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Cet ouvrage, paru en mai 2013, est dans le prolongement des travaux publiés en France sur Polanyi et des débats sur la démocratie abordés dans les recherches sur l’économie sociale et solidaire (ESS). Pourtant, plus que de parler d’ESS, Hillenkamp et Laville font le choix d’inscrire leur démarche dans le champ des pratiques économiques plurielles, associant ainsi des auteurs dont les analyses ne portent pas traditionnellement sur l’ESS. Leur travail prend une actualité particulière, du fait du regain d’intérêt pour les questions démocratiques dans un contexte de crise économique durable. Délibérément ancré dans une perspective socioéconomique et s’inspirant de Polanyi, cet ouvrage de plus de 300 pages assume une démarche pluridisciplinaire et une perspective internationale. Il s’efforce d’éclairer de façon critique la question centrale des rapports entre économie et société à partir de deux axes de réflexion exprimant le renouveau de la pensée polanyienne. Le premier, à l’échelle macroéconomique, vise à analyser le « double mouvement de marchandisation et de protection » (p. 23). Le second, à l’échelle microéconomique, a l’ambition de repérer « les pratiques économiques plurielles pouvant contribuer à des sociétés plus démocratiques » (p. 24). Dans cette perspective, l’ouvrage reprend les dimensions théorique, politique et méthodologique de l’apport de Polanyi.
Réunissant onze contributions, toutes inscrites dans la perspective polanyienne esquissée ci-dessus, l’ouvrage est construit en trois parties. La première porte sur une « critique pluridisciplinaire du nouveau capitalisme ». La seconde présente à l’échelle microéconomique des expériences observées dans différents territoires comme des alternatives au capitalisme et à la société de marché. La troisième, dans une logique bottom up, s’efforce d’élaborer des concepts issus d’expériences de terrain. L’introduction et la postface sont conçues elles aussi comme des contributions au débat et participent d’une mise en perspective d’ensemble indispensable.
Les bases d’une critique renouvelée du capitalisme
Cultivé, foisonnant de références, le texte peut apparaître ardu à la lecture. Loin d’être un ouvrage de vulgarisation, celui-ci s’efforce de labourer le terrain de la critique du capitalisme et d’élaborer une grille de lecture cohérente. Comme souvent dans un travail collectif, l’écueil est celui de l’hétérogénéité des contributions, et l’ouvrage n’y échappe pas, bien que les catégories énoncées en introduction en facilitent l’articulation et la mise en lien. Ainsi, l’article « Les alternatives économiques : les nouveaux chemins de la contestation », par de Sousa Santos et Garavito, apparaît comme normatif et surplombant sans illustrer de façon suffisante les multiples terrains qui en sont le soubassement. L’article « De Polanyi à l’économie sociale et solidaire en Amérique latine », de Corragio, n’est pas non plus novateur. Il retient cependant un cadre analytique de type centre-périphérie qui donne une lecture intéressante de la place de ces mouvements dans les dynamiques de mondialisation.
A l’inverse, « La démocratisation économique comme processus institué », de Mendell, et « Le principe de réciprocité aujourd’hui », de Servet, fournissent des arguments utiles, notamment sur la question des apprentissages et des interdépendances tant pour le chercheur que pour le praticien. Le texte de Hillenkamp sur le householding, l’administration domestique – quatrième principe d’intégration économique selon Polanyi –, présente une originalité certaine. Peu étudié, ce principe concerne le foyer et les groupes domestiques autour des logiques de partage. En l’analysant à l’aune de l’économie populaire en Bolivie, l’auteure caractérise les reconfigurations des structures familiales et communautaires et le balancement entre partage et marché et entre solidarité et protection des groupes. On trouve, enfin, une synthèse intéressante des travaux de Jérôme Blanc, bien connu des lecteurs de la Recma sur la pluralité des monnaies.
Cet ouvrage est aussi l’occasion de mobiliser des chercheurs qui n’interviennent pas directement dans le champ de l’ESS, mais plutôt dans la critique du capitalisme et dont l’analyse vient éclairer les trajectoires en cours des organisations publiques et de l’ESS : des auteurs tels que Postel et Sobel ont un apport essentiel sur la question des marchandises fictives ou encore Frazer sur les questions d’émancipation dans le cadre d’une analyse radicale de la démocratie.
On ne peut donc que conseiller la lecture de l’ouvrage, notamment parce qu’il pose les bases d’un programme de recherche encore en construction et pourtant indispensable à l’enjeu d’articuler économie et démocratie. S’il s’adresse majoritairement à des chercheurs, le praticien pourra également y trouver de quoi nourrir ses analyses et ses pratiques.