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Il est parfois difficile, dans le milieu de l’économie sociale et solidaire, de se raconter à la première personne ou d’évoquer les parcours personnels au sein d’initiatives par nature collectives. Ce risque a été pris, en partie, par Henryane de Chaponay, qui dans une maïeutique à quatre mains avec une anthropologue brésilienne, Lygia Segala, a ouvert ses archives pour partager son itinéraire dans un « beau livre » richement illustré.
L’ouvrage, préfacé par Stéphane Hessel, restitue le milieu familial, issu de grandes lignées de la noblesse européenne et qui projette Henryane au Maroc au moment de l’indépendance. Proche de l’équipe Ben Barka, elle participe aux premiers contacts avec Emmaüs qui permettront de lancer dès 1957 les mouvements d’animation rurale ainsi que l’Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (Iram), association de solidarité internationale avant l’heure.
La démarche d’animation rurale fait tache d’huile dans différents pays du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine, notamment en appui aux réformes agraires et à l’organisation des producteurs agricoles, tout en s’interrogeant en permanence sur le « risque d’enlisement » en « tant qu’appoint à des actions techniques ou économiques ne remettant pas en cause les pouvoirs » (Yves Goussault, 1970, cité p. 191). Une étude aura même lieu en 1967 sur l’« animation et la promotion collective en France dans les structures de participation nationales et locales » (p. 179) et plusieurs expériences seront visitées sur le terrain, en particulier dans la vallée du Grésivaudan, en Isère, dans le Mené, en Bretagne, ou dans le Rouergue, en Aveyron.
Après l’Iram, Henryane travaille auprès du comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) et accompagne l’évolution de ce dernier d’une mission d’aide à la transformation sociale, en appuyant la redéfinition du partenariat et de la solidarité. Les réseaux tissés en Amérique latine l’invitent ensuite à s’investir dans le centre d’étude du développement en Amérique latine (Cedal). Mais ce « lieu de rencontre » suscitant groupes de discussion et d’études ainsi que « recherches collectives de base » associe progressivement réseaux syndicaux, militants de l’action sociale et chercheurs. Il n’est pas surprenant qu’il amène Henryane à suivre de près le lancement du processus du Forum social mondial au début des années 2000.
Illustré de nombreux croquis, photos et documents et parsemé d’entretiens et de témoignages (notamment avec Dominique et Patrick Viveret, p. 307-318), ce livre pourra irriter certains lecteurs soucieux de linéarité et de recul analytique. Il constitue néanmoins l’album d’un témoin engagé du « court xxe siècle » et même d’un peu au-delà.