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Ces dernières décennies ont été marquées par la reconnaissance des entreprises sociales, alternatives aux entreprises capitalistes. Qu’elles soient associations sanitaires et sociales ou humanitaires, fondations, coopératives, mutuelles d’assurances ou entreprises d’insertion, celles-ci ont pour objectif principal de créer de la valeur sociale plutôt que de générer du profit pour leurs propriétaires et leurs partenaires (Commission européenne, 2012). Le point commun de ces structures aux activités et aux statuts variés est que leur performance ne se juge pas à l’aune de leurs résultats financiers, mais au travers de leur impact social. La reconnaissance de ces entreprises sociales s’accompagne donc d’un questionnement quant à la manière dont ce dernier peut être évalué.

A l’instar des tableaux de bord et des ratios financiers qui jouent aujourd’hui un rôle central dans le pilotage des entreprises capitalistes, dans la conduite de leurs activités et dans leur communication, l’évaluation de l’impact social est amenée à prendre une place croissante dans le quotidien des entreprises sociales. Que ce soit à la demande d’un conseil d’administration pour s’assurer de l’atteinte de la mission sociale, à l’initiative d’une direction soucieuse de disposer de données pour améliorer son action ou à la demande de financeurs pour contrôler la bonne utilisation de leurs fonds, les entreprises sociales sont fréquemment mobilisées pour tenter d’évaluer leur performance en matière de création de valeur sociale. Ces efforts se confrontent, cependant, à une difficulté de taille : pour évaluer cet impact social, il n’existe aujourd’hui ni référentiel partagé, ni méthode faisant consensus. La disparité des termes employés ne serait-ce que pour qualifier l’objet analysé – impact social, utilité sociale ou valeur sociale – reflète cette difficulté.

Cette absence de norme s’explique par le fait que l’évaluation de l’impact social est confrontée à la complexité de l’identification, de la mesure et de la valorisation des changements individuels et sociaux générés par une entreprise sociale : ceux-ci sont par nature hétérogènes, la plupart du temps non monétaires, intangibles et influencés par de multiples facteurs, parfois indépendants de l’entreprise sociale.

En dépit de ces difficultés – et pour essayer de les dépasser – une myriade d’outils et de méthodes [1] ont été développés ces dernières années. Dans les pays anglo-saxons, on citera par exemple le social balanced scorecard, déclinaison pour le secteur non lucratif du tableau de bord de Kaplan (2001), la base d’indicateurs impact reporting and investment standards (IRIS), initiée par trois acteurs majeurs de la philanthropie américaine que sont la fondation Rockefeller, Acumen Fund et B Lab, ou bien encore l’approche du social return on investment (SROI), qui propose de valoriser monétairement l’impact social (The SROI Network, 2012). En France, l’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) a également donné lieu à de nombreux débats et réflexions, aboutissant notamment à l’analyse (Gadrey, 2004), à la production de critères (Parodi, 2007) et à la diffusion de guides pratiques d’auto-évaluation, comme celui de l’Agence pour la valorisation des initiatives socio-économiques (Avise ; Duclos, 2007). Le Centre des jeunes dirigeants et acteurs de l’économie sociale (CJDES) a quant à lui conçu un bilan sociétal, pour « permettre aux entreprises de prendre en compte et d’évaluer la mise en pratique de leurs valeurs autres que financières : citoyennes, environnementales, humaines, démocratiques » (CJDES, 2007). Des évaluations visant à estimer statistiquement le lien de causalité entre une action donnée et des changements observés ont aussi été développées : des études dites randomisées (ou aléatoires) ont ainsi été mises en place, notamment dans le cadre du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse.

De manière assez surprenante, malgré l’existence de plus d’une centaine de méthodes d’évaluation d’impact social concurrentes, celles-ci peinent à être mises en pratique par les entreprises sociales (Mulgan, 2010). Cela peut en partie s’expliquer par la complexité pour les praticiens de se repérer parmi ces multiples outils répondant à des besoins et à des objectifs souvent différents. Les entreprises sociales sont donc confrontées à une nécessité, celle d’évaluer leur impact social, mais aussi à une forte incertitude quant à la meilleure manière de procéder à cette évaluation de manière concrète et d’en exploiter les résultats.

S’appuyant sur quatre années d’expérimentation de méthodes d’évaluation de l’impact social par l’Institut de l’innovation et de l’entrepreneuriat social de l’Essec ainsi que sur une analyse approfondie de la littérature existante, le présent article propose de réduire cette incertitude en offrant des points de repère essentiels à la compréhension des enjeux de l’évaluation de l’impact social pour les entreprises sociales. Nous y faisons état, notamment, des différents types d’objectifs poursuivis au travers de l’évaluation. Nous y présentons des grandes familles de méthodes, ainsi que leurs limites et leurs atouts respectifs. Nous accompagnons aussi la réflexion relative au choix d’une méthode en proposant d’aborder l’évaluation de l’impact social comme un processus contextualisé, motivé par des objectifs et des questions évaluatives précises, formulés par les acteurs eux-mêmes, au service desquels certaines méthodes peuvent être mobilisées.

L’évaluation d’impact social : éléments de contexte

Si la question de l’évaluation de l’impact social trouve aujourd’hui un écho particulier au sein des entreprises sociales, elle n’est pas posée en terrain vierge, et les réponses apportées s’inspirent de démarches développées dans divers univers. Nous présentons ici ces éléments de contexte.

L’évaluation d’impact social : éléments de définition

Le terme d’impact, dans le cadre d’une évaluation, ne relève pas d’une définition unique. Il peut être compris comme un effet, un résultat, un changement, une conséquence ou encore une externalité. Il peut concerner des individus ou la société dans son ensemble. Il peut renvoyer exclusivement aux effets à long terme ou inclure l’ensemble des effets à court, moyen et long terme. La notion d’impact peut par ailleurs prendre une acception plus restrictive : celle des résultats qui n’auraient pas eu lieu sans une intervention donnée. La focale porte alors sur la démonstration d’une relation de causalité entre cette intervention et des changements observés.

Dépasser les « réalisations » et le « tout économique »

Dans le cadre de ses politiques de développement, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), par exemple, définit l’impact comme les « effets à long terme, positifs et négatifs, primaires et secondaires, induits par une action de développement, directement ou non, intentionnellement ou non » (OCDE, 2002). Pour la Commission européenne (2006), il s’agit d’« un terme général utilisé pour décrire les effets d’une intervention dans la société ». Malgré leurs disparités, ces diverses définitions se retrouvent sur deux points importants : l’évaluation d’impact cherche à dépasser, d’une part, la description et la comptabilisation d’activités menées ; d’autre part, la mesure d’une performance strictement économique.

L’évaluation d’impact est donc une démarche qui vise à analyser les actions d’une entreprise (ou d’un projet) afin de comprendre, de mesurer ou de valoriser leurs conséquences. L’objectif est d’en évaluer les résultats, qu’ils soient attendus, inattendus, directs, indirects, positifs ou négatifs. Une entreprise sociale organisant des formations, par exemple, réalise annuellement X heures auprès d’Y participants. Cette réalisation et les indicateurs attachés (nombre d’heures, nombre de personnes formées) ne renseignent cependant pas sur ses effets pour les participants. Qu’ont-ils réellement appris ? Cette formation leur a-t-elle permis d’améliorer leur situation ? A-t-elle in fine répondu au besoin social qui lui avait donné lieu ? C’est à ces questions que l’évaluation d’impact tente d’apporter des réponses.

L’évaluation d’impact social s’intéresse par ailleurs à la dimension sociale de l’impact. Ce terme doit être entendu dans son acception large et doit se comprendre comme une démarche visant à dépasser la mesure de la performance purement économique d’une entreprise sociale, afin de s’intéresser à l’ensemble de la valeur qu’elle crée pour les personnes et la société. Le guide d’auto-évaluation de l’Avise (Duclos, 2007) suggère que cette valeur peut recouvrir différentes dimensions : économique, sociétale, politique, épanouissement, environnementale et sociale. De manière pragmatique, d’autres préconisent de circonscrire la nature de cet impact au travers des attentes et des perceptions des parties prenantes impactées par l’entreprise sociale.

Prove and Improve

La formulation « Prove and Improve » [2] (« prouver et améliorer »), utilisée en Grande Bretagne par des réseaux de la philanthropie et de l’entrepreneuriat social, résume les deux principaux enjeux à l’origine de l’évaluation de l’impact social. Il s’agit pour les entreprises sociales de convaincre leurs parties prenantes externes (financeurs, politiques, partenaires) de l’intérêt de leur action afin qu’elles les soutiennent, mais également, en interne, d’accompagner l’amélioration des pratiques afin de maximiser l’efficacité et l’impact généré. En France, le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) inscrit aussi l’évaluation de l’impact social dans cette double perspective, lorsqu’il fait le constat que les entreprises sociales « sont plus que jamais prêtes à développer un langage de la preuve, à progresser et à rechercher l’exemplarité, seul moyen de convaincre durablement de leur pertinence » (Mouves, 2012).

Des sources d’inspiration multiples

Les réflexions sur l’évaluation de l’impact social ne s’inscrivent pas dans un contexte vierge et peuvent s’appuyer sur des travaux menés dans divers secteurs que nous présentons ici. Ce sont les acteurs publics, compte tenu de leur responsabilité en termes de prise en charge de l’intérêt général, qui se sont préoccupés les premiers de l’évaluation des politiques publiques destinées à améliorer les conditions de vie de leurs administrés (Perret, 2008). A titre d’illustration, c’est aux Etats-Unis dans les années 60 que les évaluations se sont généralisées avec notamment la mise en oeuvre d’évaluations randomisées de programmes publics. A l’échelle internationale, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), l’OCDE ou la Commission européenne ont joué un rôle important dans l’émergence, la formalisation et la diffusion de pratiques d’évaluation en matière de développement. Ainsi, les projets financés par EuropeAid doivent être évalués à l’aide de l’outil du « cadre logique », au sein duquel les objectifs globaux du projet, ses objectifs spécifiques, ses résultats et ses activités sont présentés dans une matrice, associés à des indicateurs et complétés des facteurs externes susceptibles d’influencer sa réussite.

Philanthropie et contrôle de gestion des entreprises capitalistes

Les acteurs philanthropiques ont aussi travaillé au développement d’outils pour sélectionner les projets les plus prometteurs en matière d’impact et renforcer la capacité des organisations financées à en rendre compte. Les fondations ont initié des études permettant de diffuser plus largement la connaissance sur les pratiques d’évaluation de l’impact social. La fondation Rockefeller a ainsi soutenu la rédaction d’un catalogue de méthodes d’évaluation (Olsen, Galimidi, 2008).

Assez logiquement, les travaux concernant l’évaluation d’impact se sont également inspirés des outils de contrôle de gestion des entreprises capitalistes, à l’instar du célèbre tableau de bord de Kaplan (2001) adapté pour les organisations à but non lucratif. Cette influence s’est renforcée avec la prise en compte par les entreprises capitalistes de leur responsabilité sociale, qui les a amenées à développer des outils de mesure spécifiques de leur performance globale, dépassant la dimension économique et financière. On notera par exemple des similarités entre le bilan sociétal du CJDES pour les organisations de l’économie sociale et solidaire et le bilan de responsabilité sociétale des entreprises cotées (RSE) rendu obligatoire par la loi NRE [3].

Des démarches ad hoc dans l’ES

Pour finir, les entreprises sociales et leurs réseaux, dans divers secteurs comme le commerce équitable, l’insertion ou l’environnement, ont par ailleurs développé leurs propres démarches d’évaluation. Le Comité d’échange, de réflexion et d’information sur les systèmes d’épargne-crédit (Cerise) a ainsi développé l’outil Social Performance Indicators (SPI) dans le domaine de la micro-finance. La chambre régionale de l’économie sociale du Languedoc-Roussillon a quant à elle conçu un guide d’auto-évaluation de l’utilité sociale à l’intention des acteurs de l’ESS et soutenu sa mise en oeuvre avec l’appui d’experts (Cres-LR et Culture et Promotion, 2009).

Ces éléments de contexte une fois posés, nous nous tournons vers les défis liés à la mise en oeuvre des démarches d’évaluation d’impact social, afin d’expliciter les raisons pour lesquelles elles sont aujourd’hui faiblement employées par les entreprises sociales, alors même que ces dernières expriment le souhait de s’y engager.

De la complexité au pragmatisme

Les difficultés de mise en oeuvre de l’évaluation d’impact social au sein des entreprises sociales peuvent s’expliquer par de nombreux facteurs : exigeante en matière de compétences, une telle démarche est consommatrice de temps et de ressources humaines. Nous considérons cependant que les deux obstacles majeurs à la généralisation des pratiques d’évaluation d’impact social sont la complexité de l’objet d’analyse et la confusion liée à la multiplicité des objectifs poursuivis.

L’évaluation d’impact social : une nécessaire confrontation à la complexité

Par nature, l’évaluation d’impact social est en prise avec la complexité, au coeur de l’action de nombreuses entreprises sociales (Dupuis, 2007).

Complexité computationnelle

Celle-ci est tout d’abord computationnelle, en raison du nombre et de la variété des éléments à prendre en compte pour l’analyse d’impact. Prenons l’exemple d’une entreprise d’insertion dont la vocation est de réinsérer dans la vie professionnelle des personnes éloignées de l’emploi. Elle accompagne au quotidien des personnes aux parcours uniques, cumulant de nombreuses difficultés (logement, santé, analphabétisme, etc.). Son action peut avoir des conséquences sur le bien-être de ces salariés en insertion (accès à un logement, traitement d’un problème de dépendance, accès à un emploi, etc.), sur leur entourage (meilleures conditions de vie pour leurs enfants, etc.) et sur les dépenses publiques (économies de prestations sociales, etc.). A plus grande échelle, plusieurs entreprises sur ce même champ peuvent avoir un effet, positif ou négatif, sur le chômage et, de manière plus abstraite, sur la cohésion sociale. Avancer dans une démarche d’évaluation limitée dans le temps et en moyens requiert de fait de prioriser certaines informations par rapport à d’autres et induit ainsi un biais important, dans la mesure où les résultats seront nécessairement incomplets.

Complexité systémique

Dans ce cheminement destiné à appréhender les effets sociaux d’une action, on se confrontera également à une complexité systémique. Dans la réalité, différents facteurs sont souvent à l’origine d’une variété d’effets pouvant eux-mêmes rétroagir sur les facteurs initiaux, sans que l’on puisse établir la démonstration incontestable d’une relation de causalité linéaire entre une action et un effet particulier. L’amélioration de résultats scolaires d’un élève, par exemple, pourra s’expliquer par la mise en place d’un programme de soutien scolaire dédié, mais également par l’appui de ses parents ou bien par l’émulation collective d’une classe, appui parental et émulation collective pouvant eux-mêmes être redynamisés par l’amélioration des résultats. Appréhender l’ensemble des chaînes d’effets apparaît ainsi comme une quête labyrinthique et toute modélisation des impacts d’une entreprise sociale sera de fait simplificatrice.

Complexité épistémique

Plus globalement, la complexité de l’évaluation d’impact social est épistémique, renvoyant aux limites de nos connaissances. Evaluer l’impact social amène à s’interroger sur les effets d’une ou de plusieurs actions sur ce que pensent, ressentent, pourraient faire et font effectivement des individus, mais aussi sur leur santé et leurs conditions de vie. Une démarche d’évaluation peut également s’intéresser aux effets de l’action sur le bien-être individuel ou celui d’une société. Les sciences sociales et humaines n’offrent des modèles et des grilles de lecture que partiels pour estimer ces effets. Comment, par exemple, mesurer l’estime de soi ? Dans ce contexte, le choix d’une approche méthodologique fera dépendre les résultats de l’évaluation du paradigme et des hypothèses qui lui sont inhérents, et tous les indicateurs et les outils de formalisation ne seront qu’une interprétation de la réalité.

Complexité axiologique

Pour finir, la complexité de l’évaluation est également axiologique. Tout projet à vocation sociale est fondé sur un certain nombre de valeurs, une conception de l’homme et une vision de la société qui ne sont pas nécessairement partagées par l’ensemble des parties prenantes. Ces dernières peuvent ainsi être en désaccord quant à ce que représente un impact positif ou négatif dans le cadre de ce projet. Aux différences de valeurs s’ajoutent les différences d’intérêt entre parties prenantes. Un bénéficiaire, un financeur ou un bénévole ne partageront pas nécessairement la même analyse des objectifs prioritaires visés par l’organisation. Prenons l’exemple des entreprises d’insertion. Pour certaines de leurs parties prenantes, tel l’Etat, la mission principale des entreprises d’insertion consiste dans la lutte contre le chômage. Pour d’autres, tels parfois leurs dirigeants, il s’agit d’accompagner chaque salarié en insertion individuellement dans la conception et la réalisation d’un projet, qu’il l’amène vers l’emploi ou non. Il apparaît que tout choix méthodologique concernant l’évaluation d’impact social – et notamment le choix d’indicateurs – porte en lui des valeurs sous-jacentes à expliciter et pouvant donner lieu à un débat entre les parties prenantes d’une évaluation.

Dépasser la complexité en acceptant l’incertitude et l’approximation

Face à ces différentes formes de complexité, un acteur peut se montrer réticent à l’idée de s’engager dans un processus intrinsèquement incomplet, limitatif, inexact et contestable. Ainsi que le résume Mulgan (2010), « le principal obstacle [à la mesure de la valeur sociale] est de considérer que la valeur sociale est une chose objective, déterminée et stable. A partir du moment où on aborde la valeur sociale comme étant subjective, malléable et variable, on crée de meilleures mesures pour l’évaluer ». S’engager dans une démarche d’évaluation d’impact social nécessite donc d’accepter cette subjectivité et ses conséquences en termes d’incertitude, d’approximation et d’instabilité.

Cette approche pragmatique rend certes impossible la preuve incontestable de l’impact social généré par une entreprise sociale donnée. Cependant, dans un contexte où l’objectif premier de l’évaluation n’est pas de faire avancer la connaissance scientifique, mais d’éclairer les prises de décision des acteurs, cette limite n’est pas nécessairement problématique, à partir du moment où elle est reconnue. Les normes comptables sont par exemple le fruit d’une construction des acteurs : elles ont évolué dans le temps et évolueront encore, tout en étant au coeur des décisions d’entreprise. C’est dans un esprit alliant à la fois pragmatisme et rigueur que nous proposons aux entreprises sociales d’aborder la question de l’évaluation de leur impact.

L’évaluation d’impact social : un processus aux déclinaisons multiples

L’évaluation de l’impact social peut servir des objectifs très distincts, souvent confondus par les acteurs. Elle peut ainsi être mobilisée pour rendre compte à des parties prenantes, piloter des activités internes ou démontrer la valeur sociale créée. Identifier précisément l’objectif poursuivi par l’évaluation et les questionnements qui l’accompagnent est un exercice moins aisé qu’il n’y paraît, mais néanmoins essentiel pour circonscrire la démarche d’évaluation. Il s’agit de répondre aux interrogations suivantes : quels sont les objectifs de l’évaluation ? Que cherche-t-on à apprendre ou à vérifier ? A quoi vont servir les résultats ? Par qui seront-ils utilisés ? Les réponses à ces questions permettront de positionner la démarche d’évaluation par rapport aux enjeux classiques, que sont la pertinence, l’efficacité, l’efficience et l’impact net. Nous revenons ici sur cette typologie.

Pertinence

Les questions relatives à la pertinence correspondront prioritairement à une volonté de connaître et de comprendre les besoins sociaux à l’origine du projet, afin d’analyser sa capacité à y répondre. Une telle démarche permet de valider ou de faire évoluer, si nécessaire, la mission sociale d’une organisation, ses objectifs et ses actions.

Efficacité

L’efficacité renvoie au besoin de se fixer des objectifs, puis de piloter l’atteinte de ces derniers. L’analyse des écarts entre ce qui était attendu et ce qui est réalisé peut susciter une réflexion sur les points forts et faibles du projet et permettre une amélioration de sa mise en oeuvre. Les financeurs pourront par ailleurs être sensibles aux progrès réalisés par une entreprise sociale d’une année sur l’autre ou comparer l’efficacité relative de différents projets afin d’affiner leurs choix d’investissement.

Efficience

Le souci d’efficience amène à comparer les résultats d’un projet avec les ressources financières et humaines qui ont été utilisées pour les produire, afin d’en optimiser l’allocation. Les financeurs des entreprises sociales pourront souhaiter une estimation du retour social et économique de leurs subventions et de leurs investissements.

Figure 1

Les différents enjeux d’une évaluation d’un projet à finalité sociale

Les différents enjeux d’une évaluation d’un projet à finalité sociale

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D’autres questions relèvent davantage de la recherche d’une preuve chiffrée de cet impact social. Il s’agit de démontrer que le projet social génère une réelle plus-value pour ses bénéficiaires et pour la société au sens large. L’impact social net d’un projet s’entend donc comme l’ensemble des résultats générés, dont sont soustraites les contributions issues des interventions d’autres acteurs ou facteurs. Les études sur l’impact net peuvent se révéler particulièrement opportunes lors de phases expérimentales de projets avant de les pérenniser et lors de réflexions sur le changement d’échelle d’un programme.

La figure 1 (ci-dessus) présente de manière visuelle le positionnement respectif de ces différents critères d’évaluation.

A chacun de ces enjeux sont associées des questions évaluatives plus spécifiques, qui permettent de préciser ce que l’on recherche au travers de la démarche d’évaluation. Le tableau 1 (page suivante) en présente quelques-unes à titre d’illustration. Ces questions sont bien entendu à adapter pour chaque entreprise sociale (voire chaque projet) en fonction de son contexte.

Un nécessaire cadrage

La clarification préalable des objectifs poursuivis par une évaluation de l’impact social et des questions évaluatives est donc une étape essentielle de cadrage et de simplification de la démarche. Ainsi qu’évoquée par Perret (2008), « la formulation des questions évaluatives scelle le contrat passé entre les protagonistes de l’évaluation ».

D’un point de vue pratique, l’évaluation n’a de sens que si elle est conçue de manière à être « utile ». Cette démarche implique de passer « du générique et abstrait, c’est-à-dire des destinataires possibles et des potentiels usages, au réel et spécifique, [autrement dit] aux utilisateurs effectivement visés et leurs engagements explicites pour des usages spécifiques et concrets » (Patton, 2002). En d’autres termes, il s’agit de passer d’une évaluation théorique à une évaluation pratique, orientée avant tout sur son utilisation [4]. L’évaluation apparaît ainsi non comme une fin en soi, mais comme un instrument au service d’un besoin spécifique. Dans cette optique, l’évaluation de l’impact social d’une entreprise sociale peut se concevoir comme un processus ayant pour objectif de produire des informations répondant aux besoins des acteurs.

Tableau 1

Enjeux, objectifs et questions évaluatives

Enjeux, objectifs et questions évaluatives

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Schématiquement, la mise en oeuvre d’un dispositif d’évaluation utile requiert plusieurs étapes successives :

  • la définition de l’objectif de l’évaluation et des questions évaluatives associées ;

  • le choix et le déploiement d’une méthode d’évaluation ;

  • la collecte de données, qualitatives ou quantitatives ;

  • l’analyse des données, au regard des questions évaluatives ;

  • la diffusion des résultats et leur utilisation pour prendre une décision, améliorer un programme, négocier avec un financeur, etc.

Au cours du processus, la transparence sera un principe clé, car elle permettra d’expliciter, vis-à-vis des utilisateurs de l’évaluation, la manière dont la complexité a été réduite. Elle pourra concerner les choix effectués à chacune des étapes de la démarche, les hypothèses et les approximations retenues dans l’utilisation des méthodes et des outils et les limites de ces derniers. Ce n’est qu’à cette condition que les résultats pourront être utilisés, communiqués et discutés de manière productive.

L’évaluation de l’impact social recouvre ainsi une variété d’attentes, pour lesquelles les réponses proposées sont à la fois multiples et limitées, en raison des différents types de complexité rencontrés. Il apparaît ainsi nécessaire de renoncer à la quête de la meilleure méthode d’évaluation qui s’imposerait à toutes les entreprises sociales sans distinction, pour choisir et mettre en oeuvre de manière organisée, transparente et contingente la démarche la plus adaptée aux attentes, aux contraintes et au contexte des acteurs, afin de générer des informations qui leur soient utiles à défaut d’être vraies.

Choisir une approche d’évaluation d’impact social

Ces éléments de contexte ainsi posés, nous abordons maintenant l’un des principaux choix de toute démarche d’évaluation d’impact social : celui d’une méthode d’évaluation ou d’un assemblage de méthodes complémentaires. Le coeur de notre raisonnement est que les choix méthodologiques sont en grande partie déterminés par l’objectif de l’évaluation et les questions évaluatives associées.

Méthodes d’évaluation de l’impact social et adaptation aux objectifs de l’évaluation

Derrière la multiplicité des méthodes d’évaluation d’impact social évoquée précédemment, se cachent quatre principales familles partageant des finalités similaires. Nous les présentons ici, puis nous expliquons la manière dont chacune d’entre elles peut ou non répondre aux objectifs de l’évaluation en fonction des enjeux auxquels elles se rattachent prioritairement.

Les méthodes d’explicitation du changement

Un certain nombre d’outils visent à clarifier les changements sociaux rendus possibles par une action en réponse à un besoin social. Sous une forme rédigée plus ou moins longue, un schéma ou un tableau, on retrouvera ainsi différentes déclinaisons de ce qui pourrait s’appeler « théorie du changement », « modèle logique », « carte des impacts » ou encore « chaîne de valeur sociale ». Par exemple, dans le cadre de Global Social Venture Competition [5], compétition internationale de business plans sociaux, la partie dédiée à la mesure de l’impact social commence par ce travail de définition et de synthèse. L’objectif est de rendre visibles les hypothèses sous-jacentes à l’action et la manière dont, étape par étape, celle-ci va produire des effets à court, moyen et long termes. Pour nourrir une théorie du changement et la rendre crédible, on peut recourir à différentes méthodes qui permettront de mieux appréhender le besoin social à l’origine de l’action, de cerner les attentes et les perceptions des parties prenantes vis-à-vis du projet ou bien de définir les objectifs sociaux de ce dernier. On peut, par exemple, organiser des groupes de discussion avec des parties prenantes, mener des interviews auprès des bénéficiaires ou étudier les résultats de recherches conduites sur des projets comparables. Le recours à des évaluateurs externes comme des sociologues peut se révéler utile pour comprendre les effets de l’action sur les représentations des acteurs, leurs comportements, leurs capacités et leurs interactions, disposer d’une appréciation du contexte dans lequel s’inscrit l’action ou analyser les facteurs sociaux et humains à prendre en compte pour générer un impact social positif.

Ces différentes méthodes permettent de structurer un projet à finalité sociale et de mieux communiquer sur celui-ci et ses impacts potentiels. Ces approches se prêtent tout particulièrement à une évaluation de la pertinence de l’action, dans la mesure où elles permettent de porter un jugement sur la capacité à répondre de manière adaptée à un besoin social et à générer des impacts positifs. Par ailleurs, si l’on souhaite quantifier ces impacts, la mise en lumière préalable des effets potentiels de l’action rendra plus aisé le choix d’indicateurs de mesure, leur justification et leur interprétation. Néanmoins, une certaine vigilance reste de mise, dans la mesure où il s’agit d’une modélisation et donc d’une simplification du réel : on parle bien d’une « théorie » du changement ou d’un « modèle » logique. Ces outils, qui ne peuvent envelopper la totalité de la complexité sociale et humaine, restent de fait limités et pourront être amenés à évoluer en fonction des retours du terrain.

Les méthodes par indicateurs

L’usage d’indicateurs permet une série de comparaisons entre les objectifs fixés et les résultats atteints, entre les résultats obtenus sur plusieurs années, entre ceux atteints par différents projets ou encore entre ceux obtenus par divers groupes de bénéficiaires. Les indicateurs peuvent être de différentes natures : indicateurs de réalisations ou de résultats, simples ou agrégés, objectifs ou subjectifs. Ils doivent être associés à des outils et à un processus de collecte permettant de les mesurer. Ils peuvent être imposés aux entreprises sociales, comme le sont les taux de sorties dynamiques dans le secteur de l’insertion par l’activité économique, ou sélectionnés au sein d’une base d’indicateurs, comme celle d’IRIS. Ils peuvent, enfin, être construits par les acteurs eux-mêmes. Le renseignement d’indicateurs peut s’avérer délicat lorsqu’il s’agit d’appréhender des évolutions humaines complexes (confiance en soi, bien-être, compétences relationnelles, etc.). Néanmoins, certaines initiatives comme l’Outcomes Star [6] (MacKeith, 2011), développé en Grande Bretagne pour suivre les progrès multiples de personnes accompagnées par des entreprises sociales, montrent qu’il est possible de mesurer ce qui peut apparaître a priori intangible.

Le recours à des indicateurs est relativement spontané, voire indispensable, lorsque l’on s’intéresse à l’efficacité d’une action. La mesure permet de porter un jugement sur l’ambition du projet et sur ses résultats. Elle peut motiver, de manière argumentée, une décision ou un changement de pratiques pour améliorer l’impact créé. L’analyse d’indicateurs est également un préalable nécessaire mais non suffisant à une étude de l’efficience, afin de lier les résultats avec les ressources mobilisées, ainsi qu’à une étude de l’impact net, qui déduira du chiffrage des indicateurs ce qui aurait eu lieu sans l’intervention. Certains risques associés à la mesure d’indicateurs sont cependant à prendre en compte. Par exemple, la mesure tendra à porter sur ce qui est le plus facilement quantifiable, en excluant les impacts plus qualitatifs. En focalisant l’attention des acteurs sur certaines dimensions de l’activité, l’utilisation d’indicateurs peut parfois encourager des déviances par rapport à la mission sociale. Il est également important d’être vigilant quant aux diverses interprétations possibles des données obtenues.

Les méthodes de monétarisation

D’autres méthodes s’intéressent, quant à elles, à la valeur économique créée par un projet social. Afin d’estimer cette valeur, plusieurs d’entre elles, comme les « analyses coûts-bénéfices » (Meunier, Mardsen, 2006) ou le « retour social sur investissement » (The SROI Network, 2012), proposent de recourir à la monnaie comme unité de mesure commune pour comparer et agréger des éléments de nature différente. Dans le cadre de ces approches, la valeur d’une action correspond, en quelque sorte, à la somme des « accroissements de bien-être » procurés aux individus qui en ont bénéficié. En l’absence de valeur monétaire directement disponible pour les bénéfices ou les nuisances évaluées, différentes techniques peuvent être utilisées. L’approche des « préférences révélées » se fonde sur des informations données par le marché (par exemple, la variation du prix d’un même type de bien immobilier dans deux quartiers différents donne une estimation de la valeur accordée au quartier). L’approche des « évaluations contingentes » vise à reconstruire un marché à partir de ce que déclarent les acteurs (par exemple, par le biais d’une enquête demandant aux personnes combien elles seraient prêtes à payer pour tel ou tel bénéfice). On trouvera également des estimations monétaires par le calcul de « coûts évités » et de « revenus générés » pour la collectivité par certains projets sociaux. Ainsi, dans le secteur de l’insertion par l’activité économique, des ratios estiment le retour en impôts, en taxes et en économies de prestations pour un euro de subvention publique versé aux entreprises d’insertion.

Via une unité de mesure commune, les méthodes monétaires permettent une comparaison des résultats obtenus et des ressources mobilisées. Elles sont ainsi propices à une analyse de l’efficience et de la rentabilité, économique et sociale, d’un investissement dans un projet social. Les techniques à mettre en oeuvre peuvent néanmoins se révéler peu accessibles au plus grand nombre. L’attrait du chiffre obtenu peut également occulter les hypothèses, plus ou moins solides, qui ont permis de l’estimer et faire oublier qu’il s’agit d’ordres de grandeur à manier avec précaution.

Les méthodes avec groupes de comparaison

Pour finir, un ensemble de méthodes a été développé afin de répondre à la question suivante : quel est l’effet direct d’une intervention donnée, indépendamment de ce qui se serait passé de toute façon en l’absence de cette intervention ? Elles s’appuient sur la comparaison d’un groupe ayant bénéficié d’une intervention (groupe « traité ») avec un groupe « témoin ». Cela permet de déterminer si les changements observés dans le groupe « traité » s’expliquent bien par l’intervention en question, et non par d’autres facteurs. Au sein des études dites randomisées (Duflo, 2009), la constitution des deux groupes s’effectue de manière aléatoire, afin que les populations soient statistiquement semblables. Cette méthode a par exemple été appliquée en France sur des projets d’égalité des chances dans l’éducation comme « La mallette des parents », pour lequel une étude a démontré qu’un surcroît d’implication des parents à la suite d’une politique d’information dédiée permettait l’amélioration des comportements des élèves de collège (Goux et al., 2013). Une étude randomisée peut se révéler peu opportune pour des raisons pratiques (technicité, coût, lourdeur de mise en oeuvre) ou éthiques (du fait de la méthode aléatoire de sélection des participants au programme). D’autres techniques statistiques peuvent être utilisées, comme celle de l’appariement (Leeuw, Vaessen, 2009), qui consiste à reconstituer un groupe de comparaison sur des critères observables. De manière plus simple, mais moins robuste, il est aussi possible de réaliser des comparaisons à l’aide de statistiques publiques ou de demander directement aux bénéficiaires la part du changement vécu qu’ils attribuent au projet.

Pour démontrer l’impact net généré par une action donnée, la simple mesure d’indicateurs est ainsi insuffisante et il est préconisé de procéder à une comparaison avec un groupe comparable. Les techniques peuvent varier en termes de coût, de complexité ou d’acceptabilité : il est ainsi important de ne pas mettre en place un dispositif disproportionné par rapport au niveau d’exigences des commanditaires de l’évaluation et à la taille ou à l’ambition du projet. Par ailleurs, l’évaluation de l’impact net permettra d’identifier d’éventuels effets, sans pour autant être en capacité de les expliquer. Elle pourra pour cela être complétée par des approches plus qualitatives.

La figure 2 (ci-dessous) propose une synthèse des méthodes préconisées en fonction des objectifs poursuivis. Le tableau 2 (page suivante) présente par ailleurs quelques exemples d’outils dans chacune des grandes familles de méthodes.

Figure 2

Quelles méthodes pour quels enjeux d'évaluation ?

Quelles méthodes pour quels enjeux d'évaluation ?

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Tableau 2

Familles de méthodes et exemplaires

Familles de méthodes et exemplaires

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Pluralisme et pragmatisme

Compte tenu de ses objectifs, de ses modes d’organisation et de ses contraintes économiques, l’entreprise sociale se trouve confrontée à deux questions complémentaires importantes lorsqu’elle tente de définir sa démarche d’évaluation : Souhaite-t-elle associer ses parties prenantes au processus évaluatif et souhaite-t-elle, compte tenu de ses besoins et de ses moyens, mener ce processus en interne ou faire appel à un prestataire externe ?

Quelle place pour les parties prenantes dans le processus évaluatif ?

La majorité des entreprises sociales appartiennent au champ de l’économie sociale et solidaire et leur statut favorise le fonctionnement démocratique. Il peut alors apparaître légitime, voire nécessaire, d’impliquer des représentants de différentes parties prenantes dans la démarche d’évaluation de l’impact social, qui questionne nécessairement la finalité de l’entreprise sociale et sa performance. Dans un contexte où le nombre d’éléments à prendre en considération est important, où la connaissance de chaque partie prenante est partielle et où les valeurs et les intérêts de ces dernières sont potentiellement divergents, l’expression de chacun et le dialogue facilitent le développement d’une vision partagée des objectifs de l’entreprise sociale. Comme le précise l’Avise dans son guide d’auto-évaluation, l’utilité sociale « est une notion contingente. Elle n’a pas de définition universelle. Sa définition dépend des valeurs portées par ceux qui la définissent et du contexte. Chaque structure doit co-construire la définition de sa propre utilité sociale » (Duclos, 2007). Concrètement, les parties prenantes pourront être impliquées dans l’évaluation lors de deux étapes clés : la constitution des critères d’évaluation (à partir desquels l’analyse sera menée) et la construction d’un point de vue partagé sur les résultats obtenus.

Quelle évaluation à la portée des entreprises sociales ?

Les sciences humaines, économiques et sociales positionnent l’évaluation comme une démarche scientifique portée par des experts. Comment adapter ces approches aux capacités humaines et financières des entreprises sociales ? L’enjeu, pour ces dernières, est de s’inspirer des principes et de la rigueur des approches scientifiques, tout en les simplifiant. Elles pourront ainsi formaliser leur théorie du changement, mener des enquêtes par questionnaire auprès de leurs bénéficiaires, solliciter leurs autres parties prenantes pour échanger sur leurs attentes réciproques, mettre en place des tableaux de bord ou bien encore estimer leur ratio SROI. Elles peuvent se sentir déstabilisées par certaines étapes, comme celles du choix d’un indicateur ou d’une valeur monétaire. Si l’on opte pour une démarche d’auto-évaluation, un accompagnement des entreprises sociales apparaît nécessaire. Celui-ci peut prendre la forme de l’utilisation de guides pratiques (Stievenart et al., 2013), d’un accès à des formations ou bien d’un appui par des consultants. Il permettra de surmonter l’obstacle du manque de compétences et de ressources et d’accroître la qualité des évaluations. Les financeurs et les réseaux d’accompagnement des entreprises sociales ont ici un rôle essentiel à jouer, afin de contribuer au développement de ces nécessaires infrastructures.

Conclusion

Compte tenu du caractère éminemment complexe de l’évaluation d’impact social, les entreprises sociales se trouvent confrontées à deux risques majeurs : celui de baisser les bras face aux défis et aux limites inhérents à l’exercice et celui de transformer l’exercice en une démarche indigeste, inabordable et non pérenne. Afin d’éviter cela, nous leur préconisons d’adopter une approche pragmatique reconnaissant la complexité, mais acceptant en toute transparence les compromis nécessaires à la mise en oeuvre d’une démarche d’évaluation utilisable, utile et durable. Pour cela, elles doivent éviter de réduire l’évaluation de l’impact social à un ensemble de techniques, mais la considérer comme une démarche, aux déclinaisons variables, visant à nourrir les échanges et les décisions avec leurs parties prenantes. Dans le cadre d’un processus alliant transparence, rigueur et pragmatisme, les informations collectées et analysées seront alors autant d’éléments de réponse, partiels mais utiles, pour les accompagner dans le dialogue avec leurs parties prenantes et la maximisation de leur impact social.