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Face à la diminution prévisible des financements publics, les associations sont désormais contraintes de coopérer entre elles, de mutualiser leurs moyens, voire de se regrouper. Ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui, mais, incontestablement le contexte économique et politique actuel accentue ce processus : désormais, une création d’association sur cinq serait le résultat d’une restructuration (Tchernonog, 2011). Restructuration, un mot qui habituellement fait peur, souvent synonyme de compression du personnel salarié ou de changements profonds dans les modes de gestion. Qu’en est-il du secteur associatif ? Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, les associations seraient-elles, elles aussi, gagnées par cette fièvre de la rentabilité « à tout prix » ? Existe-t-il, pour ces structures, un seuil critique en dessous duquel leur pérennité ne serait plus assurée ? Nous tenterons d’identifier les principales raisons qui poussent les associations à se rapprocher, avant de présenter les différents modes de coopération et de regroupement envisageables, ainsi que les contraintes existantes sur le plan juridique et fiscal.

Les raisons à l’origine du rapprochement des associations

Le rapprochement des associations peut être le résultat – comme c’est très souvent le cas – d’une volonté affirmée des financeurs publics de « rationaliser » les modalités d’intervention d’un ou de plusieurs acteurs associatifs intervenant dans leurs champs de compétences spécifiques. La gestion actuelle des politiques publiques (révision générale des politiques publiques, RGPP) [1] tend à réduire le nombre d’interlocuteurs potentiels. Il est vrai aussi qu’elle permet d’éviter d’avoir à gérer des modes d’intervention quelquefois divergents, élaborés sans réelle concertation entre les opérateurs eux-mêmes et débouchant sur des offres de prestations concurrentes peu lisibles pour les bénéficiaires. L’exemple de la politique actuellement menée par les agences régionales de santé (ARS) ou par les autorités administratives de tutelle dans le secteur sanitaire et social (ou médico-social) est, sur ce point, extrêmement révélateur. De manière directive, parfois même brutale [2], les ARS exigent des associations qu’elles se regroupent, au risque d’apparaître comme de véritables dirigeants de fait [3]. Incontestablement, il s’agit là d’une nouvelle expression de l’instrumentalisation des associations par les pouvoirs publics, particulièrement mal vécue par les intéressées, dès lors que le processus de restructuration leur est imposé sans aucune négociation préalable.

Ce peut être aussi un processus volontairement engagé par les dirigeants d’association eux-mêmes, afin de relancer leur projet associatif, face aux difficultés qu’ils rencontrent ou dans un but d’optimisation juridique ou fiscale. Confrontée à une problématique de renouvellement de ses dirigeants bénévoles (Amblard, 2007), une association n’aura pas d’autre choix que de fusionner avec un autre organisme sans but lucratif, dans l’hypothèse où elle souhaiterait pérenniser son activité et ses emplois. De la même façon, une association en proie à des difficultés financières pourra entretenir l’espoir de poursuivre son action en se regroupant avec un organisme qui dispose de fonds propres ou en mutualisant ses charges avec d’autres partenaires associatifs. Le regroupement pourra également être envisagé dans le but de créer des synergies entre différentes associations ayant des activités complémentaires. Enfin, un processus d’harmonisation du statut collectif de ses salariés peut conduire une association à se restructurer : c’est le plus souvent le cas de celles qui connaissent une forte croissance les obligeant à opérer des regroupements d’activités ou d’établissements en conformité avec les règles applicables en matière de droit du travail et de prévoyance.

Une réforme législative, également, peut placer une association dans l’obligation de se restructurer à brève échéance (Amblard, 2008). En guise d’exemple, l’ordonnance n° 2004-279 du 25 mars 2004 (art. 5) portant réforme de la profession d’expertise comptable a profondément modifié la situation des centres de gestion agréés et habilités, en interdisant à ces structures associatives d’exercer à la fois l’activité de gestion et celle d’agrément comptable. Dans un laps de temps donné, ces associations ont dû s’organiser pour transférer l’une ou l’autre de leurs activités, soit par un apport partiel d’actifs (cf. infra), soit par une scission de la structure porteuse. Dans cet exemple, ce sont plus de 10 % des acteurs de la profession d’expertise comptable organisés sous la forme associative qui ont dû s’adapter à un nouveau cadre normatif, entraînant par ailleurs de nombreux transferts de salariés.

Terminons cette présentation avec les conséquences induites par la circulaire Fillon du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations [4]. En généralisant le recours à l’appel à projets dans un cadre de mandatement (au-delà du seuil de minimis de 200 000 euros sur trois ans [5], les associations – désormais considérées comme des « entreprises » [6], dans la mesure où la plupart de leurs activités sont elles-mêmes présentées comme des « activités économiques » – subissent de plus en plus la loi de la libre concurrence, à l’instar de n’importe quel opérateur lucratif susceptible d’intervenir sur un même marché. Le dogme communautaire d’une « concurrence libre et non faussée » les pousse à faire cause commune afin d’éviter que l’« émiettement associatif » [7] ne leur soit fatal.

Les enjeux peuvent ainsi être très divers en fonction de la situation propre des associations, mais également des relations qu’elles entretiennent avec leur environnement.

Les modes de coopération ou de regroupement

La coopération entre associations

La coopération entre associations peut aller de la simple convention de prestation de services de l’une au bénéfice de l’autre à un partenariat plus élaboré ou durable. Elle peut également prendre la forme de la création d’un outil commun, destiné à mutualiser soit des moyens humains et matériels dans le but de développer ses propres activités économiques (groupement d’intérêt économique [GIE], groupement de coopération sociale et médicosociale [GCSMS], union d’associations), soit uniquement des moyens humains (groupement d’employeurs). La mutualisation peut également être envisagée pour élaborer une démarche politique commune (fédération d’associations). Dans un cadre plus stratégique, cette forme de coopération peut s’accomplir par la création d’une société commerciale en vue de réaliser communément des activités commerciales lucratives (par le biais d’une prise de participation au capital) ou par celle, par exemple, d’un fonds de dotation commun dédié à la recherche de fonds privés (mécénat, libéralités [Amblard, 2010]).

De la même façon, la création d’un outil de mutualisation (de type GIE ou GCSMS) peut avoir des conséquences sur le plan fiscal (assujettissement à la TVA des services rendus aux membres), tout comme d’ailleurs la simple convention de prestation de services passée entre deux associations (instruction fiscale BOI 4 h-5-06 du 18 décembre 2006).

Quel que soit le schéma de coopération retenu, l’un et l’autre des acteurs subsistent en qualité de personnes morales et doivent continuer à se comporter comme des entités juridiquement et financièrement autonomes. Autrement dit, les rapports entretenus entre ces acteurs, quels qu’ils soient, doivent faire l’objet d’une contractualisation en bonne et due forme. Certains rapports sont soumis à une réglementation particulière (convention de mise à disposition de salariés, par exemple) et d’autres doivent respecter les règles spécifiques en matière de transparence financière (loi « Nouvelle règlementation économique » du 15 mai 2001, codifiée aux articles L612-4 et L612-5 du Code du commerce).

Le regroupement d’associations

Le regroupement d’associations recouvre lui aussi des réalités extrêmement diverses et peut répondre à des situations totalement distinctes sur un plan juridique. A ce stade, nous n’envisagerons pas le regroupement « politique » d’un certain nombre d’associations qui souhaitent donner une cohérence à leur action commune en s’engageant sur la voie de la création d’une fédération (cf. supra). Le regroupement d’associations, par voie de fusion ou de scission, entraîne la dissolution immédiate, sans passer par la phase de liquidation, de la structure absorbée ou scindée au profit de celle(s) qui absorbe(nt). Dans le cas précédemment exposé, des associations de gestion et de comptabilité et des centres de gestion agréés ont ainsi pu bénéficier respectivement des activités de gestion comptable et de celles d’agrément comptable issues de la scission de centres de gestion agréés et habilités, en application de la loi n° 2004-279 (art. 5) précitée et des préconisations du Conseil national de la comptabilité [8].

Dans notre schéma de présentation, les activités d’apport partiel d’actifs sont des opérations inclassables, en ce sens qu’elles laissent subsister la personnalité juridique de l’apporteur tout en traduisant la volonté de coopérer des parties prenantes. Ce même raisonnement peut s’appliquer à d’autres formes d’apport, tels que les apports purs et simples (apport d’un actif) ou ceux à titre onéreux (apport grevé d’une charge). Quant à la spécificité de l’apport partiel d’actifs, elle porte sur le fait que le transfert doit obligatoirement concerner une « branche complète et autonome d’activité » [9], identifiée comme telle sur un plan fiscal et comptable. Ainsi, on le voit, toutes ces opérations de coopération et de regroupement, à travers leurs spécificités propres, requièrent une attention toute particulière et nécessitent la réunion d’un certain nombre de compétences spécifiques, afin d’envisager leur réalisation avec succès.

Bien aborder les opérations de regroupement

Incontestablement, les opérations de coopération doivent faire l’objet d’une analyse préalable et approfondie. Aucune opération n’est identique. Et il convient de se poser les bonnes questions dès le départ : quels sont les objectifs poursuivis par l’association ? Jusqu’où celle-ci est-elle prête à aller pour les réaliser ?

La première question impose que chacune des parties prenantes au projet de regroupement définisse clairement son projet stratégique en tenant compte des moyens dont elle dispose. La deuxième aborde frontalement les aspects politiques, et en particulier ceux liés à la gouvernance, dans la structure de coopération retenue ou, en cas de regroupement, lorsque par exemple des dirigeants de l’association absorbée sont appelés à intégrer le conseil d’administration de l’association absorbante.

A ce stade, les querelles d’ego peuvent ressurgir, et cette composante humaine peut à tout moment prendre le pas sur les aspects dits rationnels de ce type de dossier, qui le plus souvent se limitent à la volonté exprimée par le financeur public (cf. supra) ou à la nécessité de sauvegarder l’équilibre financier de l’association. Lorsque l’on aborde un regroupement de type intégrant (fusion-absorption), l’une des associations concernées doit nécessairement procéder à sa dissolution. Le groupement a-t-il envisagé cette conséquence ? Si aucune des parties prenantes au regroupement ne souhaite s’orienter vers cette solution, il sera toujours possible de se rabattre sur une opération de fusion-création [10], toutefois plus compliquée techniquement et par conséquent plus coûteuse à réaliser.

La question du transfert du patrimoine et, surtout, du coût fiscal lié à ce transfert doit être abordée préalablement au lancement de l’opération de regroupement. Qui détient un patrimoine immobilier ? La réponse peut évidemment orienter le sens de la fusion.

Avant la mise en oeuvre définitive des opérations de restructuration, une période intermédiaire peut être aménagée par le biais d’un mandat de gestion (C. civ., art. 1984 et suiv.). Celle-ci devra nécessairement s’étaler sur une courte durée, en raison des risques liés au transfert conventionnel de la fonction employeur. Un audit préalable doit être réalisé, la fusion entraînant l’absorption de l’actif net, mais également du passif de l’association absorbée. A ce stade, il importe de se faire une idée précise de la situation individuelle (issue des contrats de travail), mais aussi collective (issue des conventions collectives applicables, des usages, des régimes de retraite et de prévoyance) des salariés transférés.

Ces aspects sont généralement très peu abordés par les associations désireuses de se regrouper. Pour autant, ils sont très importants et peuvent présenter des risques pour le futur employeur en termes de coûts à prendre en charge. Une compétence particulière doit être envisagée pour trouver des solutions. Au cours des négociations, s’il est toujours important de rappeler que les contrats de travail sont obligatoirement préservés en l’état, en application de l’article L1224-1 du Code du travail, l’harmonisation des statuts collectifs – particulièrement lorsque les deux associations appelées à se regrouper relèvent de conventions collectives différentes – peut néanmoins déboucher sur une dénonciation, dans un délai de quinze mois, d’un certain nombre d’avantages acquis.

Ce n’est que par la suite qu’il conviendra d’aborder et de résoudre les questions de gouvernance : qui prend la direction de cette nouvelle structure ? Où fixe-t-on le nouveau siège social ? Ces aspects sont trop souvent traités de façon prématurée. Concernant les membres, le traité de fusion prévoit généralement un transfert automatique des adhésions, sauf opposition de ces derniers en application du principe de liberté d’adhésion.

Sur le plan fiscal, le bénéfice du régime fiscal de faveur [11] n’est plus assuré à coup sûr dans le cas d’une opération de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actifs entre associations (Amblard, 2011). Il importe en effet de tenir compte de ce nouvel état du droit positif [12] qui veut que, désormais, le régime d’exonération d’impôt sur les sociétés des plus-values réalisées à l’occasion de ces opérations habituellement menées entre sociétés commerciales ne s’applique plus aux associations lorsque l’absorption concerne un organisme fiscalisé [13]. Dans ces conditions, et avant même d’envisager ce type d’opération, l’association absorbante sera bien avisée de procéder à un diagnostic fiscal préalable de sa « cible », afin d’être bien sûre qu’elle n’aura à régler que des droits d’enregistrement (375 euros) [14] et non l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun sur les plus-values constatées à l’issue de la fusion.

Enfin, et sans être exhaustif, les questions portant sur la méthode comptable à retenir (Dantil, 2011), l’élaboration du calendrier des opérations à prévoir, la consultation préalable des instances représentatives du personnel, le « transfert » des autorisations, des habilitations ou des agréments ou encore les différentes formalités administratives à accomplir doivent être résolues, sachant que les autorisations administratives sont en principe incessibles et intransmissibles.

Conclusion

Bien maîtriser ces différentes techniques de coopération et de regroupement peut être un véritable atout pour le secteur associatif. Les avantages sont nombreux : consolidation d’une situation acquise dans un secteur d’activité ou sur un territoire, transmission d’un patrimoine à moindre coût, mutualisation des charges… Certaines grandes associations ou fondations l’ont bien compris et se sont d’ores et déjà dotées de compétences en interne pour gérer au mieux les risques induits par ce nouveau potentiel de croissance externe : dilution du projet statutaire initial, perte progressive des valeurs historiques, prédominance de la logique de gestion sur la fonction militante, désengagement des bénévoles au profit des fonctions employeurs… Autant de défis que nombre de ces groupements d’économie sociale et solidaire devront relever à l’issue de ces opérations de restructuration.