nom de la solidarité, cette dernière ayant constitué « la réponse traditionnelle de la gauche aux maux du capitalisme. La coopération en soi n’a jamais vraiment été une stratégie de résistance » (p. 359). Parallèlement, le nouveau capitalisme a permis au pouvoir de se détacher de ses responsabilités envers les autres, ceux qui sont « à la base », surtout en période de crise économique. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les gens ordinaires, renvoyés à eux-mêmes, « rêvent d’une forme de solidarité – que la solidarité destructrice du “nous contre eux” est faite pour leur apporter » (p. 360). « Nous contre eux », « quand chacun est livré à lui-même » : face à un ordre social faible, les gens se replient sur eux-mêmes. Ce n’est pas cela être « ensemble ». L’Amérique était prospère, rappelle Sennet, lorsque Tocqueville l’a découverte et qu’il a vu dans la coopération et dans les associations volontaires un contrepoids à l’individualisme qui allait croître dans la société moderne, simultanément au déclin des liens anciens de la tradition et de la hiérarchie sociale. Tocqueville ne songeait pas à contrer la détresse économique ou l’oppression : « Chaque communauté avait assez d’argent pour que le travail volontaire marche et semble en valoir la peine » (p. 326). Rien à voir avec le contexte de la Big Society de Cameron, que Saskia Sassen (qui est aussi l’épouse de Sennet) compare au colonialisme économique : « La communauté locale, comme la colonie, est dépouillée de sa richesse, pour se voir ensuite incitée à compenser ce manque par ses propres efforts » (p. 326). En tant qu’animaux sociaux, nous sommes capables de coopérer plus profondément que l’ordre social en place ne l’imagine, estime Sennet, analysant notamment Erik Erikson : la coopération précède l’individuation. Contre « la coopération affaiblie » (deuxième partie de son ouvrage), Sennet prône « la coopération renforcée » (troisième partie), la communauté comme processus d’avènement au monde, où les gens découvrent à la fois la valeur des relations de face-à-face et les limites de celles-ci. Ses références intéresseront ceux qui cherchent à dépasser la « coopération façonnée » (première partie), notamment pour une coopération « dialogique », « notre Graal », prônant l’empathie (p. 170) plus que la sympathie (le thème de la Rencontre nationale du Crédit coopératif cette année). Se référant à son expérience de musicien, Sennet accorde une importance à l’écoute. Il distingue dialectique, où le « jeu verbal des opposés doit progressivement conduire à une synthèse » (p. 33), et dialogique, invention du critique littéraire russe Mikhaïl Backtine, pour désigner une « discussion qui n’aboutit pas à …

Appendices