Cette étude comparative des évolutions respectives du droit européen et de la théorie économique sur l’économie sociale au cours des vingt dernières années vise à déterminer quelle est leur cohérence pour promouvoir une théorie de l’entreprise en Europe . Dans le contexte de crise qui déchire l’Europe depuis 2008, les concepts d’entreprise sociale, d’entrepreneuriat social ou encore de social business ont le vent en poupe . Ils tendent à se substituer au concept de « tiers secteur », auparavant mis en avant dans la lutte contre l’exclusion et la pauvreté et dans la quête d’un développement durable. Mon étude s’attache tout particulièrement à l’économie sociale au sein de cette évolution globale. Par « entreprises de l’économie sociale », j’entends celles qui produisent un « patrimoine collectif », notamment les coopératives, les mutuelles et les associations. Leurs traits communs sont une gouvernance démocratique, une distribution du profit nulle ou limitée (une partie de la valeur ajoutée est mise en réserve, les réserves affectées à l’intérêt général) et une propriété collective (organisation sans propriétaire individuel). Ces entreprises accumulent un capital de réserve indivisible, autonome par rapport à la succession de ses propriétaires en titre. En 1994, j’ai présenté à la Ire conférence de l’International Society for Third Sector Research (ISTR), à Pecz, en Hongrie, une réflexion consernant « l’impact du droit européen sur les associations sanitaires et sociales » , dans laquelle je soulignais le risque de banalisation pour ces organisations, assimilées par le droit européen soit au secteur privé, soit au secteur public. Vingt ans après, je fais un point. La présente étude n’est pas le résultat d’une recherche académique. Elle s’appuie à la fois sur la documentation existante et sur ma propre expérience d’acteur, de manager et de responsable politique dans l’économie sociale. Sur la base de cette expérience, j’ai sélectionné des auteurs que je cite plus que je ne les discute. Je me suis intéressée aux évolutions sous deux angles : d’une part, les statuts des organisations et, d’autre part, la réglementation applicable à leurs activités de production de biens et de services. Je considère qu’il y a peu de réflexion, à l’échelle européenne, sur l’opportunité d’adapter le droit de l’entreprise au développement durable et à des entreprises plus « hybrides », comme celles de l’économie sociale. Des mouvements sont cependant en cours, avec des motivations différentes, à la fois aux Etats-Unis et en Europe. C’est la raison pour laquelle j’esquisse quelques pistes de recherche. La théorie économique a évolué d’une conceptualisation de l’économie sociale comme « secteur », réponse aux défaillances de marché (ce qui signifie donc la prédominance de celui-ci) et de l’Etat, vers une reconnaissance fondée sur une vision partenariale des divers modes de coordination économique, concomitants et concurrents – le marché, la coordination par l’Etat et les mécanismes de coopération –, puis comme un mode de gouvernance spécifique. L’économie sociale a souvent été assimilée à un « tiers secteur » palliant les défaillances du marché et de l’Etat. En 1998, Salamon et Anheier ont expliqué, par la théorie des « origines sociales », la correspondance entre la taille et le modèle de société dans lequel ce secteur se développe (modèle libéral, social-démocrate, corporatiste, statique), mais pour A. Wagner , cette théorie reste dans le cadre conceptuel des défaillances de l’Etat et du marché et dans une vision « deux secteurs » de la société. Anheier remarque la coïncidence entre l’introduction du « new public management » et la croissance significative du tiers secteur dans sa dimension économique. La recherche économique internationale a moins identifié les avantages de la production d’un « patrimoine collectif » …
Économie sociale et entreprise sociale : quelle cohérence entre le droit et la politique économique dans l’Union européenne ?Réflexions sur les évolutions depuis 1990[Record]
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Nicole Alix
Administratrice déléguée, Confrontations Europe
nalix@confrontations.org