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Ce livre vient combler un vide dans la connaissance de la microfinance, que l’on appréhende souvent par ses institutions ou le débat sur ses impacts. Son ambition est, comme le souligne Philippe Lavigne-Delville (Institut de recherche pour le développement) dans sa préface, de produire une « histoire par le haut » explicitant comment le secteur s’est structuré à l’échelle transnationale, au travers de la campagne pour le Sommet du microcrédit et du « groupe consultatif pour assister les pauvres », un réseau informel d’agences de développement dont le secrétariat est hébergé à la Banque mondiale.

La recherche doctorale en sciences politiques à l’origine de l’ouvrage explicite l’émergence de cette « diplomatie non gouvernementale » (p. 46), les mythes (« bonnes pratiques ») qu’elle construit – comme le ciblage du microcrédit sur les femmes pour réduire la pauvreté (p. 6) – et les biais qu’elle peut induire, tels que la marginalisation de l’économie sociale dans le secteur. Elle montre également comment ce mouvement a pu rapidement imposer une vision de la microfinance focalisée sur le marché, positionnant le secteur comme une « nouvelle classe d’actifs » (p. 97), même si, au regard de l’aide publique au développement, de la philanthropie des ONG ou de la RSE des entreprises, les capitaux strictement marchands y demeurent limités (p. 98).

Cette construction politique s’accompagne néanmoins de dérives qui font peser des risques accrus sur les usagers de la microfinance (p. 122). Les crises de surendettement en Bolivie ou au Nicaragua amènent les pouvoirs publics issus des nouvelles gauches latino-américaines à remettre en cause, non sans ambiguïtés, le compromis de subsidiarité entre action publique et initiative privée hérité du néolibéralisme (p. 142). Ebranlé dans sa légitimité, le secteur a entrepris sa rénovation sous l’angle de la « finance responsable » (p. 176), et l’ouvrage approfondit l’apparition de critères sociaux en microfinance via une grille d’analyse inspirée du « cycle de vie des normes » (p. 177).

A partir de la base de données constituée au travers de l’implication professionnelle de l’auteur au sein du comité Cerise (www.cerise-microfinance.org), l’analyse montre que, à l’aune de ces critères, finalités sociales et économiques ne sont pas forcément antagoniques. Est-il possible pour autant d’en déduire une approche renouvelée pour une régulation plus équilibrée de la microfinance ? Florent Bédécarrats rappelle à ce propos que la notion d’utilité sociale susceptible de servir de fondement n’acquiert de légitimité qu’au travers des débats politiques qui la sous-tendent. Or, dans ce cadre, acteurs et organisations d’appui du Nord se posent en porte-parole des institutions de microfinance du Sud. Cela amène les mouvements sociaux à rejeter toute approche surplombante (« Tout ce qui est fait pour moi mais sans moi est fait contre moi », Gandhi) et conduit l’auteur à s’interroger sur la redéfinition du rôle de l’Etat en matière de supervision financière. Un sujet d’actualité, bien au-delà de la microfinance, et un ouvrage qui permet d’éclairer les modes émergents de la gouvernance mondiale, couplant acteurs publics et privés, à l’origine de la production et de l’imposition de nouvelles normes.