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Les coopératives font partie de l’économie sociale (ES), aux côtés des associations, des mutuelles et des fondations (Bisault, 2011), ce qui les amène à revendiquer les mêmes engagements : la démocratie autour du principe « Une personne, une voix », la recherche d’un projet collectif ou encore le refus d’une appropriation individuelle des excédents. Nombre d’entre elles ont privilégié pour se développer la croissance externe en créant ou en achetant des entreprises extérieures à l’économie sociale, c’est-à-dire des entreprises qui ne se réclament pas des principes de l’ES et qui le font d’autant moins qu’elles sont cotées en Bourse. Ce mouvement a pris tant d’ampleur que l’emploi des coopératives n’est plus localisé aujourd’hui que pour 55 % dans les coopératives mères (contre 45 % dans leurs filiales). Il concerne avant tout les coopératives bancaires et agricoles, beaucoup moins les coopératives de consommateurs, où les coopérateurs sont les clients, et les coopératives de commerçants regroupés autour d’une enseigne et d’une centrale d’achat. Les coopératives de production, principalement des sociétés coopératives et participatives (anciennement appelées sociétés coopératives ouvrières de production, Scop), dont les salariés sont les associés majoritaires, sont peu concernées.
La croissance externe des coopératives a des causes multiples. Elles sont souvent économiques, tant il est difficile pour une coopérative d’augmenter ses fonds propres, ce qui passe par la venue de nouveaux adhérents. L’extension en interne se heurte parfois aussi à des obstacles juridiques. Les coopératives agricoles ont ainsi été encouragées à filialiser les activités de transformation pour qu’elles n’échappent pas à l’impôt. L’attrait de meilleurs salaires a également constitué une motivation pour une partie des dirigeants des banques coopératives (Bisault, 2012). La création de filiales est aussi un moyen d’élargir le territoire géographique des coopératives. Cela vaut en premier lieu pour les coopératives agricoles, dont l’action s’inscrit dans un territoire pour lequel elles ont été agréées (Agreste-Primeur, 2009 ; Filippi et al., 2009).
Vers une nouvelle définition statistique des coopératives
Les coopératives regroupent 306 000 salariés en 2010, sur un total de 2 341 000 salariés pour l’ensemble de l’ES. Il existe plusieurs statuts juridiques de coopératives, selon leur type : coopératives de production, d’usagers, d’entrepreneurs, d’intérêt collectif, agricoles…
Le périmètre statistique actuel de l’économie sociale s’appuie quasi exclusivement sur la catégorie juridique des entreprises. Il n’est plus opérationnel avec la nouvelle définition de l’entreprise de l’Insee, car la notion de groupe n’est pas une catégorie juridique. On a donc choisi de faire évoluer le périmètre statistique en considérant que les coopératives sont constituées de trois entités : pour l’essentiel, les groupes dont la tête a un statut coopératif ; ensuite, les rares groupes dont l’intégralité des effectifs se trouve dans une entreprise coopérative et qui n’appartiennent pas à la catégorie précédente ; enfin, les trois grands groupes bancaires Crédit agricole, BPCE et Crédit mutuel, dont les têtes de groupe sont des sociétés à capitaux pour les deux premiers et une association pour le troisième. La construction de ce nouveau périmètre de l’économie sociale s’appuie sur les liaisons financières des entreprises marchandes non agricoles. Cela contraint à ne pas retenir ici, faute de disposer de ces données, les coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) et les coopératives travaillant sur les semences, soit moins de 8 500 salariés en équivalents temps plein. Avec cette nouvelle définition, les groupes coopératifs emploient 500 000 salariés en 2010 (tableau 1).
Les coopératives bancaires se complexifient
L’emploi des coopératives bancaires, qui sont dans leur majorité des grandes entreprises (tableau 2), se répartit aujourd’hui à 54 % dans les coopératives mères et à 46 % en dehors (graphique 1, en page suivante).
L’extension des coopératives bancaires leur a permis de gagner des parts de marché et de sortir de leur métier originel : le financement de l’agriculture pour le Crédit agricole, celui des petites et moyennes entreprises pour les Banques populaires et celui du logement social pour les Caisses d’épargne. Par l’acquisition de filiales, le Crédit mutuel est aussi sorti de ses bastions géographiques de l’Est de la France. Ce mouvement a été facilité par le volume des réserves accumulées par les banques coopératives. Il s’est traduit par l’acquisition de banques de dépôt en France et à l’étranger [1]. Le Crédit lyonnais est passé dans l’orbite du Crédit agricole et le Crédit industriel et commercial (CIC) dans celle du Crédit mutuel. L’extension des banques coopératives est aussi passée par l’achat ou la création de banques d’affaires dont la rentabilité était attrayante au début des années 2000 et par l’introduction en Bourse : en 2001 sous le nom de Crédit Agricole SA, qui devient ainsi le véhicule coté pour les grandes opérations de croissance externe du premier groupe coopératif bancaire ; en 2006 pour Natixis, la banque d’investissement filiale des Caisses d’épargne et des Banques populaires.
Ce faisant, les structures bancaires se sont complexifiées, avec parfois des participations croisées sur plusieurs niveaux entre les caisses locales, les caisses régionales et un organe central. Ainsi redéfinis, les groupes coopératifs bancaires créent de facto une solidarité financière entre la coopérative historique et les actionnaires des filiales ou de la tête de groupe. Une solidarité qui permet le financement de la coopérative par les excédents des entreprises possédées et qui peut aussi amener les coopérateurs à assumer les pertes d’une partie du groupe (Frémeaux, 2009).
Les coopératives bancaires ont également investi des activités connexes à la banque : l’immobilier, où elles emploient 14 000 salariés en équivalents temps plein (ETP) en 2010, et l’assurance, où elles en comptent 8 000. Elles se sont plus marginalement implantées dans les services informatiques, le traitement de l’information et l’édition.
Le premier acteur bancaire
Les coopératives sont en 2010 le premier employeur bancaire, avec 55 % des salariés des activités des services financiers hors assurances, dont 18 % hors entreprises coopératives (graphique 2). Elles emploient 20 % des salariés des entreprises de la fabrication de boissons et 13 % des autres secteurs agroalimentaires hors tabac. Les coopératives pèsent 6 % des salariés du commerce de gros hors automobile. La diversification des coopératives bancaires permet aux coopératives de représenter 9 % des services d’information. Les coopératives pèsent 7 % des emplois dans l’immobilier, sous deux formes : filiales des banques, mais aussi coopératives de HLM. Elles représentent également 4 % des salariés de l’édition. Cette implantation résulte de la diversification du Crédit mutuel dans la presse régionale, qui a amené cette banque à acheter de nombreux titres de journaux dans l’Est du pays. Elle a dans une moindre part été le fait des autres coopératives bancaires.
Une intégration verticale pour les coopératives agricoles
L’expansion des coopératives agricoles est encore plus forte que celle des coopératives bancaires, puisque 55 % de leurs salariés travaillent dans une entreprise sans statut coopératif. Elles sont pourtant, par leur taille, plus diversifiées que les coopératives bancaires, avec en leur sein aussi bien des PME que des entreprises de taille intermédiaire et des grandes entreprises. Leur développement a porté sur l’aval des filières agricoles, avec aujourd’hui davantage d’emplois dans l’agroalimentaire que dans le commerce de gros ou de détail qui approvisionne les adhérents en intrants et commercialise les productions. La filialisation a surtout porté sur les activités agroalimentaires : la transformation de céréales, l’alimentation animale, les produits laitiers, l’industrie de la viande, la transformation de fruits et de légumes. Elle est souvent le fait de leaders sur leur marché, comme Cooperl Arc Atlantique, un acteur majeur de la production porcine, ou Sodiaal, un géant de la filière laitière. La création de filiales n’en est pas pour autant universelle dans l’agroalimentaire, car elle reste l’exception dans la filière viti-vinicole, liée aux terroirs du Languedoc-Roussillon, de Champagne ou d’Alsace. En 2010, les entreprises à statut coopératif demeurent la principale source de profit des groupes coopératifs, en contribuant pour deux tiers à l’excédent brut d’exploitation de ces derniers. La création de filiales a permis aux coopératives d’élargir leur champ d’action géographique. Cela constitue une motivation forte pour des structures dont l’ancrage est juridiquement lié à un territoire, puisque les statuts de chaque société coopérative agricole fixent sa circonscription territoriale. Les emplois des filiales sont en effet pour moitié situés hors de la région du siège social de la coopérative mère, alors que ceux de la coopérative mère y sont localisés à 90 % (tableau 3).
Les autres coopératives moins concernées
Les salariés des « autres coopératives » travaillent à 72 % dans les coopératives mères en 2010, ce qui atteste d’une expansion mesurée. Ce sont notamment des coopératives de consommateurs et des coopératives d’entrepreneurs très implantées dans le commerce de détail de type commerce associé.
En graves difficultés depuis des années, les coopératives de consommateurs n’ont pas les moyens financiers d’une expansion, puisque qu’elles luttent pour ne pas disparaître. Les dernières en activité ont troqué l’enseigne historique Coop pour celle de concurrents, parfois même de concurrents cotés en Bourse. Les quelques filiales des coopératives de consommateurs sont des entreprises de distribution, dans le hard-discount ou les produits alimentaires. Les coopératives d’entrepreneurs ont, à l’instar des réseaux Système U et Leclerc, connu un fort développement de leur activité, mais ils n’ont adopté la structure coopérative que pour la centrale d’achat et la logistique. Le plus gros de leurs effectifs est employé dans les magasins sans liens financiers avec la coopérative.
Les coopératives de production ont 93 % de leur emploi salarié dans des entreprises coopératives en 2010. Ce sont pour l’essentiel des Scop. Les coopératives de production sont de petites structures, de moins de vingt salariés en moyenne. Ce sont des micro-entreprises, des PME ou des entreprises de taille intermédiaire. Elles proviennent parfois de reprises de sociétés en difficulté. Ce sont aussi des créations de type artisanal. Autant de raisons de limiter les filialisations. Acome, l’une des rares Scop d’envergure internationale pour ses productions de câbles, n’a pas de filiales en France, mais uniquement à l’étranger pour approvisionner les marchés locaux. Comme les coopératives agricoles, les coopératives de production et les « autres coopératives » sont sorties de leur territoire initial avec leurs filiales même si elles n’ont pas d’ancrage géographique officiel.
Conclusion
Avec le développement de leurs filiales, la stricte définition juridique des coopératives apparaît trop restrictive pour mesurer leur poids économique réel. La nouvelle définition de l’entreprise, désormais en vigueur dans le système statistique européen, permet de combler cette lacune. Forts de leurs 500 000 salariés en équivalents temps plein, les groupes coopératifs sont donc aujourd’hui des acteurs essentiels de nombreux secteurs économiques. L’importance de leur diversification et la taille de certains groupes permettent aussi de mieux comprendre les difficultés rencontrées dans leur gouvernance (Frémeaux, 2011).
Appendices
Note
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[1]
Les filiales étrangères des coopératives ne sont pas comptabilisées dans les tableaux de l’étude.
Bibliographie
- Agreste-Primeur, 2009, « Les groupes coopératifs poursuivent leur développement », n° 235, décembre.
- Bisault L., 2012, « L’échelle des salaires est plus resserrée dans le secteur de l’économie sociale », Insee Première, n° 1390, février.
- Bisault L., 2011, « Le tiers secteur, un acteur économique important », Insee Première, n° 1342, mars.
- Filippi M., Frey O., Mauget R., 2009, « Les coopératives agricoles face à l’internalisation et à la mondialisation des marchés », Recma, n° 310.
- Frémeaux P., 2011, La nouvelle alternative ? Enquête sur l’économie sociale et solidaire, Alternatives économiques-Les Petits Matins.
- Frémeaux P., 2009, « Banques coopératives : qu’allaient-elles faire dans cette galère ? », Alternatives économiques, n° 281, juin.