Economique, écologique, sociale et politique, la crise du capitalisme, « règne “des nécrotechnologies” (destruction de l’humus, semences stériles, utilisation du travail mort, énergies fossiles, etc.) » (p. 65), impose de revisiter et de réinventer la « fabrique du socialisme » (p. 111) qu’incarnent l’idéal coopératif, le socialisme municipal et les réflexions actuelles sur les biens communs. L’auteur en donne donc de nombreux exemples, en Europe, en Amérique latine, d’hier comme d’aujourd’hui. Leur caractère festif et joyeux, contre le sérieux de la « gauche fakir », unifie cet ensemble foisonnant , comme une anthropologie du don (p. 90 et suivantes) sans obligation de rendre. Ce refus du primat de l’économie, qui est un primat de l’utilitarisme, implique néanmoins, au nom de la raison universaliste, un retour à une morale matérialiste (p. 196 et suivantes). Cet éloge de la gratuité, au coeur d’un « socialisme gourmand » qui supposerait dans nos sociétés la mise en oeuvre d’un revenu garanti (« dotation inconditionnelle d’autonomie », p. 60), n’est ainsi pas sans poser question. D’une part, parce que l’on ne saisit pas très bien comment la thématique de ce don « gratuit » s’articule avec l’apologie des « biens communs » (l’économie de ces derniers peut bien être démonétarisée, elle n’en est pas moins une économie, justement, avec un ensemble de règles, d’autorisations et d’obligations). D’autre part, parce que, plus fondamentalement, Paul Ariès n’explique pas comment cette thématique centrale du revenu garanti peut se concilier avec un antiétatisme viscéral. D’origine libertaire , cette détestation de l’Etat découle naturellement de celle que voue l’auteur à la « gauche gestionnaire », tout particulièrement d’obédience marxiste. Le lecteur s’étonnera ou s’agacera de curieux raccourcis sous la plume d’un auteur manifestement bon connaisseur de l’histoire du mouvement ouvrier. Un certain anticommunisme transparaît ainsi à l’évocation du parti de « Moscou » (p. 115) ou par l’utilisation des qualificatifs devenus interchangeables « marxistes », « communistes » ou « révolutionnaires » (p. 120-132). Cela se traduit par quelques approximations dommageables dans l’historique des relations, certes conflictuelles, mais moins caricaturales que ne le présente l’auteur, entre le « communalisme » de Paul Brousse et le « guesdisme », parangon du socialisme révolutionnaire borné, préfiguration du communisme français. Ces pages ne rendent en effet que très insuffisamment compte des expérimentations du PCF de la « ceinture rouge » ou des courants coopératifs de l’école de Saint-Claude. Plus près de nous, Paul Ariès critique les comités d’entreprise, véhiculant « les valeurs de l’idéologie dominante » (p. 143), sans saisir la prise de conscience qui semble s’y amorcer (voir notamment www.agoradesce.fr). L’essentiel de l’intérêt de ce Socialisme gourmand pour le lecteur de la Rec-Recma tient néanmoins en une belle analyse du mouvement coopératif. Sur dix pages serrées (p. 143-153), Paul Ariès explique pourquoi les « adeptes de la coopération ne sont pas parvenus à transformer la société ». Fourier bien sûr, les saint-simoniens Jules et Michel Chevalier, l’orléaniste Casimir-Perier, l’Union de Limoges, l’école de Nîmes avec Charles Gide, la Ligue des consommateurs français de la CGT en 1910, les bourses des coopératives socialistes (BCS), l’action d’Albert Thomas durant la Première Guerre mondiale : brièvement mais brillamment, l’auteur évoque les rapports sinueux des pensées coopératives, ouvrières révolutionnaires, réformistes ou du christianisme social et le rôle des pouvoirs publics. Et l’auteur d’analyser : « Le taylorisme détruit la base sociale de la coopération dans la production. Le fordisme détruit les bases de la coopération dans la consommation. » Avant de conclure, avec et au-delà de G. Fauquet, « le mouvement coopératif occupe désormais une petite place au sein du tiers secteur et …